L'Internet des médias sociaux aussi dangereux que la crise climatique

Impressionnante et très sombre keynote, cette semaine à Berlin, du professeur de droit de Columbia, Eben Moglen, sur l’urgence – dans l’intérêt de nos enfants et petits-enfants-- de vite réguler les médias sociaux qui sont des machines à "collecter nos comportements », à les modifier, et à nous empêcher de réfléchir en réduisant notre espace intérieur.

Pendant 40 minutes, cet informaticien américain a sidéré les centaines de geeks allemands réunis pour leur festival numérique annuel re;publica en dénonçant le modèle d’affaires parasitaire et destructeur (mais très fructueux) des médias sociaux et a comparé la tâche qui nous attend au défi du changement climatique.

Extraits :

« Nous vivons en fait deux désastres environnementaux majeurs, chacun nécessitant toute notre attention et notre mobilisation : la crise climatique et celle des médias sociaux qui, elle, pollue notre for intérieur ».

« Notre espace intérieur est désormais délabré », par ces sollicitations incessantes « qui ont changé qui nous sommes et l’objet de nos réflexions ».

« Les adolescents américains regardent leur mobile plus de 2.000 fois par jour. En temps normal, nous aurions parlé de troubles obsessionnels compulsifs ».

"Avec son design persuasif, le réseau métabolise notre comportement, puis le stimule pour créer un nouveau comportement. Il change chimiquement qui nous sommes, fracture la cohérence de notre esprit, et réduit notre espace intérieur. »  

 « Le problème n’est pas seulement Trump ou le Brexit, mais une véritable attaque sur notre capacité à réfléchir (…) et qui se répand plus vite que la Chrétienté ou l’Islam».

« tl ; dr  : too long ; did'nt read - symbole en quatre caractères de la crise de l'esprit"

« Il faut aider à réhabiliter notre capacité à nous concentrer, à réfléchir. Notre génération a la capacité de retrouver cette autonomie et cette liberté qui ne datent que de la Réforme. C’est beaucoup moins sûr pour nos enfants et petits-enfants qui n’ont connu que ça ».

« Nous devons vite régler ce problème, mais le temps joue contre nous et nous avons gâché un temps précieux (…) Et le temps joue contre nous comme il joue contre nous pour la planète (...). Le problème c’est qu’aujourd’hui, les gens sont plutôt convaincus d’un progrès (permis par les médias sociaux) dans l’accessibilité à l’Information et dans la commodité d’utilisation.

« Ces médias nous consomment au moment où nous les consommons. (…) Il faut rendre le Net plus silencieux. La démocratie et notre liberté en dépendent. »

« Il faut changer les règles économiques de ces services ; reconnaître que ce ne sont pas des plateformes, ou des outils de communication, mais des business de collecte de nos comportements ».

Ce discours très alarmiste a fait écho à la tribune publiée le même jour aux Etat-Unis dans le New York Times du dernier Prix Nobel d’économie : « c’est le boulot du gouvernement d’éviter une tragédie du bien commun », a estimé Paul Romer, qui prône une taxe sur la publicité des GAFA pour changer leur modèle d’affaires jugé dangereux pour la démocratie.

En février le New Yorker, avait publié un texte posthume du fameux neurologue Oliver Sacks, dans lequel il prévenait : "ce que nous voyons - et ce que nous nous infligeons - ressemble à une catastrophe neurologique à une échelle gigantesque."  

En France, Jacques Attali, a estimé jeudi que « les réseaux sociaux tuaient aussi sûrement que le sucre ».

Vendredi, le président Emmanuel Macron reçoit Mark Zuckerberg à l’Elysée.

ES

Le mieux, je le redis, c’est de regarder la keynote d’Eben Moglen, disponible ici : https://www.pscp.tv/re_publica/1ZkJzrgRrBwJv