Professionnels de la tech : vers une démarche éco-responsable (Médias en Seine)

Par Diana Liu, MediaLab de France Télévisions

Qui dit nouvelles technologies dit… émissions de carbone ?  Dans les esprits, l'association entre technologies et pollution est encore loin d'être évidente. Les vidéos regardées sur YouTube, les messages WhatsApp envoyés, les appareils technologiques semblent appartenir à un "monde virtuel" bien éloigné des centrales à charbon et des décharges. Mais l'impact environnemental du milieu de la tech est loin d'être négligeable. Le secteur des nouvelles technologies représenterait à lui seul entre 6 et 10 % de la consommation mondiale d’électricité et près de 4 % de nos émissions de gaz à effet de serre. La transition écologique exige une transformation radicale de tous les secteurs de l’économie - quid de l’engagement des professionnels de la tech ?

Le cycle de vie d'un appareil électronique : un cycle polluant

Le cycle de vie d'un appareil comprend de nombreux risques de pollution. Nous pouvons les regrouper en trois étapes : la fabrication de l'appareil,  sa consommation d’énergie, et son recyclage en fin de vie.

La fabrication

C’est la partie la plus polluante du cycle de vie des appareils électroniques. Selon un rapport de Greenpeace en 2017, 70-80% de l’empreinte carbone des appareils technologiques est émise pendant la phase de fabrication, via des chaînes logistiques complexes qui s'étendent sur plusieurs continents. Les composants minéraux utilisés dans ces appareils ne sont pas non plus faciles à obtenir. Leur extraction implique l'utilisation de produits nocifs pour l’environnement comme l’acide sulfurique qui endommage la terre de manière durable.

Selon Helio Matta, CEO de l’ONG brésilienne Akatu Institute qui promeut la consommation responsable, « Pour fabriquer un smartphone,  28,6 kg de matières premières, en moyenne, sont extraites. Ces dernières doivent ensuite traitées sous forme de composants et acheminées vers les usines d’assemblage pour fabriquer un smartphone. Celui-ci est ensuite acheminé vers les centres de distribution et enfin vers les points de vente. »

Source : Le rapport Greenpeace "Guide to Greener Electronics 2017"

La consommation d’énergie

La consommation d'énergie se fait via les appareils terminaux, les infrastructures réseau et les "data centers". Avec les besoins de stockage qui ne cessent de grandir et le développement du "cloud computing", les  « data centers » se multiplient aussi. Une cartographie de 2016 a géolocalisé 156 « data centers » en France — ce nombre devrait s'élever à 200 d’ici 2020.

À l’échelle mondiale, les "data centers" représentent environ 3% de la consommation mondiale d’électricité et 2% des émissions de gaz à effet de serre - soit la même empreinte carbone que l’industrie aérienne. Cela est dû à l'énergie consommée par les serveurs, mais aussi à leur besoin en refroidissement, qui représente selon Actu-Environnement 50% de la facture électricité. 

Source : Globalsecuritymag.fr

Le recyclage

Quelle vie après la mort pour nos appareils ? Malgré l'existence de programmes de recyclage des e-déchets, il y a peu de reporting précis sur ce cycle de fin de vie. Quels e-déchets sont collectés ? Où sont-ils acheminés ?

Greenpeace estime que moins de 16% des e-déchets sont recyclés de manière réglementée. Le e-déchets restant, traités par des recycleurs informels et non réglementés, présentent des risques tels que l'empoisonnement au mercure pour les personnes qui doivent en extraire des composants. En effet, la plupart des appareils électroniques contiennent des plastiques non-recyclables et des matériaux non-biodégradables et toxiques comme le cadmium, le plomb et le mercure. Ces matières toxiques, si elles sont stockées dans une décharge peuvent s'infiltrer et contaminer le sol environnant.

« L’augmentation des déchets électroniques croit chaque année » affirme Ruediger Kuehr, directeur du programme des cycles durables de l'Université des Nations Unies. « Nous produisons 50 millions de tonnes d’e-déchets par an. Si nous ne modifions pas nos pratiques commerciales et de consommation, ce nombre passera à 110 millions de tonnes d'ici 2050. »

Source : Le rapport Greenpeace "Guide to Greener Electronics 2017"

Les géants de la tech : engagés pour l’éco-responsabilité ?

Un nouveau défi s’annonce pour les fabricants, les plateformes  (GAFAs et BATX) et le reste de l’industrie. L’innovation ne doit plus uniquement passer par l'invention de nouvelles fonctionnalités, mais surtout par une démarche éco-responsable.

Trois domaines d'action s'imposent : la réduction des émissions carbone via l’efficacité énergétique et l’utilisation d'énergies renouvelables, le design durable via l'utilisation de matières recyclables et l’élimination de l'utilisation de produits chimiques.

Où en sont les géants de la tech ? Les GAFAs travaillent activement pour atteindre leurs objectifs de développement durable et leurs engagements en matière de climat tout en poursuivant une croissance exponentielle. Certains auraient gagné le droit de se vanter, ou en tout cas de communiquer. 

Apple aurait atteint 100% d’énergie renouvelable dans l’ensemble de ses structures mondiales (points de vente, bureaux, centres de stockage de données, etc). En 2017, l’entreprise a annoncé sa volonté d’aller vers une chaîne logistique en circuit fermé : les matières seront issues de ressources renouvelables ou recyclables au lieu de ressources épuisables. Le but poursuivi : arrêter l'exploitation minière de la terre. 

Source : Apple Environmental Responsibility Report 2019

Google a également accéléré sa transition écologique. Les deux dernières années, l’entreprise aurait contrebalancé 100% de sa consommation d'électricité avec des achats d'énergies renouvelables. Cette semaine, Google a mis ses initiatives éco-responsables au premier plan lors de l’événement « Made by Google » avec l’annonce de 150 millions de dollars d'investissement en énergies renouvelables et en compensations électriques pour les fabricants de matériel tiers. L’entreprise a également commencé à utiliser du plastique recyclé dans ses produits. Selon Ivy Ross, chargée du design de matériel informatique, une bouteille d'eau peut être transformée en deux housses en tissus pour le Nest Mini.

Amazon, en revanche, est fortement critiqué pour son manque de transparence sur le sujet. Lors de son dernier événement de présentation de nouveaux produits le mois dernier, l’entreprise n’a pas communiqué sur ses initiatives en matière d'environnement. Mais l'entreprise a annoncé mi-septembre son nouvel engagement pour le Climat — atteindre la neutralité carbone dans l’ensemble de ses secteurs d’ici 2040 - soit 10 ans avant le calendrier fixé par l’Accord de Paris. Les services de  "cloud computing" comme AWS permettent aux entreprises de réduire leurs émissions carbone de 88% en moyenne. Amazon a dépassé un taux de 50% sur l'utilisation des énergies renouvelables pour ses serveurs l’année dernière. (En revanche, l’énergie utilisée par Google Cloud est déjà 100% renouvelable.) 

Malgré les efforts déjà mis en œuvre, ces géants doivent faire face à d’autres défis, par exemple celui d'assurer assurer la mise en place d’énergies renouvelables et la sécurité des travailleurs dans l’ensemble de ses chaînes logistiques. La question de l’obsolescence programmée se pose également au vue de la stratégie d’innovation rapide et itérative que ces entreprises appliquent dans le développement de leurs produits. Selon un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2017, la durée de possession moyenne d’un smartphone en France est deux ans, alors que ces appareils ont au moins quatre ans de durée de vie. L’année dernière, Apple et Samsung ont été condamnés à des amendes de 10 millions d'euros et 5 millions d'euros en Italie pour avoir délibérément ralenti les téléphones, afin d'encourager les consommateurs à l'achat de nouveaux produits.

La démarche éco-responsable : un engagement politique

Il n'y a pas que les géants de la tech qui travaillent pour un numérique éco-responsable — les projets de politique publique et d’entreprise se multiplient également.

Le programme européen PolyCE vise à réduire l'utilisation du plastique. Il propose un système de classement des plastiques recyclés qui guidera la conception de nouveaux produits électroniques. Le programme organise des initiatives de sensibilisation des consommateurs dans l’UE. 

Les labels sont également un moyen de promouvoir l’achat de produits plus durables, tels que l’écolabel européen, le label allemand « Der Blaue Engel » , ou les labels privés comme Long Time (d’origine toulousaine). Ceux-ci prennent en compte les facteurs tels que la durée de vie et la réparabilité du produit.

Source : Fairphone

Des entreprises agissent à leur échelle. Eco-systèmes, un service de l’éco-organisme français ESR, s’engage dans la collecte et le recyclage des DEEE (déchets d'équipements électriques et électroniques) et élabore des démarches d’éco-conception pour réduire l’empreinte écologique de ces produits. Qarnot Computing, un autre start-up française, a eu l’idée de récupérer la chaleur dégagée par les "data centers" et de la revaloriser pour chauffer des bâtiments, logements et bureaux.

Des start-ups cherchent à faire avancer l’industrie dans une voie plus responsable. Fairphone, une entreprise néerlandaise a ainsi lancé une campagne de sensibilisation sur les minéraux de conflit dans les appareils électroniques, a sorti son troisième smartphone Android durable, facile à réparer et issu du commerce équitable. L’entreprise a également créé un réseau de consomm-acteurs de technologie responsable et partage ses travaux de recherche pour des pistes d’amélioration dans les chaînes logistiques.

Des changements vertueux se produisent dans les industries numériques, même si tout n’est pas encore acquis. La technologie peine à concilier son goût pour la nouveauté avec des valeurs éco-responsables de durabilité et de décroissance. Si ce secteur n’a pas encore été ciblé par la fureur des militants pour l'écologie — de nombreuses entreprises continuent à aborder l’innovation d'un point de vue fonctionnel plutôt qu’écologique. Le chemin vers une économie éco-responsable est encore long.

Visionnez le Talk du Media Lab de France Télévisions sur les Médias et l'environnement à l'occasion de Médias en Seine :

Invités : Nathalie Yserd d'Eco Systems, Quentin Laurens de Qarnot Computing, Gilles Bregant de l'ANFR et Arnaud Ngatcha de France.tv

Crédit photo : Screen Post, Unsplash