Slush 2019 : beaucoup de mobilité et d’optimisme, un peu de diversité et d’éthique, et très peu de surprises

Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective 

Plusieurs bonnes nouvelles pour l’écosystème tech européen : l’investissement dans les start-ups s’élève à 35 milliards de dollars cette année, l’Europe compte 99 start-ups d’une valeur de plus de $1 milliard, et les fonds de pension européens (4 milliards de milliards de dollars) commencent à s’intéresser au capital risque avec un triplement des investissements en 2019, annonce le rapport “State of European Tech” présenté à l’occasion de Slush Helsinki. S’ajoute à cela que le nombre de développeurs ne cesse de grandir en Europe (6 millions aujourd’hui), de quoi se rapprocher doucement de la concurrence chinoise et américaine. 

Mais Tom Wehmeier d’Atomico (à l’origine du rapport) n’annonce pas que des bonnes nouvelles :  92% des financements vont toujours à des équipes 100% masculines, la diversité tant mise en avant lors de l’édition précédente de Slush n’est pas vraiment implémentée “In Real Life”. Près de la moitié des fondatrices déclarent avoir subi des discriminations pendant les 12 derniers mois.

Décidément, il y a encore de la marge pour pousser à l’équilibre représentatif de la société dans le monde de l'innovation et de la tech européennes. 

Les années vingt du 21ème siècle seront peut-être la décennie qui crée les conditions optimales d’une collaboration des start-ups au niveau européen (imaginée entre autres par Lydia Jett du Softbank Vision Fund) et une meilleure compréhension des régulateurs, pour se distinguer de ses concurrents et pour empêcher l’exode des pépites de la tech vers la Silicon Valley ou à Shanghai.

En tout cas, c’est ce que veut croire la guilde des des geeks rassemblée à Helsinki pour assister au plus grand événement start-up à destination des investisseurs en Europe. L’ambiance est toujours aussi sombre, peut-être encore plus, car, moins illuminée par les smart-phones, qui sont désormais tous en dark mode, éco-responsabilité oblige. 25.000 visiteurs, 4.000 start-ups, 2.000 investisseurs et 350 chercheurs sont venus pour “passer les 48 heures les plus utiles de leur vie”. Voici quelques impressions, non exhaustives, du Grand Nord. 

La Chine a les données, les Etats-Unis l’argent, et l’Europe le “sens”.

Ce qui est mis en avant à Slush 2019 est l’impact sociétal, et l’utilité. Même les investisseurs sont 80% à s’intéresser à des idées avec un “impact sociétal/ environnemental à long terme”. Un fondateur européen sur cinq déclare que son entreprise mesure déjà son impact sociétal et/ou environnemental. Seulement 14% des fondateurs ne pensent pas que cela soit pertinent pour leur entreprise. Les investisseurs ont abondé d’argent les compagnies “avec un sens” avec plus de $4,4 Mrds cette année, fois 5 sur les 5 dernières années.  

Les fondatrices sont beaucoup plus sensibles à la mesure de l'impact de leur business. 

Je vois que nous nous dirigeons vers un double Internet potentiellement malsain : une toile ‘pauvre pour tous’ contre une toile de qualité supérieure, et je pense que les entreprises doivent davantage de créer des produits pour des segments socio-économiques plus larges de la société”, prévient Jessica Butcher, co-fondatrice de Tick.Done. 

Même si les revenus moyens des start-ups au niveau de l’amorçage restent en-dessous de ceux aux Etats-Unis (61K contre 107K), plusieurs avantages compétitifs de l’Europe par rapport aux US sont mis en avant : les faibles coûts de la vie et de salaire par rapport aux US.

L’Estonie notamment (pays d’origine de Skype) est définitivement une terrain fertile pour des start-ups scalables, exemple cette année avec Bolt, le concurrent d’Uber, qui devient le meilleur employeur tech en Europe de l’Est. Lui aussi, éco-responsable, avec 10 M de dollars investis pour une passage au “zéro carbone”. Marcus Villig, fondateur et PDG de Bolt, en dialogue avec John Collison, co-fondateur et Président of Stripe, souligne un autre avantage européen : les talents restent ici plus longtemps dans les entreprises, jusqu’à 5 ans, ce qui permet par exemple des investissements dans leur formation. 


Sid Kouider, fondateur et CEO de NextMind

Les deux jours étaient marquées par des retrouvailles dans le monde de la tech européennes sans grande annonce révolutionnaire. Quelques exclusivités, comme le lancement en première mondiale d’un wearable” piloté par le cerveau, n'ont pas vraiment marqué la neige fondue. Le lancement est prévu pour début 2020, mais pour l’instant, la démo de Sid Kouider, fondateur et CEO de NextMind ne semble pas convaincre le public, vu les maigres applaudissements et les estrades à moitié vides.

La veille, le Chief R&D Officer de Spotify avait rappellé qu'il ne faut pas abuser de la technique quand on n’en a pas besoin (ou quand elle n’est pas mûre). Selon lui, il faut avoir “un pretty big problem” pour justifier l’utilisation de l’IA (ou de toute autre technologie nouvelle). 

Les investissements dans l’avenir se trouvent clairement du côté de la Santé et de la Mobilité, de préférence “sustainable”.  Les showcases de Life sciences, Nightingale Health (qui permet l’analyse de plus de 200 biomarqueurs à partir d’une simple prise de sang), Solar Foods (de la nourriture fabriquée à partir de rien), Lumebot (un robot neige), eChargie (de l’électricité de partage), XShore (un bateau 100% électrique) attirent la foule, bien plus que les conférences et dessinent nos vies du futur. Le développement durable reste un sujet clé, cette année même le célèbre rapport d’Atomica n’est pas imprimé sur papier. En même temps, Boom Supersonic présente l’avion le plus rapide du monde, peut être pas forcément “zéro carbone”. Pour rester dans l’espace, Barbara Belvisi, la fondatrice de l’Interstellar Lab, explique pourquoi la technologie utilisée dans la stations spatiales pourrait bien aussi nous être utile sur terre (ou sur toute autre planète). 

Les compagnies plus "anciennes", comme Wolt (qui a grandi de 500 personnes en une année) et  Smartly partagent leurs bonnes pratiques pour passer de la phase start-up au scale-up, de la première idée à l’entrée en bourse de leur entreprise. Cameron Adams, co-fondateur de Canva (évaluée à plus de 3 Mrds), rappelle l’importance des ambassadeurs, et comment son entreprise a grandi organiquement grâce aux réseaux sociaux.

Thomas Plantega, fondateur de Vinted (qui préfère Vilnius à New York) et Ines Ures, CMO de Deliveroo, expliquent ce qu’il faut emporter dans sa valise quand on veut se lancer dans une expansion internationale.  Michael Moritz, Partner chez Sequoia Capital, et l’un des plus célèbres "Venture Capitalists" du monde (on compte parmi ses investissements Google, Yahoo!, PayPal, LinkedIn, et Stripe) révèle comment il détecte des pépites prometteuses. 

Les Gafas sont sur place, mais tout sauf ostentatoires. Ce sont ici plutôt des outils, on peut s’inscrire aux cours de Google et Amazon Cloud.


Derek Haoyang, fondateur de Squirrel AI, et ses deux enfants

Les Chinois sont présents avec Derek Haoyang Li qui montre Squirrel AI, la plateforme d’apprentissage en ligne qui veut révolutionner l’école, combinaison de Da Vinci, Einstein et Confucius, online et de plus en plus offline, à l’instar d’Alibaba et Tencent qui s’élargissent de plus en plus offline en investissant 20 milliards de dollars dans l’achat d’espaces physiques. Pendant ce temps, Kevin Lin, le co-fondateur de Twitch, attend la 5G avec impatience pour lancer le live streaming sur smartphone. Mikko Hyppönen, star en Finlande et créateur de la loi de son nom qui proclame que “plus un device est smart, plus il est vulnérable”, annonce que “bientôt n’importe quel idiot pourra faire du machine learning”. Sebastian Siemiatkowski de Klarna (un autre succès nordique) souligne l’importance des concepts centrés autour de l’utilisateur, y compris dans la Fintech : “It's not purely about payments. It's about using the data and create a REAL value and benefit for the customers and combine this with a great UX.” 

Mikko Hyppönen, photo Tanu Kallio

L’Aalto University a été fondée en 2010. Le Financial Times l’a appelée “national shake-up of higher education”, et en effet elle est là pour booster l’innovation et la création d’entreprises à l’intersection des sciences, des affaires, de la tech et des arts. AaltoES est entre autres à l’initiative de Slush. Une nouvelle contribution à l’”Open Education” est présentée cette année avec le cours en ligne “Starting Up”, co-créé par des étudiants avec la communauté start-up européenne pour enseigner les fondamentaux de l’entrepreneurship pour tous. 

 


Et une idée révolutionnaire pour le monde des start-ups : “No VC is the new VC”, avancée par Michele Romanow, co-fondatrice et Présidente de Clearbanc, à la recherche d’alternatives au seul business model aujourd’hui à disposition des pépites de la tech. Avec 60% des start-ups tech qui échouent dans les 3 premières années de leur existence, l’innovation continue est en effet le seul choix possible. Si possible, avec un peu plus de place pour les femmes…. 

Photo : Julius Konttinen