La maîtrise de la blockchain, un défi crucial dans l’ère post COVID-19

Par Mathilde Floc'h et Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab

La multiplication des app de « traçabilité COVID-19 » pour accompagner le déconfinement progressif des populations met en lumière l’enjeu de protection de la vie privée. 

Au delà de l’émergence de nouvelles fonctionnalités santé sur nos smartphones, nombreux sont  les domaines où nous aimerions confier nos données personnelles en toute sécurité.  

Dans une ère post-COVID-19, le dispositif blockchain pourrait faciliter la reprise de l’activité mondiale. 

Les Nations Unies ont récemment salué le rôle d’Ant Financial (filiale du Groupe Alibaba) pour sa solution blockchain qui permet d'accélérer la demande de prêts pour les PME et TPE touchées par la crise.

En France, l’écosystème est encore en voie de structuration. Mais nul doute que la maîtrise de cette technologie sera cruciale  dans les années à venir.

L’utilisation de la blockchain dans le domaine de la santé

  • Assurer le partage et la confidentialité des données des tests de dépistage du coronavirus

Le collectif de développeurs bénévoles Block Covid a lancé Dépistage, une base de données sécurisée liée aux tests de dépistage à disposition des autorités sanitaires. Dépistage prend la forme d’une application web et identifie - sur la base du volontariat - les personnes contaminées et celles à risque qui devraient rester confinées.

Sa blockchain est basée sur Hyperledger Fabric, un outil de développement blockchain. Ses créateurs affirment que l’app est conforme aux exigences de respect de la vie privée de la CNIL et du RGPD. Les données ne sont communiquées qu’aux autorités et entités compétentes. Principalement destinée aux hôpitaux, aux EHPAD et aux Agences Régionales de Santé, l'application pourrait par la suite être déployée plus largement.

Un des avantages de la blockchain ici est son côté “Single Point of Failure” : si l’un des noeuds (donc une partie des données) est attaqué, les autres demeurent protégés.  

  • Assurer la traçabilité des traitements et faciliter le fonctionnement de leurs chaînes d’approvisionnement 

En Afrique, des applis commencent utilisent la blockchain pour assurer une traçabilité des traitements afin de remédier au problème massif de faux produits pharmaceutiques - un marché qui représente entre 120 et 160 milliards d’euros chaque année selon l'OMS. Pour exemple, l’appli française Meditect en Côte d’Ivoire.

Gavi, l’Alliance du vaccin, s'interroge sur comment la blockchain peut contribuer à la résilience des chaînes d’approvisionnement de vaccins.

Les applications de la blockchain dans le domaine de la santé sont encore trop limitées à la traçabilité des médicaments, l’application de la technologie à d’autres domaines est freinée par le manque d’adaptation réglementaire en la matière.

“Introduire l’utilisation de la blockchain dans des domaines plus sensibles tels que les tests cliniques et le management de données des patients sera possible uniquement après résolution des enjeux de protection de la vie privée et familiarisation du grand public à cette technologie. Cela prendra du temps” explique Michela Landoni, analyste à Fitch Solution.

L’utilisation de la blockchain dans le domaine de l’information

  • Un outil pour lutter contre les fake news

En Italie, l’ANSA a collaboré avec une société de blockchain EY Advisory SpA pour lutter contre les fake news. L'application permet à l’ANSA de vérifier plus de 1000 news par jour. Il s’agit pour l’agence de s’assurer que lorsqu’elle est citée quelque part,  l’information en question provient bien de ses journalistes. Un autocollant numérique avec l’inscription "ANSAcheck" s’affiche lorsque le doute sur une information est levée. 

  • Reprendre le contrôle de son identité numérique grâce à la blockchain

Avec les mesures de distanciation sociale, les transactions se digitalisent chaque jour un peu plus. L’importance de la sécurisation de notre identité numérique n'en est que plus importante.

Les identités numériques sont conservées et gérées électroniquement dans des bases de données propres à chaque prestataire. Le désir de remettre à l’utilisateur la maîtrise de ses données d’identification se manifeste de plus plus souvent.

La Commission européenne a lancé à ce sujet une initiative intitulée "Self-sovereign identity" dont l'objectif est de confier à l'utilisateur la gestion de son identité numérique. La SSI est fondée sur un "Identifiant Décentralisé" :  une URL avec ses propres règles de syntaxe, relative à un sujet avec un Document d’identification décentralisé (DID Document).

Toute cette technologie s’appuie sur une DPKI (Infrastructure à Clé Publique Décentralisée) sans autorité centralisée.  

La blockchain, un possible outil de relance économique post-pandémie 

  • Une technologie qui intéresse le Forum Economique Mondial

La blockchain apparait de plus en plus comme un outil de relance économique post-COVID. En témoigne la publication par le Forum Economique Mondial d’une boîte à outils composée de 14 modules ayant pour objectif de développer de meilleures chaînes logistiques grâce à la blockchain.

« Notre boîte à outils Blockchain Deployment est essentielle pour concevoir des solutions qui fonctionnent pour une multitude d’acteurs, y compris les petits acteurs qui n’ont peut-être pas accès aux ressources nécessaires pour débloquer la valeur de la technologie blockchain » explique Nadia Hewett, responsable projet blockchain et monnaie numérique au Forum économique Mondial. 

Cette boîte à outils a déjà été mise en application aux Émirats Arabes Unis où l’Abu Dhabi Digital Authority a mis en place un suivi logistique de la création de son Centre pour la quatrième révolution industrielle des Émirats (appelé C4IR UAE) et en Arabie Saoudite où la blockchain a permis un suivi des ressources humaines de la Saudi Aramco, la principale compagnie pétrolière du pays. 

  • La blockchain ou la garantie d’une « confiance partagée »  entre les différentes parties d’une transaction économique

La transparence dans les transactions induites par la blockchain est utile pour la reprise de l’activité mondiale. Elle favorise la résilience des supply chains. Elle pourrait améliorer la mise en application des politiques monétaires de relance en s’assurant de la conformité d’un titre grâce à une signature électronique universelle. 

  • Un outil facilitateur d’accès au capital pour des PME et TPE mises en difficulté par la crise

 Ant Financial, la filiale du Groupe Alibaba permet aux PME - à travers sa solution « Ant Duo-Chain » - de demander des prêts aux banques en valorisant leurs créances existantes sur les grandes entreprises. Techniquement, il s'agit d'une plateforme de financement qui référence les créances d'un écosystème. La technologie blockchain intervient pour renforcer la transparence et l'accès à des informations en temps réel sur les entreprises. Dans un délai très court, cette solution présente des garanties supplémentaires aux banques pour accorder un prêt.

  • Un moyen d’injecter des liquidités pour favoriser la relance 

Aux Etats-Unis émerge l’idée d’injecter des liquidités sous forme de cryptodollars. Puisque la FED ne peut se charger de cette opération massive de digitalisation, une sous-traitance pourrait être proposée à plusieurs sociétés - choisies par les banques grâce à des processus de vérifications et anti-escroqueries. Les techno-blockchains entreraient en concurrence comme les cryptomonnaies si la technologie souveraine s’avérait trop lourde à manipuler. Derrière cette idée : créer des systèmes monétaires privés, locaux ou professionnels.

  • Investir dans le bitcoin pour diversifier son portefeuille

Dans un contexte de crise économique, les gens cherchent des opportunités d’investissements, et le bitcoin s'avère être un investissement assez simple pour diversifier son portefeuille. Les inscriptions sur les grandes plateformes d’échange de cryptocurrency - telles que Coinbase ou Binance - ont bondi en avril 2020, et avec elles les volumes d’échanges de ces monnaies.

Dans un tweet du 29 avril, le PDG de Binance Changpeng Zao signalait que les 11 milliards de dollars échangés en 24 heures de temps correspondait au montant le plus élevé échangé depuis janvier 2018.

 

En France, un écosystème dynamique en voie de structuration

Trois organismes de recherche ont rendu leurs conclusions de la mission prospective sur la blockchain en France le 10 février 2020. Cet “éclairage” pré-COVID-19 de la situation nationale demeure intéressant à la sortie de la pandémie. 

  •  Un secteur dynamique mais qui manque encore de communication 

En France plus de 70 start-ups concentrent leur activité sur cette technologie. Cet engouement touche également les grands groupes et les institutions. La Banque de France souhaite mener des expérimentations sur l'euro digital et a lancé un appel à candidatures afin d'identifier des moyens pour renforcer l'efficacité et la productivité du système financier. 

Cependant les laboratoires blockchain ont de petites équipes qui interagissent peu.

Malgré la création récente de l'ADAN en janvier 2020 (l’association pour le développement des actifs numériques, dont le but est de structurer et promouvoir les crypto-actifs auprès des pouvoirs publics comme des acteurs privés) ou de l'incubateur The Garage, la communication avec les structures académiques demeure insuffisante.

Les tensions économiques et salariales, ont également provoqué une fuite des talents outre-Atlantique "pour rejoindre les Gafam", affirme Georges Gonthier, chercheur senior à l’Inria.

  • Une baisse des investissements et un manque de cas d’usages

"L’intelligence artificielle a raflé la mise sur les investissements, les grands groupes ont désormais du mal à déporter les fonds consacrés à l'innovation sur la blockchain" conclut la mission prospective sur la blockchain en France.

"Les entreprises doivent trouver elles-mêmes une solution ou en acheter une, et c’est souvent trop coûteux pour les start-ups", rappelle Georges Gonthier.

Le rapport préconise la création d’un service d’Etat sur l’identité numérique et une plus grande implication de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information). 

Selon une récente étude de NewAlpha Asset Management et Exton Consulting, 75% des start-ups de la blockchain ont été créées il y a plus de deux ans et n'évoluent pas, faute de cas d’usages.

35 start-ups exercent à l'heure actuelle une activité liée à la blockchain en France. La collaboration entre ces dernières et les laboratoires de recherche doit s’accentuer. Un telle évolution nécessiterait 25 millions d’euros d'investissement sur 4 à 5 ans.

 

Il semble que la pandémie COVID-19 en accélérant la digitalisation de certains services pose avec encore plus d’acuité la question de la vérification de nos identités et de la confiance que nous mettons dans les technologies qui partagent nos données.

En matière de blockchain, la France n’est pas en retard, mais elle ne doit pas oublier que les labos de recherche se multiplient avec un leadership américain  et une montée en puissance de l’Inde et de l’Algérie.

Dans d’autres pays les laboratoires de recherche se structurent au travers de coalitions et de clusters pluridisciplinaires, comme Alastria en Espagne ou Concordium au Danemark).

En Chine, Huawei et Tencent participent à l'effort national pour préparer le futur de cette technologie. Pour le dirigeant chinois Xi Jinping, le pays doit en effet tout faire pour « prendre la première place dans le domaine émergent des blockchains » (octobre 2019, lors d’un Bureau Politique du Parti Communiste).

Crédit photo de Une : Launchpresso - Unsplash

Publié par Méta Media / Catégories : blockchain