Clubhouse et la révolution de la radio

Par Ezra Eeman, Senior Manager Digital, Transformation and Platforms, EBU

Comment les applications audio sociales modifient le paysage sonore

 

"Un, deux, trois, quatre. Est-ce qu'il neige là où vous êtes, M. Thiessen ?" La toute première transmission radio d'une voix en 1900 par Reginald Fessenden* n'était guère plus qu'un simple échange sur la météo. Le nom de Fessenden est oublié depuis longtemps, mais ce premier aspect conversationnel de la radio semble plus vivant que jamais. Qu'elles soient numériques, distribuées, dans des salles organisées spontanément, les conversations audio prennent d'assaut l'internet. Je parle bien sûr de Clubhouse et de diverses autres applications audio sociales qui connaissent actuellement une hausse de popularité considérable.

Un simple buzz ? Peut-être. L'écosystème est encore nouveau et fragile et le business model encore flou. Cependant, cette cartographie ne cesse de s'étendre. Le monde étant confiné, nous semblons tous aspirer à plus d'intimité dans nos expériences numériques. Là où la vidéo peut vite être accablante, l'audio offre un niveau de sensibilité plus faible pour les échanges spontanés.

Donc, plutôt que de considérer cela comme une mode passagère, je pense qu'il est intéressant d'examiner la dynamique générale qui se cache derrière la situation actuelle. Une troisième génération d'audio fait son apparition ; mais elle est à la fois singulière et dotée d'éléments proches des talk-shows radiophoniques en direct.

Est-ce donc la prochaine étape dans un grand processus de décloisonnement de la radio ? (Mention spéciale à Ben Evans qui a su capter l'air du temps en début d'année)

Qu'est-ce que la radio ?

Étonnamment, on retrouve encore aujourd'hui les caractéristiques qui ont fait la singularité de la radio pendant plus de cent ans. Appelons cela la Radio 1.0 : Une radio linéaire terrestre en direct, avec toute la magie qui en découle. Elle connecte les gens, les idées et la musique dans un programme qui guide les auditeurs tout au long de la journée. Bien sûr, il ne s'agit plus seulement d'une antenne qui diffuse du contenu.  Les moyens de production et de distribution ont radicalement changé, mais d'un point de vue stratégique, la radio numérique est essentiellement la même radio de diffusion enveloppée dans un format de distribution différent.

L'expansion de la sphère audio

La radio 2.0 a introduit un certain contrôle des utilisateurs grâce à l'interactivité et au contenu à la demande. Grâce à d'ingénieux dispositifs de rattrapage, personne n'a plus jamais eu le malheur de manquer une émission de radio. Et lorsque l'iPod a vu le jour, la frontière entre la radio et le son s'est définitivement estompée. Soudain, la musique et les programmes sont devenus transportables à grande échelle et les limites de la radio ont été repoussées. Le podcast d'une émission de radio est-il toujours de la radio s'il est stocké à côté de livres audio et de récits originaux à la demande ?

Le flux linéaire a également évolué. Les services de streaming Web et mobile reproduisent désormais des flux semblables à ceux de la radio, ce qui permet de mettre en file d'attente de la musique, un talk-show et bien plus encore.
Spotify et Deezer sont des exemples évidents, mais les offres sont innombrables et même les services vidéo comme YouTube et Vimeo peuvent désormais être considérés comme des stations de radio alternatives.

Voyons la grille des possibilités : la radio linéaire en direct (Radio 1.0) fait place à des épisodes et des flux à la demande (Radio 2.0).

Ce qui reste, c'est le volet moins exploité des séquences en direct : de prime abord spontanées et sociales, mais également très ciblées ou personnalisables. C'est la troisième vague : la Radio 3.0.

La Troisième vague

La dernière génération d'applications audio possède une dimension sociale particulière. Elles peuvent être des extensions de réseaux sociaux existants permettant de discuter ou d'envoyer des messages audio (par exemple, Twitter lance des tweets audio).

Ou alors, il s'agit de tout nouveaux écosystèmes sociaux qui mettent l'audio au cœur du dispositif, comme Clubhouse, Space ou Voicehub. Ces dernières peuvent être assez déroutantes avec des centaines de personnes réparties dans des "salons", encadrées par des modérateurs plus ou moins compétents. Néanmoins, même dans ce cas, on commence à entendre des talk-shows très bien produits et exécutés. Avec des invités de choix, des règles de participation claires et un planning que vous pouvez ajouter à un agenda pour ne pas manquer les conférences à venir.

L'interface de Clubhouse

Une deuxième évolution tout aussi importante de la Radio 3.0 est l'avènement de la radio personnalisée et personnalisable. Avec des médias basés sur des objets, elle permet aux utilisateurs de composer en direct des flux radio avec la musique qu'ils aiment, d'accélérer, de sauvegarder, de passer un morceau, etc. Une émission de radio devient un million d'expériences individuelles - tout en conservant une trame en direct partagée.

Le grand éclatement

Cette troisième vague permet de mieux décomposer le flux radio traditionnel composé de matinales, de bulletins d'information, des hit-parades et d'interviews intimistes. Chaque partie de la grille horaire peut maintenant être vécue de manière isolée.

Réinventer la radio

Plutôt qu'une menace, ce pourrait être une opportunité pour les radiodiffuseurs traditionnels. Jamais auparavant n'y a-t-il eu un paysage aussi riche pour les expériences audio. De mon point de vue européen à l'UER, je constate que de nombreux radiodiffuseurs publics sont prêts à saisir l'occasion.

La BBC est le premier fournisseur de podcasts radio au Royaume-Uni, avec une audience hebdomadaire de 4,5 millions de personnes.

 

  • Les médias de service public se développent également en mettant en avant des talents plus locaux et plus variés, en mélangeant différents médias et styles pour répondre aux goûts d'une nouvelle générationRTBF Tarmac en est un parfait exemple. De plus, les nouveaux espaces audio sociaux sont un terrain naturel pour approfondir la connexion avec le public et engager de précieux échanges.

Ce ne sont que quelques exemples de l'évolution de la radio et de l'audio. Nous ne sommes qu'au début de la troisième vague. Beaucoup de nouvelles perspectives devront être explorées et mises à l'épreuve. Tout ne marchera pas, mais l'expérimentation est essentielle et n'a pas besoin d'être complexe. Je suis toujours curieux et j'ai hâte d'en savoir plus sur les initiatives en cours. Alors, envoyez-moi de nouveaux cas prometteurs !


Ps : Je ne suis pas un expert de la radio mais plutôt un expert du numérique passionné par l'audio. Peut-être ai-je manqué une nuance importante. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me le faire remarquer ou à me contacter.


*Tout le monde se souvient de Guglielmo Marconi mais le vrai père de la radio pourrait aussi être Reginald Fessenden qui a été le premier à transmettre la voix humaine. Voici un bel article de fond à son sujet. Merci beaucoup Reginald !


 

Traduit et publié avec l'accord d'Ezra Eeman, à partir de l'article originellement paru sur Medium

Photo d'illustration : Milivoj Kuhar sur Unsplash