Slush 2021, la renaissance entrepreneuriale sur fond de Web 3.0

Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective  

L’édition 2021 de Slush, la rencontre de start-ups, talents technologiques européens et asiatiques, influenceurs, investisseurs et médias, était de retour à Helsinki, en physique et masqué, dans un cadre plus intimiste que d’habitude.

Quand les éditions précédentes étaient marquées par un équilibre entre grandes annonces et mise en relation de créateurs avec des investisseurs, cette année, le poids était surtout sur la composante business.

3200 entrepreneurs et 1500 investisseurs se sont retrouvés autour de deux grands thèmes : ce que Miika Huttunen, CEO de Slush, a appelé “la renaissance entrepreneuriale” d’un côté - c’est-à-dire des investissements plus responsables -, et le Web 3.0, le retour au rêve participatif d’un Internet aux mains des utilisateurs de l'autre côté, loin du monopole des géants de la tech.

La renaissance entrepreneuriale 

Les pays nordiques sont un terrain fertile de l’entrepreneuriat. Au sein de l'écosystème nordique, on trouve des entreprises mondiales comme H&M, Nokia, Volvo, Maersk et Ericsson, ainsi qu'un écosystème de start-ups dynamique sans équivalent dans d'autres régions du monde. En dehors de la Silicon Valley, les pays nordiques ont généré le plus grand nombre de licornes par habitant au monde, notamment des entreprises comme Spotify, Mojang (créateurs de Minecraft), Oatly et Klarna.

Ce phénomène a ses racines dans plusieurs éléments : le fort soutien à la maîtrise du numérique de la population dès l’école depuis plus de 30 ans, la mise sur le marché de centaines d’ingénieurs après l’effondrement de Nokia, les contraintes du petit marché finlandais qui imposent dès le début aux créateurs d’entreprise de penser au marché mondial et des investissements conséquents par le gouvernement finlandais. Résultat : la Finlande, avec ses seulement 5,5 millions d’habitants, devrait compter 10 licornes d’ici à la fin 2022.

Leitmotiv de cette édition Slush après près de deux ans de pandémie mondiale : un changement de paradigme dans la responsabilité sociétale et environnementale à la fois des créateurs et des investisseurs. Miika Huttunen observe que ces dernières années, "nous investissions beaucoup sans un réel retour sur la société".

Photo: Miikka Pirinen

Une donne changée, entre autres avec le Startup Refugees Fund annoncé à Slush 2021, qui soutient les fondateurs réfugiés, demandeurs d'asile et immigrés et leurs entreprises en phase de démarrage, et qui challenge le mythe des "trois gars blancs qui créent une startup dans un garage". Une façon de mieux investir le milliard de milliard de dollars sur la table de Slush dans des start-ups qui prennent des risques extraordinaires pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui, et construire un nouveau monde.

Cette vision plus durable implique aussi un changement du fonctionnement des investissements : Sequoia, la célèbre société de capital-risque avait annoncé en octobre qu'elle rompait avec la tradition, abandonnant la structure de fonds traditionnelle et ses délais artificiels de remboursement du capital. Les futurs investissements de la société passeront bientôt tous par une "structure singulière et permanente" plus souple appelée The Sequoia Fund, un portefeuille liquide à capital variable composé de positions publiques dans une sélection d’entreprises durables. Le Sequoia Fund allouera à son tour des capitaux à une série de sous-fonds fermés pour des investissements en capital-risque à chaque étape, de la création à l'introduction en bourse.

Photo : Petri Anttila

Slush soutient fortement les créateurs de start-ups, en leur donnant l’occasion de rencontrer des investisseurs, en leur partageant des bonnes pratiques dans le Builder’s Studio, ou encore en accordant une heure d’entretien mentoring avec chaque intervenant, dont Tony Fadell, inventeur de l’iPhone, qui partage sa formule très simple pour lancer un produit qui matche le marché : 50% d’émotion + 50% de raison, la compréhension de ce dont les gens ont besoin (ou dont ils auront potentiellement besoin), et qui a profité de l’occasion pour annoncer son livre, Build, An Unorthodox Guide to Making Things Worth Making, qui sortira en mai 2022. Une autre table ronde évoque la FemTech, et sa difficulté de lever des fonds (sous prétexte que les VCs ne comprennent pas le sujet), avec la question sous-jacente : les VCs comprennent-ils mieux le métavers ? Lubomila Jordanova, CEO de la start-up Plan A, a partagé 5 étapes essentielles pour atteindre le niveau carbone "net zéro", et a souligné son inquiétude face à la tendance du « greenwashing » de toutes les industries, à l’instar de cet exemple :

 

Ime Archibong, responsable de l'expérimentation de nouveaux produits (notamment avec des start-ups) chez Meta (anciennement Facebook), répète un vieil adage en affirmant que la conception de produits réellement innovants dans le secteur des technologies consiste à échouer rapidement, et compare son rôle chez Meta à celui d'un jardinier, qui "crée un terrain fertile pour que les entrepreneurs puissent développer leurs idées et planter leurs graines" au sein de l'entreprise.

Mariage de la science et du business

Face à l’ampleur qu’a pris Slush, on a parfois du mal à se rappeler que Slush est parti d’une initiative d’étudiants. Fondé en 2009, Aaltoes – l’organisme à but non lucratif tenu par des étudiants qui organise Slush -, est devenu synonyme de l’émergence rapide de la culture entrepreneuriale en Finlande dans les années 2008-2011.

Cette année, Slush a de nouveau offert aux innovations scientifiques une plateforme pour s'épanouir. L'université d'Helsinki et les services d'innovation d'Helsinki (HIS, Helsinki Innovation Services) ont présenté cinq spinouts scientifiques et douze innovations à un stade précoce de commercialisation. HIS sert de médiateur entre les chercheurs et le monde des affaires pour promouvoir l'utilisation des innovations universitaires dans la société. L'entreprise évalue l'importance commerciale des idées de recherche et aide les chercheurs dans des domaines tels que la recherche de financements pour la préparation de la commercialisation, l'octroi de licences, le dépôt de brevets et la création de sociétés dérivées.

Les innovations et les nouveaux départs sont souvent le fruit de connexions et d'intuitions surprenantes. Cependant, les résultats ne sont pas le fruit du hasard ; il faut plutôt que les bonnes personnes se réunissent au bon moment. À Slush, nous avons une occasion unique de réunir les personnes à l'origine des innovations fondées sur la recherche, les investisseurs et d'autres opérateurs publics. Ensemble, nous pouvons faire des idées actuelles le type de réalité que nous souhaitons habiter à l'avenir”, déclare Paula Eerola, vice-rectrice chargée de la recherche et de l'innovation à l'université d'Helsinki. Pendant Slush, Y Science rassemble la communauté des sciences de la vie, pour mettre en relation les chercheurs, les startups, les investisseurs et les étudiants.

Les innovations fondées sur la science ont en effet le potentiel avéré de devenir des entreprises extrêmement prospères qui changent véritablement le monde - ainsi que l'avenir de ceux qui ont investi en elles dès le début.

Un avenir quantique souverain pour l’Europe ? 

C’est d’ailleurs à la science que s’est associé IQM, le plus important constructeur d’ordinateurs quantiques en Europe. Issue de l'université d'Aalto et du centre de recherche technique VTT de Finlande, la technologie de base d'IQM s'appuie sur des décennies de recherches menées par le laboratoire d'informatique et de dispositifs quantiques (QCD). La Finlande dispose d'une communauté de recherche active appelée InstituteQ, dont le VTT, l'université d'Aalto et l'université d'Helsinki sont les membres fondateurs, et du réseau BusinessQ, qui aide les entreprises à intégrer la technologie quantique dans leurs activités.

Photo : Samuli Pentti

Le consortium Q-Exa d'IQM vient d’être choisi pour intégrer un ordinateur quantique allemand dans un supercalculateur HPC de l'institut Leibniz et vient aussi de vendre un ordinateur quantique au VTT, le CNRS finlandais. Autant de pas dans la construction d’un écosystème quantique de gouvernance européenne face à la concurrence des États-Unis et de la Chine.

Pour IQM, l’avenir du quantique repose dans le cloud, l’objectif n’étant pas d’équiper dans un futur lointain les foyers d’un ordinateur quantique, mais plutôt de donner accès à cette puissance de calcul à tout un chacun par le cloud, un projet dans lequel le gouvernement finlandais vient d’investir 20 millions d'euros.

Beaucoup de Web 3.0, moins de métavers

Chaque année à Slush, Benedict Evans réalise une grande présentation explorant les tendances macro et stratégiques de l'industrie technologique. Cette année, il a présenté "Trois étapes vers l'avenir". Selon l'analyste, la prochaine décennie sera marquée par le Web 3.0 et le métavers, - et un peu de satellites LEO, edge computing, quantique, impression 3D, robotique, IA, ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), viande fabriquée à base de plantes, drones, voitures autonomes, interfaces neuronales, Chine, biologie par ordinateur et agriculture verticale.

Pour Evans, il s'agirait, pour les deux thématiques principales, essentiellement d’un « rebranding » : les crypto monnaies deviennent NFT, et l’AR/VR devient métavers.

Le métavers n’est pas près de devenir grand public, selon l’analyste, comparant les 300 M d’utilisateurs actifs quotidiens de Snapchat aux 14 M sur Fortnite, tout en rappelant qu’il a fallu 15 ans à l’internet mobile pour s’implanter. Serait-on face à un système de Ponzi ou à une véritable création de valeur où la spéculation égale la validation ?

Le Web 3.0 serait le rêve du prochain internet, où non seulement, les utilisateurs créent le contenu, mais où ils sont également propriétaires de l’infrastructure. Là où avant, on achetait des noms de domaine (comme le faisait Wendy Xiao Schadeck, Partner chez Northzone, comme cadeau pour des amis), on achète aujourd’hui des morceaux d’internet (ce qui amènerait peut être à la fin de l’internet gratuit).

En ce qui concerne les NFT, on constate que l’accessibilité est bien là, mais « l'usabilité » n’est pas au rendez-vous, même si Sorare est devenu un phénomène global. La table ronde « Web3 au-delà de DeFi et NFT » a bien essayé de ramener le débat à un niveau compréhensible par une « grand-mère », mais sans succès. La journaliste Ela Madej était obligée de couper Stani Kulechov, le fondateur et CEO d’Aave, star de Slush arrivée en pantoufles à carreaux, au moins à chaque phrase pour lui faire définir les termes cryptiques du Web 3.0 pourtant entièrement open source. Son idée de lancer une DAO (Decentralized Autonomous Organization) Slush a été largement applaudi par la communauté d'initiés.

En attendant la démocratisation du Web 3.0 on observe dans le gaming la même transformation que les géants de la technologie ont déjà apportée à la musique (Spotify) et aux films (Netflix), remarque Thor Gunnarsson, CEO & Co-fondateur de Mainframe Industries. Grâce au cloud, les jeux sont désormais accessible sur n’importe quel device, une technologie qui transforme l’usage. Le modèle d'engagement avec le jeu change fondamentalement, parce que l'accès au jeu est désormais possible toute la journée. On peut entrer et sortir du monde virtuel, comme on le faisait avec les réseaux sociaux. Sur Twitch, on peut regarder des gamers, interagir par les commentaires. Mais la prochaine étape sera de briser le quatrième mur et d’agir avec le gamer directement dans le jeu.

Conclusion

Le métavers tant remué par les médias en cette rentrée 2021 n’a pas été le grand sujet à Slush. Pour Benedict Evans, il s’agit plutôt d’une bulle créée par la tech qui ne répond pas à un réel besoin, et j’ai même été assise à côté d’un représentant de Bolt qui cherchait sur Google « C’est quoi le métavers » - la preuve que même dans le monde très geek de Slush, la formule magique n’a pas vraiment pris.

En revanche, ses composants, immédiatement transformables en business, ont bien été présents à travers les NFT, les jeux basés sur la blockchain et les débuts du Web 3.0 pour lequel, comme pour les 2 précédents, on annonce une démocratisation par la décentralisation. Face à l'actuel monopole des Gafam, on peut légitimement se poser la question si, dans ce nouveau web ultralibéral, une poignée de personnes ne détiendra pas le pouvoir après avoir acheté les briques du Web 3D.

On a assisté à un Slush plus recentré sur les affaires, même si celles-ci se doivent désormais d’être durables et éco-responsables. Pendant ce temps, l'ancienne économie est confrontée à des vagues de perturbations résultant d'idées « dont nous avons parlé pour la première fois dans les années 1990 », conclut Benedict Evans.

Pour le Web 3.0 et le métavers, nous sommes un peu au même point qu’en 1995 aux début d’internet :

Et toutes les technologies présentées à Slush ne sont pas toujours capables de résister à l’épreuve du Grand Nord.

Quelques start-ups croisées :

Flowrite, un outil d’optimisation d'e-mail basé sur le NLG (Natural Language Generation), où l'utilisateur fournit un ensemble d'instructions sous forme de liste à puces, et l'outil alimenté par l'IA génère un texte complet d'e-mail qui transmet les informations requises, d'une manière « fluide »

Super.AI, un outil de rangement pour les données non structurées grâce à une véritable chaîne de production d’outils IA

Mostly AI, qui génère des jeux de données artificiels pour éviter les biais des bases de données historiques et accélérer l’entraînement des algorithmes

Fit Immersion, dont le casque de réalité virtuelle vous permet de transformer vos séances de sport sur vélo d’appartement en randonnée cycliste sur les routes du Tour de France

Meeco, qui propose une infrastructure pour un écosystème de données personnelles de confiance, qui permet aux clients d’accéder à leurs données personnelles, de les contrôler et de créer mutuellement de la valeur à partir de celles-ci

Authenteq, pour vérifier une identité digitale, en seulement 30 secondes

EditionYou, pour concevoir vos newsletters d’actu personnalisées en sélectionnant les sources, le degré d’information, et avoir accès à une vue d’ensemble des actus sur une appli – vous êtes obligés de liker ou pas un contenu avant de le partager, mais malheureusement pas de le lire...

Holomonsters, qui propose des jeux en hologramme

Atomontage a lancé une première version de sa technologie Microvoxel qui offrirait une nouvelle façon de créer des graphiques pour les jeux vidéo et les simulations informatiques basée sur le cloud, optimisant la compression des données 3D, de sorte qu'il devient beaucoup plus facile de partager des images 3D avec de grandes quantités de détails

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