Sur TikTok, les médias tentent de préserver les jeunes de la désinformation en explorant de nouveaux formats

De plus en plus de jeunes utilisateurs se rendent sur la plateforme pour s’informer. Pour répondre à ce besoin, les journalistes des rédactions du monde entier s’essayent à de nouveaux formats. Leur objectif est notamment de parler à un public plus large et lutter contre la désinformation, rappelle un rapport du Reuters Institute. 

Par Victor Lepoutre, Direction de l’Innovation 

Comment les médias traitent-ils l’actualité sur TikTok? C’est la question à laquelle le Reuters Institute a tenté de répondre dans son Digital News Report 2022, publié le 8 décembre dernier. Aujourd’hui, près de la moitié des médias (49%) publieraient régulièrement sur cette application lancée par l’entreprise chinoise ByteDance en 2018. Une majorité d’entre eux seraient pourtant encore novices, ayant rejoint TikTok dans les 12 derniers mois. De leur côté, les utilisateurs de TikTok sont toujours plus nombreux. Boosté par la crise du Covid et les confinements successifs, la plateforme aurait atteint plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuels en septembre 2021 selon ses propres chiffres. C’est 45% de plus que l’année précédente.

Les jeunes de la GenZ sont les plus grands adeptes de ce réseau social né dans le but de promouvoir des vidéos divertissantes, créées par ses utilisateurs. Selon le rapport du Reuters Institute, 40% des 18-24 ans utiliseraient l’application de façon régulière… et aujourd’hui 15% d’entre eux se connectent à TikTok dans le but de s’informer. Même tendance chez les 25-34 ans, ils sont 30% à s’y rendre régulièrement et 10% à l'utiliser pour se tenir au courant de l’actualité. 

Quand l’actualité s’invite sur TikTok

Ces dernières années, de grands événements sociétaux et géopolitiques tels que Black Lives Matters, la crise du covid ou plus récemment la guerre en Ukraine ont invité l’actualité sur TikTok. De même, le réseau social a évolué et permet aujourd’hui de diffuser des vidéos plus longues et en direct. Une aubaine pour SkyNews qui a retransmis en direct les funérailles de la reine Elizabeth II en septembre et obtenu 16 millions de vues, propulsant ainsi TikTok au rang des premières plateformes digitales de la chaîne, à égalité avec YouTube. D’autres médias, comme la chaîne publique allemande ARD, ont choisi TikTok pour “transformer leur marque auprès d'un public plus jeune et informer la société dans son ensemble” comme le rappelle Patrick Weinhold, le chargé des réseaux sociaux pour le programme Tagesschau, le journal télévisé de la chaîne. Pour répondre aux codes de la plateforme, Patrick Weinhold à choisi de mêler information et divertissement. Il propose, par exemple, du contenu permettant aux utilisateurs de TikTok de découvrir les coulisses de la rédaction. “Notre image de marque provient d'un cadre télévisuel traditionnel, basé sur un studio. Nous voulions la rendre plus légère, plus interactive et plus personnelle” rappelle-t-il.  

Lutter contre la désinformation

Si les médias sont de plus en plus nombreux à informer sur TikTok, le Reuters Institute rappelle que l’actualité présente sur le réseau social reste largement diffusée par du contenu produit par des influenceurs, des activistes ou d’autres utilisateurs. Un fait qui inquiète sur la qualité de ces informations et la possible présence de désinformation et de fake news. Dans ce cadre, le Washington Post a choisi d’orienter sa stratégie autour du fact-checking. Au début de la guerre en Ukraine, la rédaction a identifié la publication de nombreuses  fausses vidéos. Elle encourage désormais les utilisateurs à tagger le compte quotidien américain afin que l’équipe de fact-checking puisse vérifier l’authenticité des publications. “Nous nous efforçons d'être une figure d'autorité sur la plateforme en aidant les utilisateurs à distinguer le vrai du faux" explique Dave Jorgenson, l’un des premiers journalistes à avoir investi TikTok.

Créatifs, rédacteurs et correspondants: trois approches différentes sur TikTok

Dans leur découverte de TikTok, les médias ont chacun adopté une identité propre dans le contenu qu’ils publient. Le Reuters Institute identifie trois approches principales dans la création de publications TikTok: l'œuvre d’un seul créateur, un effort de groupe au sein de toute une rédaction, et l’existence de comptes propres aux correspondants.

Avoir un seul créateur aux manettes

Donner la responsabilité à un créateur de produire l’ensemble des publications TikTok  permet aux médias de créer un contenu authentique et conforme aux codes de la plateforme. Le défi consiste à trouver un équilibre entre la personnalité du créateur et la marque qu'il tente de représenter. Dans cet exercice, le Washington Post s’illustre à nouveau. Le quotidien avait au départ embauché Dave Jorgenson pour faire des vidéos légères sur Youtube, c’est finalement sur TikTok que celui-ci officie. Grâce à son contenu original, le journaliste a permis au quotidien vieux de 144 ans, d’exister au sein du jeune réseau social. Pour cela, il n’hésite pas à traiter l’information avec humour. A l’occasion d’Halloween, il a par exemple abordé le sujet de la “réduflation”, (tendances qu’ont certaines marques à réduir la taille d’un produit pour minimiser les effets de l’inflation) en questionnant ses conséquences sur la chasse aux bonbons des enfants. Son conseil: “vous devez penser comme quelqu'un qui crée des TikToks, pas comme quelqu'un qui a fait des vidéos pour Facebook ou pour YouTube. Ce réseau social est très spécifique”. 

L’effort de groupe d’une rédaction

Dans certaines rédactions, c’est toute l’équipe qui participe à la production de contenu pour TikTok. La plateforme devient, dans ce cas, un canal de diffusion additionnel. C’est le cas, on l’a vu pour SkyNews qui utilise la plateforme pour diffuser en direct, mais aussi pour Vice World News. Le média, entièrement numérique et présent sur TikTok depuis fin 2021, se concentrait au départ sur la production de vidéos explicatives sur les grands thèmes d’actualité. Mais le début de la guerre en Ukraine a réellement permis au compte de Vice de gagner en visibilité. Dans les premiers jours de l'invasion de l’Ukraine par la Russie, une vidéo d’un correspondant marchant dans les rues de Kiev a récolté 21,6 millions de vues et permis au compte TikTok de Vice World News de décoller. Le reportage sur le terrain a toujours été au centre de l'ADN de Vice, mais la rédaction a su l’adapter au champ d’attention plus court des utilisateurs de TikTok: "Ce à quoi nous pensons la plupart du temps, c'est au plan et à la phrase d'ouverture", explique Matthew Champion, rédacteur en chef  de Vice en Europe, Afrique et Moyen-Orient. “Nos vidéos explicatives commencent toujours par une question, cela attise la curiosité des gens et ils choisissent de regarder la vidéo”

Les comptes de correspondants 

Si les comptes de journalistes individuels, tels que les correspondants, sont courants sur des plateformes comme Twitter, ils sont relativement rares sur TikTok, rappelle l'étude. Le présentateur de CNN Max Foster a été l’un des premiers journalistes à rejoindre TikTok, dès 2019. Après avoir vu ses enfants s’informer sur la plateforme, le présentateur de la chaîne d’actualité en continu s’est d’abord étonné de trouver autant de jeunes vlogueurs et influenceurs traitant d’actualité. Il s’est aussi alarmé de la mauvaise qualité de l’information qu’ils prodiguaient. Sur TikTok, Max Foster s'est donc donné pour objectif d’informer de manière simple "à la fois sans présumer des connaissances de ses auditeurs, mais aussi en simplifiant sans abrutir explique-t’il. Ainsi, la plupart de ses vidéos sont très courtes et visent souvent à répondre à une question simple. Son dernier succès en date, “que sont devenus les corgis de la reine?” a été visionnée 4,1 millions de fois.  

Les initiatives des médias sur TikTok sont donc diverses et variées, et les créateurs sont unanimes: il n’existe pas de recette miracle pour réussir sur la plateforme. Que la production des publications soit l'œuvre d'une personne ou de toute une rédaction, l’important semble de produire un contenu court, accessible et engageant. L’attention de l’utilisateur doit être captée dès les premières secondes. A l’avenir, le rapport souligne s'attendre à ce que les vidéos TikTok soient plus longues que la moyenne actuelle de 30 à 60 secondes. Ainsi les médias pourront produire un contenu plus complet qui répondra aux besoins de plus en plus nombreux d’un public TikTok de moins en moins jeune. Les médias étant de plus en plus présents sur la plateforme, l’attention des utilisateurs sera également de plus en plus difficile à capter. Les journalistes et les rédactions devront donc faire preuve d’une originalité toujours plus grande en continuant de découvrir et d’explorer de nouveaux formats. Une tendance qui pourrait bien s’appliquer au journalisme dans son ensemble bien au-delà de TikTok et ses vidéos divertissantes. 

 

Photo par Árpád Czapp sur Unsplash