Les tendances Tech 2020 pour le journalisme

Par Nathalie Gallet, France Télévisions, MédiaLab 

Devant une salle évidemment comble ce week-end à La Nouvelle Orléans, Amy Webb a donné sa fameuse présentation annuelle sur les tendances tech pour le journalisme. Sa 12ème. Et dès les premières minutes elle nous prévenait d'une surprise à la fin … Teasing pour rester jusqu’au bout ?

A l'ONA, la conférence américaine du journalisme en ligne, la futuriste a l'habitude de nous préparer à affronter l’avenir. Elle nous surprend. Nous effraie. Et surtout nous alerte. Comme tous les ans le public présent dans la salle se demande à quelle sauce Mrs Webb va le manger !

A quoi donc pourra ressembler le futur du journalisme dans 20 ans ?

« Pourra » car Amy Webb l’annonce précautionneusement à chaque fois, elle n’est pas là pour donner la bonne aventure ou faire une réponse sans appel à la question : « que va-t-il se passer dans le futur ? ». Et dès l'intro et les beignets bien sucrés locaux offerts (pour leur excès de sucre qui allait nous servir durant la séance, a-t-elle assuré), nous pouvions deviner que cette édition des «Tech Trends 2020» allait être savoureuse :

Teaser:

So so so … quel programme !

Amy et ses équipes construisent avec méthode des scénarios possibles, plausibles, probables… Il faudra à l’audience de l’agilité, de la flexibilité et une adaptabilité constante pour remanier les scénarios afin de se rapprocher le plus possible du futur qui se réalisera.

Pourquoi ? Pour pouvoir réagir et construire le réel avenir du journalisme.

109% d’augmentation des tendances tech entre 2018 et aujourd’hui.

Première surprise : 157 tendances et 28 scénarios sont dans le rapport des tendances tech 2020. Mais n’ayez crainte : ni Amy Webb pendant la conférence, ni Méta-Média ici, ne vous énonceront les 157 + 28 items ! (vous pouvez télécharger le rapport en suivant ce lien).

En revanche l’explication pour arriver à ce résultat est intéressante car les chiffres ont augmenté de 109% depuis 18 mois.

Pourquoi ?

Amy Webb avance : « La raison est qu'il y a eu des changements critiques dans de nombreux domaines différents au cours de 18 mois environ ».

Les principaux facteurs qui sont utilisés pour trouver les tendances ont évolué rapidement : politique, climat, société, accélération de la recherche technologique, économie … et cela a conduit a plus de scénarii possibles.

Par exemple l’adoption des interfaces et enceintes connectées Google Home, Alexa, etc… par une large majorité du marché en peu de temps. Amazon a cassé les prix de son produit « Alexa » en le rendant ainsi  accessible à beaucoup plus de personnes. Cet outil et son installation dans tant de foyers implique de nouveaux usages et de nouveaux usages impliquent des scénarii d’avenir supplémentaires.

Amy Webb : « Nous avons aussi commencé à voir des signes d'intervention gouvernementale très sérieuse, de sorte que dans ce pays (NB : aux Etats-Unis), nous envisageons des mesures réglementaires qui n'existaient pas il y a peut-être un an et maintenant, des enquêtes antitrust sérieuses sont en cours, ce qui a commencé à avoir un effet d'entraînement dans d'autres domaines technologiques et dans les tendances. »

Elle nous explique encore que les nouveaux modèles d’abonnements numériques s’ajoutent à l’équation.

Les nombreux éclairages que la professeure à la NYU Stern School of Business nous apportent ici permettent de comprendre à quel point le métier de « futuriste » doit manier de nombreuses données pour tenter de "désobscurcir" l’avenir.

Plongeon dans le millésime 2020

Il en ressort 3 grands thèmes, regroupant eux-mêmes plusieurs tendances faisant plusieurs scénarios… Ce sont des poupées gigognes.

1L'ère du synthétique

Amy Webb : « L'ère des médias synthétiques est à nos portes. Nous y sommes. Les tendances liées à ce thème ont trait à la reconnaissance des gestes, à la synthèse de la parole et à bien d'autres choses que nous allons vivre. »

Les technologies se développent en matière de robots conversationnels, création ou modification de visage numérique, modélisation de la voix.

  • On a commencé par créer des personnages totalement « imaginaires » qui vivent sur internet. Qui ont des interactions avec des internautes. Ils n’avaient pas de visages.. juste de la conversation.

Souvenez-vous de Xiaoce. Lancé par Microsoft il y a quelque année c’était un chatbot dont beaucoup de chinois sont tombé amoureux !

  • En parallèle les « effrayants » deepfakes sont arrivés.

Ces technologies sont utilisées à des fins diverses comme cette vidéo du « Saturday Night show » où Bill Hader fait une imitation de Arnold Schwarzenegger alors que son visage se transforme en même temps que l’imitation en celui d’Arnold Schwarzenegger lui-même. Ou encore David Beckman qui parle plusieurs langues dans un spot publicitaire d’intérêt public contre la malaria.

Puis enfin il y a la modélisation de la voix. Avec quelques échantillons de voix d’une personnes certaines entreprises réussissent à recréer une conversation vocale totalement inventée. Mieux encore, des avancées sont faites sur la traduction avec une voix d’une langue maternelle vers une autre langue, tout en gardant les bonnes intonations et, bien sûr, l’identité vocale de départ.

Vous parlez français et demain, vous parlerez espagnol sans même l’avoir appris ! Votre voix le fera en tout cas.

Aujourd’hui, toutes ces technologies combinées donnent par exemple Miquela Souza, jeune avatar de 19 ans, star d’Instagram.

Mais ce qui est important c’est que demain, les consommateurs d’informations passeront leur temps avec des personnages numériques.

Et après nous en avoir donnés plusieurs autres exemples déjà « existants », Amy Webb lance : « À qui appartient les médias synthétiques ? Je ne sais pas. Qui en est responsable ? Quand est-il éthique de les utiliser ? Devriez-vous les financer ? Est-ce que les lois de la parole d'un pays régissent à la fois les Humains et les contenus synthétiques de la même manière ? Que se passe-t-il s'il existe des normes différentes pour les médias et les plateformes technologiques ? Si un système d'IA à l'avenir commence à générer des personnages synthétiques et que tous ces personnages commencent à faire du mal aux gens d'une manière ou d'une autre, alors qui est responsable ? Comment définir la vérité et bâtir la confiance à l'ère des médias synthétiques ? »

Cela a tout l’air d’un bombardement ! En tout cas une promesse de vives discussions dans les rédactions !

D’autant que la conférencière n’a rien pour nous rassurer.. sauf à dire qu’il nous faut lire tout ce que nous trouvons sur le sujet pour nous y « acclimater ».

2La notation comme un big brother

 

Cela sonne comme une nouvelle dont nous avons déjà connaissance, mais pour laquelle nous jouons tous plus ou moins les autruches.

Combien de fois avez-vous dit ou entendu dire autour de vous que c’était incroyable car toutes vos recherches internet donnent des résultats qui rappellent ce que vous avez fait récemment sur votre ordinateur ? Que les articles qui vous sont proposés ressemblent à ce que vous avez déjà cherché etc etc… Avec le cloud ou les comptes que vous ouvrez sur n’importe quel device, c’est même vrai d’un appareil sur l’autre.  Vous avez le sentiment d’être suivi partout et pour tout !

Pour autant, arrêtez-vous vos usages ? Vous protégez-vous en tentant d’utiliser un navigateur plus « privé » ? Faites-vous quelque chose ?!

Et bien vous voilà noté.. à tous les coins du net mais aussi à tous les coins « des webcams » ou même de wifi, de GPS, enceinte connectée etc…

Amy Webb : « AirBnB vous donne un score et cela peut signifier que vous n'êtes pas autorisés à gérer certains types de propriétés. Walmart vous donne une note pour déterminer si vous devez payer 9 dollars ou 3 dollras pour du papier hygiénique. »

Tous récupèrent vos données en temps réel et les filtrent, les optimisent. Est-il possible que le web vous connaisse mieux que votre propre entourage !

Aujourd’hui Amazon travaille sur un projet de détection de mouvement. Avec des données biométriques et vocales. Ces systèmes pourraient déterminer si on éternue normalement ou pas. Si c’est à cause d’un rhume ou d’une autre maladie. Au débit et la tonalité de la voix, savoir si nous sommes dépressif …

Plus surprenant que tout, les chaînes de magasins Walmart (supermarchés américains) ont développé des technologies presque incongrues pour leurs services d’origine : les caddies des courses sont «équipés de systèmes biométriques ». En posant vos mains sur la barre pour pousser votre chariot, il prend votre pouls, votre température et détecte votre transpiration. Le tout est envoyé dans un centre qui permet d’envoyer un agent si vous vous évanouissez. C’est de la biométrie comportementale.

N’oublions pas la reconnaissance faciale, l’utilisation des webcam pour savoir ce que vous faites, ce que vous avez chez vous, quel style de journal, quels styles de meubles etc etc …

La récolte de données semblent être aussi vertigineuse que remplir le tonneau des danaïdes.

Au-delà de tout ce que ces systèmes génèrent comme inquiétudes,  il y a les injustices probables qui peuvent en découler. Ces notations peuvent être biaisées, trompeuses, fausses. Comment faire alors pour remettre les choses à plats ? contre qui devons-nous nous défendre ?

Et c’est reparti pour un flots de questions toutes aussi pertinentes et effrayantes les unes que les autres mais auxquelles nous allons devoir absolument faire face :

Amy Webb : « Comment ces données vont façonner notre avenir ? Comment les notations extérieures impacteront notre habilitation à voir les contenus des médias ? Quel sera l'impact  de l'évolution des scores sur la publicité programmée ? Les journalistes ont-ils la responsabilité d'aider les gens à comprendre comment ils sont notés ? » 

Et de nous inviter à bien réfléchir à ce futur déjà en marche.

3Fin des abonnements numériques

 

Nous avons l’impression qu'il vient de débuter, mais en réalité, aux Etats-Unis, le marché des abonnements numériques est arrivé à maturité. En faisant des analyses sur 90 journaux locaux, Sam Guzik (collaborateur d’Amy Webb) est venu nous expliquer que la pénétration moyenne était de 28%. Les ménages américains qui soutenaient jadis leur presse locale à 100%, dépensent maintenant en moyenne 100 $ mensuel pour une flopée de services différents et non pour leur seule presse. Et l’argent qu’ils sont prêt à mettre dans des abonnements n’est pas extensible. Il est même plutôt en régression.

Amy Webb a évoqué un critère qui détermine ce que souhaitent les consommateurs, le LPF : "Lowest Point of Friction". Et après étude du marché américain, ce que les ménages souhaitent notamment c’est de la facilité et de l’accessibilité.

En découlent l’avalanche de questions devenue rituelle de la conférencière. Cette avalanche essentielle pour rendre compte des difficultés subsistantes pour résoudre l’équation d’un modèle économique viable pour le journalisme :

Amy Webb : « Sommes-nous en train de créer un déséquilibre dans la façon dont les différentes communautés sont informées ? Qu'est ce qui différencie votre produit de tous les autres auxquels on nous demande de souscrire ? Comment faire de l'argent si vous ne contrôlez pas les données ? Quelles sont toutes les autres manières dont vous pourriez générer des revenus qui vont au-delà des abonnements et des événements ? »

Conclusion en forme d’adieu

« L'incertitude salue l'incertitude qui justifie des questions profondes, mais elle justifie aussi une action bien informée. Des mesures incrémentielles prises tout le temps. Parce que ne pas planifier en pensant à l'avenir, c'est planifier pour échouer. »

Mais comme pour se faire pardonner de quelque chose, elle a enchaîné sur une note positive : nous avons eu le droit aux 4 scénarios préférés de la professeure. Mais franchement.. était-ce simplement pour nous quitter en bon terme ?

  1. Retour de la confiance
  2. Les informations se font à un rythme plus lent. Les journalistes ont le temps d’enquêter.
  3. L’information est devenue lucrative
  4. Toutes les rédactions ont embauchés des futuristes
  5. Et la surprise ??? Amy Webb nous annonce la fin de ses apparitions exposant les tendances Tech à l’ONA …

So standing ovation ! Good bye and thank’s Madame Amy Webb, vous, la visionnaire qui sait se retirer au profit d’une jeunesse montante, pour que les trends soient toujours les plus pointues possibles pour mieux servir votre auditoire.

Chapeau bas et Merci !

ps : lien de la vidéo de sa présentation samedi