Pour de nombreux créateurs de contenu, la vérification des faits n'est pas une priorité. Une étude publiée mardi par l'UNESCO, l'Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, révèle que la plupart des influenceurs sur les réseaux sociaux ne prennent pas le temps de valider les informations avant de les diffuser auprès de leurs abonnés.
Par Alexandra Klinnik du MediaLab de l’Information et Kati Bremme, rédactrice en chef Méta-Media, France Télévisions
Selon l'enquête, 62 % des créateurs interrogés ont avoué ne pas vérifier la véracité des contenus qu'ils partagent. "Ce chiffre nous a vraiment étonnés", indique Adeline Hulin, cheffe de l’unité pour l’éducation aux médias et à l’information à l’UNESCO. Cette étude intitulée Behind the Screens, menée entre août et septembre 2024, porte plus précisément sur des influenceurs ayant plus de 1 000 abonnés, ce qui constitue le seuil pour être qualifié de nano-influenceur. Il s'agit de la première analyse mondiale des motivations et des pratiques des créateurs de contenu numérique, ainsi que des défis auxquels ils font face. L’enquête a impliqué 500 influenceurs dans 45 pays, réalisée avec l'expertise de la Bowling Green State University aux États-Unis. Les résultats de l'étude soulignent un besoin urgent de formation et de soutien pour ces créateurs, qui évoluent sans filet de sécurité ni formation.
Crédibilité en ligne : les "likes" et les partages comme critères de validation
L'enquête révèle que les créateurs de contenu peinent à trouver des critères fiables pour évaluer la crédibilité des informations en ligne. Environ 42 % des répondants utilisent le nombre de "likes" et de "partages" qu'un post a reçus comme principal indicateur de sa véracité. 21 % se fient aux informations transmises par des amis de confiance, et 19 % prennent en compte la réputation de l'auteur ou de l’éditeur du contenu. En revanche, peu d'entre eux recourent à des sources officielles comme les documents ou sites gouvernementaux. Les journalistes pourraient être une aide précieuse pour les créateurs de contenu afin de vérifier la fiabilité de leurs informations, mais les échanges entre ces deux communautés restent rares. Les médias traditionnels sont seulement la troisième source la plus utilisée par les créateurs (36,9 %), après leurs propres recherches et expériences. Ce manque de vérification peut se révéler problématique, notamment en période de crise, où la désinformation peut engendrer confusion et panique. "Le manque généralisé d'évaluation critique des informations montre l'urgence de renforcer les compétences des créateurs en matière de littératie médiatique", souligne l'étude.
Manque de connaissance des droits et devoirs des créateurs
La majorité des créateurs (82 %) connaît certaines lois relatives à la liberté d'expression, à la diffamation et au droit d'auteur dans leur pays. Cependant, un tiers (32,4 %) n'en ont qu’une connaissance partielle et ne se considèrent pas comme des experts. La compréhension de ces lois est cruciale, car elles régissent le droit d'exprimer des opinions et de diffuser des informations. Pourtant, environ 11,4 % des créateurs ne pensent pas que ces lois s'appliquent à leur contenu. Ce manque de connaissances peut rendre les créateurs vulnérables à des poursuites ou à des restrictions en ligne, et les empêcher de défendre leurs droits, surtout lorsqu'ils sont eux-mêmes victimes de contenus haineux. Rappelons que la plupart des créateurs déclarent ne pas appartenir à des associations professionnelles et manquer de conseils pour leurs efforts de création de contenu. Ils ne bénéficient pas de soutien de la part de rédactions contrairement aux journalistes en poste.
Harcèlement en ligne
Le harcèlement en ligne est un problème majeur pour les créateurs de contenu. 32 % des répondants ont déclaré avoir été victimes de discours haineux. Cependant, seulement 20,4 % ont signalé ces incidents aux plateformes de réseaux sociaux. Ce chiffre montre un besoin d'accompagnement pour aider les créateurs à gérer ces situations de manière efficace. Le mega-influenceur chinois Zhang Zhaoyuan témoigne de sa frustration face aux pratiques des plateformes : "Je subis également du harcèlement en ligne maintenant, bien que je m'y sois habitué avec le temps... Mais lorsque je signale ces problèmes, la plateforme me demande de fournir des preuves qu'il m'est impossible d'obtenir légalement, donc ils ne s'en occupent tout simplement pas. Pendant ce temps, le contenu non vérifié qui a été publié à mon sujet a déjà eu un impact sur ma vie."
La journaliste Salomé Saqué, régulièrement harcelée en ligne, a exprimé son soutien à l'initiative de l'UNESCO, lors de la conférence organisée à ce sujet mardi à Paris : "Il est temps que cela change, de faire des espaces en ligne des endroits sûrs pour tout le monde (hommes comme femmes), où nous avons tous accès à une information de qualité. Merci à l’UNESCO de lancer un programme de formation des créateurs de contenu (ceux qui ne sont pas journalistes) pour qu’ils se sentent moins seuls et soient formés sur la nécessité de produire des informations vérifiées."
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Pour répondre à ces enjeux, l'UNESCO a lancé le premier programme de formation mondial destiné aux créateurs de contenu pour devenir une "voix de confiance en ligne". Une large majorité d'entre eux (73,7 %) se dit intéressée par un cours en ligne gratuit portant sur les pratiques éthiques et les normes de liberté d'expression dans la création de contenu, proposé par l'UNESCO. Concrètement, les créateurs répondent présent, avec déjà plus de 9 000 participants venus de 160 pays. En étudiant les pratiques et les défis rencontrés par ces créateurs, l'UNESCO souhaite leur transmettre les compétences nécessaires pour garantir des standards élevés d'intégrité et de crédibilité. Pour le bien de l'information.
Pour aller plus loin, retrouvez notre interview d'Adeline Hulin, chef de l'unité pour l'éducation aux médias et à l'information de l’institution, sur le programme de formation.