Liens vagabonds : Apple, Netflix, Disney… Les plateformes à l’heure des hagiographies

Au Festival de Cannes, Bono « lève le voile » sur sa « vie incroyable ». Le documentaire Bono of Surrender a été présenté en séance spéciale ce 16 mai sur la Croisette, et sera diffusé sur Apple TV+. Réalisé par Andrew Dominik, il est produit par… Bono lui-même. Un cas de figure de plus en plus fréquent où la star devient narrateur, sujet et producteur exécutif de sa propre histoire. Autrement dit, juge et partie. Rien de scandaleux en 2025. Dans un marché saturé par les documentaires de célébrités, ce mélange de genres – marketing, storytelling, « journalisme » – est devenu la norme. Billie Eilish, Elton John, Beckham, Taylor Swift, Simone Biles ou encore Beyoncé ont tous produit – voire réalisé – leurs propres hagiographies. L’appétit semble infini, mais selon les producteurs, il devient de plus en plus difficile de trouver des stars dont la vie n’a pas encore été racontée à l’écran. « Le défi aujourd’hui, c’est : qui n’a pas encore eu son documentaire ? », estime Sara Bernstein, la présidente d’Imagine Documentaries.
Une explosion du genre
Si le genre n’est pas nouveau, il a connu une croissance spectaculaire ces dernières années. Entre janvier 2020 et juillet 2024, le nombre de séries documentaires biographiques a bondi de 373 %, selon Parrot Analytics. Et les plateformes sont prêtes à y mettre le prix. Apple TV+ a déboursé 27 millions de dollars pour Billie Eilish: The World’s a Little Blurry, produit avec Interscope. Disney, de son côté, a investi 32 millions dans Elton John: Never Too Late, co-réalisé par… le mari du chanteur. À l’opposé, les documentaires à visée sociale peinent à se financer ou à dépasser quelques millions de dollars de budget. Un déséquilibre révélateur des priorités de l’industrie.
Des réalisateurs sous contrôle
« Tous les documentaires sont biaisés. La vraie question est : qui impose cette subjectivité ? Le réalisateur ou la célébrité ? », interroge Alek Keshishian, réalisateur de Selena Gomez: My Mind & Me. Dans une industrie dominée par les stars, la réponse est évidente : le pouvoir est du côté du sujet. Ezra Edelman, oscarisé pour O.J.: Made in America, en a fait l’amère expérience. Pour Netflix, il préparait un documentaire ambitieux sur Prince : neuf heures d’archives inédites et de témoignages révélant les zones d’ombre du musicien. Mais les ayants droit s’y sont opposés. Résultat : projet annulé, nouveau réalisateur exigé. « Ce sera une lettre d’amour, une œuvre de propagande. Apprendrez-vous quelque chose de sombre ou de complexe sur Prince ? J’en doute », regrette Ezra Edelman, qui parle de « bouillie ». Pourtant, le public ne semble pas s’en émouvoir. La semaine de la sortie du documentaire sur David Beckham, son nom est devenu le plus recherché sur Google, avec une hausse de 2 100 % des requêtes. Sur Netflix, les trois premiers épisodes de Harry & Meghan ont enregistré 81,55 millions d’heures de visionnage, devenant le lancement documentaire le plus regardé de la plateforme. The Eras Tour de Taylor Swift est quant à lui devenu le film de concert le plus lucratif de l’histoire dès sa sortie. Dans chaque cas, la star contrôle pleinement le récit – et le succès suit.
Derrière cette frénésie de contenus flatteurs, un inquiétant glissement s’opère. Comme le souligne The Guardian, les plateformes accueillent volontiers les récits glorificateurs… mais évitent tout ce qui pourrait heurter ou déranger. L’exemple le plus parlant reste Leaving Neverland, documentaire-choc sur les accusations d’abus sexuel visant Michael Jackson. Retiré définitivement de Max (ex-HBO) après une action en justice de la succession du chanteur, le film est aujourd’hui pratiquement introuvable. Un présage inquiétant, comme le souligne Sam Adams de Slate, « à une époque où l’accès aux médias est presque totalement contrôlé par les géants du streaming ».
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Intelligence artificielle : un nouvel accord de partenariat, entre « Le Monde » et Perplexity (Le Monde)
- Dailymotion se renforce dans l’IA pour mieux rivaliser avec YouTube et TikTok (Les Echos)
- Laurent Vallet reconduit à la tête de l’INA pour un troisième mandat (le Monde)
- « Les Echos » remportent le prix de la meilleure application avec le « 18-20 » (Les Echos)
- Des journaux français obtiennent le blocage d’un site utilisant l’IA pour piller leurs articles (Le FIgaro)
- La France et l’Espagne veulent imposer une limite d’âge sur les réseaux sociaux (Bloomberg)
3 CHIFFRES
- Netflix annonce que son offre avec publicité compte 94 millions d’abonnés, rapporte Reuters.
- Le Royaume-Uni va autoriser les États étrangers à détenir jusqu’à 15 % des parts dans les journaux, indique BBC.
- La startup de recherche par IA Perplexity sur le point de lever des fonds, valorisée à près de 14 milliards de dollars, rapporte Bloomberg.
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Chatbots contre moteurs de recherche : qui gagne la guerre du trafic ?

Source : abondance
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- La suprématie des fiches de révision (Columbia Journalism Review)
- Qu’est-ce qu’une information ? (Pew Research Center)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- Google vient de modifier son logo « G » (The Verge)
- Comment une adolescente utilise l’IA (Financial Times)
- Une start-up chinoise teste la première clinique avec médecin IA en Arabie saoudite (Bloomberg)
DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- Le bot IA Grok de Musk évoque un prétendu « génocide des Blancs » en Afrique du Sud lors de discussions sans rapport (The Guardian)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- La justice donne raison au New York Times dans l’affaire concernant l’accès à des messages texte de l’Union européenne (New York Times)
- Un groupe de défense des droits menace Meta d’une injonction concernant l’utilisation des données des Européens pour entraîner son IA (Reuters)
- Les lois américaines sur l’IA risquent de devenir plus « européennes » que celles de l’Europe (Financial Times)
- TikTok accusé d’avoir enfreint les règles européennes sur les contenus en ligne (Reuters)
- ChatGPT transformé en machine à la Ghibli : comment cela peut-il être légal ? (The Atlantic)
- Meta demande à un juge de reconnaître que la FTC n’a pas prouvé son accusation de monopole (Reuters)
JOURNALISME
- Comment les unes du monde entier ont couvert la nomination du pape Léon XIV (New York Times)
- Les écoles de journalisme sous pression face à la présidence Trump (The Nation.)
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Letterboxd lance une boutique en ligne de location de films, avec une sélection éditoriale (The Verge)
ENVIRONNEMENT
- La Chambre des représentants américaine vise d’importants reculs en matière de climat et d’énergie propre dans son projet de budget (Reuters)
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- TikTok va permettre de transformer une photo en vidéo grâce à un prompt générée par l’IA (The Verge)
- TikTok va lancer une fonctionnalité de médiation face aux procès et aux critiques sur les effets de l’application sur les enfants (CNBC)
STREAMING, OTT, SVOD
- Le nouveau service de streaming de CNN sera lancé cet automne (New York Times)
- Netflix va utiliser l’IA pour rendre les coupures publicitaires moins visibles (The Verge)
- Max change (encore) de nom (CNN)

Capture d’écran de Variety
AUDIO, PODCAST, BORNES
- SoundCloud fait marche arrière sur l’IA et revoit ses règles après la colère des artistes (Futurism)
- Quels sont les podcasts qui dominent YouTube ? Un nouveau classement réserve des surprises (New York Times)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Les outils de détection de l’IA sont-ils vraiment efficaces ? (Columbia Journalism Review)
- La thérapie par l’IA devient un outil de surveillance dans un État policier (The Verge)

Capture d’écran de The Verge
- Le nouvel agent d’IA de Google DeepMind utilise des modèles de langage pour « résoudre des problèmes concrets » (MIT)
- Une étude révèle que l’IA développe spontanément une communication semblable à celle des humains en intégrant des normes sociales (The Guardian)
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Des annonceurs demandent à un juge américain de rejeter la plainte de X, le réseau de Musk, concernant les dépenses publicitaires (Reuters)
- Alors que Pinterest améliore sa plateforme publicitaire, les annonceurs continuent d’augmenter leurs dépenses (Digiday)
Par Kati Bremme, Océane Ansah et Alexandra Klinnik