Reuters Digital News Report 2025 : un écosystème de l’info éclaté, de plus en plus investi par ChatGPT

Batailles polarisées et bouleversement des plateformes : telle fut la toile de fond de l’année « électorale » 2024. Les audiences accèdent de plus en plus à l’information par une multitude de canaux, un défi majeur pour les éditeurs traditionnels, comme le souligne le nouveau rapport du Reuters Institute for the Study of Journalism sur les usages numériques de l’information.

Par Alexandra Klinnik et Océane Ansah du MediaLab de l’Information de France Télévisions

YouTubeurs, tiktokeurs, podcasteurs : les créateurs de contenus prennent une place croissante dans l’écosystème médiatique. Une pression supplémentaire pour les médias établis, déjà confrontés à l’érosion du lien avec leurs publics, à la fragmentation des usages… et à l’arbitraire des grandes plateformes, qui fixent leurs propres règles du jeu.

Ce nouvel écosystème d’information soulève d’autant plus d’inquiétudes qu’il brouille les repères. Le rapport pointe les personnalités en ligne et les influenceurs comme les principales menaces en matière de désinformation — au même titre que les responsables politiques. Surtout lorsque des géants comme Meta reculent sur le fact-checking

Autre nouveauté notable : l’apparition des chatbots comme porte d’entrée vers l’actualité. Un signal préoccupant : ces outils se trompent encore souvent.

Dans ce contexte agité, un point relativement positif subsiste : la confiance dans l’information reste stable à 40 % pour la troisième année consécutive.

Telles sont les conclusions de cette vaste enquête menée auprès de 100 000 personnes dans 48 pays, dont la Serbie, nouvellement incluse cette année, et réalisée avec le soutien de la Google News Initiative.

12 points rapides à retenir :

Et voici quelques enseignements essentiels dont les médias peuvent tirer parti :

Les réseaux sociaux dépassent la télévision

Aux États-Unis, juste après l’investiture présidentielle, l’utilisation des réseaux sociaux pour s’informer a dépassé pour la première fois celle de la télévision, avec une hausse de 6 points. Aucune reprise équivalente n’a été observée du côté des sources traditionnelles. 

Dans les 48 marchés étudiés, les données confirment une transformation rapide : 44 % des 18-24 ans déclarent que les réseaux sociaux sont désormais leur principale source d’information. Et ce chiffre ne cesse de croître. 

Alors que la part de la population déclarant s’informer principalement via les réseaux sociaux reste stable au Japon ou au Danemark, elle progresse dans des pays politiquement polarisés comme le Royaume-Uni (20 %) ou la France (19 %). 

Une consommation vidéo en plein essor

La vidéo s’impose comme le format dominant : la proportion de personnes regardant des vidéos d’actualité sur les réseaux sociaux est passée de 52 % en 2020 à 65 % en 2025. Dans des pays comme les Philippines, la Thaïlande, le Kenya ou l’Inde, de plus en plus de citoyens affirment préférer regarder les nouvelles plutôt que de les lire. 

Une grande partie de ce changement provient de l’évolution des stratégies des plateformes, qui a conduit des réseaux comme Facebook, Instagram et X à accorder une plus grande priorité à la vidéo dans leurs algorithmes, tandis que Google a ajouté un onglet dédié aux vidéos courtes dans ses résultats de recherche

Dans le même temps, les éditeurs produisent davantage de vidéos de différentes durées et les mettent davantage en valeur sur leurs sites web et leurs applications. The Economist fait partie des éditeurs ayant ajouté un carrousel de vidéos verticales sur sa page d’accueil 

TikTok est le réseau social et vidéo dont la croissance est la plus rapide dans l’enquête de cette année, gagnant encore 4 points de pourcentage au niveau mondial pour l’actualité (atteignant 17 %). Mais en parallèle, dans ces mêmes marchés, TikTok est perçu comme l’une des plus grandes menaces en matière de désinformation ou de contenus trompeurs — au même titre que Facebook, source d’inquiétudes publiques depuis de nombreuses années. 

Les jeunes désertent les médias traditionnels au profit des créateurs en ligne 

Dans de nombreux pays, l’engagement envers les sources d’information traditionnelles — télévision, presse écrite, sites d’actualités — ne cesse de reculer. En parallèle, la dépendance aux réseaux sociaux, aux plateformes vidéo comme TikTok ou YouTube, et aux agrégateurs en ligne s’accentue nettement, en particulier chez les jeunes. 

Dans certains pays, ces figures dominent désormais l’espace public. Aux États-Unis, 22 % des personnes sondées affirment avoir vu des informations ou des commentaires de Joe Rogan, podcasteur très populaire, durant la semaine suivant l’investiture présidentielle. Ce chiffre est encore plus élevé chez les jeunes hommes, un segment démographique que les médias traditionnels peinent à atteindre.  Parmi les autres personnalités largement suivies figurent, à droite, Megyn Kelly, Candace Owens et Ben Shapiro, et à gauche, Brian Tyler Cohen et David Pakman.  

Cependant, il est important de noter que l’essor des créateurs de contenu dans l’univers de l’information ne se manifeste pas partout avec la même intensité. En Inde, au Brésil, en Indonésie ou en Thaïlande — des pays marqués par une population jeune et une pénétration massive des réseaux sociaux — des youtubeurs, instagrammeurs ou tiktokeurs de premier plan parviennent à rassembler des audiences considérables. 

À l’inverse, en Europe, rares sont les créateurs d’actualité à atteindre une notoriété comparable. Quelques figures émergent toutefois, à l’image de Hugo Travers qui se distingue en France avec un format pédagogique diffusé principalement sur YouTube et TikTok. Selon l’étude, 22 % des moins de 35 ans déclarent consulter ses contenus pour s’informer. « Nos données suggèrent qu’il atteint désormais un niveau de couverture auprès des moins de 35 ans comparable, voire supérieur, à celui de nombreux médias traditionnels français », note le rapport. 

Chez les jeunes, l’IA gagne du terrain comme source d’information 

Les chatbots et interfaces d’intelligence artificielle s’imposent progressivement comme de nouvelles sources d’information,  au même titre que les moteurs de recherche et autres plateformes intégrant des actualités en temps réel. Si l’usage de ces outils reste encore modeste, avec seulement 7 % des personnes les consultant chaque semaine pour s’informer, ce taux grimpe toutefois à 15 % chez les moins de 25 ans. 

Face à l’essor de l’IA, de nombreux éditeurs misent sur cette technologie pour personnaliser davantage le contenu d’actualité. Mais les réactions du public sont partagées : 27 % redoutent de passer à côté d’informations importantes,  tandis qu’une partie reste enthousiaste à l’idée de rendre l’actualité plus accessible et adaptée. 

Dans de nombreux pays, les audiences restent réservées face à l’intégration de l’intelligence artificielle dans le travail journalistique. Elles souhaitent que les humains conservent un rôle central, notamment pour vérifier et hiérarchiser l’information. Le rapport montre que l’IA est perçue comme un moyen de produire des contenus plus rapidement (+16) et à moindre coût (+29), mais aussi comme un facteur de dégradation de la transparence (–8), de la précision (–8) et de la confiance (–18). Les exemples récents d’erreurs par des outils d’IA nourrissent ce scepticisme croissant.

Le bundle, nouvel espoir pour un modèle sous tension

Face à l’essoufflement du modèle publicitaire et aux difficultés persistantes à convertir les lecteurs en abonnés, les éditeurs explorent de nouvelles pistes. Le rapport du Reuters Institute le souligne : « Après avoir doublé en dix ans, les taux d’abonnement semblent aujourd’hui plafonner. La majorité des lecteurs prêts à payer ont déjà franchi le pas, et le contexte économique complique la conquête de nouveaux publics. » 

Dans ce contexte, les offres groupées — ou bundles — apparaissent comme une solution prometteuse. L’idée : proposer, dans un même abonnement, un éventail de contenus et de services. Certains éditeurs ajoutent des magazines, des podcasts exclusifs, des titres internationaux ou encore des produits de loisirs comme des jeux (NYt Games) ou des recettes de cuisine. D’autres, comme le Washington Post expérimentent des formules plus souples : pass journaliers, abonnements allégés ou offres ciblées pour les jeunes.  

Et les premiers signaux sont encourageants. Aux États-Unis, 21 % des non-abonnés se disent intéressés par une formule donnant accès à plusieurs médias pour un prix abordable.  

L’alerte info, un canal devenu stratégique 

Le rapport 2025 du Reuters Institute confirme la montée en puissance des notifications d’actualité sur mobile, devenues l’un des principaux vecteurs de diffusion des breaking news. Portées par les agrégateurs et de plus en plus pilotées par l’intelligence artificielle, elles s’imposent comme un canal d’accès privilégié à l’information. 

Aux États-Unis, Apple News atteint 14 % d’utilisateurs hebdomadaires, contre 9 % au Royaume-Uni. La plateforme a même brièvement utilisé l’IA générative pour résumer ses alertes avant de devoir retirer la fonctionnalité en raison d’erreurs

Au Royaume-Uni, les alertes envoyées par l’application BBC News touchent près de la moitié des personnes qui reçoivent des notifications (46 %), soit environ 4 millions de personnes

Face aux fausses infos, les réflexes varient

Lorsque les internautes doutent de la véracité d’une information, comment s’y prennent-ils pour vérifier ? Le Reuters Institute révèle qu’une majorité d’entre eux déclarent avoir recours à plusieurs sources pour faire le tri. 

Bonne nouvelle pour les médias : les sources d’information jugées fiables arrivent en tête des réflexes (38%). Viennent ensuite les sites officiels (35%), comme ceux des gouvernements ou des institutions publiques, puis les moteurs de recherche (33%). 

Mais ce réflexe n’est pas partagé par tous. Une part non négligeable des répondants (13 %) admet ne pas savoir quoi faire face à une information suspecte. Un chiffre qui souligne l’importance de renforcer l’éducation aux médias. 

CONCLUSION

Le rapport 2025 du Reuters Institute dresse un tableau clair : face à une défiance persistante, à une attention dispersée et à la concurrence d’un écosystème médiatique alternatif, les médias traditionnels peinent à réaffirmer leur rôle. Et pourtant, dans un monde marqué par les conflits, le dérèglement climatique et les bouleversements géopolitiques, l’information rigoureuse et contextualisée n’a jamais été aussi indispensable. Loin de signifier leur disparition, cette période oblige les rédactions à s’adapter. Il ne s’agit plus seulement de publier du contenu, mais de redonner envie de s’informer, et de montrer, dans un paysage fragmenté, ce que peut encore signifier un média de confiance.

Retrouvez ici l’intégralité du Reuters Digital News Report 2025.

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