Liens vagabonds : L’IA à la rescousse de Google

Le verdict est tombé : Google n’aura pas à vendre Chrome. Un coup dur pour Perplexity, qui avait mis 34,5 milliards de dollars sur la table deux semaines plus tôt pour racheter le navigateur. À peine l’annonce faite, Alphabet, maison mère de Google, voyait son action bondir de 7 % dans les échanges après la clôture de Wall Street. C’est l’un des jugements les plus marquants en matière de concurrence contre un géant de la tech depuis près de vingt-cinq ans, depuis l’affaire du DoJ contre Microsoft.
Ce qui va se passer… ou pas
Dans sa décision rendue mardi 2 septembre, le juge Amit Mehta (District Court de Washington) a estimé que Google pouvait continuer à verser des sommes pour préinstaller ses produits, mais qu’il lui était interdit de conditionner ces accords à des clauses d’exclusivité. Il a également exigé que l’entreprise partage certaines données de recherche avec ses rivaux, afin de leur donner une chance réelle de rivaliser, et interdit les partenariats exclusifs qui verrouillaient la distribution de ses moteurs ou de ses assistants numériques. « Nous nous interrogeons sur l’impact de ces obligations pour nos utilisateurs et leur vie privée, et examinons de près la décision », a réagi Lee-Anne Mulholland, vice-présidente des affaires réglementaires de Google.
Mais rien ne presse : il pourrait s’écouler encore plusieurs années avant que ces mesures ne soient effectivement appliquées — si elles le sont un jour. Le groupe a d’ailleurs déjà annoncé son intention de faire appel. Comme le rappelait Le Monde, « le temps reste l’allié indéfectible de ces géants”.
L’argument de l’IA
Pour le juge Mehta, l’essor du financement de l’IA générative bouleverse l’équilibre : « Les entreprises sont désormais mieux armées, financièrement et technologiquement, pour affronter Google que n’importe quel moteur de recherche depuis des décennies. » Joshua Benton, de Nieman Lab, souligne l’ironie de ce raisonnement. Il cite le magistrat : « Pour la première fois depuis plus de dix ans, il existe une véritable possibilité qu’un produit émerge et remette en cause la domination de Google.” Mais, observe-t-il, fonder un arrêt antitrust d’une telle ampleur sur une simple “possibilité” paraît bien fragile. D’autant que de nombreux signaux montrent que l’intelligence artificielle tend à consolider la position du géant plutôt qu’à l’affaiblir. Google a déjà intégré ses propres réponses générées par IA en haut des résultats de recherche (Overviews) et ajouté un onglet permettant aux internautes de dialoguer avec un chatbot.
« Si vous en faites trop peu, vous risquez de transformer l’IA en prochain problème », avertit Fiona Scott Morton, ancienne responsable antitrust au département de la Justice. Le juge lui-même concède la limite de l’exercice : « Le tribunal est ici invité à lire dans une boule de cristal et à se projeter dans l’avenir. Ce n’est pas exactement le domaine d’expertise d’un juge.”
Des critiques virulentes
Pour le American Economic Liberties Project, qui milite pour un durcissement du droit de la concurrence face aux Big Tech, la décision relève de la lâcheté. Sa directrice, Nidhi Hegde, a résumé : « On ne condamne pas un braqueur de banque pour ensuite lui demander d’écrire une lettre de remerciement pour son butin. De même, on ne déclare pas Google coupable de monopolisation pour lui offrir ensuite un remède qui protège son monopole. »
La News Media Alliance n’a pas caché sa déception : « Nous sommes déçus par cette décision. C’est un scénario perdant-perdant qui continuera de nuire aux éditeurs qui investissent dans des contenus journalistiques et créatifs de qualité. Ce jugement n’est pas une fin, mais c’est une occasion manquée. »
Pendant ce temps, le groupe déploie ses AI Overviews partout sauf en France, officiellement pour des “incertitudes juridiques”. Une illustration subtile que, là où les règles locales sont strictes, Google avance avec prudence pour protéger sa position dominante.
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Le site Bounty, inspiré de Coco, dans le collimateur de l’Arcom et du gouvernement (Le Monde)
- Canal+ s’apprête à racheter UGC, l’un des leaders du cinéma français (Les Echos)
- Partage d’abonnements : Spliiit va négocier avec Apple, Disney et Netflix pour éviter un procès (L’Informé)
- Google et Shein sanctionnés : la CNIL inflige des amendes colossales pour non-respect de la législation française sur les cookies et la protection des données (Le Monde)
- Rachetée par ses fondateurs, l’application de dating Fruitz repasse sous pavillon français (Les Echos)
- Les syndicats de journalistes s’insurgent contre un décret sur les conditions d’attribution des aides à la presse (Le Monde)
3 CHIFFRES
- Une citation du Monde dans un article de ChatGPT génère 20 fois plus d’abonnements payants qu’un article du Monde partagé sur Facebook, et 50 fois plus qu’un article repris sur Discover, d’après Louis Dreyfus.
Cette déclaration a été faite lors du premier épisode de l’émission La Fabrique de l’information, à laquelle Méta-Media a également eu le plaisir de participer.
- 12 % des enfants disent avoir recours aux chatbots IA parce qu’ils n’ont personne d’autre à qui parler, selon une étude Internet Matters.
- Les femmes apparaissent ou sont entendues dans seulement 26 % de l’ensemble des reportages diffusés à la télévision, à la radio et dans la presse écrite, d’après l’ONU.
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Malgré son importance dans la vie de 50 % de la population, les violences basées sur le genre font à peine la une des journaux.

Source : ONU
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- Fade, facile à suivre, pour tous les goûts : qu’est-ce que l’algorithme de Netflix a fait à nos films ? (The Guardian)
- Ma mère et le Dr DeepSeek (Rest of World)
- Comment survivre à l’apocalypse (médiatique) (CJR)
- Les thérapeutes utilisent secrètement ChatGPT. Les patients sont bouleversés (MIT)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- Apocalypse de l’IA ? Pourquoi le discours sur la tech prend des accents de plus en plus religieux (Associated Press)
- Shein utilise l’image de Luigi Mangione pour promouvoir un t-shirt (BBC)
- Le recours à l’IA par Miss Angleterre est-il dangereux ou progressiste ? (BBC)
- On embauche des humains pour rendre le slop IA un peu moins indigeste (NBC News)
DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- La mécanique de la désinformation santé sur Internet (Axios)
- Sur YouTube, les vidéos d’histoire produites par l’IA inondent la plateforme et étouffent les contenus historiques authentiques (404 Media)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- Dans une décision antitrust majeure, un juge autorise Google à conserver Chrome mais lui inflige d’autres sanctions (NPR)
JOURNALISME
- Les investisseurs peuvent-ils faire du New York Times le Netflix de l’information ? (Semafor)
- Vogue nomme Chloé Malle comme nouvelle rédactrice en chef (The New York Times)
- Pourquoi de plus en plus de gens se détournent des actualités : « Maintenant, je n’ai plus cette anxiété » (The Guardian)
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Le New York Times va fermer son application audio (Adweek)
- Comment The Economist et le Financial Times gèrent leurs newsletters incarnées par des personnalités (Media Voices)
- Les podcasteurs gagnent des millions grâce aux événements en direct (Bloomberg)
ENVIRONNEMENT
- Brut a fait toutes ces collaborations avec des marques problématiques pour le climat en quelques semaines à peine (Vert)
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- TikTok permet désormais à tout le monde de s’envoyer des messages privés avec des mémos vocaux et des photos (The Verge)
- Instagram teste le mode Picture-in-Picture pour les reels (TechCrunch)
- Instagram dispose enfin d’une application iPad, 15 ans après son lancement (Engadget)
- Patreon séduit les auteurs de Substack avec des rémunérations dans sa refonte des newsletters (adweek)
STREAMING, OTT, SVOD
- La série dérivée de « The Office », « The Paper », se veut « une lettre d’amour aux journaux » (The Boston Globe)
- Walmart veut concurrencer Amazon en tant qu’agrégateur de streaming et ajoute Peacock comme partenaire vidéo (The Hollywood Reporter)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- La ruée vers l’or du podcast : les médias se disputent les droits sur les créateurs vedettes (Wall Street Journal)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- OpenAI ajoute un contrôle parental à ChatGPT (Engadget)
- L’essor des influenceurs IA (Financial Times)
- OpenAI commence à constituer son équipe dédiée aux applications (The Verge)
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Les publications destinées au public LGBTQ+ sont victimes de discrimination de la part des annonceurs, avertissent les éditeurs (The Guardian)
- Certains éditeurs français reversent directement les revenus générés par l’IA aux journalistes. Est-ce que cela pourrait un jour arriver aux États-Unis ? (NiemanLab)
Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Océane Ansah