Liens vagabonds : OS OpenAI, virus ou remède de l’information ?

Sam Altman et sa société, OpenAI, sont un peu comme un caillou dans la chaussure : gênants, irritants et impossibles à ignorer. Un casse-tête permanent qui touche même les plus grands. À l’occasion du DevDay en début de semaine, le groupe vient titiller le terrain de jeu de Google et Apple. Au menu : l’intégration d’une multitude d’apps tierces dans vos conversations avec ChatGPT ainsi qu’un kit permettant de créer son propre agent IA, prêt à écraser la concurrence. En bref, un nouveau cocktail parfait pour renforcer la captivité des utilisateurs à la sauce Google (et Meta).

Mais jusqu’où nous entraîne le géant américain, ivre de sa propre démesure ? Le constat est clair : dans la course à l’IA, OpenAI veut tout rafler. Après l’émulsion provoquée par Sora 2 et sa capacité à générer du faux – en prêtant son visage – d’un réalisme troublant, les défauts reprochés à GPT-5 semblent presque oubliés, noyés dans l’enthousiasme propagé par les réseaux sociaux.

@unefille.ia Agent Builder ou Agent Kit par OpenAI : une nouvelle façon de créer des agents IA pour concurrencer n8n, make et zapier ? #agentkit #agentbuilder #agentia #n8n #automatisation ♬ son original – unefille.ia | Actu & Tutos IA

Au cœur de l’engouement, les “Apps SDK”, autrement dit la possibilité de connecter l’outil à des applications du quotidien. Booking, Expedia, Canva : une poignée de partenaires viennent court-circuiter les marchés traditionnels, comme le Play Store (Android) ou l’App Store (iOS). Une porte ouverte aux développeurs pour toucher les 800 millions de visiteurs hebdomadaires de la plateforme. Fini donc le temps d’une simple interface conversationnelle : ChatGPT se mue en un véritable système d’exploitation, capable de s’interposer entre l’utilisateur et tout ce qu’il consulte, crée ou imagine, le tout déguisé en majordome empathique disponible 7j/7, 24h/24. Et l’intérêt a vite été capté par le monde financier, qui s’est empressé d’investir dans ces marques mises au-devant de la scène.

Là où Google a organisé le web, OpenAI s’attaque désormais au reste (en tentant d’avaler le premier, au passage). Bien concentré dans une seule app, sans rien devoir installer, histoire de ne pas se perdre dans un écosystème dispersé. Au travers de fonctionnalités qui s’accumulent : comme lire, chercher, comprendre ou acheter. Par rapport à l’époque où nous partagions nos données application par application, le gain est aujourd’hui évident : tout est pillé en un seul endroit. Avec les agents IA – vos nouveaux collègues / confidents numériques – il est possible de se connecter à une multitude de services via les « MCP », sans aucune compétence particulière, grâce à des briques pré-construites. La sécurité ? Optionnelle. Vous voilà plongés dans un univers qui vous suit partout, du réseau social au travail, en passant bien sûr par vos recherches du quotidien, toujours dans un flou signature entre le vrai et le faux.

Une nouvelle énigme tentaculaire pour les médias…

Au-delà du sentiment de déjà-vu, il faut reconnaître la puissance de l’outil et l’impact imminent qu’il aura sur la sphère médiatique. Un nouvel empire s’impose – un de plus – qu’il faudra apprendre à apprivoiser pour cohabiter dans une même interface. Jusqu’ici, chacun pouvait bâtir son propre refuge mobile, soigner l’esthétique, maîtriser l’expérience utilisateur, et surtout garder la main sur la mise en avant des contenus (et sur les données des utilisateurs). ChatGPT balaie ce modèle d’un revers de main. Les médias se retrouvent face à un dilemme : intégrer la plateforme pour éviter l’invisibilité dans un écosystème uniformisé, ou s’en tenir à l’écart, quitte à perdre une part croissante de leur audience.

En juin 2025, pour la première fois, le Reuters Institute inclut l’IA comme source d’information. Selon le Digital News Report, le nombre de répondants affirmant utiliser l’IA chaque semaine pour s’informer n’est que de 6 %. Cette proportion est plus élevée chez les moins de 25 ans, où elle s’affiche à 15 %. Toujours selon l’étude, c’est ChatGPT qui se positionne en tête des sources d’information, devant l’adversaire Google avec Gemini, ou LlaMA de Meta.

Face à ce constat, plusieurs grands groupes ont déjà signé avec ces nouvelles plateformes dopées à l’IA. Louis Dreyfus du Monde, dans un entretien pour l’INA assure : « Nous avons besoin d’être référencés par les moteurs de réponse ». D’autres ont suivi avec des concurrents : AFP et Mistral, ou Le Figaro avec Perplexity. Sauf qu’on le sait, il n’y aura pas la place pour tout le monde, et seuls les plus gros pourront bénéficier d’un accès privilégié et donc d’une meilleure visibilité. Pour les autres, les négociations s’annoncent amères, et le journalisme de proximité s’en trouvera d’autant plus érodé.

Selon Eskimoz et Semrush, dans une étude sur le GEO (Generative Engine Optimization, le concurrent IA du SEO ) des médias français, le résultat est déjà visible. Le Monde arrive en tête du trafic sur ChatGPT avec 2,3 millions de visiteurs ces six derniers mois, loin devant Le Figaro (811 700) et BFMTV (295 700). À partir de là, les mêmes interrogations ressurgissent : quels modèles économiques adopter pour tenir ? Quelle place accorder à l’interface sans y laisser son autonomie ? Au fond, se pose la question de la confiance. Dans un espace unique, qui, comme toutes les plateformes, imposera ses formats, sa durée, ses frontières, comment croire à un contenu lissé, standardisé, mêlant articles, vidéos générées et éléments commerciaux sans hiérarchie visible ?

Au vu de la vitesse des annonces, impossible de proposer une réponse claire. Face à cette révolution technologique — prenant le tournant d’une révolution culturelle —, ne serait-ce pas le moment de dire stop ? C’est en tout cas l’avis de Michael Miller, président exécutif de News Corp Australasia : « Les Australiens sont invités à payer un prix déraisonnable pour la dernière innovation technologique : nos histoires, notre voix, notre culture et, en fin de compte, notre identité australienne. » Sans réelle solution, face à une machine désormais bien lancée .

Ironiquement, OpenAI — industriel du faux et in fine sapant la confiance de tous — semble avoir un remède en réserve (ou du moins un pansement) au virus qu’il a lui-même créé. Un peu comme un savant fou, son fondateur confectionne dans une autre start-up son projet “WORLD”, visant à scanner l’iris de tous les humains « pour prouver qu’ils sont bien humains sur internet ». Ainsi, et sans pouvoir en être certain, la stratégie d’OpenAI pourrait bien être celle-là : nous rendre dépendants, puis nous faire souscrire un abonnement à notre propre dépendance pour nous soigner.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • Le parquet de Paris ouvre une enquête sur Siri, l’assistant vocal d’Apple (Politico)
  • France Télévisions revendique 6,7 millions de spectateurs touchés par la diffusion de GP Explorer (Mind)
  • Les journalistes de « Télérama » votent la défiance contre la directrice du magazine (Les Echos)
  • Les “résumés par IA” de la recherche Google se déploient partout en Europe, sauf en France (Les Échos)
  • Un faux site d’information usurpe l’identité du « Monde » et de « Brut » (Le Monde)

3 CHIFFRES

  • Selon le Pew Research Center, 62 % des parents ayant un enfant de moins de 2 ans, déclarent que leur enfant regarde YouTube, soit une augmentation de 17 points depuis 2020. (Pew Research Center)
  • La recherche d’information devient le principal usage de l’IA, avec 24 % d’utilisation hebdomadaire, dépassant largement la création de contenu, selon le Reuters Institute. (Reuters Institute).
  • Selon une étude Altiant, 85% des HNWI (individus disposant d’au moins un million de dollars d’actifs liquides) utilise les réseaux sociaux chaque semaine pour s’informer. (Journal de luxe)

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

Les femmes sont représentées comme nettement plus jeunes que les hommes dans plus de 1,3 million d’images et des milliers de vidéos provenant de 7 sources en ligne

Source : Nature

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

  • Gaza, Ukraine : comment des anonymes aident les journalistes à vérifier les images de la guerre (INA)
  • Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web, veut désormais le sauver (The New Yorker)
  • Nous devrions tous être des luddites (Brookings)

L’intelligence artificielle n’est pas qu’une affaire de technologie ; c’est une histoire de personnes, de leurs choix, de ceux qui en tirent profit et des raisons pour lesquelles ils le font. Pour toutes ces raisons, les journalistes doivent comprendre et résister à la pression qui consiste à normaliser les récits d’entreprise sur « l’inévitabilité », en répétant des discours vagues sur l’innovation sans jamais interroger ses objectifs ni ses conséquences humainesCourtney C. Radsch

Un résumé des points clés à retenir de ce rapport qui analyse l’écosystème IA sous l’oeil de l’investisseur :

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • Des escrocs utilisent Sora pour créer de faux contenus vidéo et tromper les internautes (Axios)
  • Un cinquième des travailleurs américains utilisent désormais l’IA dans leur emploi, une forte hausse en un an (Pew Research Center)

DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

  • Des journalistes de Chicago poursuivent Donald Trump pour « brutalité extrême » lors de manifestations (Axios)
  • Maria Ressa plaide pour une reconstruction de la confiance dans la vérité et la démocratie (New York Times)
  • Trente tableaux de Bob Ross mis aux enchères pour soutenir la télévision publique après les coupes budgétaires (The Guardian)
  • Le directeur général d’Al Jazeera appelle à une meilleure protection des journalistes dans les zones de conflit (Al Jazeera)
  • Des organisations de presse dénoncent les nouvelles règles du Pentagone restreignant l’accès des médias (Reuters)
  • L’IA représente une menace existentielle pour la création d’une information crédible, selon Aroon Purie (India Today)
@tibomabu 🗳️🤖 Empêche l'IA d'hacker ton vote! 🏛️ C'est la Semaine de la démocratie à Genève. L'occasion de se demander comment l'intelligence artificielle peut être utilisée pour nous influencer… et comment s'en protéger. 🤔 Et toi, tu t'es déjà fait avoir par un faux contenu généré par IA? Cette vidéo a été réalisée avec le soutien du Département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP). #SemaineDémocratie2025 #IA #Genève ♬ original sound – tibomabu

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Un éventuel démantèlement de Google en matière de publicité suscite des débats complexes (Digiday)
  • La Commission européenne veut maintenir l’Europe en tête dans la recherche et l’industrie de l’IA (Commission européenne)
  • Meta et Apple proches d’un accord avec l’Union européenne pour régler leurs affaires en cours (Financial Times)

JOURNALISME

  • Bari Weiss et son média The Free Press s’allient à CBS News (New York Times)
  • Google favoriserait les grands groupes de presse mondiaux au détriment des médias locaux pour les informations urgentes (Press Gazette)
  • L’avenir du journalisme d’investigation pourrait reposer sur des reporters indépendants comme Pablo Torre (NiemanLab)
  • Des officiers de sécurité pour les journalistes désormais présents dans chaque force de police au Royaume-Uni (BBC)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • Facebook devient TikTok (The Verge)
  • Eliza McNitt repousse les frontières du cinéma avec Ancestra, un film généré par IA (CNN)
  • Google Japon revisite le passé avec un nouveau clavier « Gboard Dial Version » qui emprunte l’esthétique des téléphones à cadran (The Verge)

ENVIRONNEMENT

  • Malgré 9 milliards investis pour soutenir la demande énergétique liée à l’IA, des experts préviennent que les petits réacteurs nucléaires  américains pourraient être trop coûteux et risqués. (Financial Times)
  • Les attaques médiatiques et politiques contre les objectifs d’émissions de l’Australie sont « directement issues du manuel de l’obstruction climatique » (The Guardian)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Reddit est en train de gagner la partie de l’IA  (Columbia Journalism Review)
  • AOC dénonce une polarisation « algorithmique » alimentée par les réseaux sociaux (Business Insider)
  • Patreon franchit les 10 milliards de dollars versés aux créateurs (Axios)
  • Donald Trump utilise l’IA sur Truth Social pour attaquer ses adversaires et améliorer son image (NBC News)
  • La Chine réprime les utilisateurs des réseaux sociaux jugés « excessivement pessimistes » (New York Times)
  • Univision vante les louanges de Trump dans une publicité publiée sur Truth Social (Semafor)
  • Instagram fête ses 15 ans : découvrez les 10 publications les plus likées de tous les temps (Quartz)

STREAMING, OTT, SVOD

  • Les grands studios d’Hollywood et Bollywood plaident en Inde pour une protection accrue de leurs contenus face à l’IA (Reuters)
  • L’IAB Tech Lab dévoile un nouvel outil pour gérer les flux de streaming simultanés (Digiday)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • L’émergence de la radio communautaire à faible puissance comme réponse créative aux réductions de financement des médias publics (Columbia Journalism Review)
  • BBC Sounds Daily : audio personnalisé par l’IA pour voitures connectées (Future Media Hubs)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • Sora 2 fait face à un gouffre financier inquiétant (Futurism)
  • Un nouvel outil détecte le trafic de bots en temps réel pour renforcer la cybersécurité (Adweek)
  • Suite à des erreurs générées par l’IA, Deloitte doit rembourser le gouvernement australien, révélant ainsi les risques croissants liés à la dépendance de l’IA dans le secteur du conseil (Semafor)
  • Des outils pour supprimer les filigranes de Sora 2 se répandent sur le web (404media)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

  • La famille Rothschild cherche à vendre sa participation de 27 % dans The Economist (Axios)
  • Le gouvernement britannique prépare une réforme du financement de la BBC vers un modèle mixte (Broadband TV News)
  • The Free Press atteint une valorisation de 150 millions de dollars en cinq ans sur Substack (Press Gazette)
  • Un outil de relations publiques automatisé inonde les médias britanniques de contenus générés par IA (Press Gazette)
  • Les créateurs deviennent les nouveaux acteurs clés du secteur publicitaire, selon Advertising Week (Digiday)
  • OpenAI prépare des options de monétisation pour Sora afin de mieux protéger les ayants droit (Reuters)
  • The Economist dévoile son plan pour développer ses revenus dans un monde dominé par l’IA (Digiday)

Et une bonne nouvelle :

Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Loïc De Boisvilliers

Illustration : KB, Reprise d’une illustration du News Report 2025 de l’EBU : Leading Newsrooms in the Age of Generative AI

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