Liens vagabonds : le cinéma à l’ombre des marques

« Les célébrités font-elles la promotion de trop de marques ? Le passe-temps favori d’Hollywood pourrait avoir atteint un point de saturation », écrit The Cut. Dans un contexte où les studios réduisent leurs budgets et où les revenus du streaming fondent, les contrats publicitaires apparaissent comme une planche de salut dont on n’a désormais plus honte. (Comptons le nombre d’acteurs porte-manteaux). Les acteurs ne vivent plus aussi facilement de leur métier qu’autrefois. De nombreuses célébrités ont d’ailleurs rejoint les grèves hollywoodiennes pour protester contre la baisse des droits résiduels, fortement impactés par la domination des plateformes. Autrefois stables, ces revenus issus des rediffusions classiques se sont effondrés avec le streaming. 

Dans ce paysage fragilisé, les partenariats avec des marques offrent aux acteurs un revenu plus sûr. Les marques, en quête de visibilité, déroulent le tapis rouge aux visages bankables. En 2012, Brad Pitt touchait 7 millions de dollars pour incarner le parfum Chanel N°5. Une décennie plus tard, Timothée Chalamet aurait reçu 35 millions pour une campagne Chanel signée Martin Scorsese. En France aussi, le marché est florissant : « pour un post Instagram qui valorise leurs produits, certaines marques “beauté” n’hésitent pas à rémunérer une actrice connue entre 20 000 et 50 000 euros », explique l’agente Mégane Cuppari dans les colonnes de Télérama. Ces partenariats se sont professionnalisés : « Il y a vingt ans, c’était assez laconique : vous aviez le prix et la présence du talent à tel défilé ou tel événement », rappelle l’avocate spécialisée Floriane Guibert. « Aujourd’hui, les clauses abondent, spécifiant le nombre attendu de posts sur les réseaux, leur durée de vie et la nature des tags qui vont avec, le temps de présence à un événement. » 

Cette économie parallèle, estimée à 7,1 milliards de dollars, semble pourtant frôler ses limites. En 2024, seuls trois acteurs à plein temps, Zendaya, Anya Taylor-Joy et Jeremy Allen White,  figurent encore dans le top 10 des ambassadeurs de marques de mode, selon Launchmetrics. Avec le ralentissement mondial du luxe et l’instabilité à la tête des grandes maisons, The Cut reconnaît que « certains signes montrent que le boom des contrats d’ambassadeur touche à sa fin ».  « La célébrité ne suffit plus à vendre des sacs à main dont les prix ont récemment doublé », note le magazine.

La saturation ne touche pas uniquement les marques. Le public aussi se lasse d’être sans cesse traité en consommateur, même au cinéma. Les placements de produits ne se cantonnent plus à quelques plans discrets ou « courts-métrages » publicitaires : certaines marques produisent désormais directement les films. En 2023, Pedro Almodóvar sort Strange Way of Life, produit par Yves Saint Laurent. La marque intervient en tant que producteur associé et responsable des costumes, ce qui lui confère des droits sur le film, un pas de plus par rapport au simple sponsoring, qui n’accorde aucun pouvoir créatif. Saint Laurent devient même la première marque de luxe à fonder sa propre société de production.

Cette intrusion du luxe dans la création cinématographique n’est pas sans rappeler des précédents plus anciens : dans les années 1960, Catherine Deneuve devient l’icône d’Yves Saint Laurent, notamment à travers ses rôles dans Belle de jour de Luis Buñuel (1967), où les costumes du même couturier façonnaient autant le personnage que le récit. Ce fut le début d’une collaboration qui dura plus de quarante ans, au cinéma comme dans la vie publique, et qui fit de Deneuve l’incarnation même de l’élégance Saint Laurent. Mais ce qui relevait alors d’une relation privilégiée entre une actrice et un créateur prend aujourd’hui une dimension industrielle. Strange Way of Life est, selon certains critiques, « un film de chef décorateur » qui met « surtout en avant les impeccables costumes conçus par la grande maison de mode ». Les acteurs eux-mêmes se transforment en égéries, jusque dans les œuvres qu’ils incarnent.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • Daniel Kretinsky élargit sa participation dans Louie Media (La Lettre)
  • Le groupe So Press rachète Francs Jeux, site d’info sur les coulisses du sport (Le Figaro)
  • Rachat du “Parisien” par Bolloré : les salariés ne désarment pas (Télérama)
  • Le prix Albert Londres sera remis à Beyrouth le 25 octobre (Le Monde)
  • Ciblés par une série d’attaques DDoS, Glitz Paris et Indigo Publications portent plainte (Next)
  • Médiamétrie lance l’Observatoire des Réseaux Sociaux (Médiametrie)
  • Les journalistes de Capital devront intervenir sur Europe 1 et CNews… ou partir (L’Informé)

3 CHIFFRES

  • YouTube déclare avoir versé 100 milliards de dollars au cours des quatre dernières années aux créateurs, artistes et entreprises médiatiques.
  • Donald Trump réclame 15 milliards de dollars au New York Times pour diffamation.
  • Entre 2020 et 2024, les femmes représentaient 27 % des professionnels impliqués dans la production de longs métrages européens, d’après l’Observatoire européen de l’audiovisuel.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

La plupart des gens utilisent ChatGPT pour des conseils pratiques

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

« Les célébrités font-elles la promotion de trop de marques ? Le passe-temps favori d’Hollywood pourrait avoir atteint un point de saturation. » (The Cut)

Que peuvent apprendre les éditeurs de presse des créateurs ?  (The Fix Media)


DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • La liberté de la presse mondiale connaît sa plus forte chute depuis 50 ans, selon un rapport (The Guardian)
  • Trump poursuit le New York Times en justice pour des articles remettant en question son succès (New York Times)

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION 

  • On estime que plus de 900 journalistes d’Amérique latine reconstruisent leur vie et leur emploi en exil (Latin American Journalism Review)
  • L’animateur Jimmy Kimmel privé d’antenne aux Etats-Unis par ABC, après des propos sur l’assassinat de Charlie Kirk (CNN)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Alexandra Bensamoun : « Les données humaines sont nécessaires aux performances des modèles d’IA » (Actu Juridique)

JOURNALISME

  • Les théories du complot de Charlie Kirk secouent les médias pro-MAGA (The Bulwark)
  • Channel 4 va marquer la visite de Trump au Royaume-Uni avec « la plus longue séquence ininterrompue de contre-vérités » (The Guardian)
  • The Guardian annonce une année record pour les revenus issus des abonnements numériques (Press Gazette)
  • L’assassinat de Charlie Kirk déclenche un renforcement de la sécurité chez Fox News, CNN et les podcasteurs politiques : “Le climat semble plus dangereux que jamais” (Variety)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • Les adaptations télévisées de jeux vidéo créent des millions de nouveaux joueurs (The Hollywood Reporter)
  • YouTube peut-il faire du livestreaming son prochain grand succès ? (New York Times)

ENVIRONNEMENT

  • Les fictions françaises encore trop légères avec l’écologie : les scénaristes en quête du bon ton (Télérama)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Google remanie la page Discover pour afficher du contenu de créateurs (Techcrunch)
  • YouTube annonce une gamme élargie d’outils pour les créateurs dans sa dernière offensive en matière d’IA (NBC News)
  • TikTok retire des articles antisémites de sa boutique (Axios)

STREAMING, OTT, SVOD 

  • L’industrie de la télévision parie que l’IA peut détourner les dépenses publicitaires des géants de la tech (Wall Street Journal)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • La génération Z trouve que les iPods sont à nouveau cool (Sherwood)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • Reddit cherche à conclure un nouvel accord sur le contenu lié à l’IA avec Google et OpenAI (Bloomberg)
  • Des studios hollywoodiens poursuivent en justice un géant chinois de l’IA (Axios)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

Par Kati Bremme et Alexandra Klinnik

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