La figure de proue du « monde libre » s’assombrit. Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump mène une véritable guerre d’usure contre les médias américains. Pressions, intimidations, répressions : la liberté d’expression, si chère au président, n’a jamais connu de telles entraves « depuis l’époque McCarthy », précise Jonathan Hafetz.

L’index de RSF, après une brève embellie sous Biden, replonge : les États-Unis dégringolent à la 57ᵉ place du classement de la liberté de la presse, soit deux rangs de moins qu’en 2024. Déjà sous son premier mandat, les journalistes étaient accusés de “Fake News” ou d’“ennemis du peuple”. Trump pousse désormais la rhétorique plus loin, les assimilant à des « terroristes », rappelle le Columbia Journalism Review. Une menace supplémentaire dans un pays déjà fracturé, où tout semble bon pour museler la presse américaine et internationale.

Dernière entrave en date : d’importantes restrictions imposées aux journalistes. En signe de protestation, plusieurs rédactions ont quitté les lieux d’une seule voix. ABC News, CBS News, CNN et même Fox News ont mis fin à près de 60 ans de présence au sein du Pentagone, estimant ne plus pouvoir y exercer correctement leur travail. Une décision qui, selon eux, « menace les protections fondamentales du journalisme ». Tous ont été remplacés par une nouvelle génération de reporters bien plus dociles — et ouvertement favorables à Trump.

En bref, la recette parfaite pour copier les régimes autocratiques. Rares sont pourtant les médias à employer ce mot, sûrement par peur de représailles. Mais jusqu’où Trump ira-t-il ? Et surtout, quelles barrières restent encore debout pour protéger la liberté de la presse ?

Contrôler à tous les niveaux

Le secteur des médias américain est en plein bouleversement : les anciens milliardaires de la presse cohabitent avec de nouveaux venus en quête de pouvoir. L’écosystème, désormais contrôlé par une jet-set souvent ouverte au trumpisme, les distille à travers leurs médias.

L’annulation des Late Shows de Stephen Colbert ou de Jimmy Kimmel envoie un message limpide : peu importe les audiences, personne n’est à l’abri. Plaire à Trump semble être une priorité, quitte à en payer le prix économique.

Cette logique de contrôle de la sphère médiatique, Trump la pousse à son paroxysme, avec les coupes budgétaires de juillet dernier pour la télévision nationale américaine (NPR et PBS) — une idée néanmoins pas si nouvelle dans le camp républicain. Comme le rappelle Rusty Foster sur Al Jazeera : « Ce sont des médias indépendants qui entrent en concurrence avec les géants privés, et ceux-là, ils ne les contrôlent pas. »

Les conséquences sont nombreuses, surtout pour les publics vivant dans des zones où la presse privée n’est pas rentable. Pour eux, c’est un nouveau pas vers l’isolement informationnel.

“Delete, Delete, Delete”

Parmi les moyens de pression, Trump mène également une véritable stratégie de bataille judiciaire à l’encontre des médias privés. Comme le rappelle le U.S. Press Freedom Tracker, depuis le début de son mandat, trois plaintes ont été déposées afin de faire pression sur ceux qui osent encore le critiquer.

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À ses côtés, Brendan Carr, le gendarme des médias et des télécommunications américains, apparaît comme un allié fidèle. Connu pour avoir contribué à retirer Jimmy Kimmel de l’antenne après ses propos sur Charlie Kirk, il défend aujourd’hui une dérégulation totale du marché de la télévision, menaçant au passage le journalisme local et de proximité. Une orientation qui, selon le Columbia Journalism Review, ouvre la voie à Trump et aux grands groupes audiovisuels pour contrôler les ondes.

La justice, comme seul allié des médias ?

La plupart de ces attaques figuraient déjà dans le Project 2025, rédigé par la Heritage Foundation, auquel Brendan Carr a contribué. Selon le site “Project 2025 Tracker”, le président américain a déjà mis en œuvre, en neuf mois, près de 48 % des mesures prévues.

Parmi celles-ci, le démantèlement de l’USAGM (l’agence américaine des médias publics) et l’arrêt, en mars dernier, des radios publiques comme Voice of America. La Revue des médias de l’INA est revenue sur la contre-offensive judiciaire menée par le juge fédéral Royce C. Dans son dernier jugement, il a réussi à suspendre temporairement le démantèlement et à intervenir en faveur de Voice of America.

Mais le constat reste sans appel : le journalisme américain vacille face à un pouvoir et à ses alliés qui mobilisent tous les outils à leur disposition pour s’assurer un contrôle total du narratif public.

@perezbrenna 10/07 Oops! Little Stephen Miller claims President has “Plenary” power over the military. And then freezes. #news #breakingnews #funny #explained #storytime ♬ original sound – Brenna Pérez

Un enjeu qui dépasse largement le monde des médias : depuis l’acquisition de TikTok par les États-Unis, nul ne sait quel degré d’influence Donald Trump et son entourage exerceront sur les algorithmes d’une plateforme où près d’un Américain sur cinq s’informe désormais régulièrement.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

• Contre les procès bâillons de Bolloré et consorts, les médias indépendants s’organisent (Nouvel Obs)
• « Que chacun fasse un effort » : la niche fiscale des journalistes rabotée (Le Parisien)
• “Désinformation climatique” : les médias français peuvent mieux faire (Télérama)

• Game One, la chaîne spécialisée dans les jeux vidéo, va fermer en décembre (Le Monde)
• La SACD et l’ADAGP signent pour la première fois un accord avec Warner Bros. Discovery à propos de HBO Max (SACD)
• Nouvelles Écoutes mais vieilles ficelles : le grand écart du roi du podcast engagé (l’Informé)
• « L’accord entre Mistral et l’AFP implique des risques de cannibalisation et de concurrence déloyale » (JDN)

3 CHIFFRES

• Selon trois ONG, 529 informations erronées sur le climat sur 18 chaînes de télévision et de radio publiques et privées françaises lors des huit premiers mois de l’année

• 64 % estiment que l’IA “surhumaine” ne devrait pas être développée tant qu’elle n’a pas été jugée sûre ou maîtrisable, voire qu’elle ne devrait jamais être créée, d’après le Statement on Superintelligence
• Plus de 1 200 journalistes spécialisés dans les jeux vidéo ont quitté les médias au cours des deux dernières années d’après Video Game News

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

45% des réponses sur les actualités dans les chatbots comportent une erreur

Source : UER/BBC

NOS MEILLEURES LECTURES / LONG READS

• Pour les jeunes créateurs d’aujourd’hui, c’est le chaos qui règne (The Hollywood Reporter)

• Pourquoi personne ne fait confiance aux médias ? (Harper’s Magazine)

• Nos relations se diluent dans la saturation constante de nos vies connectées (The Atlantic)

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

• Une australienne obtient le droit de travailler à domicile tous les jours dans une affaire historique (The Independent)

• « Leur histoire est simplement effacée » : Google abandonne un programme clé visant à promouvoir les femmes dans la tech (CNN)

DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

• Comment les lois anti-cybercriminalité au Nigéria, en Jordanie ou au Pakistant sont utilisées comme arme pour réprimer le journalisme ? (CJR)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

• L’Inde propose des règles strictes pour étiqueter les contenus générés par l’IA, invoquant des risques croissants (Reuters)
• Amnesty International dénonce les manquements de TikTok aux lois européennes et saisit l’Arcom (Le Figaro)

JOURNALISME 

• Comment les Américains se souviendront-ils de la guerre à Gaza ? (The New Yorker)

• Charles M. Blow dénonce la disparition des journaux locaux, essentielle au lien social et à la cohésion des communautés (CBS)

• Le Pentagone annonce un nouveau corps de presse d’extrême droite après une défection massive (Washington Post)

Today, the Department of War is announcing the next generation of the Pentagon press corps.

We are excited to announce over 60 journalists, representing a broad spectrum of new media outlets and independent journalists, have signed the Pentagon’s media access policy and will be…

— Sean Parnell (@SeanParnellASW) October 22, 2025

• L’interdiction des publicités politiques en Europe par Meta inquiète les rédactions (CJR)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

• Le New York Times lance un onglet « Watch » inspiré de TikTok (Adweek)

ENVIRONNEMENT

• Chez Sud Radio, une fausse information est prononcée toutes les 40 minutes d’émission consacrée au climat (Vert)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

• Nous avons téléchargé une vidéo truquée sur 8 applications sociales. Une seule a informé les utilisateurs qu’elle n’était pas réelle (Washington Post)

• YouTube va vous aider à arrêter de regarder les Shorts (The Verge)

• Sur Substack, les personnalités des journaux télévisés trouvent une deuxième  et réussie carrière (yahoo)

• Le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a été sommé de témoigner dans un procès historique aux États-Unis concernant l’impact des réseaux sociaux sur les jeunes (BBC)
• Reddit attaque Perplexity et trois autres sociétés pour vol de données « à l’échelle industrielle » (AP)
• X propose aux journalistes une nouvelle fonctionnalité destinée à augmenter la portée des liens (NiemanLab)

If you’re a writer or journalist who left X in the last couple years, coming back could be the biggest arbitrage opportunity of your career. https://t.co/T0RQZWxNNG

— Nikita Bier (@nikitabier) October 19, 2025

STREAMING, OTT, SVOD

• Warner Bros Discovery envisage une vente alors que des acheteurs potentiels manifestent leur intérêt (The Guardian)

• Netflix est-il un ami ou un ennemi de l’IA ? (The Hollywood Reporter)

• Netflix « mise tout » sur l’exploitation de l’IA alors que la technologie s’infiltre dans l’industrie du divertissement (CNBC)

AUDIO, PODCAST, BORNES

• Le podcast d’interviews de Léna Situation passe de Spotify à Disney+ et se rebaptise «Couch» (Le Figaro)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

• Une étude révèle que Sora 2 d’OpenAI est capable de créer des deepfakes convaincants à la demande (decrypt)

• Pendant les fêtes, de plus en plus de consommateurs utiliseront des chatbots pour choisir leurs achats, marquant l’essor du Générative Engine Optimization (GEO) (Wired)

• Le tout premier présentateur IA de Channel 4 suscite un malaise profond à bien des niveaux (The Guardian)

• OpenAI a lancé hier son navigateur ChatGPT Atlas, qui entend détrôner Google Chrome (OpenAI)

• Les autorités néerlandaises demandent à leurs citoyens de ne pas solliciter l’IA pour des conseils sur la manière de voter (Aljazeera)

• Wikipedia affirme que l’IA entraîne un déclin dangereux des internautes (404Media)

• Steve Bannon et Meghan Markle figurent parmi 800 personnalités publiques appelant à une interdiction de la « superintelligence » en matière d’IA (FT)

• Meta serait en train de licencier des centaines de personnes dans son équipe d’IA (Gizmodo)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

• Netflix annonce le meilleur trimestre de ventes publicitaires de son histoire (Adweek)

• Les recettes publicitaires de LinkedIn devraient atteindre 8,2 milliards de dollars en 2025, en hausse de 18,3% (MediaPost)

Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et  Loïc De Boisvilliers