Méta-talk #2 : « Bienvenue en Post-réalité »

Sommes-nous tous en train de perdre pied avec la réalité ? Voilà la grande question abordée dans ce deuxième Méta-Talk, l’émission de décryptage de l’information de Méta-Media, diffusée sur YouTube et toutes les plateformes de podcast.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ne se contente plus de nous assister : elle brouille les repères. Ce que l’on regarde, lit ou partage peut être vrai, peut être faux… ou flotter quelque part entre les deux. Résultat : plusieurs versions du monde s’opposent, et notre perception du réel se fissure. En prime, un nouveau réflexe se met en place : se méfier par défaut. En 2016, la « Post-vérité » désignait un monde où l’émotion dominait l’information. Et maintenant ? Ne serions-nous pas déjà dans l’ère de la Post-réalité ? Un univers où le réel et l’artificiel se mélangent chaque jour un peu plus, où l’adage « Ne crois pas tout ce que tu vois sur Internet » n’a jamais sonné aussi juste. Et cette transformation ne se limite pas au web ! Sur les plateaux de télévision, les récits sensationnalistes se bousculent tandis que les faits passent au second plan. Seuls 32 % des Français interrogés lors du dernier Baromètre Verian estiment que l’on peut faire confiance à ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité. Alors, comment capter le réel dans ce « Truman Show » ?

Pour y voir plus clair, Alexandra Klinnik, journaliste pour Méta-Media, a reçu des observateurs de ces bouleversements : Apolline Guillot, philosophe et rédactrice en chef chez Philonomist, Fabrice Arfi, co-responsable du pôle Enquête chez Médiapart, etThibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans Frontières. Rédaction en chef : Kati Bremme

I) Pourquoi parle-t-on de post-Réalité ? 

À l’ère de l’IA générative, le doute est devenu la norme. L’internaute évolue dans un brouillard informationnel permanent, submergé par un flux ininterrompu de contenus, souvent anxiogènes, disponibles 24 heures sur 24. 

1️⃣ La nécessité de documenter le réel : « Je crois que c’est Orwell qui disait que le réel n’existe que dans nos têtes (…) On est peut-être dans un moment où on ne voit que ce que l’on croit désormais. Et c’est pour ça que le journalisme est d’autant plus requis parce que la seule manière de mon point de vue de documenter le réel, c’est de mettre comme dans les pièces d’un puzzle, des faits, des faits vérifiés et d’intérêt général. Et ça, il y a des métiers pour le faire. C’est la fabrication du savoir et le journalisme en fait partie. »- Fabrice Arfi

2️⃣ Établir les faits pour dialoguer : « Le journalisme, c’est un effort pour tendre vers des réalités factuelles. Et ce qui est attendu en responsabilité des journalistes, c’est d’établir des vérités de faits qui d’ailleurs, peuvent faire l’objet d’une contestation au tribunal, etc. Mais la responsabilité première, c’est établir les faits. Et si on n’a plus cette base, effectivement, la concorde citoyenne n’est plus possible. On ne peut plus discuter. On ne peut plus dialoguer. »- Thibaut Bruttin

3️⃣ Le déni du réel : « Le réel commence là où on tolère l’inconfort (…) Le réel, comme le disait Lacan, c’est quand on se cogne, c’est quand il y a de l’adversité, par exemple, quelqu’un qui va s’opposer à nous, il y aura de la friction, il y aura des débats et on va devoir justifier de ses opinions, de ces croyances (…) Notre intolérance au réel, c’est aussi une intolérance à tout ce qui nous fait mal à tout ce qui nous menace dans nos croyances. » – Apolline Guillot

II) Le triomphe des opinions face aux faits ?

Alors que le pouvoir du journalisme est de révéler des informations d’intérêt public, l’IA produit et déforme l’information à partir de données existantes. C’est pourquoi, les journalistes ont encore une carte à jouer à condition de transformer leurs pratiques. Aujourd’hui, entre polémiques, titres sensationnalistes, faits partiels ou approximatifs : c’est la liberté d’information qui est menacée. Assiste-t-on au triomphe de l’opinion face aux faits ?  

1️⃣ Un désintérêt médiatique pour la vérité : « C’est un moment chimiquement pur d’une faillite médiatique. Mais j’insiste, la faillite médiatique de la télévision. Il y a eu un procès historique, jamais un ancien président de la République et des anciens ministres ont été accusés d’avoir été stipendié par une dictature effroyable […]. Et pourtant, pas une seule télé en France n’a suivi l’intégralité des débats, pas une seule. » – Fabrice Arfi 

2️⃣ Le plaisir de s’informer : « Je pense qu’on oublie le plaisir qu’on peut avoir à prendre le temps de ruminer de l’information, de s’approprier des concepts, de confronter les opinions, c’est aussi un plaisir, une satisfaction. » – Apolline Guillot 

3️⃣  Médias : moins de leçons, plus d’écoute : « On n’écoute pas les citoyens. Les patrons de presse continuent de dire : « On ne nous aime pas. Nous faisons notre boulot. » Écoutons ce que les sondages montrent. Le sondage de La Croix n’a rien de paradoxal : chaque année, il vient mesurer l’opinion des Français. Les citoyens veulent un cycle de l’information plus doux, que l’on distingue le principal de l’accessoire ; ils en ont assez qu’on leur donne des leçons sur ce qu’il faut penser. Transformons les médias. »  – Thibaut Bruttin

III) Les solutions pour remettre les pieds sur terre

Lapins bondissant sur un trampoline, séquences « satisfying » ces petits moments visuels étrangement plaisants : ces distractions côtoient sans transition les actualités des conflits géopolitiques les plus graves, les violences sociales, la crise climatique et bien d’autres réalités tout aussi pesantes.

Or notre cerveau n’est pas conçu pour absorber un tel déluge. Quelles solutions pour faire le tri dans cet hypermarché médiatique totalement dérégulé, où tout semble se valoir ? 

1️⃣ Garantir l’accès à l’information fiable : « On pourrait tout à fait imaginer une obligation de présentation de sources d’information fiables et (…) l’obligation de disposer d’espaces clairement identifiés où circule de l’information fiable. Cette information fiable ne serait pas définie par les États, mais par la profession elle-même. » – Thibaut Bruttin

2️⃣ Un appel pour le droit au paramétrage : « Il y a beaucoup de travaux en ce moment sur le droit au paramétrage : une manière de signaler à une application ce que l’on souhaite faire. Dire : « Là, je suis ici pour me divertir ; là, j’ai envie de m’informer », et pouvoir poser une intention sur son activité. Un droit au paramétrage qui favorise l’agentivité et nous rappelle que nous sommes en contrôle. » – Apolline Guillot

3️⃣ Se rappeler que le journalisme est un contre-pouvoir : « On parle d’Emmanuel Macron qui, au moment de l’affaire Benalla et des révélations d’Ariane Chemin dans Le Monde, avait dit que nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité. Or, précisément, ce que la presse avait révélé, c’est ce que l’Élysée a voulu cacher. Raison pour laquelle on ne peut pas faire confiance, par nature, à un gouvernement pour être celui qui doit nous dire ce qui est bon ou pas pour la presse. Pour la raison fondamentale et existentielle que nous sommes un contre-pouvoir. » – Fabrice Arfi

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