Ofcom : Les enfants passent jusqu’à huit heures par jour sur les réseaux sociaux

La dernière décennie a été marquée par une évolution fulgurante des technologies et des médias, transformant radicalement la manière dont les jeunes interagissent avec le monde numérique. L’étude « Children’s Media Lives« , menée depuis dix ans par Ofcom, a scruté ces changements, offrant un aperçu détaillé de l’impact des médias sur le comportement et le développement des enfants. Cette analyse explore comment les médias numériques, devenus omniprésents, façonnent les expériences de vie des jeunes générations, en mettant l’accent sur les défis (et les opportunités) qu’ils représentent pour leur croissance.

Lancée en 2004, « l’année des selfies », l’étude de l’Ofcom a vu évoluer l’usage des réseaux sociaux. Les enfants âgés de 5 à 7 ans sont de plus en plus présents en ligne – un tiers utilise les médias sociaux sans supervision, et un nombre croissant possède des profils personnels. Un quart des 5-7 ans possède un smartphone, et la moitié des enfants de moins de 13 ans est sur des réseaux sociaux, malgré l’exigence d’âge minimum.

Comparé à l’année dernière, une proportion plus élevée d’enfants de 5 à 7 ans sont en ligne pour envoyer des messages ou passer des appels vocaux/vidéo (de 59 % à 65 %) ou pour regarder du contenu en streaming en direct (de 39 % à 50 %). De même, l’utilisation globale des réseaux sociaux ou des applications parmi tous les enfants de 5 à 7 ans a augmenté d’une année sur l’autre (de 30 % à 38 %), avec WhatsApp (de 29 % à 37 %), TikTok (de 25 % à 30 %), Instagram (de 14 % à 22 %) et Discord (de 2 % à 4 %) enregistrant une croissance particulière chez ce groupe d’âge. Les jeux en ligne chez les enfants de 5 à 7 ans ont également connu une augmentation annuelle significative – 41 %, contre 34 % auparavant – avec plus d’enfants de cet âge jouant à des jeux de tir qu’auparavant (15 %, contre 10 %).

L’ère de TikTok : Vers une consommation média individualisée, omniprésente et de plus en plus rapide

Au lancement de l’étude en 2014, l’accès aux smartphones était considéré comme un passage à l’âge adolescent, généralement autour de 13 ans. Les enfants de cette époque utilisaient principalement leurs téléphones sous des contrats prépayés, limitant ainsi leur accès aux médias numériques. Par contraste, en 2024, TikTok règne en maître sur le paysage médiatique des jeunes, avec une acquisition de smartphones dès l’âge de 9 ou 10 ans. Les enfants passent aujourd’hui entre six à huit heures quotidiennes sur les médias sociaux, un chiffre qui reflète une transition profonde de la consommation média de groupe vers une expérience plus solitaire et individualisée. Les vidéos stimulantes et de courte durée, avec des montages rapides et saccadés, mettant en scène des personnages bruyants, dramatiques et exagérés, captivent de plus en plus l’attention des enfants. Les vidéos en écran divisé – et maintenant en triple écran dans certains cas – restent une caractéristique de leur régime visuel. L’Ofcom a également observé plusieurs enfants utilisant la fonction « avance rapide » de TikTok pour parcourir rapidement les vidéos à double vitesse.


Capture d’écran de la vidéo du créateur de contenu MrBeast, « J’ai donné 1 000 000 $ aux gens mais ils ont seulement 1 minute pour le dépenser…

Professionnalisation et commercialisation du contenu

Une transition vers des médias sociaux de moins en moins interactifs est notable. Si auparavant, les plates-formes étaient des espaces d’échange et de partage, elles sont désormais dominées par des contenus visuels professionnels et commerciaux. Les vidéos, en particulier, ont subi une métamorphose, devenant plus courtes, plus rapides et visuellement plus stimulantes pour capter l’attention des jeunes. Ce phénomène est exacerbé par des algorithmes qui personnalisent l’expérience utilisateur, maximisant l’engagement mais minimisant les interactions réelles. Les enfants âgés de 8 à 17 ans qui utilisent les médias sociaux sont significativement plus susceptibles de le faire passivement en « aimant » ou « suivant » d’autres comptes (44 %), plutôt que d’être des utilisateurs actifs qui partagent, commentent ou publient du contenu (28 %). Les participants à l’étude qualitative qui partageaient du contenu qu’ils avaient créé avaient tendance à le faire de manière stratégique – par exemple, en ne partageant que temporairement des publications dans leurs stories, ou parmi un cercle sélectionné et restreint d’amis sur des comptes de médias sociaux privés.

Répercussions sur le développement social et personnel, les filles plus exposées

L’influence des médias sociaux sur les interactions sociales est complexe. Bien que des plateformes comme Roblox offrent des opportunités de jeu et d’interaction, elles ne remplacent pas les interactions en personne, essentielles au développement social des enfants. Les formats populaires et intimistes comme les vidéos ASMR (surtout chez les filles) créent une fausse intimité qui apaise temporairement mais ne comble pas véritablement les besoins relationnels. De plus, la consommation isolée de contenu peut contribuer à un sentiment de solitude et d’anxiété parmi les jeunes. La recherche suggère un décalage entre l’exposition des enfants plus âgés à des contenus potentiellement nuisibles en ligne et ce qu’ils partagent avec leurs parents concernant leurs expériences en ligne. Un tiers (32 %) des 8-17 ans déclarent avoir vu quelque chose d’inquiétant ou de désagréable en ligne au cours des 12 derniers mois, mais seulement 20 % des parents de ce groupe d’âge rapportent que leur enfant leur a dit avoir vu quelque chose en ligne qui les a effrayés ou bouleversés dans la même période. Il est important de noter que toutes les filles âgées de 8 à 17 ans sont plus susceptibles que les garçons du même âge de vivre des interactions désagréables ou blessantes en ligne, que ce soit via des messages texte ou des applications de messagerie (20 % contre 14 %) ou via les médias sociaux (18 % contre 13 %).

En quête de vérité et de confiance

Dans un monde saturé d’informations souvent non vérifiées, il est alarmant de constater que les enfants peinent à discerner le vrai du faux. Ils expriment une conscience croissante des biais potentiels des contenus en ligne et commencent à chercher activement des perspectives alternatives. Cependant, cette quête de vérité est entravée par un manque de compétences en littératie médiatique, qui est crucial pour naviguer efficacement dans l’environnement numérique moderne. Selon l’étude, les adolescents plus âgés ont plus de difficulté à distinguer le vrai du faux en ligne. Les enfants âgés de 16 à 17 ans sont moins confiants dans leur capacité à distinguer le vrai du faux en ligne que l’année dernière (75 % contre 82 %).

Les cadres de référence des enfants – comment ils pensent le monde et leur place en son sein – sont de plus en plus influencés par ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux. La plupart des enfants ne recherchent pas activement les actualités – bien que certains d’entre eux en voient des extraits de manière incidente. Lorsqu’ils y sont confrontés, cela provient rarement d’une source d’actualités traditionnelle et prend souvent la forme de commentaires. Quand d’autres informations leur parviennent, c’est souvent par le biais d’influenceurs, présentés comme aspirants ou offrant des conseils sur la santé et l’amélioration de soi. Seul un petit nombre d’enfants sont conscients que certaines des informations qu’ils voient peuvent être partiales, mais ils ont du mal à déterminer ce qui est vrai. La plupart d’entre eux ne tiennent pas compte des motivations des créateurs de contenu et de la manière dont celles-ci peuvent façonner ce qu’ils publient…

Conclusion

Ces chiffres sont publiés à un moment où les preuves de l’impact de l’utilisation généralisée des médias sociaux chez les enfants continuent de croître. Le gouvernement américain a averti que les médias sociaux posent un « risque profond » pour la santé mentale et le bien-être des enfants et des adolescents, le nombre d’enfants et d’adolescents souffrant de dépression et d’anxiété ayant augmenté de près de 30 % ces dernières années, un phénomène décrit par l’universitaire américain Jonathan Haidt dans son livre « The Anxious Generation ». L’Ofcom s’apprête à rassembler un ensemble de propositions pour compléter l’Online Safety Act, visant à garantir une meilleure protection des enfants en ligne, et prépare une consultation supplémentaire plus tard cette année sur la manière dont les outils automatisés, y compris l’IA, peuvent être utilisés pour détecter de manière proactive le contenu illégal et le contenu le plus nuisible aux enfants. La consultation inclura une proposition visant à interdire la vente de téléphones portables aux moins de 16 ans, une autre pour faciliter la mise en place de contrôles parentaux sur les appareils, et une troisième pour relever l’âge minimum pour les sites de médias sociaux jusqu’à 16 ans. Des démarches plus importantes que jamais, face à l’augmentation significative de l’utilisation des réseaux sociaux chez les plus jeunes. Une bonne nouvelle révélée dans l’étude : trois quarts des parents d’enfants de 5-7 ans échangent avec leurs enfants au sujet de leur sécurité en ligne…

Illustration : Photo bruce mars sur Unsplash

NAMS 2024 : IA, comment dompter la bête ?

L’IA sous un angle éditorial est rafraîchissante après l’effervescence des célébrations technologiques. NAMS, le Nordic AI in Media Summit, est exceptionnel à plus d’un égard : tout d’abord, parce que c’est un événement qui réunit les utilisateurs aguerris de l’IA dans les rédactions nordiques et les meilleurs experts médias et académiques du monde : On y croise David Caswell, Agnes Stenbom, Ezra Eeman, Natali Helberger, Jeff Jarvis, Nicholas Diakopoulos, Melissa Heikkilä, pour n’en nommer que quelques-uns. Puis c’est un endroit d’échange d’expériences concrètes au sein d’une communauté un peu en avance sur le reste du monde.

Kati Bremme, Directrice Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media  

Après une année 2023 ‘Waouh’, où il était difficile de distinguer le battage médiatique de la réalité, 2024 marque l’année de l’intégration concrète de l’IA dans les rédactions. La magie s’est quelque peu évaporée et laisse la place au pragmatisme. On passe des expérimentations à la productivité. On pourrait d’ailleurs regretter que l’intégration de l’IA dans la plupart des rédactions soit principalement motivée par la recherche d’efficacité plutôt que par le désir de stimuler la créativité. A l’avenir, nous devrions certainement étendre l’utilisation de l’IA au-delà de la simple efficacité accrue de ce que nous faisons déjà. Mais en attendant, il faut survivre.

D’un assistant de rédaction à l’outil pour proposer des formats pour les jeunes publics, les applications de l’IA dans les rédactions créent déjà de la valeur. Bien que l’ensemble des intervenants reconnaisse la difficulté actuelle de mesurer l’impact économique et le retour sur investissement, Nicholas Diakopoulos met en avant, à travers une enquête récente menée avec l’Associated Press, que 74 % des rédactions interrogées ont intégré l’intelligence artificielle à leurs processus.

Et comme aux débuts de la transformation numérique, c’est la presse écrite qui avance rapidement, en tout cas ici dans le Nord, devant le décor de Pressen, où autrefois au sous-sol résonna le  ronronnement des rotatives pour imprimer les journaux papier, disparues depuis. Un petit rappel de la nécessité d’adaptation face au changement. Pendant que les uns se figent en sidération face à l’appétit insatiable des big tech qui ont dévoré sans gêne les contenus produits par les médias pour entraîner leur mémoire, d’autres testent des solutions IA qui peuvent potentiellement sauver les rédactions de leur disparition.

Présentation de David Caswell 

Dans les cas d’usage concrets présentés au NAMS certains adoptent une approche holistique, tandis que d’autres répondent à un besoin spécifique (souvent selon les moyens disponibles dans les rédactions).

Les IA super-collaborateurs

Tore Rich, chef de produit pour l’IA générative chez l’éditeur danois JP/Politikens Hus, a présenté MAGNA, un chatbot multitâche fonctionnant sur Microsoft Azure. Développé avec les journalistes de ExtraBladet, MAGNA est une aide précieuse dans les tâches du quotidien avec 3 principaux groupes de fonctionnalités : « Ask the archive », basé sur la recherche sémantique pour proposer des sommaires, des rappels des faits et même faire une première ébauche d’un article ; un outil d’aide à la rédaction pour raccourcir un article, l’améliorer, proposer des contenus similaires ; et un support au Live avec une mise à jour automatique du sommaire et l’identification de sujets dans les commentaires, le tout toujours avec un humain dans la boucle. Les développeurs n’ont pas encore travaillé sur le process d’onboarding des journalistes, mais ont soumis une idée : commencez par quelques utilisateurs heureux qui feront passer l’information…

Un peu dans la même veine, Jody Doherty-Cove de Newsquest AI a présenté une interface qui propose à partir de notes (vérifiées) une première ébauche d’article. 3500 articles assistés par IA seraient publiés de cette façon chaque mois par 12 « journalistes IA » distribués dans tout le Royaume-Uni. Dans son portfolio, il y a le Berrow’s Worcester Journal, l’un des plus anciens journaux du monde, qui, en intégrant l’IA dans ses process, a réussi à dégager du temps que les journalistes passent désormais avec la communauté. Pour lui, l’IA est le bon outil au bon moment : à une époque où les éditeurs de contenu se retirent des algorithmes aléatoires des réseaux sociaux, l’IA pourra permettre davantage de découvrabilité (à condition de disposer des méta-données nécessaires).


Aftonbladet a formé 260 journalistes à l’art du prompt

Martin Schori et Elin Wieslander du journal suédois Aftonbladet ont présenté plusieurs façons dont ils adoptent l’IA, certaines très créatives. Au sein de leur AI Hub, une équipe de sept personnes issues de différents services de l’entreprise, travaille à temps plein pour explorer les solutions d’IA et former leurs collègues. Ici aussi, on a opté pour une solution d’interface intégrée, le « Buffet IA ». Celui-ci comprend un outil pour aider les journalistes à trouver des idées d’angle sur un sujet (un ‘brainstormer‘) un assistant pour optimiser le SEO, un assistant pour la relecture dans le style de Aftonbladet, et un outil « Assistant Jeunesse » pour créer des encadrés informatifs, des chronologies et d’autres formes de contenu qui sont populaires auprès des jeunes publics. Les plus plébiscités par la rédaction : justement, ce « fact-box », un résumé de faits contextualisé dans un article, la transcription / traduction, et l’aide au SEO.

‘L’Assistant Jeunesse’ de Aftonbladet

Comment ont-ils convaincu leur direction, sans le soutien de laquelle la meilleure stratégie IA reste peu utile ? Ils ont rappelé que l’avance de Aftonbladet lors de la transformation digitale provenait du fait qu’ils étaient parmi les premiers à équiper les journalistes avec des iPhones. Ils ont donc posé la question : « Voulez-vous rater cet instant iPhone ? ». Toutefois, un petit bémol subsiste : malgré une réelle attente de résultats, la technologie n’est pas encore au point pour tous les cas d’usage.

Une boîte à outils  

Aida Kokanovic de Danmarks Radio (DR) a décrit deux outils qu’elle a développés avec sa rédaction pour aider et démocratiser la recherche en Open Source. L’un d’eux est une « Machine à Chronologies » : un outil capable d’analyser de grandes quantités de documents pour la recherche de données dans des PDF, qui les segmente en conséquence, puis les classe dans l’ordre chronologique. Ces sections sont ensuite résumées en utilisant la technologie d’OpenAI. Il a entre autres servi dans le scandale du glissement de terrain chez Nordic Waste au Danemark pour analyser 16 430 pages de documents.

Une seconde solution, Nebula, aide les journalistes à générer des idées d’articles autour d’une certaine thématique, en suggérant des manières de développer différents angles, de définir des objectifs et des périmètres. Il offre également une aide pratique, en proposant des outils OSINT et en intégrant des tutoriels vidéo.

Un outil

Face aux IA multitâches, Lasse Funder Andersen, responsable IA à la DR, nous rappelle que parfois, on a juste besoin du bon outil pour la bonne tâche, comme un expert en lecture et en extraction de métadonnées. Cependant, l’entraînement n’était pas facile pour autant pour obtenir les résultats attendus avec l’agent pré-entraîné (le P de GPT) : malgré des centaines d’exemples et d’explications détaillées sur la tâche, l’article et la fonction, il est crucial d’être le plus précis possible pour éviter des réponses inadéquates comme ‘Certainly, here is some lovely metadata for you‘. C’est seulement après avoir intégré une approche basée sur un ensemble de règles, comme la règle stipulant que les citations doivent être placées entre guillemets, qu’il a atteint un taux de succès de 99 %. Sa conclusion : ‘Nous sommes satisfaits de notre modèle ‘Rain Man’ et espérons pouvoir indexer l’ensemble de nos archives. »

Des tâches spécifiques dans les petites rédactions

L’IA est une aubaine pour les rédactions avec peu de moyens, surtout quand elles sont en capacité de s’associer à des experts. Elles arrivent alors même à contourner des idées arrêtées sur l’incapacité des LLM à maîtriser les langues minoritaires. La preuve en est faite par Masaana Egede de Sermitsiaq, journal national du Groenland, et Lars Damgaard Nielsen de la startup technologique MediaCatch qui ont présenté un outil de traduction que les deux entreprises ont développé ensemble. La structure agglutinative de la langue groenlandaise (bien pire que l’allemand) est un challenge pour tout traducteur : nalunaarasuartaatilioqateeraliorfinnialikkersaatiginialikkersaatilillaranatagoorunarsuarrooq est composé de 92 lettres et signifie : « une fois de plus, ils ont essayé de construire une station de radio, mais apparemment elle n’est encore qu’à l’état de projet ».

Le projet a utilisé des articles déjà traduits par des journalistes de Sermitsiaq pour développer un nouvel outil de traduction de texte à texte qui propose une version plus précise du groenlandais au danois et vice versa. Il a été entraîné en appariant des phrases spécifiques en groenlandais et en danois tirées des articles pour inclure le contexte et a ensuite été évalué par des traducteurs humains. Cet outil de traduction est maintenant vendu dans le cadre d’un abonnement professionnel à Sermitsiaq, ce qui a permis de plus que doubler les abonnements numériques du média. Et l’avantage pour les journalistes : une tâche qui prenait 2 à 4 heures est désormais effectuée en 8 minutes. Un gain précieux pour une petite rédaction qui compte ses moyens.


Lily Mafi de Zamaneh Media

Le journal iranien en exil, Zamaneh Media, utilise aussi les LLM pour transcender les barrières linguistiques. Lily Mafi, directrice de la communication et éditrice, a présenté leur outil qui automatise la création de résumés en anglais à partir d’articles rédigés en persan, et qui sert également à automatiser une newsletter avec l’objectif de rendre accessible leurs contenus à un plus grand public. 

Sultan Suleimanov du journal russe Meduza, autre média en exil, a exprimé ses réserves sur les limites des LLM pour les contenus en langue russe et, pour des raisons évidentes, a en même temps écarté l’utilisation d’un LLM russe, même s’il était disponible. Il rêve d’un outil d’IA qui transformerait magiquement leurs articles longs en différents formats à destination de différents publics. Il a également averti que les armées de trolls russes, bien qu’elles n’aient pas besoin de l’IA, pourraient voir leur impact amplifié avec l’accès à l’IA générative : le gouvernement russe pourrait « utiliser l’existence de l’IA générative pour réduire l’existence de la vérité. » Pour l’instant, il reste plus terre à terre en concluant sa présentation avec la phrase « Une bonne IA est une IA ennuyeuse » !


Sultan Suleimanov du journal russe Meduza

L’importance de rendre accessibles des langues non maîtrisées par un public nordique a été démontrée par Ines Hamdan, journaliste chez Sydsvenskan, qui a exposé les méthodes de storytelling de AJ+ sur la Suède. Selon les récits diffusés par le média qatari, le passe-temps préféré des Suédois serait de « brûler le Coran le matin, kidnapper un enfant à midi et rêver de l’OTAN le soir ». En utilisant une méthode quelque peu artisanale consistant à copier des informations dans ChatGPT, puis en lui demandant un clustering par mots clés les plus utilisés, elle a réussi à révéler que la plupart des contenus sur la Suède provenaient en fait d’une agence de presse turque. 

Des recommandations plus intelligentes

Le data scientist Jacob Welander a présenté l’approche du groupe Schibsted en matière de recommandation de contenu et de personnalisation. Le projet Curate implique l’automatisation partielle des pages d’accueil pour certains titres du groupe, où les premières positions sont encore contrôlées manuellement tandis que les autres sont déterminées par le système automatisé. Welander a expliqué comment le système de recommandation de contenu a commencé avec des simples « rankers », des algorithmes qui prennent une liste d’articles et les notent selon leur pertinence, pour ensuite être personnalisé en ajoutant différents sujets d’actualité comme valeur de classement afin de répondre aux intérêts variés au-delà de la démographie dominante – c’est-à-dire ne pas suggérer plusieurs articles de sport à tous les utilisateurs simplement parce qu’un large segment d’audience aime les articles de sport (en l’occurrence, les hommes).


Jacob Welander, Schibsted

C’est grâce au filtrage collaboratif, un processus qui relie les dimensions utilisateur et contenu, que les résultats ont gagné en pertinence. Ce système apprend les préférences des utilisateurs et leur relation au contenu, sans se baser sur des étiquettes ou d’autres marquages. Fondé sur les intérêts passés et les interactions avec les articles, ce filtrage permet de recommander de nouveaux articles. La recommandation de contenu est déjà en place sur la plupart des sites de Schibsted, avec Aftenposten qui personnalise actuellement 66 des 80 emplacements de sa page d’accueil pour les abonnés. Cette stratégie offre plusieurs avantages : une meilleure distribution de contenu de niche et un engagement accru des lectrices, notamment celles âgées de 30 à 39 ans. Le prochain défi est la personnalisation pour les utilisateurs non connectés. 

3 générations de moteurs de recherche

Chez Podimo, l’IA facilite non seulement la découverte de podcasts d’archives, mais transforme également le moteur de recherche d’une simple machine de (non)découverte en un agent conversationnel. Après avoir appris à classer les podcasts et à exploiter la recherche sémantique, qui élimine le besoin de mots-clés précis, les équipes de Benjamin B. Biering travaillent désormais sur une découverte en conversation libre. Ce nouveau système, basé également sur un modèle pré-entraîné disponible sur Hugging Face, a triplé leur taux de conversion.

Doit-on instruire les LLM ?

Au sujet de la fâcheuse question des droits d’auteur deux mondes se sont affrontés : d’un côté, Natali Helberger, professeure à l’Université d’Amsterdam, qui est revenue sur le feuilleton de l’IA Act européen, qui n’adresse les questions du droit d’auteur que sous l’angle de la transparence.

De l’autre, le journaliste Jeff Jarvis, pour qui le concept du copyright est dépassé (cela lui rappelle d’ailleurs la bataille de la presse écrite contre l’arrivée de la radio) : « Nous nous lisons les uns les autres et apprenons les uns des autres. C’est ce que j’appelle une véritable panique morale. » Pour lui, « nous passons d’une ère de premières pages et d’une ère de recherche et de réseaux sociaux à une ère de requêtes. Les gens peuvent poser des questions. » Si « l’IA générative ne devrait pas être utilisée pour écrire des articles de presse. Point final », les articles de presse devraient au moins servir à rendre plus intelligente l’IA, surtout dans un pays comme les États-Unis où tout est protégé par le copyright : « Voulons-nous des LLM de plus en plus stupides et de plus en plus ignorants ? » La monnaie à négocier n’est pas l’entraînement des modèles avec nos contenus (celle-ci est déjà perdue), mais l’accès à une information de qualité.

Se pose alors la question du pacte faustien avec les géants de la tech : partager ou ne pas partager, et à quel prix ?


Présentation Ezra Eeman

Une transparence intelligente

Les recommandations de l’initiative Nordic AI Journalism (400 signataires essentiellement des Nordiques) sur la gestion de la Transparence, détaillées par Agnes Stenbom, Fondatrice & Directrice du IN/LAB, Schibsted, sont une excellente boussole pour toute rédaction à la recherche de bonnes pratiques :

Dans l’industrie médiatique suédoise, l’expression choisie pour parler de l’intelligence artificielle est « avec le support de l’IA », car elle évite l’implication que les humains sont inférieurs à la technologie, suggérée par « avec l’aide ». Contrairement à « ensemble avec », elle ne prête pas de conscience à l’IA, et elle offre plus de précision que l’emploi de « via ».

‘Reality Check’

Pour finir, quelques idée clés de la prise de hauteur par Ezra Eeman dans son Reality Check :

Une histoire de pouvoir

Felix M. Simon, Oxford Internet Institute, nous a rappelé que l’objectif des entreprises technologiques était/est de construire, conserver et étendre de plus grandes bases d’utilisateurs et de contrôler l’accès à celles-ci. Et dans sa keynote finale, Melissa Heikkilä, journaliste IA au MIT, a ajouté par la démonstration que l’IA est loin d’être neutre et que tout ceci est une histoire de pouvoir. La journaliste avait testé l’appli Lensa alimentée par Midjouney avec un résultat publié dans un article du magazine du Massachusetts Institute of Technology. Elle a lancé un avertissement cinglant : ne laissons pas les marchands de Silicon Valley nous pousser des Turcs mécaniques coûteux et truffés de biais…


Melissa Heikkilä, journaliste IA au MIT

Et parfois, les IA génératives sont encore un peu limitées. Tove Mylläri, AI Innovation Lead chez Yle, a remarqué que le script généré par l’IA pour leur émission humoristique Miki and Köppi était bien trop « gentil ». En revanche, Hikikomori, un long format qui a utilisé l’IA de Tortoise pour faire ressentir l’expérience, est devenu l’une de leurs histoires les plus lues. Il s’agit d’utiliser l’IA au bon moment et pour le bon usage.

A emporter

Ne perdez pas de temps à apprendre aux journalistes à prompter, donnez-leur des solutions intégrées dans leurs outils. Collaborez, échangez. Dans un monde rempli d’IA, quelle est exactement la fonction du journalisme et le rôle des journalistes ? Il faudra être moins « d’actualité » et plus « de service ». Elle va augmenter le rôle du journalisme, mais ne devrait pas essentiellement modifier ses valeurs. Nos efforts doivent être ancrés dans nos missions uniques et nos valeurs journalistiques fondamentales, mais nous devons réinventer les manières dont nous réalisons ces principes pour nous positionner stratégiquement dans un écosystème d’information propulsé par l’IA, qui sera fondamentalement différent du paysage actuel.

De quelles nouvelles compétences avons-nous besoin dans les rédactions ?

Kalle Kovacs, éditeur numérique au SR, a rappelé quelques bonnes pratiques du prompt, pour les rédactions qui n’ont pas la chance de disposer d’un outil sur mesure : parfois, il suffit de dire au bot de ne pas « inventer des faits ». Et il faut tout remettre en question, tout le temps…


Kalle Kovacs, éditeur numérique au SR, devant les réactions des journalistes de la SR

Pour ne pas basculer de l’utopie à la dyschronie et se retrouver piégés dans le labyrinthe magique du buzz étincelant de l’IA générative, il faut tester, co-construire des outils avec les rédactions, et toujours se poser la question de la valeur ajoutée pour les publics. Dans quelques années, aura-t-on encore besoin de labéliser les contenus créés avec l’IA ou cela reviendrait-il au même que si l’on disait aujourd’hui « Cet article a été rédigé avec le support d’Internet ? » Pour Ezra Eeman, les IA génératives sont ni des machines à vérité, ni des machines à créativité. Nous devons exploiter l’IA pour enrichir et transformer nos offres d’information. Demain, on aura peut-être des agents IA qui nous recommanderont les infos sous forme liquide et prédigérée. Mais n’oublions pas que l’Internet n’est pas une technologie, mais un réseau d’humains, rappelle justement Jeff Jarvis. Pour l’IA c’est un peu le même enjeu : nous devons arrêter de la considérer sous l’angle technologique. Car des humains, il en faut encore pléthore pour l’IA. L’IA est magique, mais surtout humaine. Démonstration faite lors de ces deux jours profondément inspirants à Copenhague, et dans le making of de la vidéo Sora Air Head de la boîte shy kids ci-dessous :

 

Illustration de l’article : image générée par IA, capture de la présentation de Lasse Funder Andersen, responsable IA à la DR

SXSW2024 : L’IA, la nouvelle culture de masse

SXSW s’est ouvert cette année en pleine Journée Internationale de la Femme (ou des droits des femmes, selon le degré d’avancement de la lutte). La foule bigarrée dans les rues d’Austin, ville texane réputée pour ses tacos, son université et sa créativité (avec son slogan « Keep Austin weird ») s’est rassemblée dans un festival unique au monde qui combine musique, cinéma, digital… et, cette année, l’incontournable Intelligence Artificielle. En plein #Kategate, SXSW a aussi vu s’inaugurer une nouvelle époque où l’on se pose désormais continuellement la question des limites du réel.

Kati Bremme, Directrice de l’Innovation, Rédactrice en chef Méta-Media, de retour de SXSW

A un moment de l’histoire où les entreprises adoptent l’IA plus rapidement qu’elles n’ont adopté Internet, les optimistes (Ray Kurzweil) s’opposent aux pessimistes, avec un nouveau rapport commandé par le Département de l’Etat des Etats-Unis qui alerte que « l’IA pourrait représenter une menace de niveau d’extinction pour les humains ». A SXSW, la vision européenne de la réglementation rencontre l’incompréhension totale des industriels (et des journalistes) américains, le monde du cinéma est inquiet face à une IA potentiellement auto-créative, l’industrie du gaming pourrait bientôt connaître la prochaine vague de grèves et ce festival, qui a lancé Twitter en 2006, met aujourd’hui en avant les dangers, voire la fin des réseaux sociaux : « Social Media is Dead, Long Live Culture Media ».

Supercycle technologique, singularité et pizza  

SXSW est aussi le moment d’essayer de comprendre les tendances de demain : des plus bizarres, comme les médicaments pour perdre du poids (MIT) aux plus évidentes comme l’Intelligence Artificielle Générale, en passant par les non-évidentes, mises en avant par Rohit Bhargava, y compris des morceaux de musique imprimés sur des morceaux de pizza. Le dilemme avec l’IA aux Etats-Unis commence avec une question d’ordre grammatical : quel pronom attribuer à l’IA ? She / It / He / They ? On les a tous entendus à SXSW.

Amy Webb a bien-sûr présenté ses Tech Trends, qui mettaient cette année l’accent sur un nouveau supercycle technologique (notre analyse complète ici). Elle a détaillé trois principales tendances, tirées des 1000 pages du rapport du Future Today Institute, qui regroupe à la fois nouvelles technologies et industries : L’IA, devenue technologie à usage général au même titre que l’électricité, la machine à vapeur ou Internet, l’écosystème connecté des objets et la biotechnologie.


MIT, 10 Breakthrough Trends

Elizabeth Bramson-Boudreau, directrice et éditrice du MIT Technology Review, a, de son côté, fait une liste de dix tendances de rupture. Mais avant d’annoncer des influences qui vont des pompes à chaleur au médicaments pour la perte de poids (#Ozempic), elle a alerté sur le danger que court le secteur du journalisme scientifique face à des médias en perte de revenus publicitaires: National Geographic est en fermeture progressive, Wired a licencié 20% des journalistes, dont 100% de l’équipe scientifique, CNN a fait de même avec ses reporters tech. Tout le secteur est à un « niveau d’extinction ».  Les rédactions abondonneront-elles l’explication du monde aux YouTubeurs ?

Un résultat indirect de cette tendance a été révélé dans un récent sondage du Pew Research Center : Aujourd’hui, moins d’Américains que jamais croient que la science a une influence positive sur la société. Pour sauver l’intelligence, la nouvelle devise de 2024 est « N’applaudissez pas ! Abonnez-vous ! ».

Au sujet de la « tendance » IA, qui est bien sûr la première de sa liste, elle évoque les réactions des entreprises sondées au sujet du rapport du MIT : Ces technologies sont transformatives, mais la confiance dans leur déploiement est faible (seulement 9 % avaient un cas d’utilisation fonctionnel avec l’IA générative, le secteur gouvernemental étant le plus bas). 59 % s’inquiètent des risques et préfèrent mieux les comprendre avant la mise en œuvre.

Croissance exponentielle des données pour le même prix, tableau mis à jour par Ray Kurzweil avec des informations à partir de 1935 (année de la machine Turing).

Une inquiétude que ne connaît pas Ray Kurzweil, l’un des plus anciens spécialistes de l’IA au monde (depuis 61 ans), et qui décrit l’IA générative comme « le plus grand progrès depuis l’écriture ». Ce scientifique qui voulait devenir « innovateur » dès l’âge de 6 ans, nous a annoncé l’arrivée de la singularité (l’emballement technologique de l’IA ultime) pour 2045. Il a partagé une description extrêmement optimiste d’un monde vers lequel il pense que nous nous dirigeons, avec une grande abondance et une sorte de fusion entre les humains et les machines. Nick Thompson de The Atlantic, n’a cependant pas obtenu toutes les réponses à ses questions : « Aurons-nous encore des identités singulières ? » « Prendrons-nous tous les jours un petit-déjeuner ? »  En attendant, Ray Kurzweil nous a aussi prédit que dans quatre ans, nous serons capables de commencer à inverser le temps – et que certaines personnes vivantes aujourd’hui pourront vivre jusqu’à 500 ans….

Pour nous tenir compagnie, nous aurons des robots de type « Rosey the Robot » des Jetsons (équivalent futuriste des Flintstones) dès 2029, et dès aujourd’hui, son livre, qui vient de sortir : The Singularity is nearer.


Rosey the Robot, créé(e) par Hanna-Barbera

Vishal Sharma, Vice-président, Intelligence artificielle générale chez Amazon, s’est posé la question du besoin réel d’un « World Model » à chaque fois que nous construisons quelque chose avec l’IA : Notre robot de jardinage a-t-il besoin de comprendre le monde, ou doit-il juste reconnaître les mauvaises herbes ? Pour lui, l’une des missions d’Amazon est « de transformer l’Humanité [!] », en inaugurant un âge de l’abondance, avec des superintelligences nationales. Tout un programme… Il a détaillé un des principes d’Amazon : le client doit avoir le choix, un modèle ne convient pas à tout (Alexa est basée sur 30 modèles d’apprentissage machines, qui ne semblent pas toujours parfaitement communiquer entre-eux). Tous les développements chez Amazon sont basés sur trois principes : véracité, sécurité et contrôlabilité (au cas où l’IA songerait à s’autonomiser).

La révolution d’IA amène aussi son lot de chercheurs d’or, à l’instar de Ben Colman, ancien de Goldman Sachs, fondateur de Reality Defender. Ce nouvel expert IA a balayé d’un revers de la main l’argument pour le watermarking C2PA avancé par Miranda Marcus, Head of NewsLab de la BBC depuis l’audience, pour mettre en avant son nouvel « antivirus » contre les deepfakes. Mais dans un monde où tout est généré par l’IA, rien n’est généré par l’IA…

En attendant, Peter Deng, directeur produit de ChatGPT, a confirmé qu’OpenAI maintiendrait toujours une version gratuite de son chatbot. Pour l’ancien de chez Facebook et Instagram, nous irions vers une « Co-évolution des humains avec l’IA », l’IA nous aidant à devenir « plus humains » (dans une version très idéalisée de l’évolution, comme autrefois lorsque l’on croyait que l’accès infini à l’information sur Internet rendrait les gens plus intelligents). En tout cas, l’IA nous aide à poser de meilleures questions. Pour le journaliste Josh Constine, « nous passons d’un rôle de créateur de réponses à un rôle de poseur de questions et de conservateur. » Peter Deng doute que les gens se soucient de savoir si un contenu est créé par l’IA. Prenant le parallèle du pain, il y aura, selon lui, des contenus de qualité, comme du pain fabriqué à l’ancienne, et des Points chauds, avec des contenus artificiels préfabriqués à la chaîne, pour le commun des mortels.


Le journaliste Josh Constine, SignalFire VC avec Peter Deng, Directeur produit ChatGPT

Et à la question si les artistes (et les médias) dont les œuvres ont été utilisées pour former l’IA générative comme ChatGPT devraient être rémunérés pour leurs contributions Peter Deng répond : « C’est une excellente question ». Dans la foule des spectateurs, certains ont crié « oui » en réponse, ce que le directeur produit ChatGPT a reconnu. « Le public me dit que c’est le cas. J’entends le public dire que c’est le cas », sans pour autant répondre à la question…

En attendant, l’IA de transcription automatique de YouTube, n’est pas vraiment au point, à moins que Chachi P ne soit le nouveau nom de code de GPT5….

Le #Kategate et la nouvelle post-réalité

En pleine semaine de SXSW, un nouveau rapport commandité par le Département de l’état des Etats Unis a souligné une fois de plus les dangers de l’IA. Et contrairement à l’AI Act européen, ce rapport met en évidence un risque évident lié à la désinformation. Justement, le premier week-end du festival fut marqué par le #Kategate, un « cheapfake » qui illustre parfaitement les limites du réel dans un monde, où désormais n’importe quel enfant de six ans avec une connexion Internet peut fabriquer des faux plus professionnels que Buckingham Palace (qui vient de détruire sa réputation de source sûre). Charlie Warzel décrit parfaitement dans The Atlantic ce nouveau monde où « Rien n’est vrai et tout est possible. » La surréaction des agences de presse qui ont immédiatement « tué » la photo après les premiers soupçons de manipulation est un signe d’une nouvelle ère de la transparence pour les uns, et de la fin de la réalité pour les autres. Juste avant SXSW, la réalité avait déjà été perturbée par de faux appels téléphoniques dans le New Hampshire, imitant la voix de Joe Biden pour dissuader les gens de voter lors des primaires de l’État, les premières du pays.


Avis de suppression de la désormais célèbre photo chez Reuters, fait extrêmement rare dans les agences, qui doivent, tout comme les médias, défendre leur rôle d’intermédiaire de confiance

En tout cas, le scandale autour de l’image manipulée a chamboulé une série de panels, notamment celui sur L’IA et le journalisme : Les conséquences massives lorsque la vérité est l’IA. David Allan, Directeur éditorial chez CNN, Donie O’Sullivan, correspondant CNN, Sandra Stevenson Directrice Adjointe Photos au Washington Post et Bernadette Tuazon, Directrice Photographie Worldwide chez CNN avaient toujours l’air perturbé par l’affaire éclatée le week-end dernier. David Allen commence par la question « Comment faire du pu**** de journalisme fiable et de qualité à l’ère de l’IA ? », en ajoutant une citation de Paul Virilio qui s’adapte parfaitement à l’IA : « Quand on invente le bateau, on invente aussi le naufrage ; quand on invente l’avion, on invente aussi le crash ; et quand on invente l’électricité, on invente l’électrocution… Chaque technologie porte en elle sa propre négativité, qui s’invente en même temps que le progrès technique ».

Sandra Stevenson s’est montrée « presque moins préoccupé par le faux contenu que pour le bon contenu ». La manipulation d’images n’est pas nouvelle (on se souvient de photos de guerre « améliorées », comme ci-dessous pour renforcer le storytelling (ajout d’une roquette, combinaison de deux photos…).


Des partisans de Donald Trump ont créé et partagé de fausses images d’électeurs noirs générées par l’intelligence artificielle afin d’encourager les Afro-Américains à voter pour les Républicains.

Mais aujourd’hui, n’importe qui peut générer une fausse réalité à partir de rien. Il s’agit à la fois d’une question de confiance et d’un défi économique pour les médias. En effet, quand la réalité est artificielle, la confiance est la nouvelle monnaie forte pour retenir un public, souvent payant aux Etats-Unis.

La nouvelle question que les journalistes se posent aujourd’hui : « Devons-nous accepter ceci comme une vérité ? » Pour les experts autour de la table, le plus inquiétant dans le #kategate était que les agences n’ont pas été en mesure de dire ce qui les a poussées à retirer la photo. Cette affaire raconte plus sur le journalisme moderne que sur la famille royale. Elle montrait aussi la vulnérabilité des médias. Et pose la question « Qu’est-ce qu’une image de quelque chose de réel ? » (Bernadette Tuazon). Au Washington Post, les règles sont très strictes : c’est l’objet sur lequel a été créée l’image qui compte (appareil photo, avec des concessions sur les smartphones, et de la vidéo).

L’éducation est un autre point primordial pour les rédactions : Le Washington Post et CNN ont chacun mis en place des formations spécifiques avec des chercheurs et des spécialistes de la cybersécurité (depuis la fausse arrestation de Donald Trump) pour identifier les parties des photographies, comprendre les outils, les intégrer dans le flux de travail à la fois sur la photo et la vidéo. Et pour répondre aux questions des journalistes : « Quel est le problème ? Pourquoi ne puis-je pas utiliser une image d’IA ? ». Un des problèmes évoqués par Donie O’Sullivan est peut-être aussi que « le dernier endroit où l’on peut trouver de l’innovation, c’est dans les rédactions » …

La question se pose : Est-ce la fin des contenus générés par les utilisateurs ? Doit-on désormais uniquement accepter des images créées par des journalistes certifiés ? Bien-sûr qu’Adobe a mis en place la certification C2PA, mais Adobe a aussi diffusé des images du tremblement de terre en Turquie fabriquées par l’IA. L’éducation doit donc non seulement se faire en interne et auprès des publics, mais aussi auprès des fournisseurs de solutions.

Un autre panel décrivait d’ailleurs parfaitement cette ambiance un peu « Fin du Monde » pour l’information, et la société dans son ensemble : Des algorithmes aux armes : comprendre l’interaction entre l’IA, les médias sociaux et les armes nucléaires. Frances Haugen, la célèbre lanceuse d’alerte ex-Facebook, Anthony Aguirre, CEO Future du Life Institute et Jeffrey Ladish, ancien d’Anthropic, maintenant au Center for Humane Technology, ont discuté des dangers des IA génératives, entre autres des modèles Open Source, qui permettent aux utilisateurs d’employer les modèles à mauvais escient (comme l’a réussi à faire Jeffrey Ladish avec Llama2 en lui demandant le mode d’emploi d’une arme biologique). Dans une compétition technologique libre, le plus responsable est toujours puni.


Frances Haugen and Anthony Aguirre

Tous sont convaincus que « nous allons assister à des élections très bizarres. » Selon Frances Haugen, « nous devrions nous attendre à voir le chaos ». Les hallucinations des LLMs sont des caractéristiques, pas des défauts, et nous nous dirigeons vers une guerre de l’information d’une ampleur inédite. Les trois spécialistes ont appelé à une régulation de la part du gouvernement, et Anthony Aguirre conclut même sur un conseil pas du tout dans l’air du temps : « Les États-Unis et la Chine doivent collaborer. »

Réguler ou ne pas réguler ? Les avis sont partagés à SXSW. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a réinsisté que « nous nous préoccupons de la sécurité dans les produits physiques, [mais] nous ne nous sommes pas assez préoccupés des risques numériques. » D’un autre côté, la plupart des journalistes américains dans les différentes tables rondes sont plutôt pour davantage d’éducation que de régulation, pour éviter les interférences gouvernementales dans la liberté de la presse. La régulation sans l’éducation n’a effectivement pas beaucoup de sens. Paul Cheung, Strategic Advisor Hack Hackers, a même surenchéri dans une des tables rondes organisées par le Future Media Hubs que la « transparence déclarée depuis notre tour d’ivoire » n’est pas utile, ajoutant que « La transparence m’agace au plus haut point ». Il plaide pour une transparence applicable, au service des utilisateurs. « Le déclin de la confiance dans les médias, nous l’avons fait à nous-mêmes », a-t-il constaté plus loin, s’exprimant en tant que « Asiatique et personne de couleur. » Avec une famille originaire de la Chine, la régulation gouvernementale est hors de question pour lui. A ce sujet, il a d’ailleurs ajouté que « l’obsession du Bien contre le Mal » est très occidentale. » Tout est question de point de vue, et SXSW permet d’en confronter une mutlitude.


De gauche à droite : Mickey Galin de JWI, Veera Siivonen de Saidot, Paul Cheung, Strategic Advisor chez Hack Hackers dans une table ronde animée par Erika Allen Head of Audience Strategy and Growth au Washington Post

Le plus gros du travail est en effet du côté des journalistes. Selon Joan Donovan de l’Université de Boston, éminente spécialiste de la désinformation, de la manipulation des médias, des mouvements politiques et des études critiques de l’internet et l’extrémisme en ligne, « il ne suffit pas qu’un deepfake soit en ligne, vous [les journalistes] n’êtes pas obligés d’en parler comme d’un scoop pour amplifier sa portée. » Surtout que l’on « ne peut pas annuler la vue de quelque chose. »

Zach Seward, récemment nommé responsable IA de la rédaction du New York Times, a donné les clés d’une utilisation positive de l’IA dans l’information :

« Le journalisme d’IA va mal lorsqu’il n’est pas contrôlé, qu’il est paresseux, égoïste et opaque. Il doit être contrôlé et motivé par ce qui est le mieux pour les lecteurs. »

Il a listé une série de cas d’usages (du plus mauvais – « The bad and ugly » – aux plus positifs, allant de l’exemple repoussoir de CNET aux reportages en temps réel du NYT. Les cas les plus aboutis étant ceux basés sur de l’apprentissage machine « classique » de reconnaissance de structures dans de grandes masses de données.


The Marshall Project, un média à but non lucratif couvrant le système judiciaire américain, a enquêté sur les livres interdits dans les prisons d’État et sur les raisons de cette interdiction

Les utilisations récentes des modèles Transformers, ou de l’IA générative aident à décrypter le chaos du monde, allant des exemples du Marshall Project (ci-dessus) à Realtime, une génération de graphiques en temps réel :

« Face à la réalité chaotique et désordonnée de la vie quotidienne, les LLM sont des outils utiles pour résumer des textes, rechercher des informations, comprendre des données et créer une structure. »

Mais Zach Seward a insisté sur un point non négligeable pour le NYT :

« Dans tous ces cas, on commence et on finit avec les humains, avec un peu de la puissance de l’IA générative au milieu pour faire la différence. »

➡️ Vous pouvez retrouver toute sa présentation ici

Streaming : FAST Fashion, à l’ère des utilisateurs

Devant une salle comble, Phil Wiser, le directeur technique de Paramount a réimaginéé la société des médias moderne. Selon lui, les studios se penchent activement sur les modèles génératifs et possèdent une compétence assez élevée pour les comprendre. L’usage multimodal semble encore lointain, il y aurait actuellement des problèmes plus pratiques à résoudre.

En ce moment chez Paramount, l’accent est mis sur l’optimisation, par exemple pour le marketing et les campagnes (l’IA peut modifier les médias pour mieux les aligner sur les normes culturelles dans lesquelles ils apparaîtront, par exemple en modifiant les affiches de films pour éviter la nudité ou le blasphème dans les cultures les plus sensibles), plutôt que sur la création de nouveaux contenus. Mais il ne s’agit que d’une question de temps avant que l’IA ne soit entièrement intégrée :

« Des décors virtuels sont disponibles grâce à la technologie LED. Les moteurs de jeu sont souvent utilisés pour créer un monde virtuel, mais l’IA est en passe de fournir des capacités de création et d’édition en direct beaucoup plus rapides que les moteurs de jeu ».


Paramount CTO Phil Wiser

Paramount s’est associé à Adobe Firefly (décidément, Adobe s’est très bien positionné partout où il s’agit de création professionnelle avec l’IA) pour leurs initiatives autour des grands modèles de langage, et Bob l’éponge est le premier contenu sur lequel ils ont expérimenté cette technologie. Ils ont rencontré des problèmes, notamment la nécessité de former des modèles séparément pour l’avant-plan et l’arrière-plan, surtout pour l’animation, et de développer un vocabulaire de prompts étendu et sophistiqué, duquel il a donné quelques insights : Avec des descriptions de scènes, des angles de caméra, des personnages et même des types de caméras, l’IA peut générer une scène. Phil Wiser a aussi évoqué Sora, la nouvelle plateforme de génération de vidéos hyperréalistes d’OpenAI qui, selon lui, aura des effets majeurs sur l’industrie, en particulier dans la création de vidéos en direct pour les décors virtuels.

Selon Phil Wiser, les documentalistes sont les nouvelles stars de l’IA, les archives se transformant en gigantesques ensembles de données à rechercher. Annoter et étiqueter reste un travail colossal à maîtriser, même s’il est aidé par l’IA. Et pour conclure, très positif sur le besoin vital des géants de la tech de contenus de qualité, il se positionne sur un axe gagnant-gagnant :

« Je ne vais pas gagner la course aux armements de l’IA générative, mais je vais rester très proche des gens qui la gagnent. »

Un effet secondaire de la polarisation sur les réseaux sociaux : l’humour est en train de disparaître. Dans un entretien avec J.K. Simmons, dont la campagne publicitaire de Farmers Insurance est un succès depuis 14 ans, un graphique de Kantar montre la baisse de 15% dans la publicité numérique depuis la pandémie. Serions-nous incapables de trouver un dénominateur commun qui nous ferait encore rire ? C’est sûr que ce n’est pas l’IA qui changera la donne : avec sa compréhension du monde tout de même assez limité, l’humour n’est pas son point fort.


J.K. Simmons avec les Muppets

La génération A en tout cas partage bien quelques intérêts, notamment autour d’un sujet que ceux qui n’ont pas d’enfants pouvaient découvrir au Future Media Hubs (dont France Télévisions est partenaire). En plus de MrBeast, désormais connu par toutes les générations, voilà Skibidi toilet, des batailles de toilettes (merci Linette Zaulich, Directrice Unscripted ZDF Studios).

Mais plus sérieusement, la Journée du Future Media Hubs fut non seulement l’occasion de rencontrer des collègues passionnants mais aussi d’en apprendre beaucoup sur les ingrédients secrets des plateformes de streaming, un nouveau monde centré sur les utilisateurs (dans lequel les médias peuvent toujours tirer leur épingle du jeu face à une expérience utilisateur peu convaincante des services de streaming, selon Evan Shapiro), et de comprendre que la première chaîne de télévision est Youtube, que nous (médias) risquons de perdre 3 générations au profit de Youtube et que Tiktok est en train de rompre la paix de l’information.


Evan Shapiro et the map of the Media Universe

En attendant, les médias anciens ont toujours du mal à s’adapter à ce nouveau monde. Evan Shapiro a utilisé la notion peu flatteuse de « mettre un nouveau rouge à lèvres sur un vieux cochon ». Et le marché n’est pas très stable non plus, montrant certains symptômes d’un trouble alimentaire : après une phase de boulimie de bingewatching pendant la pandémie, le public réduit drastiquement sa consommation vidéo… et ses abonnements aux services de streaming.

Le temps consacré aux médias a diminué d’une demi-heure, et pourtant, Apple vient de sortir une nouvelle appli Sport dans un monde déjà surchargé de sollicitations. Les données sont souvent comparées au nouveau pétrole, mais leur confinement dans des écosystèmes fermés entraîne un manque d’interopérabilité qui nuit à l’utilisateur.


En moyenne, un utilisateur doit jongler entre 100 logins

Linette Zaulich a insisté sur l’importance de TikTok dans la consommation de médias : « TikTok vous convertit à vos besoins ». 60% des utilisateurs de TikTok y trouvent du contenu qu’ils regardent ensuite sur la télé. Dans un écosystème où les applications vont disparaître, le partenariat avec les appareils va devenir encore plus important. Pour la Directrice Unscripted ZDF Studios, l’essentiel pour être découvert est la capacité à créer des histoires autour des contenus qui favorisent l’engagement. Ses équipes surveillent de près les évolutions des algorithmes et viennent de constater que YouTube favorise actuellement les contenus « en mode détente », c’est-à-dire des vidéos longues de plusieurs heures, dans son algorithme. Dans la lignée des pratiques FAST, ils regroupent donc plusieurs épisodes d’une série en une seule vidéo sur YouTube.

L’expression ‘contenu premium’ (très vieille télé) est d’ailleurs aujourd’hui source de confusion, face aux consommations ultra personnalisées des différentes générations. MrBeast est capable d’organiser un événement de la taille du Super Bowl deux fois par mois. Il faudrait d’ailleurs arrêter d’appeler ces stars « créateurs », comme s’ils organisaient des live Twitch depuis leur garage…

Cinéma et IA, Je t’aime, moi non plus

Tandis que le lancement de la série d’animation Bear Wars, sur l’IA et avec l’IA, a fait salle comble, les fans de cinéma et de télévision ont fortement exprimé leur mécontentement envers l’IA lors des projections des premières mondiales de The Fall Guy et Immaculate au Paramount Theatre à Austin. Les créatifs de la « Weirdness Industry » (selon la définition de Selena Gomez), sont inquiets face à l’utilisation massive de l’IA.

Daniel Kwan et Daniel Scheinert, collectivement connus sous le nom de « DANIELS », avaient présenté leur succès mondial « Everything Everywhere All at Once » à SXSW en 2022. Ils sont revenus en 2024 pour discuter de leur parcours et de leur approche de la réalisation de films, notamment de leurs premiers travaux qui exploitaient déjà les algorithmes pour gagner en visibilité. Ils ont donné un aperçu de leur processus créatif, soulignant l’importance d’une utilisation intentionnelle de la technologie et du scepticisme face aux promesses trop optimistes qui ne tiennent pas compte des inconvénients potentiels. Daniel Kwan s’est à cette occasion déclaré « terrifié » par l’impact de l’IA et son intégration rapide dans divers aspects de la vie.


Daniel Kwan et Daniel Scheinert à SXSW

« Essayez-vous de l’utiliser pour créer le monde dans lequel vous voulez vivre ? Essayez-vous de l’utiliser pour augmenter la valeur de votre vie et vous concentrer sur les choses qui vous tiennent vraiment à cœur ? Ou essayez-vous simplement de gagner de l’argent pour les milliardaires ? », a demandé d’ailleurs Daniel Scheinert au public. « Et si quelqu’un vous dit qu’il n’y a pas d’effet secondaire. C’est tout à fait génial, ‘montez à bord’ – je veux juste dire officiellement que c’est une connerie terrifiante. Ce n’est pas vrai. Et nous devrions discuter en profondeur de la manière de déployer ces produits avec soin, avec précaution », a-t-il déclaré.

La foule s’est mise à applaudir à tout rompre.

Face à la vague submersion de l’IA, la prochaine grande grève sera peut-être bien celle de l’industrie du gaming (valorisée 242 milliards en 2023), selon Duncan Crabtree-Ireland, le directeur général national de SAG-AFTRA, intervenu dans un panel à SXSW. « Nous sommes en pleine négociation avec tous les principaux studios de jeux… De nombreux points en litige sont semblables […], incluant les salaires et l’intelligence artificielle. » Parmi les studios concernés figurent Activision, Epic Games et Disney Character Voices Inc.

Certaines stars de Hollywood se retirent alors dans un monde moins artificiel, celui des podcasts (on ne parle pas ici de ceux fabriqués par ElevenLabs). Kyle MacLachlan en fait partie.  Il a lancé VarnanTown, sur une petite ville au fin fond de nulle part (« Je suis un habitué des histoires bizarres dans des petites villes »). Et il s’est aussi lancé sur les réseaux sociaux, avec un succès certain : il est le nouveau « Babygirl » de TikTok. Chaque medium a son propre langage, et il semble avoir parfaitement compris celui des podcasts, et de TikTok. Il ne lui manque plus qu’un compte Letterboxd.


Kyle MacLachlan avec Anne Walls Gordon, Chief Creative Officer / Executive Producer, Full Picture Productions

Quelle place pour les Humains ?

Et si la réponse à toutes nos questions était ailleurs ? Hugh Forrest, dans son discours d’ouverture de SXSW, a loué le JOMO (Joy of Missing Out) par rapport au FOMO (Fear of Missing Out).

Une session de SXSW a été retransmise en direct depuis l’espace, mettant en vedette les cosm…astronautes Jeanette Epps et Loral O’Hara à bord de la Station Spatiale Internationale. Cette démonstration illustre non seulement le potentiel de la technologie au bénéfice de l’humanité, mais offre également des exemples inspirants pour encourager les jeunes filles à s’intéresser aux mathématiques, trop souvent mises de côté faute de rôle modèles féminins.

Toujours dans l’espace, l’inauguration de SXSW a été marquée par un échange entre le Dr Lori Glaze, directrice de la division des sciences planétaires de la NASA, et la poétesse Ada Limón, 24ème prix des États-Unis pour la poésie. C’est cette dernière qui a été choisie pour envoyer une de ses œuvres dans le cosmos (après la plaque Lucy, en 2021), plus précisément vers Europa, la seconde lune de Jupiter. Les deux femmes ont souligné que les arts et les sciences devraient se connecter davantage, démonstration faite avec cette collaboration. Et c’est Ada Limón qui donne peut-être une clé de compréhension de ce monde en chaos :

« La poésie est en paix avec le fait de ne pas savoir des choses. », et plus loin : « Je crois en le repos / Dans ce silence et dans ce repos viendra la prochaine grande chose. »

L’équation de Drake, où pourquoi nous devons tous voyager dans l’espace

Un autre exemple de la combinaison réussie des sciences et des arts fut la présentation du livre d’Amy Kurzweil, un voyage poétique avec l’IA sur les traces d’un grand-père qu’elle n’a jamais rencontré. La cartooniste du New Yorker (et fille de Ray Kurzweil) a fabriqué Fredbot, un chatbot intelligent, qui est basé sur des artefacts de l’écriture originale de son grand-père.

Caricature d’Amy Kurzweil pour The New Yorker

Pour Ray Kurzweil, « Parler à ce chatbot c’est comme parler à mon père. » Pour préparer cette expérience, Amy Webb a expliqué qu’elle devait réfléchir elle-même à la façon d’un algorithme. L’IA comme une forme d’art, jouée dans les espaces virtuels si familiers à l’imagination des artistes. La définition d’origine d’artificiel étant « artisanat humain », Pinocchio (le vrai, pas celui de Walt Disney), est en fait le premier récit sur une IA. Grâce à la technologie actuelle, nous pouvons émuler quelqu’un d’autre, et même nous attacher à lui. Et selon Amy et Ray Kurzweil, « Vous pouvez choisir d’être optimiste ! ».

Conclusion

SXSW est un lieu unique où l’on croise à la fois geeks de la tech et créatifs, souvent les deux réunis en une personne. Est-ce que la révolution de l’IA, contrairement à la révolution d’Internet, rendra enfin les humains plus intelligents ? L’IA améliore-t-elle les idées ou ne fait-elle qu’alimenter les variations ? L’ingénierie du prompt est déjà dépassée. La question clé du festival fut bien la place de l’humain dans un monde de plus en plus rempli d’artifices. Peut-être qu’une petite touche féminine pourra aider à y voir plus clair… Certainement un peu d’imagination. Ce qui est sûr : L’IA va prendre une place de plus en plus importante dans la société, et dans notre identité.


Signatures Amy & Ray Kurzweil dans le livre d’Amy Kurzweil, Artificial: A Live Story 

 

Miscellaneous (ce que l’on a vu aussi) :

Elon Musk, ami de longue date du producteur exécutif et réalisateur Jonathan Nolan, a fait une apparition lors de l’expérience Fallout de Prime Video. Il n’habite pas loin, étant installé au Texas depuis 2021, avec l’objectif de construire sa propre ville et une université « non-woke » 🤠.

Apropos d’Elon Musk : Penemue, une startup allemande qui propose de lutter contre les discours de haine sur Internet, grâce à l’IA.

Tulpamancer, une expérience interactive des artistes et réalisateurs Marc Da Costa et Matthew Niderhauser à l’intersection de l’intelligence artificielle générative et de la réalité virtuelle, utilisant ces deux outils pour une création artistique immersive dans un environnement spécialement conçu pour chaque utilisateur, à travers un ordinateur rétro, où les invités répondent à une série de questions sur leur vie avec le plus de détails possible (on oublie la protection des données) :

Une exérience black-mirroresque, avec des simulations VR créées dynamiquement, avenir possible pour un mélange d’IA et de VR.

L’intelligence artificielle Marilyn Monroe, proposée par Soul Machines marque un autre pas en avant dans l’extension de la valeur de marque des célébrités au-delà de la tombe.

 

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Un film sur Poutine du réalisateur polonais Patryk Vega, fabriqué avec une technologie de deepfakes IA. Avec la même technologie, ils vont proposer une plateforme où chacun pourra générer son deepfake HD…

Un panel 100% féminin pour la Journée de la femme, avec les géniales Katie Couric et Brooke Shields, et Meghan, The Duchess of Sussex, qui était venue accompagnée de son Prince Harry :

Lors de la première de 3 Body Problem de Netflix, des moments de l’émission ont été projetés en 3D à 50 pieds au-dessus de la skyline d’Austin, faisant écho à l’expérience des personnages de la série. Le mystérieux Sophon, un avatar qui apparaît dans l’émission, parlait depuis le ciel…

 

Et certains cherchent les réponses à leurs questions dans l’au-delà…

Un confessionnal en pleine rue d’Austin, pour ceux qui auraient trop abusé de l’IA…

 

Illustration : 10 Breakthrough Technologies 2024, MIT

SXSW 2024 : Amy Webb et la « génération Transformation » dans un nouveau supercycle technologique

Plus l’époque est teintée d’incertitude, plus les enthousiastes de la futurologie se hâtent de rejoindre la file d’attente à SXSW pour s’assurer une place et boire les paroles d’Amy Webb sur les tendances qui façonneront l’année à venir. En 2024, l’incertitude semble avoir atteint son paroxysme, avec des gens qui patientaient pendant 3 heures pour venir écouter la directrice du Future Today Institute. Et l’attente en valait la peine pour les adeptes de néologismes, avec pléthore de nouveaux termes (supercycle technologique, FUD, Gen T, LAM, IO, Face Computers, explications voir ci-dessous) censés aider à rendre moins flou notre avenir, accompagnés de quelques scénarios catastrophe et bien-sûr d’une bonne dose d’IA générative.

Par Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media

Et il a fallu attendre encore quinze minutes de plus à la suite d’un problème technique avec sa présentation (Amy Webb s’avouera coupable du syndrome de « Je-n’envoie-pas-mes-slides-à-l’avance-parce-que-je-veux-les-mettre-à-jour-jusqu’à-la-dernière-minute »), avant que le public ne puisse découvrir les « tendances pas tendance » (les trends not trendy). Elle en détaille 3 principales, tirées des 1000 pages du rapport du Future Today Institute, qui regroupe à la fois nouvelles technologies et industries : L’Intelligence Artificielle, technologie à usage général au même titre que l’électricité, la machine à vapeur ou Internet, l’écosystème connecté des objets et la biotechnologie.

FUD (Fear Uncertainty Doubt) face au supercycle technologique 

Et comme pour rassurer ses auditeurs en quête de réponses, Amy Webb déclare que nous vivons effectivement dans « l’environnement opérationnel le plus complexe » qu’elle n’ait vu en 20 ans, un nouveau « supercycle technologique » (Technological Supercycle). Et le problème de notre époque est que les dirigeants, dépassés par la vitesse d’évolution du monde qui nous entourne, rempli de FUD (Fear Uncertainty Doubt / Peur Incertitude Doute), prennent des décisions basées sur une combinaison de peur simple et de FOMO (Fear of Missing Out, peur de passer à côté) sans même parfois avoir commencé leur transformation digitale.

Nous sommes tous concernés, rassemblés dans une nouvelle génération : la Génération Transformation, qui est forcée de se transformer à une vitesse bien plus rapide qu’elle n’est capable de comprendre ce qui lui arrive. Même s’il persiste des éléments de stabilité. L’année dernière, Amy Webb avait testé les LLM sur leur tendance aux biais (qui ne font que traduire les dysfonctionnements du monde réel) en leur demandant de dessiner l’image d’un CEO. Impossible de sortir autre chose qu’un homme blanc avec des tempes grisonnantes.

Elle répète l’exercice un an après, et même en tordant le prompt en ajoutant qu’il s’agit d’un CEO d’une usine qui fabrique des produits hygiéniques pour femmes, le résultat reste le même :

Illustration d’un CEO d’une usine à tampons, vu par ChatGPT4

Un jour après la Journée de la femme, il y a définitivement du progrès à faire, qu’il s’agisse de Midjourney, DALL-E ou Anthropic. La première tendance IA est donc logiquement la responsabilité. Les équipes éthiques ne sont toujours pas considérées comme des parties prenantes, et l’apprentissage par renforcement ridiculement agressif de type Google Gemini ne résout pas non plus le problème de base.

La deuxième tendance évoquée autour de l’IA : le « Concept to Concrete ». Après le text2text, le text2image, le text2code et même le text2flirt, la tendance va des instructions littérales pour des réponses littérales aux concepts pour une pensée assistée (Pica, Sora sont quelques exemples). Plus besoin de prompt engineers, on pourra bientôt penser ce que l’on veut faire faire à l’IA. Tout ceci devant la troisième tendance : L’IA non sécurisée. L’ère pionnière où les entreprises divulgaient des articles scientifiques relatifs à leurs travaux sur l’intelligence artificielle générative est révolue, les enjeux financiers étant désormais bien trop importants.

Présentation du Future Today Institute

Contrairement à ce qui est chéri en Europe, la culture américaine ne voit pas d’un bon œil les modèles Open Source comme Llama 2 (on se souvient de l’épisode Llama 2 Uncensored). Amy Webb évoque quand même le vent capable de dégager le ciel dans la vallée de la Rhône, en parlant de Mistral, tout en s’étonnant que la startup française ait publié son modèle sous la forme peu habituelle de torrent (format peer to peer), allant à l’encontre de toute gestion de droit de propriété intellectuelle et de sécurité et contrôle, une preuve pour la directrice du Future Today Institute que les modèles non sécurisés deviendraient de plus en plus fous.

Et pour l’instant, l’IA n’a pas besoin de licence, elle ne va pas en prison au cas où elle ferait du mal à quelqu’un.

En attendant, l’IA a besoin de données pour s’alimenter, ce qui nous amène à la prochaine tendance : les LAM, les Large Action Models. Dans l’écosystème connecté des Objets, on arrive bientôt au bout des données disponibles, les LLM ont besoin de nouvelles données. La solution : des sensors partout, des objets connectés portables, censés nous faire interagir de façon innovante, mais secrètement captant toutes nos émotions pour alimenter de grands modèles – non plus du langage -, mais d’action, et pour prédire nos envies. Amy Webb parle d’une explosion cambrienne des appareils connectés, avec quelques-uns qui sembleront bizarres, mais d’autres (comme PockEngine, ou encore Rabbit R1 présenté au CES cette année) qui seront capables de traiter des données qui ne sont pas du texte, et qui seront notre nouveau réseau neuronal portable personnel, une sorte de deuxième cerveau dans la poche (un smartphone puissance 100), et qui apprendront de nos actions de tous les jours.

Une cinquième tendance, qui va dans le même sens : Face Computers everywhere (impossible de traduire en français cette expression entendue plusieurs fois ici à Austin. Ordinateurs faciaux ??). Il est ici question de l’Apple Vision Pro, un ordinateur que l’on s’attache au visage, et qui, selon Amy Webb, dans 18 itérations (ce qu’il a fallu à l’iPhone pour devenir grand public) pourrait conquérir le monde des objets connectés à nos émotions et à nos cerveaux qui alimentent l’Internet spatial. La prochaine étape est donc la « Battle for Face Supremacy » (même problème de traduction, la bataille pour la suprématie au visage ??). L’humain devient la prochaine interface, avec des scénarios de futur peu souhaitables : Que se passe-t-il lorsque mon grand modèle d’action hallucine ? Et si les objets connectés conduisaient à un système de crédit social à la chinoise ?

Le supermarché du futur imaginé par Amy Webb

On pourrait utiliser notre capacité d’attention pour des récompenses, par exemple au supermarché. La fracture numérique deviendra alors encore plus économique, entre ceux qui pourront payer pour un Adblocker dans leur casque, et ceux qui devront attendre le passage de la publicité avant de pouvoir faire leurs achats pour ne pas être victime d’une tarification dynamique (Pas d’attention, pas de coupon).

Ou on pourra même utiliser nos séquences de vie pour prédire la mort. Bienvenue dans les Large Death Model, les grands modèles de la fin de vie, le saint graal de tout assureur.

Pour l’industrie des médias les impacts directs (en bleu clair, les plus lointains sont en rouge, on aurait bien inversé ces codes couleur) se situent du côté des : IA, IA générative, AR/VR/XR, métavers (il est toujours là) et Web3

Encadré (sujet non traité dans sa conférence, mais dans les 1000 pages du rapport)
AI et news : Concentrez-vous sur la valeur, pas sur les outils

Lorsqu’il s’agit des technologies implémentées dans les rédactions, selon le Tech Trends Report, l’accent devrait être mis sur la création de valeur plutôt que sur les outils eux-mêmes. Quand des startups lancent quotidiennement de nouvelles applications d’IA, leur impact durable sur l’information reste incertain. Il est alors crucial d’évaluer comment ces technologies modifient la création de valeur, notamment dans l’info, et de comprendre les implications de l’intégration de ces outils technologiques dans le processus éditorial et la chaîne de valeur des médias.

Grâce à l’intelligence artificielle, les lecteurs peuvent accéder à une quantité d’informations sans précédent. La capacité à explorer et à synthétiser l’information efficacement pourra établir un intermédiaire inédit entre les éditeurs et leur public. Les médias se demandent s’ils peuvent encore capter leur audience directement ou si le public ne préfère pas obtenir ses informations via des résumés automatiques dans la recherche, des interfaces conversationnelles ou des nouvelles plateformes auxquelles on ne pense même pas encore. En tout cas, les formats sous lesquels le public consomme l’information seront de plus en plus variés et fluides.

Blacklight de The Markup

Dans ce nouveau contexte, les médias doivent embaucher des employés ayant des compétences techniques similaires à celles recherchées dans les entreprises de tech. Quand les journalistes maîtrisent les compétences techniques (en complément à leur sens éditorial), cela donne lieu à des réalisations impressionnantes. The Markup a consacré 18 mois au développement de Blacklight, un outil d’analyse des traceurs sur les sites internet, tandis que The Wall Street Journal a élaboré un réseau de bots pour déconstruire et décrire le fonctionnement de l’algorithme de TikTok.

Les outils d’intelligence artificielle générative réduisent les obstacles à la diffusion de fake news à grande échelle, rendant la quête de solutions efficaces contre la désinformation et la mésinformation de plus en plus urgente. Cette urgence est exacerbée par la propension de l’IA à affirmer des inexactitudes avec assurance. Google a bien intégré une fonctionnalité permettant de « vérifier » les réponses de Bard (désormais Gemini) via une interface de vérification des faits par codes couleurs. L’expérience de chat de Bing peut fournir des notes de bas de page pour étayer ses affirmations. Des solutions de ce type seront cruciales pour renforcer la confiance des consommateurs dans les résultats fournis par l’IA et pour éviter que les « hallucinations » de l’IA ne viennent détourner le débat public.

Le journalisme sensoriel

Avec l’avènement des technologies immersives dans le grand public, les journalistes acquièrent une nouvelle capacité : celle de narrer des récits qui sollicitent directement les sens des auditeurs. Ce nouvel horizon narratif, qui forge des connexions émotionnelles profondes entre les protagonistes des récits et le public, s’accompagne toutefois de défis éthiques inédits que les journalistes devront comprendre et soulever.

Scénario News 2027 (plutôt 2025, ndlr) :

Et si les rédactions étaient remplacées par une IA capable de résumer le monde ? L’essor des technologies d’intelligence artificielle générative transforme radicalement la manière dont l’information est consommée, avec des modèles de langage avancés qui offrent des résumés d’actualités personnalisés en temps réel. Des systèmes comme iOS et Android intègrent désormais des briefings d’actualités basés sur les interactions personnelles des utilisateurs et de l’info internationale, créant des synthèses minutieuses qui englobent une variété de sources, des médias sociaux aux sites d’informations et bien au-delà. Cette personnalisation pousse l’engagement utilisateur, faisant des appareils un pivot central dans la compréhension du monde par le consommateur.

Cette innovation pose des défis majeurs pour les médias traditionnels. Peu de journaux réussissent à négocier des accords de licence profitables avec les géants de la tech, tandis que la majorité lutte pour leur survie, incapable de prouver l’impact de leur travail dans un écosystème où la transparence des plateformes fait défaut. L’interaction directe entre les consommateurs et les médias historiques décline, soulevant des questions sur l’avenir de l’information de qualité et la responsabilité des plateformes dans la diffusion de l’actualité.

Dernière tendance présentée par Amy Webb : la Biotechnologie. Comme la loi de Moore est en train de faillir, ce sont les ADN et ARN qui viendront au secours des puces. Des technologies comme Groq (à ne pas confondre avec Grok d’Elon Musk) pourraient permettre à ChatGPT de tourner 14 fois plus vite. La biologie générative (DeepMind GNoME) nous mène à l’Intelligence organoïde (IO) qui utilise des morceaux de tissu organique, comme dans une expérimentation de la Johns Hopkins University. On pourra fabriquer des Biocomputeurs composés de cellules de cerveau humaines, faire pousser des ordinateurs plutôt que les construire, même à partir de nos propres cellules. Et si on prenait des vacances ?

Les organes-sur-puce sont de petits dispositifs qui contiennent de minuscules morceaux de tissu humain à l’intérieur, et ils sont spécialement conçus pour maintenir les tissus fonctionnels comme ils le seraient dans le corps humain. Crédit image : Penn Medicine News

Il paraît que ce n’est pas la technologie qui est le problème, mais la façon dont les gens l’utilisent. Peut-on faire confiance aux messies de la tech qui mèneront peut-être bientôt des tests biotech dans des zones économiques pauvres ? Amy Webb appelle les gouvernements à installer des « Départements de la Transition » (« peu importe quel âge ils ont»), et les entreprises à se souvenir de leur écosystème de valeurs. Sa présentation a permis de mettre de nouveaux mots sur des tendances et réalités déjà connues, qui restent malgré tout assez pixellisées. On devrait peut-être poser la question à ChatGPT, comment on pourra au mieux suivre le conseil d’Amy Webb de se « battre pour notre avenir ». En tout cas, il faut se dépécher, le Futur est déjà bien arrivé aujourd’hui.

Images générées par Le Future Today Institute, avec Midjourney

 

Pour accéder aux mille pages du rapport (à partir de la page 572, la partie News)

 

 

 

 

CES 2024 : L’IA pour tous, tous ensemble

C’était prévisible : un peu plus d’un an après le lancement de ChatGPT, le Consumer Electronics Show de 2024 a célébré le centenaire de l’association organisatrice, en mettant à l’honneur l’intelligence artificielle. Le thème a attiré les foules : 135 000 visiteurs se sont empressés aux stands pour mieux comprendre comment intégrer les avancées de l’IA générative dans les appareils du quotidien, du réfrigérateur au téléviseur, en passant par le maquillage. ChatGPT s’installe au volant, Alexa, boosté par les LLM, gagne en intelligence (bien qu’il reste du chemin à parcourir) et s’intéresse à l’actualité. La Corée du Sud était présente massivement, avec son métavers axé sur l’apprentissage et le divertissement. Et dans une démarche durable, des innovations des éditions précédentes ont été remises au goût du jour, avec en vedette Ballie de Samsung, l’assistant intelligent connecté déjà dévoilé en 2020.

Par Kati Bremme, Directrice de l’Innovation, Vincent Nalpas, Directeur Innovation Produits et Yves-Marie Poirier, Ingénieur direction de l’Innovation

Ces dernières années, le CES s’était peu à peu muté en salon de l’automobile, jusqu’aux tracteurs connectés. Cette année, il devient salon des médias, avec l’intégration dans les véhicules d’écrans de plus en plus impressionnants et d’interfaces (vocales) toujours plus intelligentes. D’ailleurs, comme l’a souligné Gary Shapiro lors de la conférence d’ouverture, ici, les défis sont identiques à ceux de l’Europe : trouver l’équilibre délicat entre réglementation et innovation, au bénéfice des consommateurs… et des constructeurs. Aux États-Unis, on n’oublie pas que « Money makes the World go round ».

BlueAnt Soundblade, une barre de son placée sous l’écran qui promet de révolutionner l’expérience audio et visuelle sur le bureau

Le CES reste aussi le lieu de ce que l’on appelle les vaporware, les grandes promesses qui s’évanouissent rapidement. Le CES, c’est un show TV, un salon de l’automobile, un salon de la maison intelligente et un salon pour à peu près tous les autres types de technologie. Voici nos inspirations de retour de Las Vegas.

Les objets intelligents plus ou moins utiles

Retour dans le futur : Nous sommes en 2024 et les téléphones portables à touches semblent être redevenus cool. Clicks, qui propose une coque d’iPhone avec un clavier est probablement le gadget qui a suscité le plus d’excitation sur les médias sociaux avant le CES. Que ce soit en raison d’une nostalgie évidente pour le BlackBerry, de la couleur vive ou parce qu’un clavier physique peut être vraiment utile pour les personnes qui ont des problèmes avec les claviers tactiles, par exemple en raison d’une déficience visuelle.

Rabbit R1 est un autre appareil qui a fait du buzz sur les réseaux sociaux (10.000 ventes en 24 heures suite à sa présentation), Pourtant, on a un peu de mal à comprendre son dessein :  appareil vocal intelligent, 2 fois plus petit qu’un smartphone et sans applications, il fonctionne entièrement à la voix et fournit des retours soit visuels, soit sonores. En quelque sorte, un talkie-walkie IA. Pour Jesse Lyu, le fondateur de Rabbit: « It’s that simple ». Et Rabbit n’est pas simplement un assistant Alexa-Siri avec IA : via un portail web appelé The Rabbit Hole (évidemment), le R1 peut être connecté à différents services.

 

À côté des robots-chiens de Boston Dynamics, qui se déplacent (accompagnés) entre les halls du salon, on a donc retrouvé Ballie, objet mignon au nom mignon, et LG avec le LG AI Agent, également très mignon, mais au nom très basique, qui ressemble à un petit chien avec des écouteurs. On peut s’imaginer ces deux robots comme une Alexa sur roulettes. A propos d’Alexa, Amazon va bien sûr également intégrer les avancées des LLM dans Alexa (avec laquelle la conversation reste à ce jour assez pénible). Selon nos entretiens au CES, l’entreprise a en tête des contenus d’actualité résumés « alimentés par des sources fiables ». Le produit sera lancé en 2024 aux Etats-Unis, y compris avec des contenus européens. Affaire à suivre.

Les CES vient aussi avec son lot de voitures volantes (comme chaque année, sans jamais les voir arriver dans la vraie vie) :  La société DTA présentait l’« Evitol » premier véhicule électrique volant entièrement autonome à destination des particuliers et professionnels qui promet de se déplacer simplement d’un point à un autre, en rentrant les coordonnées GPS du point d’arrivée. Il permet de transporter deux personnes pour un poids de 180 KG sur une distance de 200 KM. Ce véhicule sera commercialisé à partir de 2026 au prix de 200 000€.

Supernal, de son côté, la division eVTOL du constructeur automobile Hyundai, affirme que son concept S-A2 peut rouler à 120 miles par heure et atteindre une altitude de 1 500 pieds. La capacité de la batterie est suffisante pour les trajets de 25 à 40 miles que les hélicoptères effectuent couramment entre les centres-villes et les aéroports pour les hommes d’affaires fortunés. La société affirme que son « avion » « fonctionne aussi silencieusement qu’un lave-vaisselle », émettant 65 décibels lors des phases de décollage et d’atterrissage à la verticale et 45 dB en croisière à l’horizontale. Et si ce modèle paraît familier, c’est parce que l’entreprise a présenté un même prototype au CES en 2020.

Vu également au LVCC, la très impressionnante première voiture volante « L’Aeroht eVTOL Flying Car» du constructeur Chinois XPeng, permettra de se déplacer sur des distances de 20 km à la vitesse de 60 km/h. Elle devrait être commercialisée fin 2025 et son prix n’est pas encore connu.

Pendant ce temps, Samsung présente aussi un téléphone qui se plie dans les deux sens (« Flex In & Out »), et les écrans deviennent de plus en plus transparents.

Des téléviseurs toujours plus grands et toujours plus lumineux…

Cette édition du CES 2024 n’a pas dérogé à la règle du « toujours plus » ! Ainsi TCL a dévoilé un écran de 115 pouces miniLED (292 cm de diagonale) qui en fait le plus grand écran du monde. Celui-ci devrait être commercialisé au premier semestre 2024. Samsung a annoncé le lancement d’une nouvelle gamme de téléviseurs microLED (de 76 pouces à 140 pouces) qui sera commercialisée en début d’année 2024 (compter 1000 €/pouce).

Samsung MicroLed

LG annonce équiper sa gamme de téléviseurs OLED 2024 « M4 & G4 » du nouveau processeur Alpha 11 AI au profit d’une optimisation de l’image et du son et qui permet notamment aux écrans de passer de 120 à 144 HZ avec une certification G-Sync.

LG et Samsung dévoilent leurs écrans transparents

Sans doute destinés aux professionnels dans un premiers temps, et à des prix qui restent prohibitifs (jusqu’à 150 000 € ) ces écrans (MicroLED pour Samsung et OLED T pour LG) permettent d’afficher, en transparence, un décor ou une animation avec une qualité d’image exceptionnelle ! Ces écrans permettent également de retrouver l’usage de la télé traditionnelle grâce à un système d’opacification de la dalle. L’écran LG sera disponible à la vente fin 2024 et celui de Samsung n’est pas encore annoncé.


Ecrans 3D sans lunettes

Les écrans 3D sans lunettes sont de retour cette année. En plus de Leia Inc présente l’année dernière, des constructeurs comme Samsung et TCL présentent des moniteurs gaming permettant de voir ses jeux et films en relief sans porter de lunettes ou casque. 

Le CES reste un salon de l’auto 2.0 où les entreprises comme Sony et Samsung présentent leurs futurs systèmes d’infodivertissement embarqués dans les voitures. Concernant la partie intelligence artificielle, ces deux sociétés ont annoncé leur collaboration avec Microsoft sur les sujets de la data et l’IA dans le domaine de la voiture autonome. TCL, Panasonic, LG ont également dévoilé leurs visions de l’intégration des téléviseurs dans les tableaux de bords des voitures et pour les passagers.

Le métavers, pour l’industrie

Pour Dr. Roland Busch, président et CEO de Siemens, 2024 est un point tournant : on peut construire et utiliser les technologies plus vite que jamais parce que nous pouvons combiner réel et digital en donnant, entre autres, accès à des talents à travers le monde virtuel.

Pour lui, le métavers industriel est un monde virtuel, un espace immersif où les humains et les IA peuvent collaborer en temps réel pour résoudre les problèmes du monde réel, un lieu qui combine le réel et le numérique, pour accélérer l’innovation. On peut y simuler ce que l’on veut à moindre coût, avant de le construire dans le monde réel, tout en utilisant moins de ressources naturelles.

Dr Roland Busch lors de sa keynote Siemens

L’entreprise en a fait la démonstration à travers l’exemple de la construction d’une usine, avec une première version en jumeau numérique (mais qui peut bien sûr s’appliquer sur tout autre sujet) : les capacités de production sont augmentées de 200%, l’efficacité de 20%, et la consommation d’énergie y est de moins 20%.

A propos de métavers, dans une des tables rondes, Dan Reed, le COO de Meta Reality Labs, a mis en avant l’importance de l’interaction sociale dans son espace immersif (qui ne semble toujours pas mort). Pour lui, des plateformes comme Roblox sont massivement adoptées dans les casques Quest, et l’évolution du monde digital ne s’arrête pas au smartphone : les lunettes connectées (également vues chez Amazon, entre autres) sont un moyen d’ajouter une interaction avec des informations bien plus étendues qu’un simple écran. Il les a d’ailleurs fièrement présentées sur scène.

Dan Reed, COO de Meta, avec Nickole Tara, Cirque du Soleil

Le virtuel s’immisce en tout cas aussi de plus en plus dans la production, exemple avec Sony Extended Reality. Smode Japan, filiale de la société française Smode Tech, a pour cela apporté son soutien à Sony. En s’appuyant sur la technologie XR, qui permet aux utilisateurs de fusionner les mondes réel et virtuel, Smode XR facilite la création et l’étalonnage d’expériences immersives pour les tournages de productions virtuelles, ainsi que pour les émissions de télévision, les films et les événements en direct.

Smart lunettes, casques et expériences immersives

Les lunettes connectées et casques de réalité mixte étaient bien présents également sur le salon. TCL montre ses lunettes RayNeo Air 2 et les décrit comme un moniteur portable géant compatible avec tout type de console ou de devices. Xreal présente des lunettes de réalité augmentées Xreal Air 2 Ultra en mettant en avant un écosystème virtuel “spatial” modulable basculant entre travail et divertissement, permettant d’afficher tout un ensemble de fenêtres virtuelles et de faire du “spatial computing”, terme devenu clef voulant regrouper les termes AR, VR, XR des années précédentes.

Les sociétés comme LetinAR ou Cellid présentent quant à elles des prototypes de verres avec des écrans toujours mieux intégrés qui permettent d’imaginer qu’on se rapproche de plus en plus de lunettes connectées qui aient sensiblement la même forme et un poids similaire à des lunettes traditionnelles.

MeganeX superlight

Shiftall (Panasonic) présente également un prototype de sa nouvelle version de casque de réalité virtuelle PCVR MeganeX, plus léger et confortable. Sony a dévoilé un partenariat avec Siemens pour produire un nouveau casque de réalité virtuelle, sans nom officiel pour l’instant, ciblant contrairement au PSVR 2 une cible professionnelle. Le casque, accompagné d’une bague et d’un contrôleur, est conçu pour le design et l’ingénierie, et peut être utilisé de façon autonome ou connecté à un ordinateur.

Bague connectée

Dans les objets connectés il y a également cette année l’arrivée des premières bagues connectées de la société chinoise RingConn permettant de monitorer la santé de leurs porteurs sur les mobiles.

Création/Génération d’expérience immersive

Afin de créer les expériences que les consommateurs verront à l’avenir dans tous ces appareils immersifs, plusieurs innovations autour de la génération de contenus 3D étaient présentes. Sony remet en avant ses filiales HawkEye et BeyondSports qui créent des expériences immersives notamment sur Roblox, grâce à des données capturées pendant des évènements sportifs. Sony présente également les expériences créées par sa filiale musicale sur Roblox et Fortnite. Canon a mis en avant son système de captation de terrain de basket en vidéo volumétrique permettant de suivre un match en direct suivant n’importe quel angle sur mobile ou en réalité mixte.

La génération (grâce à l’intelligence artificielle) de contenu 3D était également présente dans les allées de l’Eureka Park, la zone “Start-Up” du CES. Chat3D propose de générer des modèles 3D à partir de prompt et travaillerait déjà avec des grands noms du monde du jeu vidéo pour accélérer leurs process. Nation A, une société coréenne propose elle de générer des animations pour des personnages 3D et il semblerait que cela soit très utilisé chez les créateurs de jeux Roblox. Les avatars étaient également présents et on notera par exemple la société COprésence présente au pavillon Suisse dont la technologie permet de créer des avatars très réalistes et d’animer leurs visages en temps réel en se filmant avec une caméra.  

Et s’il n’y a pas encore suffisamment de contenus 3D, les sociétés comme Leia et son logiciel LeiaPix ou encore Owl3D proposent de nouveaux outils pour convertir les films et les vidéos 2D vers la 3D grâce à l’IA.

Demain, des Turbo-Humains ? 

Dans le futur, nous serons tous un peu des cyborgs, du moins si l’on en croit certains des exposants du CES. Les Moonwalkers de Shift Robotics en sont un bon exemple. Ils ressemblent à des patins à roulettes aux allures de Starlight Express, mais sont plutôt un accélérateur pour notre propre démarche. On y monte avec des chaussures de ville, on marche normalement et, sous le contrôle de l’intelligence artificielle – comme il se doit pour le CES 2024 – les roulettes assurent une vitesse de marche trois fois plus élevée, sans risque de basculer en avant : Les boots s’adaptent à votre démarche.

Photo : Shift Robotics

L’IA s’associe aussi à la Santé : parmi toutes ces sociétés, SQUAREMIND, start-up Parisienne, propose, en première mondiale, un robot dont l’objectif consiste à numériser, à très haute résolution l’intégralité de la peau en quelques minutes. Une IA permet de mettre en évidence les évolutions significatives des différents grains de beauté entre deux visites. Cette solution, qui a sollicité 4 ans de R&D, permettra d’augmenter les capacités diagnostiques des médecins dans le cadre du dépistage du cancer de la peau. Elle devrait être commercialisée en fin d’année 2024. La société IVès, de son côté, propose une solution de chatbot basée sur une IA capable de répondre, en temps réel, à une question d’utilisateur posée en langage des signes. La réponse est également apportée en langage des signes par un avatar.

Des partenariats pour survivre dans un monde en crise

Dans un monde en pleine crise, les partenariats entre entreprises sont un moyen de survie stratégique. Les associations et partenariats entre industriels étaient en pléthore au CES 2024 :

Intérieur Sony Afeela

Sony et Honda unissent leurs forces pour créer la voiture électrique Afeela, Volkswagen, de son côté, innove en intégrant un chatbot ChatGPT dans ses véhicules, tandis que L’Oréal s’associe à Alphabet pour développer Hapta, un dispositif rendant le maquillage accessible aux personnes en situation de handicap. Delta Airlines permet à ses clients de payer un café avec des miles accumulés, et Mercedes Benz collabore avec Will.i.am pour créer une expérience musicale immersive adaptée au style de conduite, transformant ainsi la voiture en orchestre symphonique. Mercedes-Benz, toujours, veut aussi, avec l’aide des graphismes de jeu haute résolution de Unity, réinventer l’assistant vocal « Hey Mercedes » en lui conférant une nouvelle dimension visuelle. Ola Källenius, le PDG de Mercedes-Benz, a déclaré : « Mercedes-Benz réinvente l’expérience numérique des passagers en tirant parti de l’intelligence artificielle pour offrir une interaction semblable à celle d’un humain avec l’assistant virtuel intelligent MBUX.


L’expérience de shopping se réinvente avec Walmart, dont le président et CEO Doug McMillon annonce une révolution par l’IA, marquant potentiellement la fin des supermarchés tels que nous les connaissons. La compagnie a présenté une application utilisant des modèles de langage avancés, permettant une recherche par cas d’usage plutôt que par des requêtes spécifiques, rivalisant ainsi avec la nouvelle expérience de recherche générative de Google (SGE, Search Generative Experience). Cette innovation offre une personnalisation poussée, où, plutôt que de fournir une liste de courses précise, on pourra demander au chatbot « Que faut-il pour ma prochaine fête d’anniversaire ». McMillon a aussi mis en lumière le partenariat avec Microsoft, en invitant Satya Nadella sur scène lors de sa keynote, révélant l’utilisation conjointe de modèles de langage OpenAI Azure et de modèles spécifiques à la vente au détail de Walmart.

Partenariat AWS + Siemens

AWS et Siemens se sont aussi retrouvés ensemble sous les feux de la rampe lorsque Matt Wood, vice-président des produits, a rejoint Roland Busch, PDG de Siemens Global, sur scène lors de la conférence d’ouverture pour expliquer comment les deux entreprises facilitent l’accès aux outils d’IA générative dans tous les secteurs d’activité. Siemens intègre Amazon Bedrock – un service qui offre un choix de modèles de base très performants de grandes entreprises d’IA via une API unique, ainsi que des capacités en matière de sécurité, de confidentialité et d’IA responsable – à Mendix, la principale plateforme à code bas qui fait partie du portefeuille Siemens Xcelerator. Cela permettra à un plus grand nombre de clients de créer, de mettre à l’échelle et d’optimiser les applications existantes avec la puissance de l’IA générative sur AWS.

La célèbre Martha Stewart, de son côté, s’est associée avec Samsung, pour proposer un show culinaire SmartThings

@marthastewart What’s better than @samsungUS #SmartThings kitchen innovations at #CES2024? ♬ G.A.B – Official Sound Studio


Apple a annoncé que la nouvelle expérience CarPlay serait différente dans chaque véhicule, avec une interface et un design spécifiques, et des fonctionnalités qui pourraient évoluer selon le moment de la journée, en citant Porsche comme exemple lors de cette présentation.

Le service de streaming live TuneIn a, de son côté, mis en place des partenariats avec presque tout le monde : il rassemble des sports, des actus, de la musique, des podcasts et des radios du monde entier. Avec plus de 75 millions d’utilisateurs actifs par mois, TuneIn est l’une des plateformes de streaming audio les plus utilisées au monde. TuneIn diffuse plus de 100 000 stations de radio détenues, opérées et partenaires. Avec une distribution de premier plan sur plus de 200 plateformes et appareils connectés, TuneIn permet aux auditeurs d’écouter ce qu’ils aiment, où qu’ils se trouvent. Les abonnés à TuneIn Premium bénéficient d’un accès exclusif à des informations sans publicité de grands réseaux comme CNN, Fox News Radio, CSPAN, MSNBC, CNBC et Bloomberg, ainsi qu’à des retransmissions en direct de MLB, NFL, NHL et à des programmes sportifs universitaires et des chaînes de musique sans publicité. Au CES, TuneIn a annoncé offrir son service de radio aux téléviseurs intelligents VIZIO.

Amazon FireTV s’apprête à lancer ses chaînes en 2025 avec un modèle FAST, offrant une expérience gratuite et soutenue par la publicité. L’objectif est de rassembler des vidéos courtes dans un flux unique sur les TV et les produits Alexa, avec des pages d’accueil éditorialisées et un partage des revenus. Un contrat unique avec chaque source est recherché pour les droits globaux, et des partenariats comme celui récemment annoncé avec Panasonic sont essentiels pour la distribution du matériel FireTV Stick, qui continue de bien se vendre. Alexa et Character AI offriront aussi bientôt aux utilisateurs la possibilité de « parler » avec différentes personnalités, de Socrate à Elon Musk, apportant « une dimension plus humaine et interactive à l’expérience utilisateur ».

Les téléviseurs LG se transformeront bientôt en centres de commande pour la maison intelligente Google Home, comme annoncé lors de la conférence de presse CES de LG. Erik Kay de Google y a été invité sur scène, pour expliquer que les téléviseurs LG agiront comme des contrôleurs pour Google Home, permettant de configurer et de contrôler les dispositifs Matter, ainsi que de voir et de contrôler les appareils LG, Google et Google Home directement depuis le téléviseur ou l’application ThinQ.

Sonos, enfin, cherche à améliorer son intégration avec Spotify, percevant les options actuelles comme très limitées, notamment parce que la plupart des services de musique en streaming ne sont pas lucratifs et ne peuvent pas utiliser la publicité.

Côté politique, le Bureau du Gouverneur de Pennsylvanie s‘associe avec OpenAI pour intégrer ChatGPT Enterprise, ce qui en fait le premier État américain à adopter cette initiative. L’objectif ? Améliorer l’efficacité à tous les niveaux. Dans un premier temps, le Bureau de l’Administration utilisera ChatGPT pour des tâches telles que la simplification du langage de politique publique dépassé, la rédaction de descriptions de postes, la résolution de problèmes de redondance dans les politiques internes des employés, la génération de code, entre autres applications.

Le marketing à l’ère de l’IA

Lors de tables rondes très prisées par les professionnels de divers secteurs, une question revient souvent : comment l’intelligence artificielle générative influence-t-elle notre façon de travailler ? Pour le Weather Channel, qui repose sur les données et prévisions météorologiques depuis des années, l’IA promet de rendre le storytelling encore plus captivant. Dès 2015, Nora Zimmet s’est penchée sur les plateformes de jeux vidéo pour mieux cerner les attentes du public. L’IA générative devrait permettre de fournir des contenus plus locaux, plus ciblés et encore plus pertinents.

Il est largement reconnu que l’IA devrait être utilisée comme un outil, et non comme un jouet. Elle est destinée à renforcer la créativité et incarne la technologie du « Et si ? » (What if). L’IA accélère aussi le passage d’une mentalité de diffusion large (broadcasting) à une diffusion personnalisée (narrowcasting).

Evan Spiegel, fondateur de Snap, a souligné comment sa société se distingue de ses concurrents : les services de messagerie remplaceront-ils les réseaux sociaux traditionnels ?

Michael Kassan de MediaLink a clôturé chaque table ronde en résumant ses « Media Links T’s and C’s » (Terms and Conditions) : T pour trust (confiance), transparency (transparence), technology (technologie), talent (talent) et transformation (transformation). C pour content (contenu), commerce, culture, creativity (créativité), community (communauté), creation (création) et curation. La curation, dans ce contexte, signifie faire face à un excès de choix tout en augmentant la commodité.

La maîtrise d’une marque poussée à ses limites, sur une table au CES 2024

Lors de la table ronde dédiée à la guerre du streaming, Roku était l’invité vedette, définissant le streaming comme un contenu diffusé via Internet sur un téléviseur. Roku offre plus de 400 chaînes FAST. Pour Kristina Shepard, VP Global Advertising Sales de Roku , les chaînes FAST représentent une solution au problème de l’attrition des abonnés, avec un ciblage très précis qui nécessite une créativité tout aussi affinée. Elles pourraient également être un moyen d’attirer la Génération Z, qui, d’après Amie Owen de UM, fait défiler l’équivalent de 8 kilomètres de contenu sur son téléphone chaque jour, un fait qui pourrait intéresser particulièrement les applications de fitness.

Publicité « shoppable » chez Disney

Disney, de son côté, se joint à Walmart, Amazon, Home Depot et d’autres pour tester la « shoppable TV » avec des publicités d’Unilever. Disney a annoncé le lancement d’un programme bêta pour ses premières publicités « shoppables ». Les consommateurs pourront effectuer des achats par l’intermédiaire de la nouvelle boutique Gateway dans Hulu sans rupture de leur expérience de visionnage. Cette annonce donne un aperçu de ce que Disney prévoit de faire avec Hulu. La société a conclu un accord en 2023 pour acquérir la participation précédemment détenue par Comcast. Les téléspectateurs verront des publicités personnalisées pour des produits qui seront envoyées aux téléphones par le biais de notifications push ou par courrier électronique, selon Disney. Au cours des prochains mois, Disney développera les fonctions d’achat interactif en streaming.

Bodyfriend

Dans une discussion sur l’avenir de l’industrie du divertissement, Cynthia Littleton, co-rédactrice en chef chez Variety, a mentionné une publicité vue dans un aéroport pour une entreprise qui, grâce à l’IA, crée des publicités en quelques minutes pour quelques centimes. Pour les diffuseurs, TikTok devient une mesure culturelle importante : un vieux programme peut soudainement devenir le nouveau sujet tendance (comme c’était le cas avec Judge Judy). Cette table ronde a également été l’occasion pour NBC d’annoncer une nouvelle émission nature, en partenariat avec la BBC (5 ans de production), avec Tom Hanks « dans le rôle de David Attenborough ». Les marques et chaînes historiques voient de plus en plus l’intérêt de partenariats avec TikTok, selon Catherine Halaby, Head of Entertainment chez TikTok, à l’instar de Disney pour célébrer les 100 ans de sa marque. TikTok devient un vecteur incontournable de trafic. Netflix et Paramount l’ont vite compris, en voyant des fans publier du contenu, ils ont décidé de le faire eux-mêmes avec comme devise : Créez comme un créateur (Create like a creator).

@disneyanimation 100 years of stories. 100 years of magic. 🧚🪄✨ Once Upon A Studio, a new Original short film, premieres on ABC during “The Wonderful World of Disney: Disney’s 100th Anniversary Celebration!” on October 15 at 8/7c. #Disney #Disney100 #D100 #OnceUponAStudio #MickeyMouse ♬ original sound – Walt Disney Animation Studios

Adobe, quant à lui, s’est positionné comme un accélérateur de créativité, éliminant la peur de la page blanche. Les cycles de création qui duraient plusieurs semaines et aboutissaient à peut-être deux campagnes par an se sont raccourcis à quelques minutes. Kristen O’Hara, CMO de Google, considère aussi l’IA comme la technologie salvatrice de l’éducation, offrant un accès à des assistants de formation personnels, une idée déjà soulignée lors du Google Zeitgeist. Enfin, le monde virtuel s’infiltre dans l’espace de travail. Nickole Tara du Cirque du Soleil, pionnier dans l’utilisation de l’IA pour ses spectacles, affirme que, grâce aux outils technologiques, le jeudi est désormais le nouveau vendredi.

Dans table ronde intitulée « Embrace the Power of Fandom to Connect Content and Commerce », Alexys Coronel, responsable des loisirs et des télécommunications aux États-Unis chez Amazon Ads, s’est entretenu avec Andrew Wallenstein, président de Variety Intelligence Platform et analyste en chef des médias, sur la manière dont les marques peuvent se rapprocher des fans – et sur la manière dont cela se rapporte à la transition de Prime Video vers un service financé par la publicité. Alexys Coronel a révélé que l’objectif d’Amazon est de fournir 115 millions d’utilisateurs uniques à sa communauté d’annonceurs américains. « À moins que vous ne choisissiez de ne pas participer, vous commencerez à profiter de ce que nous pensons être des expériences publicitaires très convaincantes au sein de Prime Video », a-t-elle déclaré.

Conclusion

Dans un monde rempli d’IA générative, essayons de garder un pied dans le réel. Pour Jason Carmel, Global Creative Data Lead chez VML, l’IA c’est juste un logiciel [sic] (même très smart), et on a tout de suite l’air très bête lorsque l’on remplace « un ordinateur boosté à l’IA » par « un ordinateur boosté par un logiciel ». Ce qui est sûr : le CES est désormais autant (voire plus) une conférence sur les médias qu’un salon technologique, car la technologie et les médias fusionnent en un seul écosystème. Et la question pour les médias n’est plus s’il faut être présent dans telle voiture connectée ou sur telle télé connectée : les systèmes d’exploitation sont en train de fusionner, n’importe le support de diffusion. La question est désormais : comment être visible dans ces nouvelles interfaces pilotées par la voix (devenues sophistiquées grâce à l’IA générative), quelle expérience utilisateur y sera proposée, quels contenus seront diffusés et comment seront-ils protégés ?

Du côté des médias et du divertissement, les innovations technologiques matérielles telles que les écrans invisibles de LG et Samsung (qui ne semblent pas correspondre à un cas d’utilisation vital) ont presque paru insignifiantes par rapport aux nouvelles concernant l’entrée d’Amazon dans la publicité sur Prime, ou aux annonces majeures de Disney en matière de technologie publicitaire, y compris une avancée majeure dans le domaine des médias de détail avec des publicités « shoppables ».

Du point de vue d’un expert en médias, le CES de cette année a marqué l’achèvement d’une évolution entamée bien avant le salon international. Ce qui était autrefois considéré comme un événement centré sur les gadgets est désormais reconnu comme un lieu de discussion sur l’impact et l’évolution de la technologie dans le secteur des médias. L’ironie des licenciements annoncés par Amazon, Google et NBC en parallèle du CES n’a pas échappé aux participants. De même, la semaine difficile pour Apple à la Bourse s’est produite en même temps que la mise en vente publique de Paramount. Ces événements, survenus à Las Vegas et ailleurs au cours de ces quatre jours, ont clairement démontré l’interconnexion croissante entre les industries du divertissement et de la technologie.

Illustration : Montage du logo CES sur The Sphere, une version XXL de la Géode

Slush 2023, la persistance à l’ère de l’IA

À Helsinki, le thermomètre plonge mais l’innovation technologique ne connaît pas de gel. Slush 2023, loin de n’être qu’une simple rencontre hivernale, se révèle être une épopée de la persévérance technologique où l’intelligence artificielle et l’entrepreneuriat se confrontent aux réalités économiques contemporaines, sur fond d’ambiance toujours aussi sombre, parsemée d’étranges objets organiques, et de quelques plantes vertes qui se battaient pour leur survie dans la pénombre entrecoupée de lumières laser. Au Messukeskus, l’esprit de découverte se manifeste dans un mélange, où l’obscurité saisonnière s’illumine de l’éclat des idées et des visions futuristes.

Dans un monde où l’intelligence artificielle imprègne chaque aspect de notre vie, des assistants RH aux wearables et aux soins médicaux à distance, nous franchissons le seuil d’une sorte de quatrième dimension. Cette ère numérique redéfinit notre interaction avec les machines, offrant des solutions pour éviter les affections telles que la dépression, qui nous hante peut-être face aux avancées trop rapides d’une technologie qui nous dépasse.

Par Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media 

La Finlande: Petit géant technologique ou mirage nordique ?

Dans les étendues neigeuses de la Finlande, un dynamisme surprenant prend racine. Avec moins de 6 millions d’habitants, ce pays nordique pèse lourd sur la scène technologique mondiale. Autrefois berceau de Nokia, la Finlande est aujourd’hui une pépinière de l’industrie du jeu vidéo et des startups technologiques qui attirent les investisseurs, avec plusieurs d’entre-elles soutenues par des fonds de capital-risque, valorisées à plus de 1 milliard de dollars chacune. Slush, né en 2008 d’une initiative locale visant à rassembler les amateurs de technologie, est devenu un catalyseur essentiel pour cet écosystème. Sous l’égide d’étudiants de l‘université Aalto, la conférence a explosé avec plus de 25 000 participants, générant près de 11 millions de dollars annuellement et incarnant l’entrepreneuriat avec une indéfectible ferveur finlandaise, qui n’a pas peur de l’échec.

Cependant, derrière cette façade se cache aujourd’hui une réalité plus nuancée. Les entrepreneurs finlandais émergent certes, mais le pays reste un nain en matière de financement de capital-risque, spécialement lorsqu’il s’agit de soutenir les entreprises au-delà des stades précoces de développement. La diversité s’affiche chez Slush, des jeunes recrues aux cadres expérimentés, mais un défi subsiste : la prédominance masculine parmi les entrepreneurs technologiques finlandais. Pourtant, l’existence d’exceptions comme Reflex Solutions, co-fondée par une femme, offre un espoir de changement. Miki Kuusi, CEO de Wolt, racheté par DoorDash, reste optimiste : « C’est une question de temps avant que nous n’assistions à un équilibre plus représentatif au sein de notre écosystème. »

L’IA, bouée de sauvetage des startups en mal de financement ?

Selon Tom Wehmeier, partenaire chez Atmico, investisseur en capital-risque basé en Finlande qui a soutenu des startups telles que Stripe, Klarna et Skype, ce qui distingue l’Europe, c’est la disponibilité des talents. « Il y a un grand vivier d’ingénieurs à travers l’Europe, y compris dans des pays nordiques comme la Finlande et l’Estonie, qui travaillent actuellement pour des entreprises américaines sur place en Europe. Il est inévitable qu’à mesure que le capital commencera à affluer… et que les grandes entreprises prendront des rôles de mentorat, ces personnes commenceront à se détacher pour créer de nouvelles entreprises« .

Les données révélées par Atomico sont un rappel sévère : les investissements plongent, le capital-risque européen a chuté de 55 % par rapport à l’année record de 2021. Eerika Savolainen, CEO de Slush note un changement dans l’air : la durabilité prend le pas sur la croissance à tout prix. Mais est-ce un choix stratégique ou une réponse contrainte à un environnement de financement plus frileux ? Ce climat financier impose aux startups de prouver leur viabilité à long terme bien plus tôt dans leur cycle de vie. Dans un hiver financier, les startups qui s’engagent dans des secteurs comme l’écoresponsabilité, la santé et l’énergie attirent un nouvel afflux de capital. Atomico souligne cette tendance, notant que 27% de tout le capital investi a été capturé par les startups dans le secteur de l’énergie et du carbone, éclipsant même la fintech et le logiciel.

Markus Villig, fondateur et CEO de Bolt, habitué de Slush, et ambiance organique au Messukeskus 

L’IA, booster de croissance ? Innovation versus protection

La startup Proximie redéfinit le domaine médical avec son SDK avancé pour la numérisation des salles d’opération, améliorant la collaboration et l’efficience chirurgicale par des moyens de téléprésence et d’analyse de données. En parallèle, la société de capital-risque Benchmark maintient son soutien stratégique dans l’écosystème de l’IA. Célèbre pour son approche équitable envers ses associés et ses investissements judicieux dans des entreprises de renom telles qu’Uber et Dropbox, Benchmark a marqué sa présence à Slush en confirmant son intérêt pour « l’excellence et l’exceptionnel » que représente l’écosystème des startups européennes. Pendant ce temps, Silo AI, avec son expertise approfondie et son équipe de plus de 300 spécialistes, dont 150 doctorants en IA, s’affirme dans la sphère de l’IA générative, en visant une expansion (y compris en France) qui témoigne de son aspiration à être à la pointe de l’industrie 4.0 et des villes intelligentes.

Duolingo, l’application d’apprentissage de langues la plus utilisée au monde, conçue par un Suisse, ne souhaite pas non plus se faire dépasser par la révolution ChatGPT. Son PDG Severin Hacker a répondu à Alex Stöckl, partenaire fondateur de Wingman Ventures à Slush que son entreprise (qui vient d’intégrer des cours de mathématiques et de musique)  va encore davantage adopter la technologie IA : « attendez-vous bientôt à un Avatar Personnel dans Duolingo qui vous fera oublier le besoin de ChatGPT ou d’autres en dehors de Duolingo« . 


Severin Hacker, Duolingo face à Alex Stöckl, partenaire fondateur de Wingman Ventures

Côté jeux vidéos, pour Hilmar Veigar Petursson, CEO de CCP Games, l’IA générative peut aider à approcher l’infini, et pour certains jeux, dont le scénario est tellement mal écrit que les utilisateurs croient à une oeuvre fabriquée par l’IA (cf Silent Hill), il serait peut-être mieux d’utiliser un assistant artificiel intelligent. Hovhannes Avoyan, fondateur de Picsart, la plus grande plateforme de design en ligne (150 M d’utilisateurs / mois), et dont la fille est artiste, défend de son côté la créativité humaine pour raison familiale, et souligne que son service s’adresse surtout aux professionnels du marketing, ne remplaçant en aucun des cas des artistes.

Mistral, le miracle français semi-Open Source

En juin de cette année, Mistral AI basée à Paris a réussi un tour de table de 105 millions d’euros – ce qui en fait la plus grande levée de capitaux à ce stade. La levée de fonds a été menée par Lightspeed Venture Partners, et a vu la participation d’investisseurs basés en France, en Allemagne, en Italie, en Belgique et au Royaume-Uni, parmi lesquels JCDecaux Holding, Rodolphe Saadé et La Famiglia. Pour son fondateur et PDG, Arthur Mensch (drôle de patronyme pour un défenseur de l’IA), il est important de placer l’Europe sur la carte dans la course à l’IA avec les États-Unis et la Chine. Autre poids mi-lourd de l’IA européenne : Aleph Alpha, qui a récemment levé 500 millions d’euros, rejoint cette course à la fabrication d’un champion européen qui permettra d’intégrer des valeurs européennes dans l’IA générative.


Arthur Mensch, co-fondateur et CEO de Mistral, en discussion avec Paul Murphy, partenaire à Lightspeed Venture Partners 

Pour les entreprises européennes, l’approche open-source (modérée – il ne faut pas tout divulguer) semble la plus pertinente pour tirer son épingle du jeu et rivaliser avec les poids lourds américains du secteur tel que Open AI. Lors de son intervention à Slush, Arthur Mensch, qui positionne Mistral (en se différenciant d’Open AI) surtout du côté B2B à destination des développeurs, a estimé qu’il existe de nombreuses opportunités dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’énergie. Interrogé au sujet de l’encadrement réglementaire européen, le PDG de Mistral, passé par Meta, souligne l’importance de réguler, mais plutôt les produits, et non pas la technologie, en s’alignant ainsi sur l’argumentation des défenseurs de l’innovation (à tout prix).

Reste à savoir si le cadre final fixé par Bruxelles permettra l’émergence d’un titan européen technologique qui se fait désespérément attendre. Pour l’instant, pour Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, « les Gafam et la startup Mistral ne défendent pas l’intérêt général« . Au risque de choquer, il vient de hausser le ton à quelques jours des derniers arbitrages sur l’IA Act. Cette loi globale applicable à toute l’Europe sera la première dans le monde à mettre en balance le nécessaire soutien à l’innovation et la prise en compte des risques systémiques de l’intelligence artificielle. 

Conclusion : Un futur entre promesses et précautions


KB

Slush 2023 s’achève sur une note ambiguë. L’optimisme suscité par les avancées technologiques est contrebalancé par une réflexion critique. L’Europe, avec ses ambitions affirmées dans l’IA, tente de trouver un équilibre entre l’aspiration à devenir un leader technologique et la nécessité de préserver ses valeurs sociétales et éthiques. Le défi sera de naviguer dans cet avenir incertain sans sacrifier ni l’innovation ni l’intégrité. Ce qui est sûr : Un an après la sortie de ChatGPT, l’euphorie autour de l’IA générative est loin d’être retombée. L’intelligence artificielle est bien plus qu’une mode éphémère, c’est la force motrice d’une ère nouvelle qui s’annonce. Pour les milliers de fondateurs et d’investisseurs qui se sont rassemblés dans la capitale finlandaise, 2023 était l’année de l’IA. Et dans un monde en crise économique perpétuelle, c’est la start-up Faircado, un Amazon des produits de seconde main (dans la tendance Green Friday au lieu du Black Friday) qui a remporté le grand prix de Slush.

Stratégie IA de la France, 3 questions à Guillaume Avrin

Alors que la France célèbre le cinquième anniversaire de sa stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA), l’émergence de l’IA générative suscite de nouvelles questions stratégiques. Forts des succès des phases précédentes, les décideurs sont confrontés au défi d’intégrer ces avancées technologiques pour façonner l’économie et le bien-être social. Ce tournant technologique impose une révision de la feuille de route pour la seconde phase (2022-2025), réorientant les investissements et les initiatives. Guillaume Avrin, Coordonnateur national pour l’intelligence artificielle, détaille la vision de la France, et les actions à venir. 

Quel est l’impact des récentes avancées de l’IA, et plus particulièrement de l’IA générative, sur la feuille de route établie pour la seconde phase (2022-2025) de la stratégie nationale pour l’IA ?

A l’heure où nous célébrons le cinquième anniversaire de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA), nous entrons dans une ère d’expansion et de généralisation des intelligences artificielles. Elles impactent notre rapport à la connaissance, au travail, aux transports, à notre environnement. Nous avons pu nous en apercevoir lors des expérimentations grand public réussies de ChatGPT. Et nous sommes prêts à transformer ce potentiel en bénéfices pour notre économie et le bien-être social.

En 2018 il s’agissait, partant de rien, de discerner les plus motivés et compétents de nos spécialistes en IA et de les aider à se développer, à s’installer dans un paysage en devenir, pour s’assurer de disposer d’artisans éclairés et qualifiés capables de couvrir tout l’éventail technique et applicatif de nos futures entreprises. Il s’agissait aussi bien sûr de mettre de l’ordre dans une communauté qui foisonnait d’initiatives de toutes sortes, donc de contenir, rassembler, consolider, articuler et responsabiliser. C’est d’ailleurs le nom que nous donnons à cette première étape de nos travaux : « structurer l’écosystème de l’IA ».

Grâce à cette première phase de la SNIA, à laquelle nous avons consacré 1,85 Md€ de fonds publics, nous sommes désormais en ordre de bataille, et prêt à passer à l’offensive dans le cadre de projets disposant de cibles claires et tributaires d’un dessein d’ensemble.

Nous avons intitulé la phase 2 de la SNIA « diffuser l’IA dans l’économie ». Il s’agit, avec un budget de 1,5Md€, de porter l’attention sur les produits de l’IA, donc sur le marché, la demande, le besoin, les usages et contraintes d’usage, la concurrence, les coûts et les prix, les éventuels monopoles ou verrous commerciaux.

Elle nous oblige à faire des choix, qui sont par nature risqués et d’ordre stratégique. Ces choix concernent par exemple les filières commerciales et de développement sur lesquelles il sera préférable de se concentrer, et en contrepartie celles qui seront relativement délaissées, voire abandonnées. Ces choix doivent s’appuyer sur une étude approfondie du besoin d’IA à terme, professionnel ou personnel, sur des prévisions chiffrées de volumes d’affaires ainsi que sur nos avantages et nos faiblesses au regard de l’offre étrangère.

Une première planification de la phase 2 a été menée dès 2021. Dans cet esprit nouveau que nous avons voulu lui donner, des choix stratégiques de filières ont été faits, après avoir été débattus. Il s’agit en l’occurrence de porter un effort particulier sur l’embarquabilité, la frugalité et la confiance. Les développements d’IA génératives s’accélèrent ces derniers mois, offrant de nouvelles perspectives de progrès économique et social.

Si nous développons en France des IA génératives depuis des années, nous avons il y a quelques mois presque tous été surpris par le degré d’anthropomimétisme atteint par ChatGPT. C’est plus une découverte qu’une invention : la machine a ponctuellement réussi le « test de Turing », c’est-à-dire qu’en interagissant avec elle, nous n’avons pas pu la distinguer d’un véritable homo sapiens, non pas grâce à une nouvelle idée mais à l’ampleur des capacités de calcul et des données mobilisées par OpenAI pour son développement.

Les IA génératives laissent ainsi entrevoir des gains importants pour de nombreuses tâches comme la recherche et la synthèse documentaire pour l’automatisation de tâches administratives, le soutien à la conception et à l’innovation dans l’industrie, la génération automatique de code informatique ou encore l’assistance aux artisans et artistes dans les industries culturelles et créatives.

La France dispose de nombreux atouts à même de la positionner à l’avant-garde de technologies d’IA générative performantes et maîtrisées au service des entreprises et des citoyens. Elle peut bâtir sur les fondations d’un écosystème de formation et de recherche d’excellence et sur le dynamisme de son réseau d’acteurs de l’innovation : startups (Mistral, LightOn, Poolside, Dust, Nabla, Aive, Linagora, eXplain, Giskard, Hugging Face, PhotoRoom, etc.), fournisseurs de capacités de calcul (Scaleway, OVHCloud, Eviden) et groupes industriels du Manifeste IA.

De manière à saisir l’ensemble des opportunités économiques de l’IA générative, et plus généralement des giga-modèles, et comme annoncé par le président de la République le 14 juin à Vivatech, nous avons décidé de lancer quatre actions supplémentaires au sein de la SNIA afin de soutenir les acteurs émergents de la filière tout en investissant significativement dans la recherche et les infrastructures nécessaires aux développements des IA génératives et des giga-modèles.

Afin de développer des produits et des services innovants et pertinents pour nos besoins nationaux et européens, un appel à projets « Communs numériques pour l’IA générative » (40M€) est ouvert depuis mi-juin afin d’accélérer la création et la mise en accessibilité de communs numériques sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA générative (bases de données d’apprentissage et de test valorisant le patrimoine national de données, giga-modèles génératifs pré-entraînés, modèles génératifs adaptés à des cas d’usages spécifiques, interfaces de programmation applicatives, outils d’évaluation, etc.).

Par ailleurs, un Grand challenge sur l’IA d’usage général (40M€) de type Darpa/Nist sera organisé. Il aura pour objectif de susciter un effet d’entraînement important auprès de consortia internationaux en « coopétition » et permettre ainsi une montée en maturité rapide des technologies d’IA d’usage général sur des applications identifiées comme prioritaires/stratégiques dans le cadre de la SNIA. Pour engager et soutenir nos champions de l’IA générative, nous ferons également appel à d’autres leviers de financement (commande publique, investissement en capital, etc.). Bpifrance a ainsi lancé un fonds d’amorçage doté de 50M€ à destination des entreprises qui exploiteront le fort potentiel de ces modèles génératifs pour commercialiser des produits et des services de pointe.

Les laboratoires et entreprises françaises doivent avoir accès à d’importantes infrastructures de calcul, qui sont nécessaires pour entraîner les giga-modèles génératifs. Le supercalculateur Jean Zay opéré par le GENCI sera ainsi augmenté et nous accueillerons très bientôt un nouveau supercalculateur exascale qui sera hébergé au CEA dans l’Essonne. Cette initiative née du consortium qui comprend la France, les Pays-Bas et l’Union européenne s’intègre pleinement dans le cadre de EuroHPC (>500M€). En Europe près d’une dizaine de supercalculateurs sont déjà en activité et d’autres sont sur le point de voir le jour (Jupiter en Allemagne notamment).

Notre priorité est d’exploiter cette technologique d’IA générative pour réaliser des applications intégrées économiquement pertinentes, comme l’expertise médicale, juridique ou financière, ce qui implique d’autres travaux de R&D. Le PEPR IA (73M€), piloté par Inria, CEA, CNRS, CNR) et axé sur l’IA frugale, l’IA embarquée, l’IA de confiance, ainsi que sur les fondements mathématiques de l’IA, devra notamment nous positionner sur ces prochaines innovations de rupture. Nous investirons également dans la R&D « post-IA générative » via notamment la mise en œuvre du dispositif IA cluster annoncé par le Président de la République à l’occasion du forum Vivatech. Celui-ci vise à renforcer les pôles de formation et de recherche d’excellence en France pour ancrer notre position parmi les leaders mondiaux de l’IA d’ici 2030.

En termes de souveraineté, où se trouve d’après vous le bon équilibre entre éthique et technique dans le choix entre solution nationale et internationale (américaine) ? Comment ne pas reproduire les mêmes erreurs de dépendances aux GAFA que l’on a pu observer avec les Réseaux sociaux ?

La question semble assimiler les solutions nationales à une priorité donnée à l’éthique et les solutions étrangères à la performance. Il faut bien distinguer les deux sujets. Concernant l’éthique, notre ligne rouge est de nous assurer que les IA déployées sur le territoire nationale seront sûres, robustes, résilientes, respectueuses des droits fondamentaux et écologiquement soutenables, avec des niveaux d’exigences adaptés aux cas d’usage visés (la conformité à l’AI Act sera ainsi attendue pour les applications à haut risque).

Concernant notre indépendance et la défense de nos intérêts, il est bien entendu indispensable dans les domaines régaliens de pouvoir recourir à des solutions souveraines. Pour les autres domaines, si nous chercherons bien entendu à assurer notre autonomie stratégique en favorisant une couverture la plus large possible de la chaine de valeur de l’IA par la filière française, notre attention se portera en priorité sur la demande, sur l’intégration effective de l’IA dans nos entreprises et sur sa contribution à notre redressement économique et bien-être social.

Cette transformation numérique doit se faire avec pragmatisme, afin qu’elle soit efficace. Nos entreprises utilisatrices d’IA seront encouragées à recourir aux plus performantes technologies existantes sur le marché qui seront conformes à nos critères éthiques, y compris celles fournies par nos partenaires économiques internationaux. Il est cependant également attendu de nos grands groupes qu’ils s’inscrivent dans une dynamique de filière afin de permettre l’éclosion d’une offre nationale compétitive. L’initiative « Je choisis la French Tech » et les partenariats d’innovation seront notamment mobilisés dans ce cadre, en lien avec les associations représentant les utilisateurs potentiels de ces technologies d’IA (Cigref, Manifeste IA, CPME, Medef, etc.).

La vision de l’État sur le développement de l’IA repose principalement sur le progrès économique et le bien-être social. Sur quels indicateurs peut-on s’appuyer pour trouver un équilibre entre croissance et destruction d’emplois, spécifiquement liés aux IA génératives ?

L’impact réel de l’IA générative sur le marché du travail ne pourra être évalué qu’en considérant également les emplois créés et ceux qui sont transformés, notamment pour être augmentés par l’IA. Cette transformation de notre société par l’IA est inévitable, l’essentiel est qu’elle soit pilotée et non subie, qu’elle se concentre sur les tâches dangereuses, rébarbatives, ancillaires, ainsi que sur celles qui présentaient les gains de compétitivité les plus importants pour nos entreprises et donc pour notre balance commerciale, ce qui conditionne le maintien à long terme de notre modèle société.

Nous suivrons tous les indicateurs utiles à cette fin, notamment ceux relatifs à l’adoption de l’IA dans les différents métiers et échelons de l’entreprise, aux niveaux de formation à l’IA dans ces différents métiers, à la qualité de vie, à l’accessibilité des services, à la santé mentale, à la cohésion sociale, etc.

10 choses à retenir de l’été 2023 pour les médias

Comme chaque année, Méta-Media vous propose au retour de la plage (ou des montagnes) un condensé des 10 tendances qui nous ont marquées pendant la période estivale. De la mutation des réseaux sociaux (qui, pour certains, sont déclarés morts) au déclin de la consommation télé (y compris chez les plus âgés) en passant par le phénomène #Barbenheimer, voici notre rattrapage (non exhaustif) des essentiels pour celles et ceux qui ont pu déconnecter cet été.  

Par Alexandra Klinnik, Myriam Hammad du MediaLab de l’Information et Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media

1La fin du Far West sur les réseaux sociaux

Cet été, les grandes plateformes ont été forcées à modifier leurs pratiques par les autorités de protection des utilisateurs à travers le monde. Début août, Meta annonçait bon gré, mal gré, son intention de rendre les publicités ciblées “facultatives” en Europe sur les applications Instagram, Whatsapp et Messenger. Mais la plateforme est restée assez évasive sur cette mise en pratique, le continent européen représentant près d’un cinquième de l’ensemble de ses revenus publicitaires. Dans la même veine, TikTok a anticipé les exigences européennes, en rendant optionnel le tracking comportemental pour les propositions de sa page « For You », qui fait le succès addictionnel de la plateforme.

Depuis le 25 août 2023, le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur et interdit les publicités ciblées à partir des données dites “sensibles” (origine ethnique, opinions politiques, orientation sexuelle) à près de 19 acteurs numériques majeurs. Ces derniers devront s’assurer du consentement explicite de l’utilisateur, et les publicités ciblées seront interdites pour les mineurs. Les fonctionnements des systèmes de recommandation des algorithmes doivent aussi être expliqués et une méthode alternative systématiquement proposée. Plusieurs autres mesures phares sont venues protéger les internautes, à l’instar de l’obligation pour les plateformes à caractère commercial (comme Amazon) de se renseigner sur leurs vendeurs, ou bien encore le signalement renforcé et facilité des contenus illicites avec la mise en place d’un “signaleur de confiance”.

En Europe toujours, trois groupes de presse français (Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Le Parisien) ont assigné Twitter en justice dès le 11 juillet 2023, suivi par l’AFP début août au sujet des droits voisins. Ces droits ont été élargis par une directive européenne de 2019 aux grandes plateformes numériques : Twitter était resté silencieux sur la rémunération des contenus des magazines, agences de presse et journaux sur sa plateforme.

En Chine, la CAC (administration du cyberespace chinoise) a publié  un nouveau projet réglementaire visant à limiter le temps des mineurs sur les smartphones. Sont pointés du doigt le développement de la myopie et des addictions chez les plus jeunes. Près de 24 millions d’enfants présenteraient “une dépendance clinique à internetselon Quartz. Il s’agirait d’imposer aux constructeurs de téléphone un “mode mineur” selon trois tranches d’âge : 40 minutes pour les moins de 8 ans, 1 heure pour les 8-16 ans et 2 heures pour les 16-18 ans. Une fois la minuterie passée, et également après 30 minutes consécutives, les parents pourraient recevoir une notification. L’administration travaille aussi sur un projet de “couvre-feu numérique” destiné aux mineurs de 22 heures à 6 heures. Le texte est toujours en discussion et devrait être adopté en septembre 2023. Déjà en 2021, le gouvernement avait imposé un couvre-feu aux joueurs de jeux vidéo de moins de 18 ans. Cette mesure avait porté un coup dur aux géants du jeu comme Tencent.

Alors que les obligations envers les plateformes se durcissent, certains annoncent la “fin d’une époque” comme le souligne le journaliste David Pierce dans une analyse sur les changements du web social pour The Verge.  “Il s’avère que l’on ne gagne pas d’argent en mettant les gens en contact les uns avec les autres, mais qu’il y a des fortunes à gagner en plaçant des publicités entre des vidéos qui défilent verticalement que beaucoup de gens regardent. L’ère des « médias sociaux » cède donc la place à l’ère des « médias avec une section de commentaires » –  et tout devient plateforme de divertissement. Les réseaux sociaux sont-ils morts ? Ce constat amène quelques-uns à se tourner vers le « fediverse », ces réseaux décentralisés comme Mastodon ou Bluesky qui peuvent être communs à tous sans appartenir à personne. Mais force est de constater qu’ils ne sont pas près d’offrir la même expérience utilisateur ni la même protection que celle des grandes plateformes…

2Twitter devient X – le départ impossible des journalistes ?

Depuis quelques années, l’effet Twitter s’estompe. Dès 2020, Poynter pointait le ras-le-bol de journalistes contraints de faire face sur la plateforme “à des querelles mesquines sur des questions ésotériques”, “à des attaques sectaires et de mauvaise foi de la part d’utilisateurs anonymes et de robots” et “à une stimulation cérébrale incessante qui déforme la perception”. Mais depuis la prise de contrôle du réseau par Elon Musk, rebaptisé X en juillet, la relation entre les médias et la plateforme s’est encore plus dégradée.

Le Citizen Kane du numérique a réduit les équipes de modération, permettant ainsi aux discours de haine de se propager. Il a retiré Twitter du code de l’Union Européenne contre la désinformation, désactivé le centre de presse, il facture l’accès aux données de recherche, a annoncé sa volonté de supprimer la possibilité de bloquer un utilisateur, et rémunère des utilisateurs dont certains comptes “pilleurs d’informations”. Comme le rapporte Libération, le compte AlertesInfos – souvent critiqué pour son manque de déontologie – aurait perçu du réseau social près de 7.000 euros. 

Le changement du logo en X du jour au lendemain a ajouté de quoi créer la confusion auprès des journalistes, qui ont depuis longtemps annoncé leur intention de se réfugier vers d’autres foyers, dont Mastodon. Mais l’exode annoncé n’a pas eu lieu. “Il n’y a pas eu de grande migration, comme ce qui s’est passé de MySpace à Facebook, de Yahoo!Groups à LiveJournal, de Live Journal à Tumblr, malgré tous les cris d’alarme sur le fascisme ambiant sur X”, estime la journaliste Katherine Thee. D’après le rapport 2023 du Reuters Institute, le réseau Mastodon, souvent plébiscité, n’est même pas enregistré sur la plupart des marchés, et est seulement utilisé par 2% des sondés aux Etats-Unis et en Allemagne. Si Threads, le réseau lancé cet été par Meta, a souvent été mentionné comme le rival sérieux de Twitter, l’enthousiasme des utilisateurs s’est aujourd’hui évaporé. Selon Similarweb, le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Threads a atteint un pic de 49,3 millions début juillet, puis est tombé à 10,3 millions un mois après – soit une baisse d’environ 80%

Source : Similarweb

Pour les écrivains ou intellectuels, quitter Twitter équivaut à prétendre que vous quittez New-York, avec une probabilité encore plus faible que ça se produise”, poursuit Katherine Thee, si la personne est pigiste, c’est encore plus difficile. Mis à part quelques chanceux, personne ne part jamais, pas vraiment

Pour les journalistes, disparaître de Twitter signifie se couper de sources potentiellement précieuses. Cette place publique est “l’instrument de communication favori des entreprises, des politiques, et des personnalités qui “comptent”, souligne le média La Libre.C’est un faiseur de tendances indéniable. Il repose activement sur la qualité d’élites auto-sélectionnées”, insiste Katherine Thee. Dans ce contexte, difficile pour les journalistes de s’en passer. Certains mettent en place quelques stratagèmes légers pour protester à leur manière. Matt Navara, consultant social media suivi par près de 170.000 personnes sur X, a affiché son désarroi en se définissant comme “réfugié twitter à la destination inconnue.

Taylor Lorenz, journaliste tech du Washington Post, dont le compte avait été momentanément suspendu par Elon Musk, a changé son pseudo en “TaylorLorenz.Substack.com. Une façon de couvrir ses arrières en incitant ses followers à suivre sa newsletter.  

Les vrais oiseaux migrateurs, en quête d’un terrain plus apaisé, sont les scientifiques. Ils doivent faire face à un climat de haine inédit.  “Depuis un mois, c’est la folie”, dénonce le docteur en agroclimatologie Serge Zaka, suivi par 80 000 personnes. “On te butera”, “Tu es fragile et lâche”, “Vous n’êtes jamais fatigué d’être aussi con” : les messages de haine vont crescendo sans aucune modération. Face au harcèlement des climatosceptiques, de plus en plus d’experts climat déploient leurs ailes. Selon un sondage organisé par la revue Nature, sur 9.200 répondants, près de la moitié ont réduit leur utilisation, et moins de 7% ont quitté les réseaux sociaux. Une étude publiée le 15 août dans la revue Trends in Ecology & Evolution a scruté les comptes de 380.000 défenseurs de l’environnement. Depuis la vente en octobre 2022, près de 50% sont devenus inactifs. 

Dans l’enquête de la revue Nature, environ 46% ont rejoint d’autres plateformes tels que Mastodon, Bluesky, Threads, TikTok. LinkedIn est le deuxième endroit le plus populaire pour les sondés pour ouvrir de nouveaux comptes. Selon un article du mois d’août de Bloomberg, le réseau social professionnel “is the new place to be” : “Alors que d’autres réseaux sociaux stagnent, modifient leur algorithmes ou se sabordent, LinkedIn devient un site où les gens ordinaires veulent réellement passer du temps et publier leurs réflexions ; cela pourrait même devenir cool”. A bon entendeur !

3Les réseaux sociaux façonnent de plus en plus l’actu

Pour l’actualité, TikTok est devenue la “nouvelle place publique mondiale”, d’après un article du Washington Post datant de juillet. Selon le Reuters Institute, TikTok est le réseau social qui connaît la croissance la plus rapide, utilisé par 44% des 18-24 ans à des fins diverses et par 20% pour les actualités. Au Kenya, les utilisateurs de TikTok documentent et monétisent les manifestations antigouvernementales. Ils partagent ainsi régulièrement des vidéos de manifestations, pour capter le réel. “Sur TikTok, vous obtenez des nouvelles que vous ne pourriez jamais obtenir à la télévision”, considère Gabiro Mtu Necessary, un artiste de plus de 50.000 abonnés, qui a participé aux manifestations.

Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs de TikTok prêtent davantage d’attention aux influenceurs qu’aux journalistes et médias traditionnels. Il y a une capacité d’identification très forte des utilisateurs aux contenus et personnes qu’ils voient sur la plateforme. Ce phénomène brouille la notion de source de légitimité d’information, estime la journaliste tech Océane Herrero, de plus en plus d’utilisateurs s’informent par ce biais-là. Il faut essayer de comprendre pourquoi cette appli marche auprès des jeunes sans critiquer tout d’un bloc”.

@kahlilgreene The White House invited content creators to learn more about the crisis in Ukraine. #hiddenhistory #ukraine #blackcommunitytiktok ♬ original sound – Gen Z Historian

A côté de TikTok, Meta a également rythmé l’été avec une décision inquiétante, concernant les médias traditionnels au Canada. Sur Facebook et Instagram, les liens vers les sites d’information ne s’affichent plus depuis le 1er août. Cette décision intervient en réponse à une nouvelle loi relative à l’information en ligne, qui contraint les grandes entreprises du numérique à payer les éditeurs. Ce ban n’a pas eu d’effet sur l’utilisation des Canadiens de Facebook. Le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Facebook au Canada et le temps passé sur l’application sont restés à peu près inchangés, d’après Similarweb. Pour Meta, les liens vers des articles d’actualité représentent moins de 3% du contenu de ses flux Facebook et  n’ont aucune valeur économique. En revanche, les médias internationaux ont ressenti la différence : le Figaro a annoncé une chute de 20% de son trafic en provenance du Canada. Le blocage par Meta est “un symbole rappelant que les plateformes sont capables de couper l’accès à l’information”, estime Marc Feuillée, DG du groupe Le Figaro.

Enfin, Substack tient toujours bon dans son rôle de refuge pour les déçus des réseaux sociaux, après six ans d’existence et de sérieux concurrents (WordPress et Beehiv). La plateforme d’auto-édition accueille ainsi une “dizaine” d’écrivains-journalistes qui gagnent maintenant “six chiffres ou plus” sur Substack au Royaume-Uni, rapporte PressGazette. Aujourd’hui, selon la plateforme, il y aurait plus de deux millions d’abonnements payants et plus de 35 millions d’abonnements actifs au total. “Les chiffres continuent de croître. Ce n’est pas la même croissance fulgurante que celle observée pendant la pandémie, mais je suis fier de la manière dont nous continuons à croître, malgré le chaos de l’époque et les tentatives d’Elon Musk de nous nuire”, a assuré Hamish McKenzie, le cofondateur de Substack.

4La télévision détrônée par un streaming de plus en plus cher ?

La télévision linéaire constituerait désormais moins de 50% de la consommation. Selon la dernière étude de Nielsen datant de juillet 2023, les Américains passent plus de temps à regarder des plateformes de streaming qu’à regarder les chaînes du câble. Au Royaume-Uni, même les publics plus âgés délaissent le petit écran. D’après le dernier rapport Ofcom, pour la première fois au Royaume-Uni, un déclin significatif de l’audience de la télévision diffusée se fait sentir parmi les personnes de plus de 64 ans. Ils ont regardé 8% de télévision diffusée en moins en 2022 qu’en 2021.

Les téléspectateurs plus âgés utilisent de plus en plus les services de streaming, avec une adoption de Disney+ parmi les personnes de plus de 64 ans passant de 7% en 2022 à 12% en 2023. Selon Nielsen, la part d’utilisation des services de streaming a atteint un niveau record de 38,7% de la consommation totale de la télévision aux Etats-Unis. Netflix, tirant la locomotive avec YouTube. Netflix reste focalisée sur son objectif : dominer le monde du divertissement, mais en poursuivant cette ambition pays par pays, souligne le New York Times. La plateforme souhaite s’étendre en Asie et en Amérique latine, au-delà de ses marchés principaux, désormais saturés aux Etats-Unis et en Europe, où la croissance des abonnés ralentit naturellement. Elle alloue aussi davantage de son budget annuel de 17 milliards de dollars au contenu en langue étrangère.

Si le streaming affiche de jolis scores d’audience, la situation risque de ne pas durer. Les prix bas des services de streaming ont attiré de nombreux consommateurs, par rapport aux forfaits plus coûteux de télévision par câble. Mais le Financial Times prévoit déjà la fin du streaming bon marché”. Afin de limiter des pertes de plusieurs milliards de dollars, les prix des services vont augmenter. Une offre de principaux services de streaming aux Etats-Unis coûtera 87$ cet automne, contre 73$ il y a un an. En comparaison, le forfait de télévision par câble moyen coûte 83$ dollars par mois. Au-delà de la guerre des contenus et de l’attention, commence la guerre du portefeuille…

5YouTube devient télé, et plateforme de podcast

Le premier concurrent de la télévision historique n’est peut être pas Netflix, mais YouTube. On l’a vu, aux Etats-Unis, c’est la deuxième appli la plus utilisée après la plateforme créée par Reed Hastings et Marc Randolph. Après plusieurs mois de tests, YouTube a lancé cet été officiellement Multiview pour YouTube TV (disponible dans plus de 99,5% des foyers américains, selon Alphabet), en commençant par les matchs de la Women’s National Basketball Association (mais sans laisser la main aux abonnés de sélectionner les flux qu’ils souhaitent mettre en avant…).

Le public américain passe plus de temps à regarder YouTube sur un téléviseur que ABC et CBS réunis, 45% des visionnages de Youtube ont désormais lieu sur un écran de TV aux Etats-Unis. Quoi de plus logique que de s’attaquer aussi à la publicité en s’intéressant au format star de la pub TV : le 30 secondes non skippable, pour appuyer les ambitions du géant américain bien décidé à devenir le leader de la télévision de demain, chez les consommateurs comme chez les annonceurs.

YouTube a aussi sorti cet été une fonctionnalité pour relayer des contenus longs à partir de YouTube Shorts, avec l’objectif de prolonger l’expérience de visionnage (et de s’approcher d’un format télé, où l’on pourrait passer de la bande-annonce au film plus long). Non seulement YouTube s’intéresse de plus en plus à la télé, mais il s’approprie aussi la notion de podcast : Aux Etats-Unis, le podcast n’est plus seulement considéré comme un support audio, mais également vidéo. 75% des Américains définissent le média comme un contenu “audio ou vidéo”, d’après une étude menée par Coleman Insights et le cabinet de conseil en podcasts Amplifi Media, en août 2023.

Dans un pays où YouTube est la première plateforme d’écoute de podcasts, cette définition n’est finalement pas si étonnante. Aux Etats-Unis, les émissions de débat télévisées sont régulièrement reformatées en podcasts. L’essor des podcasts vidéo s’explique en partie par “la portée et des revenus supplémentaires fournis par YouTube, mais aussi parce que la promotion vidéo a tendance à être plus efficace pour attirer l’attention via les réseaux sociaux, rappelle Nic Newman du Reuters Institute.

De courts extraits des podcasts inondent les réseaux sociaux. Avec un set-up généralement très simple : micro, caméra, casque et fonds uni. “Le micro du podcast, à l’époque du COVID, est devenu un signal visuel d’importance, un peu comme à l’épisode du pic Ted Talk, une bande de gars se filmaient sur des scènes, ajoutaient de la musique d’inspiration, puis postait le tout sur Facebook”, estime le journaliste Ryan Broderick.

Ce phénomène ne se limite pas à YouTube. “Ce ne sont pas seulement les utilisateurs de podcasts sur YouTube qui sont ouverts à l’idée d’appeler une vidéo un podcast. Notre étude révèle que plus des deux tiers des utilisateurs de Spotify et d’Apple partagent le même avis”, constate Jay Nachlis, Vice Président chez Coleman Insights. Comme le note un article de The Verge, datant de mars 2023, Spotify mise également gros sur les podcasts vidéo.Le podcast vidéo est l’un des domaines à la croissance la plus rapide dans le monde du podcast, et nous prévoyons que cette croissance se poursuive”, avait expliqué Julie McNamara, Head of Studios chez Spotify. Fin juin, la plateforme a annoncé héberger plus de 100.000 podcasts vidéo

6L’automatisation de la désinformation et du plagiat par l’IA  

C’est une forme de plagiat surpuissant, insidieux. Fin août 2023, NewsGuard, la start-up spécialisée dans la lutte contre les fausses informations, a identifié 37 sites d’un nouveau genre. Ceux-ci s’appuient sur des chatbots pour réécrire des articles des médias internationaux tels que CNN, le New York Times ou Reuters. La source originale n’étant jamais citée. Jamais auparavant des sites n’avaient eu la possibilité de réécrire ainsi des articles créés par d’autres, pratiquement en temps réel, et de manière souvent difficile à détecter”, s’alarme NewsGuard.

Certains de ses sites diffusent de la publicité programmatique pour des entreprises reconnues, “ce qui signifie que des marques de premier plan contribuent sans le savoir, à financer la pratique consistant à utiliser l’IA pour reproduire de manière trompeuse des contenus provenant de sources d’information traditionnelles”. La construction d’une machine industrielle de désinformation par l’IA ne coûterait que 400 dollars, selon Wired, qui a analysé le projet CounterCloud, interrogeant son créateur « Nea Paw » (qui souhaite rester anonyme, mais qui veut néanmoins alerter sur le danger de la désinformation par l’IA produite en masse, notamment par la vidéo ci-dessus).

Seule manière de détecter ces sites : les messages d’erreur, qui se glissent dans de nombreux articles: “En tant que modèle de langage, je ne peux pas réécrire ce titre..”, “Désolé, en tant que modèle de langage d’IA, je ne parviens pas à déterminer quels contenus doivent être reformulés sans contexte ou informations supplémentaires”.

Début août, OpenAI a lancé son robot d’exploration Web GPTBot, chargé de collecter les données de tous les sites Internet, afin d’entraîner ses modèles GPT-4 et GPT-5, avec, en même temps, des précisions sur la manière de restreindre son accès. Dans la foulée, les médias s’empressent d’empêcher le bot de ChatGPT d’aspirer leurs contenus d’information. Plusieurs géants de l’information tels que CNN, le New York Times (qui envisage une action en justice contre OpenAI), Reuters, Disney, Bloomberg, The Washington Post, The Atlantic, Axios, Insider, ABC News, ESPN, The Guardian ont mis en place des mesures défensives. Radio France et France Télévisions l’ont bloqué aussi, il y a quelques semaines, de manière conservatoire.


Certains médias bloquent complètement l’accès au bot


D’autres permettent l’accès à certaines catégories de leurs sites

7ChatGPT s’abrutit-il ?

A force de couper l’accès aux sites sérieux, les intelligences artificielles génératives ne risquent-elles pas de (re)devenir stupides ? Cet été, pour la première fois de son lancement, ChatGPT a observé une baisse de croissance. L’interface conversationnelle ne semble plus en mesure de croître jusqu’à devenir le site web le plus fréquenté au monde. Pour l’instant, Google ne risque donc pas d’être éclipsé par la démo technologique d’OpenAI, devenue phénomène culturel. Non seulement les visiteurs sont moins nombreux (-9,7%), mais en plus ils restent moins longtemps. Un comportement à mettre en regard avec les révélations du PDG d’OpenAI, Sam Altman, qui a qualifié le coût de fonctionnement du service, essentiellement gratuit, d' »exorbitant » – selon des estimations externes, il s’élèverait à environ 700.000 dollars par jour.

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Une des raisons de la baisse d’engouement pour l’assistant virtuel d’Open AI (en plus des départs en vacances) est peut-être le fait qu’il paraît – comment le décrire poliment – de plus en plus bête. De nombreux utilisateurs (la rédaction de Méta-Media comprise) ont constaté un affaiblissement de la logique, une difficulté à suivre les instructions, une diminution de la qualité rédactionnelle et une tendance à oublier des informations importantes. Testé aujourd’hui : il ne maîtrise même plus les règles les plus basiques de la grammaire allemande 😢.

Ce phénomène laisse particulièrement perplexe, car les modèles d’IA générative utilisent nos données pour s’entraîner en permanence, ce qui devrait les rendre plus intelligents au fur et à mesure qu’ils accumulent des données des presque 200 millions d’utilisateurs. Que nenni ! Les experts essaient d’expliquer cette « déviation » par un phénomène de « drift », un comportement imprévisible des grands modèles de langage (LLM) qui s’écartent de leur état normal, décrit comme « un professeur distrait qui ne cesse de recevoir des informations, mais qui, au lieu de devenir plus sage, finit par égarer ses clés de voiture dans le réfrigérateur », et détaillé dans ce papier des Universités de Stanford et Berkeley.

Mais surtout, au vu du coût quotidien d’utilisation qui fait pleurer Sam Altman, il semblerait qu’au lieu de développer un modèle GPT-4 massif, OpenAI soit en train de créer plusieurs modèles GPT-4 plus petits, axés sur un sujet spécifique. Cette approche, appelée mélange d’experts (MOE), réduirait les coûts de calcul du système tout en offrant des capacités similaires à celles d’un seul modèle gigantesque. En divisant le modèle GPT-4 en petits modèles spécialisés axés sur des tâches précises, OpenAI pourrait bénéficier d’un grand modèle de langage sans avoir à dépenser autant. Mais qui est peut-être aussi moins performant, même si Open AI prétend le contraire :

Affaire à suivre, après tout, GPT-4 est toujours en développement, …et sous le coup d’une enquête de la FTC. Pendant ce temps, l’assistant professionnel de Google est maintenant disponible dans Workspace (30 € / mois), et peut faire des CR de réunions (via Meet), et même vous représenter dans une visioconférence… Et pendant que le software peine à maintenir sa performance époustouflante, le PDG d’Intel vient d’annoncer qu’il va « intégrer l’IA dans toutes les plateformes que nous construisons » grâce à Meteor Lake, sa première puce grand public dotée d’un processeur neuronal intégré pour les tâches d’apprentissage automatique. Nvidia, autre fabricant de puces américain, a, lui-aussi, trouvé l’or de l’IA.

8Hollywood se rebiffe face à l’IA

Après 100 jours de grève à Hollywood, les festivals de cinéma de la rentrée s’ouvrent pleins de belles promesses et d’incertitudes liées au mouvement social. Absence de stars américaines à Venise, Deauville et ailleurs, décalage de sorties et même arrêt de productions – la prise de conscience des scénaristes et acteurs face aux enjeux soulevés par l’Intelligence Artificielle à Hollywood (et les réclamations d’une meilleure rémunération par les grandes plateformes de streaming Netflix, Disney +, Amazon) tombent très mal après deux ans de pandémie mondiale qui ont déjà ébranlé une industrie en difficulté. Le puissant syndicat SAG-Aftra interdit à tous ses membres, stars ou anonymes, de tourner pendant la grève, mais aussi de participer à la promotion des films. Une récente offre d’emploi de Netflix pour un chef de produit Machine Learning qui indiquait une fourchette de salaire comprise entre 300 000 et 900 000 dollars a déclenché l’ire de la base des syndicats d’Hollywood.

Couverture du Magazine Variety, Francessco Muzzi / StoryTK

Les dirigeants d’Hollywood sont manifestement intrigués par l’IA, tout comme les cadres de tous les secteurs d’activité. Environ 96 % des décideurs en matière d’IA dans les entreprises de médias et de divertissement ont déclaré qu’ils prévoyaient d’augmenter leurs dépenses en technologie d’IA générative au cours des 12 prochains mois, selon une enquête menée entre mai et juillet auprès de 6 000 employés par Lucidworks.

Selon Wired, les scénaristes de Hollywood ont raison de craindre l’IA. Son évolution massive à une vitesse fulgurante est bien sûr ce qui inquiète la plupart des gens. L’IA s’améliore si rapidement, notamment en générant des vidéos complètes à partir de textes, qu’un film complet pourrait être créé à partir de textes dans quelques années seulement (pas encore aujourd’hui, c’est sûr). Selon Michael Huppe, PDG de SoundExchange, une organisation à but non lucratif de gestion des droits pour les contenus sonores numériques, l’industrie créative pourrait rapidement avoir besoin d’une sorte de label pour l’IA générative, à l’instar de la FDA qui exige un étiquetage normalisé des produits alimentaires. « Peut-être que vous finirez par payer plus cher pour un service de streaming exclusivement humain », ajoute-t-il. La greve des acteurs continue, et pendant ce temps, tous les agents des stars hollywoodiennes négocient des droits pour créer et contrôler leurs jumeaux intelligents numériques.

Un épisode de Black Mirror, diffusé en pleine grève de la Writers Guild of America, décrit la scène suivante et apparaît comme un documentaire du futur : Installée sur son canapé après une journée difficile au travail, une femme nommée Joan (Annie Murphy) se connecte à Streamberry, un substitut à peine voilé de Netflix, et tombe sur une émission de télévision basée sur les événements de sa journée : « Joan Is Awful », avec Salma Hayek. L’émission ruine se vie, mais il n’y a rien de personnel : Streamberry, qui fonctionne avec des algorithmes de pointe, a créé « Joan Is Awful » sans aucune intervention humaine. Aucun scénariste ou acteur n’est impliqué dans la production : les scénarios sont rédigés par une intelligence artificielle et les interprétations sont des « deepfakes » élaborés. Le cinéma et la télévision qui sont déjà en train de perdre la compétition du temps de cerveau disponible au profit des jeux vidéo et d’internet ont désormais un nouvel ennemi encore plus redoutable…

9La bataille du climat à l’antenne 

Le mois de juillet 2023 aura été le plus chaud jamais enregistré depuis 1880 d’après la NASA et l’information a été relayée de manière abondante au sein des médias et allègrement commentée sur les réseaux sociaux avec son lot de fausses informations. 

Eleni Myrivili, responsable du programme des Nations Unies pour les établissements humains, déclare dans le New York Timesla désinformation sur le climat est « l’une des choses les plus douloureuses parce que c’est comme si on ajoutait l’insulte à la blessure« .

Ont alors ressurgi les enjeux récurrents (que nous avions par ailleurs traités dans notre cahier de tendances dédié aux médias et au climat) auxquels font face les médias lorsqu’il s’agit d’évoquer le réchauffement climatique. Il faut pouvoir être capable de faire preuve de pédagogie pour lutter contre le climatoscepticisme et expliquer la gravité des phénomènes climatiques tout en tenant compte de l’éco-anxiété que la diffusion de ces  informations peuvent susciter. L’exercice n’est pas aisé tant les attentes peuvent être hétérogènes. Par exemple, pour ce mois de juillet 2023, certains articles traitent du sujet en livrant les clés de compréhension essentielles du phénomène, tandis que d’autres l’explorent, plus scientifique, avec plus de profondeur. 

C’est pourtant la diffusion de cette information en images à la télévision qui aura suscité la polémique. Les cartes météo – rebaptisées “cartes de la honte” par certains ont été critiquées pour avoir véhiculé un alarmisme jugé exagéré représenté par une surcharge de nuances rouges : 

Le choix de la colorimétrie appartient à chaque chaîne de télévision comme le rappelle TF1 qui a souhaité s’exprimer pour répondre aux critiques sur ce sujet. Mais d’autres données à afficher sont aussi présentes sur les cartes. Du côté de France Télévisions, Martin Gouesse, rédacteur en chef du Journal Météo Climat explique :

Nous avons trois gammes de cartes : été, hiver, printemps-automne. Il existe sur celles-ci un dégradé avec une vingtaine de couleurs allant du bleu foncé à l’orange très foncé. Les couleurs correspondent à des températures et non pas à des différences de température. Tous les 2 degrés, il y a changement de couleur. Notre inspiration provient du climate extract d’Ed Hawkins. Avec la partie climat nous essayons d’expliquer les phénomènes climatiques et nous sommes très en lien avec nos correspondants à l’étranger et les bureaux des régions pour traiter ces sujets qui s’inscrivent dans le long terme.”

Si l’évolution même du réchauffement climatique implique de revoir les palettes de couleurs utilisées pour montrer les nuances qui se multiplient et surtout indiquer lorsqu’il existe un danger particulier, cela n’empêche pas la température terrestre d’augmenter…

10Concentration et collaboration des médias, une question de survie

Le paysage médiatique connaît des difficultés de financement, là n’est pas la nouveauté. Les actualités de l’été auront pu attirer le regard sur les situations de gestion de l’audiovisuel public et privé. Mais aussi sur leur capacité de réaction à travers la mutualisation pour faire face à de plus grands défis contemporains, à l’instar de l’irruption de l’intelligence artificielle générative sur toutes les plateformes, évoquée plus haut. Côté audiovisuel public, au début de l’été, le Sénat s’était positionné pour la création d’une holding “France Médias” qui regrouperait France Télévisions, Radio France et l’INA. Une prise de position qui se trouve être au coeur de débats largement similaires en Europe depuis une dizaine d’années. La proposition de loi ne fait pas l’unanimité du côté de la ministre de la culture et des présidentes des deux principales entités de médias publiques, mais remet sur la table la question du financement de ces deux maisons (qui s’inscrit, là aussi, dans une interrogation plus large au niveau européen, documentée par l’UER) alors que la redevance a été supprimée l’été dernier. Un chantier complexe qui révèle une nouvelle fois la nécessité de trouver la bonne articulation entre gouvernance, pluralisme et financement des médias publics.


Visuel du rapport édité par l’UER sur le Financement des médias de service public

Du côté de l’audiovisuel privé, l’on retrouve également cette interrogation avec la grève du JDD qui s’est achevée le 1er août, après cinq semaines consécutives sans publication. La présence de milliardaires en qualité d’actionnaires des grands médias n’est pas non plus une nouveauté. De la même manière, le changement de rédaction en chef peut induire des départs de journalistes et c’est ce qui construit le pluralisme. En revanche, c’est la réitération d’une méthode “Bolloré” qui interpelle, avec des interventions particulièrement visibles dans la vie des rédactions et sur la ligne éditoriale des médias acquis et qui a mené à ce qui est considéré comme le plus grand mouvement social de l’histoire des médias depuis 1975.

Mais les médias ont aussi la possibilité de s’unir pour faire face à de grands défis : au cours du mois d’août, une dizaine de groupes de presse internationaux (AFP, Associated Presse), de photos (Getty Images, European Pressphoto agency – EPA) et des organisations professionnelles (Authors Guild et News Media Alliance) ont appelé dans une lettre ouverte au renforcement de régulations concernant l’intelligence artificielle générative. Ils appellent à plus de transparence pour que chaque utilisateur soit en mesure de pouvoir identifier le contenu généré par IA, mais aussi à la protection de ceux qui génèrent les contenus utilisés pour les entraînements de ces IA. Ils demandent aussi la possibilité de pouvoir négocier collectivement avec les opérateurs et les développeurs de modèles d’IA les conditions d’accès et d’utilisation de leur propriété intellectuelle par les opérateurs. La démarche souhaite “soutenir le progrès et le déploiement responsables de l’IA générative tout en estimant qu’un cadre juridique doit être élaboré (…) afin de maintenir la confiance du public dans les médias qui promeuvent les faits et alimentent les démocraties.

+et aussi, les tendances étonnantes sur les réseaux sociaux

Les cœurs d’artichauts fourrés au fromage blanc, l’obligation de porter un masque pour se protéger de l’air, les dangers de la crème solaire ou encore la nourriture trempée dans l’eau de mer ne sont que quelques-unes des idées farfelues qui ont animé les réseaux sociaux cet été. Mais un phénomène plus gros a eu un impact que personne n’a vu venir : la sortie simultanée de deux blockbusters (Oppenheimer et Barbie) a fait naître le hashtag #Barbenheimer. D’un côté, la couleur rose, symbole d’un modèle féminin tout sauf #MeeToo-compatible associée à la plus grande campagne marketing jamais réalisée avec un film, ont convaincu même les féministes en herbe d’aller voir le premier film réalisé par une femme qui a dépassé le cap du milliard de dollars au box-office mondial ; de l’autre côté, la bombe nucléaire. La combinaison des deux à créé un phénomène Internet qui promeut mutuellement les deux films diamétralement opposés grâce à l’imagination des cinéphiles (et avec l’aide de l’intelligence artificielle générative), poussant de nombreux internautes à aller voir chacun des longs-métrages…

Edinburgh TV Festival 2023 : Une ambiance de fin de règne

Une grève des scénaristes qui dépasse largement les 100 jours, rejointe par l’action des acteurs, des carnets de commande qui se réduisent à peau de chagrin, des revenus publicitaires en baisse et un public (même âgé) qui fuit la télévision « traditionnelle » : cette année à Edimbourg, au festival de la télévision, qui a l’habitude de poser les tendances de la saison à venir, l’ambiance n’était pas au beau fixe. 

Par Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef de Méta-Media

Face au manque de moyens, comment la télé peut-elle toujours aider à construire un avenir meilleur ? Les impératifs économiques et sociaux ont un impact direct sur la commande, le recrutement et la mise en production des spectacles. Alors que certains secteurs continuent de négocier des pénuries en matière de talents, d’autres sont aujourd’hui confrontés à l’incertitude complète. Avec le ralentissement de la commande et de la production, 65 % des acteurs du secteur déclarent avoir « des difficultés à gérer ou à s’en sortir ».

Les effets de vague de la grève 

Si l’action syndicale n’a pas été évoquée dans les tables rondes avec les dirigeants de Netflix et de Disney, Lindsay Salt, directrice drama (qui est passée de Netflix à la BBC), constate de son côté que les « effets d’entraînement » continuent de se faire sentir dans le monde entier. De plus en plus de programmes sont décommandés, comme résultat direct des grèves, provoquant, face à la crise économique, des licenciements. Une pétition lancée à l’occasion du festival demande au gouvernement britannique de créer un « système de remplacement des revenus » pour les personnes ayant perdu leur travail.

Ce ralentissement de la production de contenu renforce une tendance déjà observée dans l’édition 2022 du festival de la télé à Edimbourg : le « reboot ». Tout le monde remet au goût du jour de vieilles recettes, un mécanisme qui met (encore un peu plus) à mal les petits producteurs. Dans la table ronde « Ready, Steady, Reboot » (Prêt, Feu, Relance), Faraz Osman a affirmé que les reboots privaient les petites productions indépendantes de la possibilité de rivaliser avec les autres. Kate Phillips, qui a supervisé le « rechauffement » de pas moins de quatre programmes pour la BBC, dont Gladiators, Survivor, The Weakest Link et Blankety Blank, convient qu’une partie de la mission de service public de la BBC consistait à aider les petites entreprises à se développer. Mais selon elle, les reboots ne représentent toujours qu’une très petite partie de sa production globale – environ 1 % . Elle a aussi rappellé que la BBC est le « plus grand investisseur » de contenu original au Royaume-Uni et qu’elle donnera toujours la priorité au contenu original.

Mais même les reboots souffrent des contraintes budgetaires : Channel 4 vient d’annuler un reboot très médiatisé de Four Weddings. Le directeur des contenus, Ian Katz, a d’ailleurs presque un peu regretté la transparence de sa chaîne au sujet des difficultés budgétaires. Pour Katz, le secteur était au bord du gouffre et restait trop fixé sur le public qui regardait les émissions de télévision traditionnelles en direct : « Tout radiodiffuseur obsédé par l’audimat linéaire va suivre le même chemin que Kodak ou Blockbuster ». L’audience traditionnelle en direct de Channel 4 a diminué, notamment en raison des habitudes d’un public plus jeune que celui de BBC One et ITV. Son alter ego chez ITV, Kevin Lygo, a, de son côté, refusé toute réduction de budget au dépens des contenus.

La BBC, bien que pas entièrement dépendante des revenus publicitaires, n’est pas à l’abri du ralentissement après deux années de gel de la redevance. Charlotte Moore, directrice des contenus, a soutenu à Edimbourg l’approche de longue date du radiodiffuseur : « Fewer Better Bigger », qui, selon elle, est la bonne stratégie dans le marché actuel. La BBC a réduit son budget d’émissions originales de 100 millions de livres sterling (126 millions de dollars) cette année et supprime 1 000 heures d’émissions par an. Elle a par ailleurs déclaré qu’elle pensait désormais davantage au service de streaming iPlayer qu’à ses chaînes de télévision.

La crise en chiffres

La crise économique et donc la crise de la commande ont produit quelques chiffres effarants : l’organisme Film & TV Charity a révélé lundi une statistique selon laquelle les demandes d’aide financière ont augmenté de 800 % en juillet 2023 par rapport à la même période de l’année dernière. Une enquête de la BAFTA auprès de mille membres démontre qu’un tiers d’entre-eux quitteraient l’industrie de la télévision ! Quelque 63 % des membres de la BAFTA ont déclaré avoir moins de travail qu’avant la pandémie, tandis que 20 % ont déclaré avoir été sans emploi pendant plus de trois mois.

Les membres interrogés ont indiqué qu’ils comblaient leur manque de moyens financiers en s’appuyant sur leurs économies (63 %), en acceptant des rôles moins importants (13 %), en se tournant vers des prêts de la famille et des amis (12,5 %), en trouvant du travail en dehors de la télévision (12 %) et en demandant des allocations (6 %). Quelque 70 % des personnes interrogées craignent que le ralentissement économique n’entraîne une perte de talents dans le secteur et le même pourcentage s’inquiète de l’impact sur la santé mentale.

Les radiodiffuseurs publics connaissent actuellement la plus forte baisse d’audience de la télévision depuis que l’on tient des registres, les téléspectateurs plus âgés (et pas seulement les plus jeunes) se tournant massivement vers les players. Une récente étude de l’OFCOM a montré qu’un Britannique sur cinq ne regarde plus d’émissions télévisées traditionnelles. Même si le iPlayer et ses rivaux ont continué à atteindre des chiffres records (des « milliards » ont été mentionnés cette année sur scène à Edimbourg), pourront-ils vraiment compenser le déclin de la télévision traditionnelle ?

Ne pas abandonner les contenus locaux aux plateformes de streaming

Dans ce contexte économique tendu, la télévision publique est plus que jamais menacée. Hannah Stjärne, PDG du radiodiffuseur public suédois SVT, a défendu, en parlant pour l’ensemble de l’EBU, le rôle des médias de service public dans la création de contenus locaux. Selon elle, « les téléspectateurs ne peuvent pas compter sur les diffuseurs mondiaux pour fournir régulièrement des séries originales, car ils sont vulnérables aux réorientations stratégiques générales, alors que les organismes de médias de service public locaux peuvent fournir des garanties quant à leurs stratégies de contenu. »

Pourtant, Netflix a investi 6 milliards sur ces 10 dernières années de sa présence au Royaume-Uni, et Disney+ se rapproche de l’objectif de 50 films originaux non américains fixé pour 2024. Cette liste de 50 titres comprend des séries déjà diffusées comme Extraordinary, la comédie britannique sur le « travail des super-héros », qui traite d’un monde où les gens normaux ont des pouvoirs. Liam Keelan (directeur adjoint des productions originales, passé de la BBC à Disney+) a reconnu que les difficultés de l’économie des médias avaient eu un impact sur les budgets, mais il a précisé que cela n’avait pas eu d’incidence sur sa stratégie de mise en service. Mais en cas de crise, les grandes plateformes de streaming placent naturellement leurs économies sur les contenus qui s’adressent à des segments moins importants : ce fut le cas avec HBO Max, qui a rétropédalé sur ses productions européennes en réaction à la stratégie de réduction de contenus originaux de Warner Bros Discovery. Le diffuseur suédois Viaplay a aussi réduit son ambitieux plan d’œuvres originales locales.


Table ronde « Les médias européens de service public : Demandés mais menacés » avec Jean Philip de Tender, directeur général adjoint de l’UER, Monika Garbačiauskaitė-Budrienė du radiodiffuseur lituanien LRT, Hannah Stjärne, PDG du radiodiffuseur public suédois SVT et Kevin Bakhurst de RTE

En évoquant la relation entre médias de service public et les « global streamers », Jean Philip de Tender, directeur général adjoint de l’UER a souligné qu’il ne s’agit pas d’une question d’ami ou d’ennemi : « Soyons réalistes. Les streamers sont là et dominent largement en Europe. Mais le fait est qu’il ne s’agit pas d’un contenu majoritairement européen. Il s’agit de contenus produits principalement aux États-Unis et le rôle des médias de service public est de les compléter. » Il a également profité de cette prise de parole pour rappeller un rôle (toujours sollicité) qui est au coeur des télévisions membres de l’UER, et qui a fait ses preuves pendant la pandémie mondiale et la guerre en Ukraine : la notion de service et d’utilité.

Un Brexit de la redevance

La conférence MacTaggart a mis en avant cette année Louis Theroux, célèbre documentariste et présentateur, annoncé sur scène comme un « homme blanc, profitez-en, vous n’en verrez plus souvent », qui est connu pour ses documentaires immersifs comme Louis Theroux’s Weird Weekends, When Louis Met…, Altered States, Forbidden America et le long métrage documentaire My Scientology Movie. Il anime actuellement The Louis Theroux Podcast sur Spotify et Louis Theroux interviews, et reviendra sur BBC2 dans le courant de l’année. Et c’est justement l’attitude de la BBC qui a été remise en question tout au long de son discours, avec l’objectif de sauver la télévision publique d’un « Brexit de la redevance ». 

Lors de sa conférence mercredi soir, Louis Theroux a averti que la BBC et d’autres diffuseurs se trouvaient dans une situation « sans issue ». En essayant d’anticiper loutes les critiques, lancées par tel ou tel groupe d’intérêt [souvent des anciens de la BBC aujourd’hui passés à la concurrence privé], tout en évitant d’offenser les autres, « la tentation est donc grande de faire profil bas, de jouer la carte de la sécurité, d’éviter les sujets difficiles », a ajouté Louis Theroux. « Mais en évitant ces points de friction, les domaines difficiles de la culture où résident nos angoisses et nos dilemmes douloureux, nous ne faisons pas qu’échouer dans notre travail, nous passons à côté de nos plus grandes opportunités ».

Ce « climat d’anxiété » conduirait, selon lui, à un « cinéma moins sûr de lui ». Il s’est demandé ensuite si les programmes n’étaient pas plus difficiles à commander aujourd’hui en considérant comment populistes et influenceurs viraux des médias sociaux ont créé un système de contenu à deux vitesses par rapport aux diffuseurs impartiaux comme la BBC, une situation qu’il a comparée à « une compétition olympique où la moitié des athlètes sont autorisés à se doper ».

« Nous vivons une époque marquée par deux réalités parallèles », a déclaré Louis Theroux. L’ancien monde, avec ses valeurs chères de « politique éditoriale » et d’équilibre, et la nouvelle frontière numérique, où tout est permis. » Il s’est demandé comment les « préceptes de la sensibilité sont entrés en conflit avec les mots inscrits sur les murs de la New Broadcasting House [siège de la BBC] », qui citent George Orwell : « Si la liberté signifie quelque chose, c’est le droit de dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre ».

Le documentariste et présentateur a terminé sa lecture avec un appel à une télévision plus « confrontante, surprenante et dérangeante ».

L’Intelligence Artificielle peut-elle sauver la télé ?

Mercredi, les producteurs ont participé à une session amusante (et alarmante) sur l’impact de l’IA sur l’avenir de la production télévisuelle. Alex Connock, producteur de télévision converti en universitaire, Hannah Fry, professeure de mathématiques et présentatrice, et Muslim Alim, rédacteur en chef de la BBC, sont montés sur scène pour révéler les choses à faire et à ne pas faire dans l’utilisation de l’IA. Alors, l’IA pour la télé : apprentissage profond ou simple battage médiatique superficiel ?

Si l’IA est un formidable accélérateur de la productivité, et accessoirement de la créativité, les cas problématiques de violation de droits d’auteur se multiplient, ces machines créatrices aspirant sans la moindre retenue (avant l’arrivée de robots qui bloquent OpenAI) les contenus protégés par le copyright.


Table ronde AI & TV, avec Hannah Fry, professeure de mathématiques et présentatrice, Alex Connock, producteur TV et universitaire et Muslim Alim, rédacteur en chef à la BBC

Alex Connock a prédit à Edimbourg que la monétisation de l’image des acteurs (une des raisons de la grève des acteurs) deviendrait une pratique courante à l’avenir, à condition qu’elle soit correctement réglementée. Selon Connock, les acteurs ont, en revanche, raison de s’inquiéter de l’utilisation de leur voix dans des bases de données sans autorisation explicite. « Si je représentais les acteurs, la synthèse vocale serait un des points clés sur lesquels je concentrerais les négociations ».

Déjà en 2019, le festival s’était posé la question si l’IA peut sauver la télé (avec Microsoft d’ailleurs). Aujourd’hui, les sociétés de télévision prennent certainement l’IA au sérieux : cette semaine, Banijay a lancé l’AI Creative Fund, qui permettra aux producteurs et aux labels indépendants de présenter des idées axées sur la technologie et l’innovation. De son côté, Louis Theroux a minimisé la menace de l’IA lors de sa conférence au festival de télévision d’Édimbourg : « Je ne dis pas cela en tant qu’expert de l’IA, mais en tant qu’expert de l’homme. Nous avons tous vu les résultats étonnants que l’IA peut produire. Dans quelques années, elle sera peut-être capable d’écrire une sitcom ou un film d’action passable. Ou une conférence MacTaggart. Peut-être même un excellent film », a-t-il déclaré. « Mais ce qu’elle ne pourra pas faire, c’est prendre des risques. Parce que le risque implique le danger. Et il n’y a pas de danger pour les machines. Le risque implique des sentiments réels, la possibilité d’une humiliation, d’une gêne, d’un échec ».

A l’Edinburgh Fringe Festival, le plus grand festival de comédie, qui a lieu juste avant le TV festival, l’IA était en tout cas une des invitées star, entre autres avec le bot Vanessa 5000, une « entité en crise existentielle », « artificiellement intelligente, véritablement stupide », selon sa créatrice Pauroso. Le comedien Pierre Novellie n’est pas convaincu d’être remplacé par une IA de si tôt : « Même les comédiens humains normaux ont du mal à adapter leurs blagues au bon public, au bon moment, à chaque fois. »

Une télé plus verte

Comme chaque année, la question de l’impact climatique des productions, en plus de celui sur les portefeuilles, était au programme : le festival était l’occasion de dévoiler le programme « Green Rider », signé par des stars comme Bella Ramsey, Stephen Fry et Natalie Dorme, qui permettra aux artistes d’ajouter à leurs contrats des clauses favorisant un changement de culture en matière d’environnement. Plus de 100 acteurs soutiennent les appels en faveur d’un « Green Rider », un contrat respectueux de l’environnement entre les artistes-interprètes et les sociétés de production cinématographique et télévisuelle.

Meghan Lyvers, responsable des séries télévisées de Sky Studios UK, a déclaré à Edimbourg que l’inclusion des acteurs dans la bataille pour améliorer la durabilité de l’industrie était la meilleure approche. « C’est la pièce manquante d’un puzzle évident et un pas de plus vers la transformation du dialogue », a-t-elle ajouté. Le syndicat Equity a aussi cité une étude d’Albert montrant que la production moyenne d’un film à grand succès produit 2 840 tonnes de CO2, en ajoutant que, par le passé, les producteurs ont été tristement célèbres pour avoir permis aux stars de poser des exigences telles que l’utilisation de jets privés, qui sont souvent « dommageables pour l’environnement ». L’objectif principal est d’inclure l’avenant vert, créé collectivement par le réseau de membres de syndicats, Equity for a Green New Deal, dans les conventions collectives qu’Equity a conclues avec les producteurs.

L’appel conclut : « En vous inscrivant pour utiliser l’avenant, vous rejoignez un mouvement de personnes qui jouent leur rôle pour rendre notre industrie plus écologique. Nous ne mesurons plus notre valeur en fonction de la quantité de ressources que nous consommons, mais par une influence positive et un comportement responsable. Comme le prouvent les acteurs et les scénaristes en grève aux États-Unis, nous sommes une force avec laquelle il faut compter lorsque nous nous unissons et exigeons des améliorations ».

TikTok, je t’aime, moi non plus

A propos des jeunes audiences, particulièrement sensibles aux enjeux climatiques, TikTok reste une plateforme pour les toucher de façon garantie. Les meilleures audiences de TikTok pour les émissions télévisées se comptent en milliards, les producteurs essaient donc de comprendre comment utiliser les données pour influencer le nouveau contenu et retenir les audiences.

Lors d’une session animée par Jackie Adedeji, diffuseur, écrivain et podcasteur, James Stafford et Stephen Naughton de TikTok ont expliqué comment exploiter la puissance de la plateforme qui a pris la planète d’assaut, tandis que @CocoSarel et @Ayame.p partageront le point de vue d’un créateur.

Face à cette réalité, et malgré le fait d’avoir banni l’application TikTok des smartphones de ces employés, la BBC a annoncé cette semaine le lancement du Creator Lab, « un tout nouveau programme de promotion des talents pour les créateurs de contenu dans les médias sociaux, en collaboration avec TikTok ». Le Creator Lab vise à donner à 100 créateurs sociaux et numériques, qui souhaitent poursuivre une carrière à la télévision, l’occasion de participer à un programme de développement dans le cadre duquel la BBC organisera des sessions individuelles et fournira aux participants des outils pour renforcer leur présence sociale et les aider à franchir la prochaine étape de leur carrière dans les médias, avec l’aide d’experts et des insights de TikTok. C’est l’une des plus grandes initiatives en faveur des talents sur laquelle l’application vidéo mobile de courte durée a travaillé au Royaume-Uni à ce jour.

Ce programme de développement de deux jours se déroulera en Angleterre, au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande du Nord et permettra aux créateurs de montrer leurs compétences tout en travaillant sur un projet de la BBC. En outre, les participants rencontreront des talents de l’écran et des rédacteurs en chef dans les catégories Daytime, Children’s, Sport, Unscripted et Arts. Les candidats retenus apprendront également des bonnes pratiques de storytelling à la fois sur les médias sociaux et la télévision et auront l’occasion de collaborer avec d’autres créateurs sociaux.

Pour Fiona Campbell, responsable du public jeune (BBC iPlayer et BBC Three), « la BBC s’est engagée à développer de nouveaux talents et de nouvelles voix dans tout le Royaume-Uni et le Creator Lab promet d’offrir une occasion unique aux créateurs de contenu d’améliorer leurs compétences tout en ayant potentiellement la possibilité de présenter leur créativité au public de la BBC et du iPlayer. »

Enfin, cette édition 2023 du festival de la télé d’Edimbourg a aussi apporté son lot d’annonces de nouvelles productions : Netflix surfe sur le succès d’Oppenheimer avec « Einstein et la bombe » (produit par BBC Studios) et annonce une série de documentaires produite par David Beckham sur David (et Victoria) Beckham. Disney+ prévoit une série documentaire sur Agatha Christie (l’écrivaine de fiction la plus lue au monde, avec au moins 2 milliards d’exemplaires vendus) et ITV a révélé que le reboot de Big Brother tournera au moins encore deux saisons. Assez pour obtenir un peu du temps de cerveau disponible des téléspectateurs ?

Conclusion

Face à l’exode des téléspectateurs, les diffuseurs sont en recherche de solution, désespérément. Cela va de l’idée de l’exemplarité – le comportement des présentateurs hors caméra a été placé sous les feux de la rampe cette année en raison des scandales très médiatisés impliquant Phillip Schofield et Huw Edwards -, à l’idée de plus d’incarnation – Lindsay Salt, directrice de la division fiction de la BBC, a présenté sa vision pour des commandes plus axées sur les personnages. Pour le moment, un grand nombre de chaînes et de diffuseurs proposent une gamme de programmes étonnamment similaires. Les séquelles de la guerre de streaming, avec des rivaux qui investissent à la fois dans les programmes non scénarisés et scénarisés, font que l’on ne sait plus vraiment ce qui différencie une émission sur Amazon d’une émission sur Netflix. Même la BBC se rapproche de ses rivaux commerciaux, en se lançant dans des formats comme Survivor.

Peut-être que la télé est-elle juste trop snob ? Dans le panel « Des plaisirs moins coupables… », les participants sont tous d’accord pour dire que les émissions de téléréalité devraient être davantage récompensées par des prix tels que les BAFTA. Jim Allen, ancien responsable de I’m a Celebrity et patron de RDF, a ajouté que la télévision « sait qu’elle a un problème [de diversité socio-économique] mais n’a pas fait assez pour y remédier ces dernières années ». Il critique les émissions d’actualité lourdement récompensées, pour lesquelles « les gens devraient être plus snobs ».

La solution est peut-être en effet, comme l’évoque Louis Theroux, plus d’audace. Pour la scénariste Sally Wainwright, « chaque minute de télévision doit être une expérience marquante ». Et pour Jesse Armstrong, scénariste de Succession, « faire de la télévision est déjà assez difficile. Il n’est pas nécessaire de jouer au con en plus. » Et pour conclure avec Louis Theroux : « Nous servons mieux la justice sociale lorsque nous cherchons à faire une télévision qui touche les gens et les engage. Prenez des risques. Naviguez à contre-courant« .

 

 

Image d’illustration : TV Moment of the Year, Doctor Who, BBC 

NB : Exceptionnellement, cette année l’équipe de Méta-Media n’a pas pu se rendre IRL au TV Festival d’Edimbourg. On y retourne en 2024. On vous propose donc ici un retour sur des replays des tables rondes et une revue de presse, pour retenir les points clés, comme chaque année. 

Vous voulez comprendre ce qui arrive à la télévision ? Prenez l’avion !

Nous sommes encore quelques-uns à nous rappeler que, sur les vols long-courriers, il nous fallait attendre la fin du repas pour regarder, sur les rares écrans placés en hauteur dans la carlingue, le même film imposé à tous.

Aujourd’hui, seule l’affinité locale ou nationale provoquée par le sport, et le surgissement d’un évènement d’actualité majeur, sont de nature à susciter un visionnage commun massif.

Ainsi, samedi, pour le match Australie-France :

D’ailleurs, observe Le New York Post, « les passagers d’un avion ont été choqués par un passager qui regardait « Le Seigneur des Anneaux » au lieu de la Coupe du monde de football féminin. »

« Il semble insensé que quelqu’un ne veuille pas participer à ce moment collectif avec le reste de la nation, que l’on aime le sport ou non. »

Désormais, en plus du sport et des news, une bonne éditorialisation autour d’une fiction de grande qualité et quelques rendez-vous de niche font aussi encore bouger les vieilles mesures d’audience.

Pour le reste, et compte tenu de l’explosion de l’offre disponible pour tous et sur tout écran, la carte a bien souvent remplacé le menu.

Vivrons-nous assez longtemps pour connaître le revival de la télé de papa, à la manière des disques vinyles ou de la pellicule 24×36 ?

ES