IA et travail : les 9 scénarios

Par le Docteur Laurent Alexandre, auteur de La Guerre des intelligences. Billet invité

L’intelligence artificielle (IA) des géants de la Silicon Valley et des BATX chinois bouleverse le travail. Pour certains experts, aucune compétence ne serait inaccessible aux machines intelligentes : la Harvard Business Review affirme que même les consultants de haut vol seraient bientôt remplaçables par l’IA. A moyen terme, on peut envisager de nombreux scénarios.

Scénario 1 : L’IA est un pétard mouillé, comme l’exploration spatiale après le programme Apollo. Beaucoup d’espoirs ; beaucoup de déceptions.

Scénario 2 : L’interdiction de l’IA.  Selon le prix Nobel Joseph Stieglitz, l’IA produit de profondes distorsions dans l’utilisation du capital et du travail qui pourraient nous mener vers une grande dépression comme celle des années 1930. Il défend une approche malthusienne d’interdiction ou de limitation des IA.

Scénario 3 : L’IA forte, dotée de conscience artificielle, arrive plus vite que prévu. Ainsi, le milliardaire transhumaniste japonais Masayoshi Son vient de créer un fonds d’investissement doté de 100 milliards de dollars pour accélérer l’avènement des IA fortes et de la Singularité, qu’il espère pour 2030. Il annonce l’arrivée de robots dotés de 10 000 points de QI. Ce scénario nous mène en territoire inconnu : le travail disparaîtrait et nous serions vassalisés.

Scénario 4 : L’IA fusionne avec les humains et construit Homo Deus. C’est le scénario souhaité par beaucoup de transhumanistes. Cette superintelligence, issue de la fusion du neurone et du transistor, s’attaquerait aux grands problèmes de l’univers et chercherait à empêcher sa mort. Le travail changerait radicalement de nature : l’Homme-Dieu n’est pas un travailleur comme un autre !

Scénario 5 : L’IA nous empêche de travailler. Elle prend le pouvoir dans notre intérêt supposé, tel le dictateur numérique paternaliste du film I, Robot. Elle souhaite aider l’humanité contre ses mauvais démons, ses passions et son irrationalité. Une IA « verte » souhaiterait par exemple que nous diminuions au maximum notre empreinte écologique.

Scénario 6 : L’IA centaure. C’est l’idée de Gary Kasparov. L’IA et l’Homme formeraient un être hybride et indissociable comme le Centaure de la mythologie : moitié cheval, moitié Homme. Selon lui, nous devons être plus résilients et planifier une collaboration fructueuse avec l’IA.

Scénario 7 : L’IA nous transforme en nous faisant découvrir de nouvelles formes de pensée, ce qui révolutionne le travail. En juin 2017, un mois après sa défaite contre AlphaGo, l’IA de Google DeepMind, Ke Jie a admis avoir changé : « Après mon match contre AlphaGo, j’ai fondamentalement reconsidéré le jeu. J’espère que tous les joueurs de go pourront contempler la compréhension d’AlphaGo et son mode de pensée, qui sont tous les deux lourds de sens. Bien qu’ayant perdu, j’ai découvert que les possibilités du jeu de go sont immenses. » Le choc de cette défaite face à l’IA permet d’imaginer un scénario où l’IA nous obligerait à travailler sur nous-mêmes et à progresser plus vite. Ce ne serait pas la fin du travail mais, bien au contraire, le début d’une nouvelle ère : les machines spirituelles nous bouleverseraient et nous changeraient.

Scénario 8 : Les IA et les copies de nos cerveaux créent de nouvelles sociétés. Dans The Age of Em (ASBA, 2016), Robin Hanson fait l’hypothèse d’une cohabitation harmonieuse avec les machines. Nous pourrions créer des copies de nous-mêmes, hybridées avec l’IA, pour bâtir de nouvelles sociétés à la prospérité économique inouïe. Cette vie harmonieuse avec les machines, qui seraient en partie des copies de notre cerveau, détruirait le travail pour les humains biologiques.

Scénario 9 : La bêtise de l’IA génère énormément de travail humain. Comme l’IA ne comprend rien, n’a aucun bon sens ni esprit critique, nous devons lui traduire le monde en le taguant, ce qui accélère la fusion du réel et du digital. La route de 2040 n’est plus bâtie pour être lisible par nos yeux, mais par les IA des voitures autonomes. Par ailleurs, la correction des biais de l’IA devient une part majeure de l’activité humaine.  Les IA génèrent un nombre explosif de biais que seules d’autres IA en coordination avec des super-experts humains pourront dépister et corriger.

Quel que soit le scénario qui se réalisera, il est nécessaire d’évaluer les conséquences de l’IA sur la dynamique économique et la demande de travail, et de former toute la population avant que le tsunami induit par l’IA ne bouleverse le marché du travail.