Comme l’imprimerie, Internet est une technologie subversive.
Les Mayas avaient donc raison ! 2012 marque la fin d’un cycle et la disparition progressive d’un monde. Car « le basculement de pouvoirs le plus important à l’œuvre actuellement ne se passe pas entre l’Occident et l’Asie, les Etats-Unis et la Chine, le Nord et le Sud, la Droite et la Gauche, mais entre les institutions et les individus, grâce au numérique »[1].
Avoir –enfin- le choix, pouvoir tout connaître –ou presque—du monde, pouvoir s’exprimer, innover, créer, échanger d’un bout de la planète à l’autre, s’organiser, sans passer par les intermédiaires traditionnels, actionne la révolution en marche. Et Internet, réseau invisible du partage, en est l’infrastructure, innervant toute la société, touchant toutes les activités humaines, transformant tout ou presque, alors que la plupart des institutions, aux faibles capacités d’adaptation, ne sont pas prêtes à cette prise de contrôle par les citoyens et les consommateurs.
Pour la première fois, les moyens élémentaires de production et de diffusion du savoir, des connaissances et de la culture sont entre les mains de la majorité de la population, interconnectée. Il ne s’agit pas seulement d’une révolution technologique, mais bien d’un basculement économique, sociétal, culturel.
Et avant tout, d’un vaste mouvement de décentralisation, où les gens sont en train de (re)gagner du pouvoir, de reprendre du contrôle sur leurs vies, de s’organiser eux-mêmes, entre eux, en réseaux. Ils se gouvernent, se réunissent, apprennent, contribuent, créent, échangent, s’entraident sans l’aide des anciens médiateurs. En temps réel, sans fil et par dessus les frontières.
Nous basculons dans un monde nouveau : « Co is King» !
Un monde où des campagnes de mobilisation sur Internet renversent des projets de loi (SOPA/SIPA aux USA), où des mouvements politiques se propagent sans frontières et s’appuient sur les nouveaux outils numériques (Printemps Arabe, #Occupy, Indignés, Printemps Erable…), mais où aussi, comme toujours, menacent ceux qui veulent empêcher l’avenir d’arriver (vaste intranet national en Chine, menaces sur la neutralité du Net en Occident ou interceptions légales des communications face au terrorisme …).
Un monde où l’économie Internet croît – dans les pays du G20-- de plus de 10% par an et devrait doubler d’ici 2016. Avec la production exponentielle de contenus et d’œuvres par le public, c’est aussi une révolution invisible qui s’opère : celle des « Big Data », de l’abondance de données, qui restent à collecter, trier, analyser, exploiter ; du fameux « cloud », pour l’instant entre les mains de grands acteurs privés, et donc de l’hyper-connectivité.
De très nombreux business se créent ainsi à partir de la mise à disposition et du partage de capacités non-utilisées (co-location, co-voiturage, co-working, co-production, co-création …). Se connecter, créer, contribuer et partager sont les maîtres mots d’une nouvelle époque, d’une toute nouvelle génération dont le goût marqué pour le collectif semble prendre le pas sur l’individualisme des précédentes.
En ligne, les jeunes passent leur temps à se socialiser, par l’amitié et autour de centres d’intérêt communs. L’innovation surgit de manière décentralisée, localement, dans de petites unités, et n’a plus besoin de passer par la grande entreprise. La création peut se passer d’un éditeur, d’une maison de disque ou d’un studio de cinéma. La participation démocratique et citoyenne n’a plus besoin d’un journal ou d’un parti. C’est la renaissance de la figure de l’amateur, de plus en plus méfiant vis-à-vis de l’ordre établi, d’institutions et de modes de gouvernance aux compétences et à l’autorité contestées.
Dans nos sociétés, jeunes, urbaines, ouvertes, voyez ainsi la défiance croissante vis-à-vis du monde politique, juridique, médiatique, économique, financier, syndical, éducatif et, depuis plus longtemps, religieux. Voyez la défiance à l’égard des magistères, du mode linéaire et de surplomb, du « top-down », du haut-parleur, du « je parle, vous écoutez », qui ne marche plus dans l’enseignement ni dans le journalisme, du « je décide, vous obéissez », qui fonctionne de moins en moins dans les entreprises … La grandeur n’est plus de mise dans ce nouveau monde.
Le « nous » est plus important que le « je », et les tribus, où tous les membres seront en permanente relation, risquent de l’emporter. De plus en plus, la production est collaborative, l’intelligence et la société collectives. Elles fonctionnent en essaim, grâce aux réseaux, dans des mondes ouverts. Un peu comme si, après avoir cherché, dans la révolution industrielle, à s’imposer par la force sur la nature, l’homme cherchait aujourd’hui, dans la révolution de l’information, à répliquer les systèmes complexes des écosystèmes du vivant.
Et ce ne sont pas seulement les humanités -- sciences de l’homme et de la société-- qui sont concernées par la numérisation des instruments et des objets de savoir, souligne le philosophe Bernard Stiegler, mais aussi toute l’activité scientifique, bouleversée par le nouvel âge de la mémoire collective, où le contenant est aussi important que le contenu, car il relie à l’autre. « L’outil, après avoir désenchanté le monde, est en train de le ré-enchanter ». [2] L’appétit pour les nouvelles technologies et les nouveaux gestes qu’elles inventent semble insatiable !
Le mobile, mode d’accès Internet dominant
Le rythme des changements dans notre économie et notre culture s’accélère. Le web devient un capteur pour prendre le pouls de l’humanité, grâce à l’adoption des technologies sociales d’animation de nos sociétés.
Le web suit le monde réel : il devient chaque jour plus fluide. Notre vie à plusieurs y migre. Et le mobile en devient le mode d’accès dominant, la télécommande de nos vies connectées, une mémoire intelligente externalisée ; l’internet mobile, un nouveau style de vie mondial. Près de la moitié des Américains et des Européens ont un smart phone, les tablettes deviennent « grand public », dans des déclinaisons moins coûteuses.
L’hybridation du mobile et du tactile va se poursuivre. Les « ultrabooks » domineront la rentrée universitaire 2012. Les outils classiques se transforment : seule une photo sur deux est prise avec un appareil photo classique, de plus en plus de vidéos et de films sont tournés avec des appareils photos, la tablette remplace le téléviseur pour regarder ses émissions favorites. Amazon est devenu un magasin portable. Les terminaux deviennent des outils pour se connecter au « cloud », aux centres de données des géants du web.
Et pour le citoyen consommateur, la question n’est plus de savoir quelle marque de téléphone choisir, mais sur quelle plate-forme organiser sa vie connectée, professionnelle et personnelle : Apple, Android, Facebook, Microsoft ?
Le numérique, nouvelle forme d’écriture à apprendre
Passant dès lors de l’écriture alphabétique et littérale à l’écriture numérique, avec le son, l’image, le geste … pourquoi ne pas réclamer l’enseignement de la programmation dans les écoles et à l’université, des compétences déjà largement développées dans les pays d’Asie du Sud-Est ? De plus en plus de voix s’en font l’écho aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, pour mieux comprendre et utiliser les outils d’aujourd’hui.
Le code, c’est le nouveau latin ! Ceux qui le maîtrisent -- programmeurs et développeurs -- forment la nouvelle élite des « sachants » d’aujourd’hui. Certains y voient même une forme de poésie (rapprocher des éléments a priori non reliés), voire d’une nouvelle esthétique si cette action est réalisée à plusieurs[3].
Parallèlement une nouvelle forme de citoyenneté numérique devrait être enseignée. Mais aujourd’hui, hélas, quand ils vont à l’école, les élèves remontent le temps ! Dans la vraie vie, ils ont grandi avec et sur Internet, partie intégrante de leur réalité.
Pour eux, le web est un autre cerveau extérieur à leur corps, une mémoire en réseau, un disque dur externe. Avec Internet, leur culture est autant individuelle que globale. Le savoir, collectif et partagé.
Co-production, co-création
Les médias traditionnels, dont l’audience vieillit, sont depuis plus de 15 ans, les premiers touchés par ce basculement démocratique : la presse imprimée, la photographie, la radio, la TV, la musique, le cinéma, le livre, ont perdu le contrôle de la production et de la distribution des contenus et des oeuvres.
Ils sont contraints de passer d’un monde unidirectionnel de publication, à un univers de communications, de co-productions, de co-créations, grâce aux médias sociaux, d’échanges généralisés, et même de partage. Là aussi, nous flirtons avec la gestion de biens communs, entre les lois du marché et celles de la régulation, chère au prix Nobel d’économie Elinor Ostrom[4].
Par définition, jouant leur rôle d’institution, les médias classiques organisaient la rareté, réduisaient les choix possibles en décidant des contenus et œuvres à consommer. Aujourd’hui, face au tsunami de l’abondance, à la multiplication des créateurs, ils ont du mal à rester en phase avec les désirs de la société.
La génération C
Car l’homme de la rue ne se contente plus de consommer ce qu’on veut bien lui proposer. Désormais la « Génération Connectée » contribue, programme, créé, produit, réutilise, assemble, commente, recommande, remix, partage. A tout moment et partout.
Nous l’avons dit cent fois, et le répétons ici : l’effondrement des barrières à l’entrée, a permis à chacun d’entre nous de devenir un média !
Un iPhone, c’est une station de TV dans sa poche ! Twitter, une salle de rédaction mondiale et une agence de presse personnalisée gratuite mise à disposition de tous ! Avec Google, le monde du savoir et de la connaissance est sur vous ! Facebook devient le système d’exploitation de nos vies connectées ! Avec YouTube, vous créez votre propre chaîne de télévision !
Ces nouveaux acteurs offrent une caractéristique commune : vous ne pouvez en profiter vraiment que si d’autres les utilisent. Et vous en en profiterez encore mieux, si vous collaborez avec d’autres. Ce sont les bases d’un nouveau partage sur lequel s’appuient ces géants (Facebook et ses 900 millions d’utilisateurs, YouTube à 800 millions, Twitter, Tumblr, Instagram, Flickr, Pinterest, …). Aujourd’hui, les Français sont « sur Facebook » comme ils sont « devant la télé », en masse, longtemps et tous les jours.
La nouvelle profusion exponentielle d’offres bon marché et la commercialisation directe des œuvres par les artistes, désarçonnent les industries du copyright, dont les modèles d’affaires reposaient jusqu’ici sur une poignée de succès rentables et des barrières à l’entrée élevées contre d’éventuels concurrents.
Les créateurs ont aujourd’hui de nouvelles et multiples possibilités de se faire connaître sans passer par les mêmes goulots d’étranglement. Les contenus médias du futur seront plus faciles et moins coûteux à produire, plus rapides à commercialiser et à consommer. Il sera de plus en plus difficile d’empêcher les gens d’être connectés et de s’agréger, d’autant que chacun est en mesure de choisir la manière dont il souhaite interagir avec les contenus et les œuvres.
Les médias classiques risquent vite de devenir des gouttes d’eau dans l’océan numérique. Leur objectif doit être de redevenir des balises, des repères. Ils doivent se battre pour l’attention du public qui s’éparpille entre mille et une sollicitations, qui ne s’achète plus, mais qui se mérite. Ils ne peuvent plus attendre que le public vienne à eux. Ils doivent aller vers lui. Car, comme d’habitude, le public est bien plus rapide que les professionnels (annonceurs, producteurs, créateurs, journalistes, animateurs, ...) à embrasser ces nouveaux usages.
Les défis des médiateurs classiques sont importants, mais l’essor du secteur doit leur permettre de trouver de nouvelles sources de revenus : à chaque rupture technologique, le nouveau marché qui s’est ouvert s’est toujours avéré bien plus important que son impact sur le marché existant. Loin de rétrécir, l’industrie de l’information, de la culture et des loisirs est en train de croître rapidement. Le grand gagnant est bien sûr le public, qui a plus de pouvoir, de choix, de possibilités : le directeur des programmes, c’est le téléspectateur !
La télévision redéfinie par la manière dont on la consomme
Avec son récent virage radical vers des chaînes verticales et thématiques, YouTube est en train de redessiner de manière disruptive l’ensemble du paysage vidéo, en attirant les talents, en créant un univers parallèle au vieux monde de la télévision et de nouveaux rapports de force, tout en cherchant aussi à en effacer les frontières.
Chacun a la possibilité de faire aussi bien que les grands diffuseurs sans leurs coûts fixes, avec en prime souvent plus d’aisance pour toucher le public. N’importe qui peut aujourd’hui ouvrir une chaîne YouTube pour un coût quasi nul. Le temps d’antenne y est illimité, contrairement à la télévision. Les outils de publication sont d’ailleurs les mêmes que pour la presse en ligne ou pour les blogs qui vont aussi venir rapidement concurrencer les chaînes traditionnelles.
La filiale de Google n’est pas seule : Netflix, Hulu, Amazon, Microsoft, Apple – tous Américains-- se battent sur ce terrain de la TV « low cost » ou l’« easy TV » ! De l’Indie TV ! Tous sont en train, ou vont financer de nouveaux programmes vidéo exclusifs en ligne… pour trouver leur place dans nos salons. Nous ne sommes qu’au début de la fragmentation et de la recomposition.
Une recomposition qui favorise pour l’instant les films et les séries de qualité, plébiscités plus que jamais, mais permet aussi à d’autres acteurs d’émerger, jusqu’ici peu légitimes. Inévitablement les sources de financement migrent d’un monde vers l’autre, suivant en cela les nouveaux usages du public qui entend participer partout. Le financement direct par le public de projets qui n’intéressent pas les financiers est d’ailleurs aussi en train de décoller.
Le mantra « Content is King », derrière lequel s’abritaient douillettement les médias traditionnels, n’est plus tenable depuis des années. Aujourd’hui dominent plateformes, infrastructures et outils contrôlés par les nouveaux géants, auxquels tentent de « coller » les « telcos » et cablo opérateurs qui veulent aussi contrôler la distribution des contenus, textes, photos et surtout vidéos.
L’écran global : du cinéma au smart phone !
Grâce à l’essor du très haut débit, aux nouvelles plateformes de distribution et au « cloud », la vidéo prend donc une part croissante de notre consommation média multi-écrans. De plus en plus d’options s’offrent à nous pour accéder aux contenus et aux œuvres : TNT, boîtes d’accès, consoles de jeux, câble, satellite, acteurs de la VOD, chaînes payantes, sites, applications, …
La télévision n’est plus seulement un terminal dans le salon, mais un contenu disponible partout sur n’importe quel écran. Et parfois sur plusieurs en même temps !
Car aujourd’hui, il en faut deux pour profiter et partager pleinement des nouvelles expériences télévisuelles. La « Social TV », c’est la prise de contrôle spontanée de la TV par le public ! Avec elle, c’est l’audience qui est connectée, pas le téléviseur ! La télévision se regarde, dès lors, … reliés ! Et avec un second écran, pour discuter, recommander et partager.
Grâce à Internet, la consommation change : les grands directs (sport, politique, téléréalité de qualité, cérémonies …) et les grandes fictions s’accompagnent de plus en plus des réseaux sociaux et sur un second écran avec la participation active de l’audience. La télévision, dans sa version « Social TV », intègre bien progressivement les caractéristiques du web : partage, recommandation, conversation, co-création, co-production.
Les grands événements à la télévision sont désormais de grands événements sur Twitter et sur Facebook.
L’avenir de la télévision et des médias ne sera pas que social, mais passera par l’innovation et de nouvelles formes narratives de la culture, de l’information et de loisirs combinées avec l’engagement de l’audience et du public. D’autant que les œuvres se consomment de plus en plus souvent en différé, à la carte (films, séries, magazines, documentaires …) et souvent en mobilité (smart phones, tablettes). La télé connectée, c’est le temps retrouvé ! Mais les groupes audiovisuels classiques devront alors passer du stade de diffuseur à celui d’éditeur.
Le monde de l’information et le journalisme sont aussi devenus sociaux !
Dans un journalisme de plus en plus ouvert, grandit aussi la participation du public, via Twitter, les blogs ou les plateformes d’accueil de contenus amateurs (CNN iReport, YouTube, CitizenSide, ….). Un article, un papier, est aujourd’hui bien plus que la seule contribution d’un seul journaliste, il est le fruit d’une collaboration (Storify) entre de multiples acteurs. Le journalisme d’investigation implique aussi de plus en plus souvent les contributions extérieures (public, ONG, …).
Les nouveaux médias sociaux, Twitter, Facebook, YouTube, Google+, deviennent les nouveaux points de ralliement médiatiques des campagnes électorales aux Etats-Unis : les débats sont sponsorisés par eux, ou se déroulent chez eux. Leurs outils sont massivement utilisés, notamment par Barack Obama.
Même si les processus de vérification des faits prennent de plus en plus d’importance et pas seulement sur les déclarations de la classe politique, il va devenir de plus en plus difficile de déterminer qui est journaliste et qui ne l’est pas. Les médias doivent donc apprendre à intégrer mieux les participations tiers, car le journalisme est meilleur quand il est fait à plusieurs.
Le retrait derrière des murs pour recréer artificiellement de la rareté n’est guère convaincant. Ces murs ne sauveront pas des modèles dépassés, ils font gagner du temps en attendant mieux. Depuis près de 20 ans, les médias d’informations rétrécissent, alors que l’appétit d’infos du public ne fait que croître.
De même, l’intégration dans des fonctions de partage et donc de recommandations, assure désormais aux grands sites de journaux (Wall Street Journal, Washington Post, Guardian …) des audiences bien plus grandes. La lecture aussi devient sociale !
Information en ligne, information tout court !
Etre connectés à Internet devient aussi indispensable qu’être branchés à l’électricité ! Bientôt nous interagirons avec des outils sans nous en soucier, immergés dans les flux du monde. L’information pertinente arrivera à point nommé. Les infrastructures seront plus simples, plus élégantes. Le numérique n’est plus depuis longtemps réservé à notre vie au bureau.
Avec les smart phones et les tablettes, il est entré dans notre intimité. Les usages s’orientent vers de nouvelles expériences multi-écrans et multi-terminaux, où la frontière entre vie professionnelle et vie privée s’estompera de plus en plus, comme celle entre les médias. Les technologies de l'information seront présentes partout.
Nous sommes dans un nouveau monde de plateformes ubiquitaires et à haut débit, permettant la connexion partout et tout le temps, où les expérimentations d’une nouvelle application ne coûtent presque plus rien, où les capacités de traitement et de stockage continuent de doubler à toute vitesse, les prix de baisser, mais la qualité du réseau ne pas suivre encore l’explosion de l’usage. Un monde où de petites structures avec peu de ressources font mieux que de grandes avec beaucoup.
Et ce monde nouveau va vite ! Même des grandes sociétés jusqu’ici à la pointe de la technologie, comme Nokia, Sony ou Philips, voire des distributeurs spécialisés de high tech comme l’américain Best Buy ou « l’agitateur culturel » Fnac sont aujourd’hui en difficulté.
Le prochain grand secteur à être désintermédié sera ainsi le commerce de détail, la grande distribution. Déjà, les grands magasins d’informatique et d’électronique deviennent des « show rooms », où les clients ne font que passer, regardant les produits, les touchant, les prenant en photo, avant de commander … en ligne à la maison. Les achats groupés, à la Groupon, qui sélectionnent les meilleures offres en temps réel, se développent à toute vitesse.
Le prochain relais de croissance pourrait bien être dans l’essor du « T-commerce » : les achats de contenus, services et objets via les téléviseurs connectés quand ces terminaux seront dans tous les foyers d’ici 18 mois à 2 ans. On est loin de la science-fiction !
Puis viendra rapidement la possibilité d’imprimer soi-même en 3D des objets, meubles ou vêtements et même des médicaments, ce qui va révolutionner l’industrie et la recherche. Même les fabricants de hardware s’y mettent et développent des composants extrêmement bon marché. L’open source gagne du terrain. Il sera bientôt possible de fabriquer soi même la plupart des objets qui nous entourent. Vivement l’ère du faire soi-même !
Quels rôles pour les anciens médiateurs ? Lâcher prise avec dignité ![5]
Alors qu’ils organisaient jusqu’ici la pénurie, les médias classiques devraient – dans ce monde Internet en constante évolution -- d‘abord accepter de perdre un peu de contrôle, de lâcher prise, de co-produire et de co-créer.
Ils pourraient alors habiliter les jeunes à contribuer et à raconter leur monde, organiser les connexions, puis faire un pas de côté. Ils pourraient ensuite servir de guide et d’accompagnateur pour aider le public à trier et à se retrouver dans ce nouveau paysage vaste, confus, complexe. Réduire aussi le bruit en devenant prescripteur et en certifiant dans la surabondance de contenus les plus intéressants d’entre eux. Offrir du contexte et du sens, devenus des ressources rares.
Ils devraient également contribuer à la diffusion de la littératie numérique, à l’apprentissage de la nouvelle grammaire digitale afin d’aider le plus grand nombre à utiliser les applications et médias numériques, à comprendre et à critiquer leurs contenus, et à créer grâce aux technologies numériques. Ces médias devraient adapter leurs contenus, œuvres, services et expériences aux nouveaux points de contact avec le public. Partager avec des groupes de tailles différentes, produire des recommandations « smart », des personnalisations massives à partir de l’analyse des big data, proposer des filtres pour atténuer la fatigue sociale et donner des résultats plus performants etc…
Les anciens médiateurs ont le savoir-faire pour créer les contenus que les natifs digitaux adorent agréger et ils ont de très vieilles relations avec les publicitaires et les annonceurs qu’ils peuvent aider à se moderniser.
Même si Apple et Facebook mettent des murs de plus en plus épais, ces nouveaux géants ont besoin de contenus, ceux du public et ceux des professionnels. L’accès ubiquitaire aux œuvres va se généraliser mais il faudra pouvoir y offrir des contenus originaux à valeur ajoutée et avec signatures identifiées. Le public paiera pour des contenus numériques mais fera des choix.
Mais les passerelles manquent entre le monde fermé de l’art et de la culture, et ces nouvelles technologies. Et le fossé de connaissance vers la culture numérique devient une barrière de plus en plus difficile à franchir pour les anciens intermédiaires.
Veillons à nos vies dans les nuages !
Les grands disrupteurs, qui ont porté ces mouvements de fond (Google, Facebook, Apple, Amazon…) pour aider à créer un monde meilleur, devraient toutefois eux aussi se méfier des transferts de pouvoir au public qu’ils ont favorisés.
Géants prédateurs, cotés en Bourse pour des centaines de milliards de dollars, cultivant à l’obsession le culte du secret, ils oublient vite qu’ils risquent d’être pénalisés par leurs tentations de tout vouloir contrôler, de clore leurs univers propriétaires et d’exploiter sans vergogne nos données personnelles pour, à leur tour, tenter de garder du … pouvoir !
En inventant le Web, Tim Berners-Lee, n’a pas déposé de brevet. Il a partagé ses trouvailles : http, navigateur, serveur, langage HTML. Il vient d’ailleurs de nous exhorter à réclamer à Facebook et Google nos données personnelles…
Oui, Internet est, comme l’imprimerie, une technologie subversive, autour de laquelle convergent les autres technologies, dans un nouveau monde numérique, qui commence seulement à s’esquisser, mais qui reste mal compris, mal appréhendé par les dirigeants, souvent digital tardifs.
Pourtant, d’ici quelques années, ce qualificatif « numérique » disparaîtra : tout ou presque le sera tout simplement devenu !
Eric Scherer
Introduction au Cahier de Tendances N°3 Métamédia Printemps - Eté 2012
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[1] (Alec Ross, conseiller pour l’Innovation d’Hillary Clinton au Département d’Etat, Munich, janvier 2012)
[2] (Michel Maffesoli, sociologue, Montpellier, novembre 2011)
[3] (Bruce Sterling, auteur de science-fiction, 2012)
[4] (Entrée cette année dans le top 100 des personnes les plus influentes du monde pour Time Magazine).
[5] (« Let go with dignity », Kevin Kelly, fondateur du magazine Wired, 2003)