Par Nicolas Rouilleault, attaché audiovisuel au Bureau français de Taipei
Auparavant producteur et réalisateur spécialisé dans les formats innovants, Nicolas Rouilleault est actuellement attaché audiovisuel au Bureau français de Taipei. En tant qu’attaché audiovisuel, il est notamment en charge de la promotion des contenus XR français et du développement de la coopération entre Taïwan et la France dans ce domaine. En 2021, il a initié avec VAHub – Digital Art Center « Digital Common Sense », la première exposition dédiée à la création VR française à Taïwan, en partenariat avec Unifrance, l’Institut Français et l’association Producteurs d’Expériences Numériques.
Le « métavers » est présenté par le patron de Meta comme un « internet incarné » et le « successeur de l’internet mobile ». Derrière la simplicité de ces définitions, se cachent de grandes incertitudes quant à la forme que prendra ce méta-univers numérique. Difficile de prédire quand et sous quelle forme celui-ci sortira de terre… Toutefois, il y a fort à parier que son développement s’appuiera sur un écosystème associant des grandes entreprises de l’informatique et des producteurs de contenus.
L’expansion des mondes virtuels 3D temps-réel persistants et multi-utilisateurs comme Roblox ou Fortnite et les investissements massifs annoncés en 2021 par Epic et Meta laissent présager des changements considérables sur le plan des formats audiovisuels comme sur celui des canaux de distribution. La présence conjuguée de grands équipementiers et de producteurs de contenus sur son territoire offre de facto à Taïwan un avantage pour développer les contenus de demain. Cette situation a amené le gouvernement taïwanais à se saisir très tôt de ces enjeux industriels, qui – quoique l’on pense du métavers et de l’émergence de cette thématique dans le débat public –, sont de taille.
L’île est bien placée pour être un leader de la création des contenus de demain
La guerre commerciale sino-américaine et les mesures de confinement adoptées en 2020 ont renforcé le leadership de Taïwan dans la fabrication de composants électroniques, en particulier des semi-conducteurs, dont le caractère stratégique a été révélé par la pénurie de puces dans l'industrie automobile qui a perturbé des dizaines d'usines (dont celles de Renault et PSA). L’île abrite par ailleurs des fabricants d’équipement informatique de premier plan (comme HTC, Asus ou Acer), et dispose de talents de R&D de haut niveau et d’une réglementation favorable à la protection de la propriété intellectuelle. Cet ensemble de facteurs a conduit des groupes américains comme Microsoft, Google, Qualcomm, Amazon ou Nvdia à y investir ces dernières années dans les secteurs du logiciel, de l’intelligence artificielle et du cloud-computing.
Si les difficultés à recruter et à lever des fonds ont longtemps freiné le développement des studios et producteurs XR taïwanais, le développement d’une stratégie pour l’écosystème XR au niveau national, marqué notamment par la création de l’agence taïwanaise des contenus créatifs (TAICCA) en 2019, a rebattu les cartes. En 2020, un « appel d’offres 5G » visant à développer des contenus s’appuyant sur la 5G a été lancé par le Ministère des affaires économiques taïwanaises. Ce dispositif, sur lequel se sont notamment positionnés TAICCA et le Théâtre National de Taipei, a contribué à faire émerger l’idée qu’avec les réseaux 5G, son poids dans les secteurs informatiques clés et son dispositif de soutien à l’industrie XR, Taïwan était bien placé pour devenir un acteur leader de la création des contenus de demain.
Vers une prise de conscience des enjeux industriels associés au métavers
TAICCA a joué un rôle décisif dans la prise de conscience des enjeux industriels associés au métavers. L’expert technique international déployé par le Bureau français auprès de cette structure a conduit en lien avec l’entrepreneur et spécialiste de l’innovation Antoine Cardon (El-Gabal) un travail d’évangélisation en interne motivé par la nécessité d'anticiper les tendances en matière de création et de monétisation des contenus culturels, et la conviction que Taïwan présente un environnement favorable pour la création de contenus pour le métavers. Ce travail a débouché sur le choix du « métavers » comme thème de la 2ème édition « Taiwan Creative Content Fest » (TCCF), le festival des contenus créatifs de TAICCA, et sur la sélection d’une expérience VR française, Bedlam (El-Gabal) comme preuve de concept dans le cadre de l’appel d’offres 5G.
Dans la continuité de ses actions dans le domaine XR, le Bureau français accompagne la montée en puissance de cette thématique chez ses partenaires. Dans le cadre de Taiwan Creative Content Fest – dont les débats étaient centrés sur les évolutions des contenus culturels à l’heure du métavers – , le poste a organisé en lien avec TAICCA une mise en avant de deux expériences VR ayant fait l’objet d’une coproduction entre la France et Taïwan, The Starry Sand Beach (Lucid Realities Studio), co-réalisée par Huang Hsin-Chien - un des créateurs VR taïwanais les plus en vue, et Bedlam (citée plus haut). Cette mise en avant a permis de mettre en évidence le dynamisme de la coopération XR franco-taïwanaise et le poids croissant de TAICCA dans le financement d’œuvres VR internationales, et de réfléchir aux synergies possibles entre les écosystèmes XR français et taïwanais après les annonces d’Epic et Meta.
Quelles perspectives pour la coopération franco-taïwanaise sur le métavers ?
Que ce soit en matière de coopération industrielle, ou de création de contenus, de nombreux rapprochements sont d’ores et déjà à l’œuvre. Sur le plan de la coopération industrielle, la Présidente de HTC et le Président de ACER ont été invités au 5ème sommet de l’attractivité, « Choose France ». En matière de création de contenus, plusieurs projets sont en cours (création d’une plateforme de diffusion par Lucid Realities avec un financement de 270K€ du Ministère de l’économie taïwanais ; collaboration entre Huang Hsin-Chien et le compositeur Jean-Michel Jarre ; projet « Notre Dame » produit par Orange, la ville de Paris et Emissive avec la participation de HTC comme partenaire pour l’équipement).
Si elle a de belles perspectives devant elle, la collaboration entre la France et Taïwan dans le domaine du métavers se heurte aussi à des freins qui dépassent le cadre de la coopération bilatérale. D’une part, la création de cet « internet incarné » nécessitera une convergence de plusieurs blocs technologiques (en particulier des innovations matérielles) qui prendra plusieurs années. D’autre part, la création de normes et de standards reconnus par tous est menacée par la prise de position dominante de Meta, qui a annoncé le 18 octobre la création de 10 000 emplois dans l'Union européenne pour construire son métavers (qu’elle peine à faire émerger). Et ce, au moment où les autorités européennes travaillent sur le « Digital Services Act » et le « Digital Markets Act » qui vont frapper de plein fouet leurs activités…
Taïwan est un des territoires au monde qui rassemble le plus d’atouts pour créer des contenus pour le métavers. Les enjeux industriels associés au métavers occupent une importance croissante dans la relation bilatérale entre Taïwan et la France. Toutefois la construction d’un métavers ouvert et décentralisé est un enjeu mondial et sa régulation nécessite la mise en place d’un dialogue multilatéral.