OTT : les dynamiteurs de la télé

"Over The Top" avec Sylvester Stallone, 1987

Par Gilles Delbos, correspondant de Méta-Média à San Francisco.

C'est une réunion de spécialistes, presque de conjurés. Le rendez vous annuel de ceux qui, dans l'ombre, travaillent à dynamiter notre bonne vieille télé.

Loin de l'effervescence médiatique du Festival SXSW, qui s'est clôt quelques jours plus tôt à Austin (Texas), les participants à la quatrième « Over-The-Top TV Conference » de Santa Clara (Californie) ne cherchent pas la lumière.

Une trentaine de stands à peine. Aucun logo connu, pas de grands noms du web. Mais dans ce recoin d'un gigantesque centre de conférence de la Silicon Valley, on croise les principaux acteurs d'un petit monde, qui, en coulisse, et pour le compte des grands noms de la VOD, invente les techniques permettant aux programmes TV de sortir de la télé. Grâce aux technologies mises au œuvre par la poignée de start-ups réunies ici -une cinquantaine de sociétés tout au plus-, la vidéo se consomme désormais indifféremment sur les tablettes, les smartphones, ou à la demande, sur le petit écran.

De la télé partout... sauf sur la télé !

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Un rendez vous de techniciens, donc, mais un rendez-vous ô combien instructif. L'occasion, d'abord, de vérifier que les techniques de la vidéo « partout et tout le temps » sont désormais parfaitement au point. Les exposants viennent d'Israël, du Danemark, de Slovénie ou bien sûr des Etats-Unis.

Leurs systèmes sont toujours plus puissants, « frictionless » et toujours situés quelque part, dans un nuage (tiens, Pluzz n'était pas là ?) Chacun y va de sa plateforme, prête à l'emploi, à la disposition de tous ceux qui veulent faire de la télé sans passer par les chaînes de télé.

Pour tous, le « cloud » est le nouvel horizon. Ooyola, Kaltura, Clearleap, Fredio ou iMediashare proposent des solutions clés en main pour distribuer des programmes, de la vidéo, (en direct s'il le faut), partout dans le monde, et sur n'importe quel écran. Leurs clients sont des médias, des cablopérateurs, des chaînes de télé... Des mastodontes qu'ils regardent désormais avec un peu de pitié et de condescendence, comme autant de dinosaures appelés à disparaitre.

Le second écran est devenu le premier !

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En effet, ces messieurs de l'OTT n'ont plus d'yeux que pour les « second screens », qui bien souvent, sont devenus les premiers écrans sur lesquels on utilise leurs services (70% des américains de moins de 35 ans regardent au moins une fois par semaine des films ou des émission de télé par Internet -source AltmanVilandrie &Co, 2012-). Comme le souligne Bob Van Orden, qui assure avec Clearleap la mise en ligne de tout le catalogue d'HBO, « tout producteur de contenu se doit aujourd'hui d'avoir une stratégie multiscreen ».

La « téloche », celle qui trône dans le salon, qu'elle soit connectée ou pas, n'est plus pour eux qu'un récepteur vieillot, avec sa grande taille comme dernier avantage.

Honte suprême, cette antiquité n'est même pas capable de trahir les habitudes de consommation de ceux qui la possèdent ! Une faute impardonnable, à l'heure où, sur les plateformes « over the top », les algorithmes de YuMe, de Unicorn ou de Vidillion se chargent de glisser des publicités ciblées en fonction du profil et des goûts de ceux qui regardent les vidéos en ligne (merci les « j'aime » de Facebook !)...

On sent poindre, dans ces quelques travées, le rêve d'un monde tellement « over-the-top » qu'il n'y aurait plus besoin de chaînes de télévision... « Nous pensons que grâce à notre technologie, n'importe qu'elle entreprise peut devenir une chaîne de télé à part entière » ose même sans rougir Dov Brand, un des co-créateurs de Vidmind, tout en faisant une démonstration de sa plateforme de diffusion. D'ailleurs les chiffres commencent à donner à ces rêveurs quelques raisons d'y croire. 2,65 millions d'américains se sont désabonnés du câble l'an dernier (pour 56% d'entre eux, parce que la vidéo par Internet suffit désormais à leur besoin -source AltmanVilandrie &Co, 2012-), et dans la foulée des Netflix, Roku et autre Hulu, la consommation de vidéo en ligne explose : elle a doublé en 2012 et devrait représenter 86% du trafic Internet d'ici 2016.

Et le contenu alors ?

A l'heure du déjeuner, beaucoup évoquent donc avec gourmandise la fin de la toute puissance des networks et l'agonie des cablopérateurs qu'ils ont jusqu'à présent servis. Mais bien peu se préoccupent de la création des contenus à destination de la myriade d'écrans toujours plus mobiles qu'ils promettent.

Michael De Monte, Scribblelive

Michael De Monte, Scribblelive

A part peut être Scribblelive, au stand 22. Son grand blond de fondateur, Michael De Monte, se sentirait presque seul, coincé entre un encodeur de vidéos et un fabriquant de décodeurs HD.  Depuis cinq ans, lui mise tout sur la production de contenu « live » pour accompagner les grands évènements télé sur les second screens. Il se présente comme un pro du « storytelling en direct ». Un raconteur d'histoire qui sait utiliser les techniques de l'OTT et de la social TV pour inventer de nouvelles écritures télévisuelles, comme il l'a encore démontré en février dernier avec le « Grammy Awards Live coverage » sur CBS. Pour lui, c'est une évidence, (et désormais un gagne pain), le téléspectateur captif, celui qui écoutait poliment ce qui se dit dans le poste en attendant l'heure d'aller se coucher, ne sera bientôt qu'un souvenir.

Pour preuve, aux Etats-Unis, 86% des possesseurs d'Internet mobile surfent pendant qu'ils regardent la télé, et 44% de ces « dual screeners » commentent en direct ou cherchent des infos en rapport avec ce qu'on leur raconte à l'antenne, notamment pendant la pub.

Des téléspectateurs à la fois exigeants et dissipés, qu'il faut donc nourrir, via les tablettes, de contenus exclusifs et de qualité pour entretenir leur fidélité... Du boulot en perspective, mais rentable. Car ces téléspectateurs là, on en est sûr... au moins, pendant qu'ils pianotent... ils oublient de zapper !

 

Gilles Delbos, ex rédacteur-en-chef du magazine Complément d'enquête (France 2).