Et dire que Netflix a failli s'appeler Blockbuster.com !

Netflix aurait pu s'appeler Blockbuster.com ! Mais Blockbuster n'a pas voulu, et a depuis disparu.

C'est l'étonnante révélation faite par le patron de Netflix au début d'un long article du New Yorker, consacré cette semaine au site de streaming vidéo américain, qui vient d'annoncer, pour 2014, une expansion importante en Europe.

Titré "Hors de la boîte. Netflix et l'avenir de la télévision", l'article de Ken Auletta, le critique média le plus écouté des Etats-Unis, fait le point sur sept pages, par des interviews des dirigeants et d'experts de l'industrie, sur les bouleversements provoqués en quelques années par Netflix.

Au passage, nous apprenons que :

-- Le pdg fondateur Reed Hastings avait donc proposé en 2000 à Blockbuster 49% de Netflix (alors uniquement loueur de DVD par la poste), mais aussi de devenir leur plateforme digitale sous le nom de Blockbuster.com. Le leader des boutiques de location de DVD (alors 7.700 aux USA) avait alors refusé et, comme de nombreux dirigeants des médias, n'avait pas vu la menace. Il avait lancé en 2004 son propre service d'abonnement en ligne. Mais trop tard. Netflix avait déjà 4,2 millions d'abonnés. Dix ans après, Blockbuster a fermé ses derniers magasins et Netflix revendique 44 millions d'abonnés.

-- Le pitch principal de Netflix est de profiter de ce qu'Hastings appelle "l'insatisfaction administrée" par la télévision traditionnelle, à commencer par les interminables publicités et les horaires contraints de diffusion. Pour Hastings, Netflix est plutôt comme la lecture d'un livre: "vous avez le contrôle, et vous pouvez lire tous les chapitres si vous voulez".   

-- L'audience des grands networks américains ne représente plus aujourd'hui que le tiers de ce qu'elle était à la fin des années 70, en raison de la prolifération des nouvelles offres, à commencer par l'arrivée des chaînes du câble dans les années 80.

-- Sur YouTube, la série "Epic Rap Battles of History", diffusée par la chaîne Maker Studios, attire en moyenne 40 millions d'internautes, soit près de quatre fois l'audience du dernier épisode de "Breaking Bad" sur AMC.

Le réseau de chaînes YouTube AwesomenessTV, racheté 33 millions $ par Dreamworks, exploite notamment 85.000 chaînes de gamins ! Son patron pense possible d'ici la fin de l'an prochain autant d'audience que Disney Channel, Cartoon Network et Nickelodeon réunis.

-- Netflix verse autour de 250 millions de dollars à CBS et à Fox (chacun) pour diffuser leurs contenus. Netflix investi aujourd'hui 250 millions $ dans des productions originales, soit 8% de son budget de contenus évalué à 3 milliards $, soit encore quatre fois moins que HBO. Netflix investit aussi beaucoup dans les programmes jeunesse et a signé récemment un accord avec Dreamworks, son 1er fournisseur de dessins animés, pour 300 heures de contenus jeunesse originaux. Mais il reste très dépendant des studios et des télévisions qui pourraient bien remonter leurs tarifs. Au risque de voir Netflix diminuer ses achats ou remonter le prix de son abonnement (actuellement 8 $ ou 8 € /mois).

-- Netflix suit à la trace non seulement les préférences et les habitudes de ses abonnés, mais combien de temps il leur faut pour consommer un épisode, combien d'épisodes ils regardent par soirée (2,5 en moyenne). Son catalogue est organisé autour de 79.000 catégories pour mieux prédire, par des algorithmes, les choix des abonnés.

-- Les dirigeants de chaînes TV traditionnels se rassurent pour l'instant avec les mesures d'audience Nielsen qui donnent toujours à la TV 42 heures d'attention par semaine pour les Américains. Mais Nielsen admet que l'institut n'a pas les moyens aujourd'hui de mesurer la consommation de médias via smart phones des moins de 13 ans.

-- Netflix prévoit que la moitié de la consommation de télévision se fera par Internet d'ici 2016. Il évalue son marché potentiel entre 60 et 90 millions d'abonnés aux USA. Mais son inquiétude principale réside dans les menaces croissantes sur la neutralité du Net qui voient les FAI pouvoir choisir et différencier les contenus qui passent par leurs tuyaux.

A noter aussi les commentaires d'experts américains d'Internet et de la TV, cités dans la chronique : 

"Je ne crois pas que les tenants du titre s'inquiètent suffisamment" (Jason Hirschhorn, entrepreneur du web et ancien dirigeant de Viacom)

"Nous vivons dans un monde où chaque terminal est une télévision (...) La TV devient juste de la vidéo (...) Pour mon fils de 10 ans, un dessin animé vu sur Netflix, c'est de la télé" (Richard Greenfield, analyste de BTIG)

"Les +couch potatoes+ ont laissé la place à des chasseurs actifs qui snackent et contrôlent ce qu'ils regardent et quand ils regardent" (Paul Saffo, analyste technologique) 

"Ca fait 25 ans que j'entends dire que la télévision est morte ! (...) Netflix est notre ami, mais aussi notre concurrent" (Leslie Moonves, pdg de CBS Corp., dont la rémunération s'est élevée en 2012 à 62 millions $).

"Dans 10 ans, la télévision sera diffusée à 100% en streaming. A la demande. Sous protocole Internet. Sur la base d'ordinateurs et de logiciels". La télévision a réussi à mieux gérer la transition numérique que les éditeurs et les dirigeants de la musique. "Mais, au bout du compte, les logiciels vont bouffer la télévision exactement de la même façon qu'ils l'ont fait avec la musique et les livres" (Marc Andreessen, fondateur de Netscape)

"Le résultat est l'émergence d'un tout nouveau type de télévision" (Michael Lynton, CEO Sony Entertainment)

"Plus vous vieillissez, plus vous allez regarder la télévision" (Pat McDonough, VP analyse Nielsen) "Faux ! C'est comme dire que lorsqu'est arrivée la TV couleur, les gens iraient regarder plus tard la TV en noir et blanc comme leur parents et grand parents!" (Brian Robbins, fondateur de AwesomenessTV)

Ken Auletta en conclut que la télévision américaine est confrontée à deux menaces :  

  1. Une menace sur son modèle publicitaire, qui perd en efficacité alors que le public se tourne de plus en plus vers des offres numériques.
  2. Une menace existentielle avec la multiplication des services de streaming vidéo, à commencer par l'arrivée ces derniers mois d'offres bon marché, comme la clé ChromeCast de Google, ou de nouveaux intermédiaires comme la firme Aereo, qui encouragent à se désabonner du câble et de la TV payante.

"Les téléspectateurs sont peut-être en train de se révolter", estime Auletta en notant que Time Warner a perdu des abonnés à son offre câblée au cours de chacun des 18 derniers trimestres. "Reste à savoir si cette nouvelle liberté d'accès universel aux contenus leur coûtera au final plus cher que l'offre actuelle".

Il note aussi que "Netflix et autres nouvelles plateformes ne sont toujours en mesure financièrement de proposer des événements majeurs: les JO, les Oscars, le Super Bowl, American Idol etc".

Pour Hastings, l'avenir de la télévision traditionnelle passe par la diffusion de plus d'événements en direct qui attireront davantage de publicité.

"Avec 100 millions de dollars, je ne pourrai me payer que le championnat de Badminton !"