Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Direction de la Prospective
Snapchat n’est plus l’application de sexting qui a fait au début sa réputation. Misant sur la nature éphémère de ses contenus, elle est vite devenue une messagerie puissante et depuis peu une plateforme qui compte bien dépoussiérer l’info pour ses 100 millions de jeunes utilisateurs.
Snapchat n’a cessé depuis son lancement en 2011 d’innover en termes de fonctionnalités pour devenir toujours plus pertinent dans la restitution de l’info : l’exclusivité, le crowdsourcing, l’éditorialisation et la personnalisation ont peu a peu été intégrés. Et la formule semble plaire aux ados qui ne jurent plus que par Snapchat.
Story, l’info en direct
Avec Story, les utilisateurs de Snapchat (éditeurs/médias compris) peuvent compiler de manière chronologique les snaps d’une journée, ce qui permet à leurs abonnés d’avoir une revue accessible pendant 24 heures. Ces Stories sont le plus souvent utilisées pour couvrir des évènements, comme la Fashion Week ou la visite du Pape à New York pour The Times, et offrir au public des contenus exclusifs tournés en backstage, des interviews minutes… Le fait de devoir poster la vidéo (ou la photo) directement après l’avoir prise (on ne peut pas aller chercher de contenus dans la galerie du téléphone), ajoute de la spontanéité et l’authenticité recherchée par les snapchatteurs. Et tant pis si c’est mal cadré ; on laisse ça à Instagram.
Snapchat, tout comme Facebook et Twitter, vient par ailleurs de se doter de comptes certifiés pour ses VIP, preuve supplémentaire que l’application joue bien dans la cour des grands.
Live Stories, l’info crowdsourcée multicam
En juin 2014, les “Live Stories” ont commencé à changer la donne plus sérieusement. Snapchat s’est lancé dans la curation et l’agrégation de snaps d’évènements importants pour en faire de mini-reportages visibles par l’ensemble des utilisateurs.
Pour parvenir à créer des contenus de qualité, Snapchat a donc recruté des journalistes, dont Peter Hamby, un ancien de CNN.
Quand j’étais à CNN, on couvrait un évènement avec plusieurs caméras… avec les Live Stories, on peut couvrir un évènement via différentes perspectives avec les caméras de tout le monde, dans certains cas des milliers de caméras… et c’est très puissant !” a-t-il expliqué dans une interview pour KUT.
La Live Story la plus populaire serait “Snowpocalypse” qui relate l’expérience d’une tempête de neige à New York en janvier dernier : la vidéo de 3 minutes a enregistré près de 25 millions de vues en 24 heures. Quelle chaîne TV peut se targuer d’une telle performance ?
Discover, le magazine vidéo mobile des éditeurs
Discover, lancé début 2015, a mis en lumière de manière irréfutable la volonté de Snapchat d’aller sur le terrain de l’info. Sur son blog, Snapchat présentait ainsi la fonctionnalité :
“ Ce n’est pas un social média. Les médias sociaux nous disent quoi lire en ce basant sur ce qui est le plus récent ou le plus populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, pas sur les clics et le nombre de partages pour déterminer ce qui est important. (...) Chaque édition est rafraîchie après 24 heures, car ce qui est de l’info aujourd’hui est de l’histoire demain.”
https://youtu.be/UbOMqA2AOIk
Contrairement aux Stories, Discover demande aux médias partenaires d’éditer une sorte de magazine vidéo nouvelle génération. Et attention à ceux qui ne serait pas performant dans l’exercice, car les places sont chères : 15 au total et pas une de plus dont une peut-être réservée à une chaîne temporaire (comme celle de James Bond à l’occasion de la sortie du film). En d’autre terme, un nouvel entrant chasse forcément un ancien, à l'instar de Yahoo News et Warner Music qui ont cédé leur place à Buzzfeed et iHeartRadio cet été.
Et depuis cette semaine sur Discover, Snapchat permet aux éditeurs de promouvoir leurs contenus sur Facebook et Twitter.
Notons qu’aucun média français ne figure dans cette section très prisée, même si des rumeurs évoquent des tests prochains. Les médias américains occupent le terrain, même si le britannique Daily Mail a réussi à se faire une place. Le fait de produire des contenus en anglais a bien entendu aidé.
Story Explorer, l’info personnalisée
Snapchat a lancé il y a quelques jours Story Explorer, qui tente de répondre au défi de la personnalisation. L’idée est de donner accès à davantage de points de vue d’un même évènement en allant piocher dans les Stories publiques et les Lives Stories.
Ce nouveau canal d’informations, plus sélectif que les précédents, permet de regarder des contenus similaires à ceux qui nous ont intéressés ou de trier l’info par centres d’intérêt.
https://youtu.be/Is5MVYepFBE
Les jeunes sont conquis...
Certes, Snapchat ne convainc pas tout le monde. Seuls 5% de la population adulte en ligne utiliserait l’application chaque mois d’après le dernier rapport trimestriel de Global Web Index. Mais qu’importe ! On l’aura bien compris, le but de Snapchat n’est pas de connecter la planète (Facebook s’en charge), mais bien de prendre soin d’une cible peut-être plus modeste en volume… mais pas en terme d’engagement !
Aux États-Unis et aux UK, 45% des ados sont des snapchatteurs selon Global Web Index . Aux US, l’appli est désormais la 2e plus populaire après Facebook et juste devant Instagram.
Mais ces jeunes sont loin d’être tous américains : la moitié de l’audience se connecte hors US. Et ailleurs aussi, Snapchat a su séduire massivement les ados : plus d’un quart d’entre eux utilisent la plateforme en France et en Arabie Saoudite, 46% en Suède et en Belgique et 52% en Irlande selon Statista.
Snapchat ne fait pas que rassembler les jeunes : la plateforme arrive à les engager jusqu’à 6 à 7 minutes par jour, en moyenne pour les meilleures chaînes Discover car les ados reviennent plusieurs fois par jour grignoter des contenus. Cette pratique concernerait 57% des jeunes américains et britanniques selon Global Web Index.
... et les audiences en témoignent
Les chiffres des audiences de Snapchat ne sont pas publics, mais quelques données circulent néanmoins.
Tout d’abord, les 6 milliards de vidéos vues par jour, soit 60 vidéos vues par jour par utilisateur si l’on se réfère à la base des 100 millions d’utilisateurs. Une performance qui a triplé en 6 mois, atteinte uniquement grâce à l’application mobile. Pour rappel, Facebook est à 8 milliards de vidéos par jour, tous supports confondus.
Snapchat Discover délivre chaque jour environ 160 sujets éphémères, dont les contenus sont vus par 60 millions de personnes chaque mois. La section semble satisfaire les heureux éditeurs qui ont rejoint le club. Ainsi Jonah Peretti, le CEO de Buzzfeed a déclaré que 21% des vues de la marque venaient de Snapchat Discover. Cosmopolitain annonçait 3 millions de lecteurs quotidiens et jusqu’à 1,2 millions de contenus partagés par jour.
Et comme sur Snapchat les infos disparaissent 24h après publication au plus tard, les jeunes atteints du syndrome de FOMO (fear of missing out) reviennent jour après jour avec la certitude de trouver du contenu frais.
Un peu en marge de l’info mais significatif tout de même, Snapchat atteint des chiffres record en matière de Social TV : 12 millions de personnes ont interagit sur Snapchat durant les derniers Video Music Awards (alors que 9,8 millions ont regardé le show à la TV). La Live Story dédiée à l’évènement aurait été regardé en moyenne 3 minutes selon Digiday.
Investir Snapchat coûte cher, mais c'est nécessaire !
Un prix qui se compte en TJM ! Les médias qui s’y sont mis ont dû constituer d’importantes équipes pour produire des contenus originaux, entre 10 et 20 par jour. Deux mots d’ordre : instantanéité et verticalité. On attend de Snapchat de l’inédit.
A CNN, 4 personnes (2 designers et 2 éditeurs) à temps plein ont été mandatées pour approvisionner la plateforme. On en compte 3 chez Konbini, 8 pour Fusion et jusqu’à 10 pour Refinery29.
Car pas question de publier sur Snapchat ce qu’on produit partout ailleurs. Fusion par exemple a déjà produit 2 saisons d’une série de courts (1 minute) documentaires vidéos nommée Outpost.
De l’inédit et de jolies mises en scène. Et ce n’est pas pour faciliter la tâche des journalistes qui en plus de devoir se mettre au mobile et à la vidéo doivent aussi se mettre au graphisme ou même à l’animation.
Cet investissement humain coûte d’autant plus cher que le business model de Snapchat n’est pas encore connu pour rapporter gros aux éditeurs : selon Recode, le prix d’une publicité coûterait autour de 100 dollars pour 1000 vues. Si c’est un éditeur qui a vendu la pub, il pourra espérer toucher 70% de son prix. Mais si c’est Snapchat, alors ce sera un partage 50/50 pour la plateforme et l’éditeur selon Fortune.
Pour la pub, même combat que pour les autres vidéos : le format vertical génèrerait 9 fois plus de vues que les pubs horizontales.
Investir sur Snapchat reste néanmoins une aubaine pour les médias et particulièrement la télévision qui ont bien du mal à faire revenir le jeune public. Car comme le rapporte Fortune:
“Dans l’industrie circule cette blague selon laquelle la chaîne Snapchat de CNN enregistre plus de vues que sa chaîne du câble. (ce qui pourrait être vrai - certains partenaires annoncent des millions de vues par jours, ce qui bat à plate couture la plupart des chaînes d’info TV)”