House of Cards : et l’univers de la série TV s’étend

Par Cécile Blanchard, journaliste. Billet invité.

A l’occasion de la sortie mondiale, cette semaine, de la saison 4 de House of Cards sur Netflix, le leader américain de la SVoD a lancé une campagne de communication transmédia d’envergure. Décryptage.

« Transmédia ». Un mot un peu barbare à la définition pourtant… limpide (si l’on en croit Henry Jenkins, éminent professeur américain et l’un des premiers théoriciens de la narration transmédia) : c’est un « processus dans lequel les éléments d’une fiction sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée ».

La promotion transmédia utilise ces ressorts pour créer de l’engagement et de la recommandation autour d’une fiction. Et ce n’est pas si récent qu’on pourrait le croire.

Les films, pionniers de la promotion transmédia

Dès 1999, le film Le projet Blair Witch créé le buzz avec une promotion qui entretient le doute : s’agit-il d’une fiction ou d’un documentaire ? Un site internet a en effet été créé pour diffuser les portraits des étudiants disparus, des tracts ont même été distribués sur les campus américains pour les retrouver. Une campagne transmédia qui ne dit pas encore son nom est née.

Blairwitchproject

Plus ambitieux, en 2001, pour la sortie de AI : intelligence artificielle de Steven Spielberg, 666 sites Internet sont créés, qui propulsent soudain les personnages de la fiction dans le monde réel. Plus tard, en 2008, les équipes marketing mettent le paquet pour la promotion de Batman the Dark Knight avec un jeu en réalité alternée (à la fois en ligne et dans la vraie vie), lancé un an avant la sortie du film sur les écran, qui encourageait les fans à chercher des indices dans le monde entier et à les partager.

Dans le cinéma américain, les exemples sont légion (Tron : Legacy, The amazing Spiderman, Prometheus, etc.)

Ces dispositifs ambitieux font appel à une communauté de fans déjà puissante (exception faite du Projet Blair Witch, les campagnes transmédia ciblent majoritairement les blockbusters) et, quand elles sont réussies, renforcent l’attente autour de la sortie.

Les séries TV particulièrement propices aux campagnes transmédia

Aujourd’hui, à l’heure où les séries TV rassemblent le public et affichent des ambitions « cinématographiques », des campagnes transmédia sont menées pour assurer leur promotion. Car elles réunissent tous les ingrédients des plus grands blockbusters. Les plus regardées suscitent un engouement démesuré, leurs communautés de fans sont souvent ultra actives sur les réseaux sociaux. Et l’excitation autour du lancement d’une nouvelle saison est généralement très importante, alimentée par des rumeurs, des premières images, des teasers, voire des fuites dans la presse…

Un univers particulièrement propice aux campagnes transmédia.

« Une bonne campagne transmédia doit déployer la narration dans le monde réel et sur Internet, afin de brouiller la frontière entre réalité et fiction, et faire rentrer les fans dans la fiction. Surtout, il faut faire attention de toujours conserver la cohérence entre les différents supports. » explique Mélanie Bourdaa, maitre de conférences en science de la communication à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III et enseignante pilote du MOOC Comprendre le transmédia storytelling.

Netflix l’a bien compris, avec le lancement de la quatrième saison de sa série phare House of Cards. En l’invitant dans la campagne présidentielle américaine. Un timing parfait !

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Votez Franck Underwood !

Tout commence au moment du premier grand débat télévisé réunissant, sur CNN, les candidats à la primaire républicaine, le 15 décembre dernier. C’est ce moment que choisit Netflix pour dévoiler le premier teaser de la nouvelle saison de House of Cards.

Le teaser, en forme de spot de campagne présidentielle, utilise les codes inhérents à ce type de vidéo. On y voit le candidat Franck Underwood, incarné par Kevin Spacey, s’adresser à la nation, sur fond de lever de soleil sur les champs, d’enfants américains courant avec un drapeau, de soldats retrouvant leur famille, et de musique patriotique. La fin « Je suis Franck Underwood et j’approuve ce message » est celle utilisée dans tous les « vrais » clips de campagne, par les « vrais » candidats à la présidence. C’est une obligation légale.

 

Le spot brouille d’autant plus habilement les frontières entre fiction et réalité qu’il est diffusé en pleine campagne pour l’investiture.

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Un site Internet, FU2016 permet de continuer l’expérience : on y retrouve le spot de campagne, ainsi que d’autres extraits choisis de la nouvelle saison, mais aussi des goodies afin de mener soi-même campagne pour la candidature de Franck Underwood (autocollants, posters, prospectus…), des « mots clés » de ses combats, ainsi que le hashtag officiel de la campagne #FU2016 à utiliser sur Twitter et Facebook. Enfin, (indice de la bonne entente entre Franck et sa femme dans la nouvelle saison ?) la rubrique consacrée à Claire Underwood indique une « erreur 404 ».

FranckUnderwood portrait

Plus tard, le 23 février, Franck Underwood réapparait dans le monde réel… en inaugurant son portrait à la Smithsonian National Portrait Gallery, aux côtés des portraits d’autres présidents américains.

Une campagne transmédia (TV, Internet, monde réel) qui brouille les pistes entre fiction et réalité, permet au fan d’entrer de plain pied dans cette fiction, et suscite une attente encore plus grande.

C’est tout le talent d’une campagne de promotion transmédia réussie : la créativité déployée pour la promotion, lorsqu’elle est en accord avec la fiction et respecte pleinement son univers, donne encore plus envie de découvrir celle déployée par les scénaristes de cette même fiction.