Les publicitaires au défi de replacer l'utilité au coeur de la relation annonceur/client

Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab.

Longtemps considéré comme la poule aux œufs d’or pour les professionnels de la publicité, l’écosystème numérique est devenu aujourd’hui un véritable casse-tête. Si tous s’accordent sur l’importance du marketing de données et sur le rôle de l’IA, il n’est pas toujours facile de faire des investissements pertinents, d’autant plus que l’accès aux données d’utilisation reste restreint. C'est le constat du rapport Tendances digitales 2019 : la publicité à l’honneur du cabinet e-consultancy.

L’importance de l’expérience utilisateur

Bonne nouvelle. Le raisonnement publicitaire prend désormais en compte l’importance de l’expérience utilisateur. Près de la moitié des professionnels de la publicité envisagent la gestion du contenu et des expériences (46%) et celle des audiences et des données (44%) comme des priorités absolues. Au-delà de la simple collecte de contenus ou de données, un tiers des professionnels de la publicité considèrent l’expérience utilisateur (webanalytics : 33% et la personnalisation : 32%) comme primordiale.

À noter cependant que l’expérience utilisateur reste un paramètre beaucoup moins important pour les professionnels de la publicité que pour les autres métiers. Les professionnels exerçant d’autres fonctions considèrent la gestion de contenu et des expériences bien plus importante (63%) que les responsables de la publicité (46%)

Cette nouvelle perspective a entraîné un changement important dans les indicateurs de performance. La prise en considération de l’expérience utilisateur a incité les professionnels de la publicité à créer et mesurer les campagnes en fonction de leur impact final sur le parcours utilisateur et non en fonction des performances individuelles de chaque canal.

Un message de qualité, diffusé au bon endroit, au bon moment

La recette du succès d’une campagne publicitaire ? Un message de qualité et une technologie de diffusion efficace. La création de contenus attrayants pour les expériences digitales (17%) et le data marketing centré sur l’individu (16%) sont les leviers les plus prometteurs pour les professionnels de la publicité.

« En alliant qualité et pertinence par le biais de l’automatisation, on obtient du contenu très performant, diffusé de manière très efficace », selon Mike Klinkhammer, Directeur des ventes publicitaires en Europe chez eBay.

Replacer l’utilité au cœur de la relation annonceur-client

Dans la course à la rentabilisation des budgets publicitaires, les entreprises ont souvent perdu de vue la notion d’utilité avec comme conséquences la fraude et l'intrusion. L’ensemble des professionnels du secteur s’accordent pour arrêter cette course, prendre de la hauteur et revenir aux fondamentaux que sont la pertinence du message publicitaire, son emplacement et le timing de diffusion.

La fédération mondiale des annonceurs (WFA) a publié une charte mondiale des médias pour aborder certaines problématiques de la publicité. Cette charte établit huit principes :

  1. Tolérance zéro en matière de publicité frauduleuse.
  2. Protection de la marque
  3. Seuils de visibilité minimale
  4. Transparence de la chaîne logistique
  5. Vérification et mesures externes
  6. Élimination des jardins clos
  7. Transparence des données
  8. Amélioration de l’expérience client

Les sept premier points de la charte qui portent sur les mécanismes de publicité digitale en disent long sur les étapes à franchir pour obtenir une expérience client de qualité.

Une exploitation des données au profit de l’expérience

Les utilisateurs veulent des publicités qui « sonnent juste », comprenez : pertinentes et pas trop intrusives afin de préserver la qualité de l’expérience. Si les données personnelles des utilisateurs sont utilisées, elles doivent l’être à bon escient, c’est-à-dire pour créer de la valeur ajouté à l’expérience. 

L’entreprise Spotify a innové en la matière en créant des slogans amusants à partir des données de leurs utilisateurs. 

« Objectif pour 2018, avoir autant d’amour à revendre que la personne ayant inclus 48 titres d’Ed Scheran dans sa playlist “J’aime les Roux”»

La tendance de fond est clair : tous veulent une expérience personnalisée pilotée par les données.

« Nous investissons considérablement dans la personnalisation. Chaque campagne de ce type que nous déployons s’avère rentable. C’est l’un des domaines dans lequel nous enregistrons le meilleur retour sur investissement », affirme Angus Cormie, Directeur du Commerce électronique chez Dell.

Les sondés travaillant en agence publicitaire continuent d’afficher leur confiance vis-à-vis du data marketing. Près d’un quart d’entre eux considèrent qu’ils s’agit de l’opportunité la plus intéressante pour leurs clients en 2019. (23%)

Trouver les bons indicateurs de performance

Les professionnels de la publicité sont de plus en plus contraints à justifier la rentabilité de leurs investissements. Dans le même temps, aucun KPI pertinent n’a encore été trouvé. Les professionnels se sont longtemps focalisés sur le clic, mais celui-ci ne donne aucun indice sur l’évolution de la notoriété de la marque.

Alors que la plupart des professionnels essayent de délaisser le KPI d’attribution au dernier clic, ils peinent encore à trouver un indicateur pertinent pour le remplacer. En effet, l’accent mis sur les performances d’un canal publicitaire donné ne fournit pas nécessairement les indications nécessaires.

« Il faut être certain de mesurer le bon élément à la bonne étape pour faciliter le processus décisionnel », explique Angus Cornie.

La problématique des jardins clos

Les dépenses globales dans la publicité en ligne, qui ne cessent d’augmenter, se font à 90% au profit de Google ou Facebook. Amazon n’est pas en reste, ayant généré 2,2 milliards de dollars de recettes publicitaires seulement en un trimestre en 2018. Le cloisonnement des données constitué par les jardins clos (exploités par Google, Amazon et Facebook) représente à 38% la principale préoccupation des professionnels de la publicité. Pour ceux-ci, le problème n’est pas tant que les jardins clos limitent l’accès aux données des utilisateurs mais plutôt qu’ils représentent un type de plateforme différent nécessitant une stratégie marketing spécifique.

« Les jardins clos posent problème aux annonceurs car ils ne peuvent pas déployer de stratégie publicitaire les englobant » affirme Mike Klinkhammer Directeur des ventes publicitaires en Europe chez e-bay.

Autre argument mis en avant : Google, Facebook et Amazon offrent des outils automatisés et des fonctionnalités de ciblage que la plupart des éditeurs traditionnels ne peuvent proposer.

Les conséquences du RGPD

Le RGPD contraint les professionnels de la publicité à faire preuve de davantage de responsabilités dans les méthodes de collectes de données sur les utilisateurs. Ils reconnaissent à 41  % que la réglementation de la protection des données a eu un impact positif sur leur entreprise. Ces données sont davantage utilisées à des fins d’affinage dans le ciblage par le biais de Google et Facebook majoritairement là où il y a quelques années, elles faisaient abusivement le jeu de reciblage publicitaire.

Davantage contraints en termes d’utilisation des données personnelles, les professionnels de la publicité ont dû revenir aux fondamentaux : proposer une expérience publicitaire contextuelle, créative et pertinente.

« Le RGPD a été la première étape en termes de regain de confiance. Il a aidé l’ensemble du secteur à prendre les mesures qui s’imposaient », conclut Mike Klinkhammer.

Le rôle de l’IA dans le modèle publicitaire

La discipline publicitaire se considère la plus avancée en termes d’intégration de l’IA ou de volonté d’intégrer des solutions IA. Les annonceurs sont 37% plus susceptibles d’annoncer que leur entreprise tire parti de l’IA. Ils sont également dix fois plus susceptibles de considérer que la publicité est à la pointe dans ce domaine. De plus, 40% des professionnels de la publicité déclarent que leur discipline fait le plus appel à l’IA et l’apprentissage automatique (contre 4% pour les autres métiers).

Tous les professionnels s’accordent pour dire que l’IA va avoir un impact sans égal sur le secteur de la publicité pour adresser des audiences larges et diverses. L’IA permet de traiter un grand nombre de signaux de données, de procéder à un profilage des audiences et de miser sur l’apprentissage automatique pour établir des corrélations entre les audiences. L’IA permettra également d’innover dans les formats publicitaires et les canaux de diffusion. Ainsi 22% des professionnels considèrent que les bots amélioreront les campagnes publicitaires et les expériences utilisateur.

Le secteur de la publicité a sans doute mieux cerné que d’autres métiers la façon dont les données et la technologie peuvent instruire les stratégies marketing. 32% des annonceurs estiment  que la diffusion d’expériences personnalisées en temps réel constitue la perspective la plus prometteuse dans les 3 prochaines années.

Dans un écosystème digital, la recette d’une publicité efficace reste la même : diffuser le bon message au bon endroit au bon moment. Aujourd’hui, les professionnels de la publicité n’ont pas la vue d’ensemble nécessaire à un moment où  les données utilisateur sont la clef de la personnalisation. La bête noire ? L’accès limité aux données d’utilisation et le manque d’indicateurs de suivi pertinents. Les professionnels de la publicité sont conscients des difficultés qui les attendent dans un contexte économique où ils doivent de plus en plus prouver la rentabilité de leur investissement.

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Crédit photo : Carlos Muza via Unsplash