Par Clara Schmelck, journaliste (Intégrales, Socialter) et philosophe des médias, billet invité
En débarquant sur Snapchat, les médias traditionnels imaginent des contenus social natives qui bousculent les codes du contrat de lecture.
Manne pour les médias
Aux Etats-Unis, un tiers des jeunes de 18 à 34 ans possède un compte Snapchat. En France, on compte 8 millions d’utilisateurs et Snapchat représente 9,6 millions de visiteurs uniques par mois, dont 72% de 15-34 ans selon Médiamétrie.
Le défi pour les chaînes de télévisions et les éditeurs qui ne sont pas identifiés comme une source d’informations par les millenials est de se réinventer pour aller chercher les jeunes sur Snapchat. L’objectif est de monétiser cette audience par la publicité : avec une durée d’utilisation quotidienne de 25 à 30 minutes en moyenne selon Snapchat, les tarifs publicitaires s’élèveraient, au sein des éditions françaises de Discover s'élèveraient autour de 20.000 euros la journée en moyenne (source : Stratégies).
Nouvelle terre vierge éditoriale
Avec l’arrivée sur Snapchat en septembre de titres comme Le Monde, L’Equipe ou Paris Match, on s’est demandé comment les médias traditionnels qui ont déjà eu du mal, il y a dix ans, à prendre le tournant numérique, allaient débarquer dans une galaxie où l’on navigue verticalement entre filtres à selfies, autocollants délirants et autres lol. Et comment parvenir à publier des contenus dédiés sous forme d’éditions quotidiennes de dix à quinze sujets ?
Ce qui change radicalement avec Snapchat, c’est que ce n’est pas un énième réseau social où l’info est diffusée, mais une plateforme éditoriale qui vient compléter l’information offerte par les médias sur leur site ou journal papier, une nouvelle terre vierge éditoriale. C’est en quelque sorte un supplément d’âme pour l’information.
Sur la forme, Snapchat reprend les codes de la presse magazine, avec des “top snaps” visuels rappelant les pages d’un magazine en papier glacé. Mais, en lame de fond, Snapchat fait bouger les plaques.
Un article traditionnel du Monde pose un événement nouveau dans le cadre discursif de réalités déjà nommées, déjà classées : des noms propres et des noms communs, des titres, des sigles, bref dans tout un ensemble sémiologique déjà entendu. Cela est vrai d’un texte, d’une infographie, d’une photographie. C’est le rôle de l’information objective : livrer une description et de l’explication scientifique des faits.
Mais les Millenials, sur-connectés, attendent sur Snapchat autre chose que des flux d’informations. Ils veulent des contenus avec lesquels ils peuvent interagir de manière sensitive. Dans un entretien accordé à Libération, Jérôme Cazadieu, directeur de la rédaction de L’Equipe, explique que l’écriture Snapchat passe par de l’humour, un travail graphique, de la gamification de l’information. Cavani a toutes les peines du monde à trouver le chemin des filets ? Mettons-nous à sa place et imaginons un labyrinthe interminable entre le ballon et la cage pour produire un Snapchat humoristique :
Nouvelle hiérarchie des contenus
Sur Snapchat, la question que se posent les médias n’est pas « comment écrire une histoire qui sera partagée ? » mais « comment partager une histoire ? ». Il s’agit d’inventer des contenus social native, c’est à dire qui engagent une expérience sociale. Ces nouvelles écritures passent par le choix d’angles originaux, une attention accrue aux émotions suscitées chez l'audience et un souci d’ interpeller les sens des lecteurs. Ainsi, la hiérarchisation des contenus n’est pas pensée en terme de rubriques ou de temps breaking news/actu froide, mais est fonction du ressenti de l’info par les lecteurs.
Jean-Guillaume Santi, chef du pôle Snapchat au Monde, raconte l’expérience d’une rédaction sur Snapchat :
« On a appris à démarrer avec des sujets scientifiques ou du sport. D’ailleurs, il ne faut pas penser en termes de rubriques mais plutôt de lourdeur et légèreté de l’info, il faut alterner pour avoir des respirations. »
En ce sens, Snapchat s’avère peut-être la plate-forme sociale la plus appropriée pour exprimer la structure intersubjective des événements. Ce qui est aussi du journalisme !