Près d’un an après son élection, Donald Trump a réussi un autre tour de force : maintenir la presse américaine dans l’obsession à son égard et à sa tambouille de Washington, tout en continuant à l’éloigner du reste de l’Amérique.
Non seulement elle ne s’est pas remise d’une élection qu’elle n’a pas vu venir, mais elle reste tétanisée par un président qui l’a, depuis, jetée à la vindicte, en la désignant jour après jour « ennemie du peuple américain ».
Cette semaine, à Washington, lors de la conférence annuelle de l’Online News Association, les 3.000 journalistes réunis ne parlaient que de ça. Nombreux étaient même ceux qui vous confiaient, sidérés, que Trump, toujours fort d’une base solide et fidèle, serait aujourd’hui encore, réélu, voire même en 2020.
Furieux, inquiets, traumatisés, désarmés, et surtout toujours impuissants, ils cherchent désespérément des parades à l’invraisemblable « machine à tweets » qui les réveille chaque matin en s’adressant, au-dessus de leurs têtes, aux Américains et au reste du monde, pour donner le ton et l’agenda du jour.
Ils n’en reviennent toujours pas de voir quotidiennement leurs articles, leurs reportages, leurs JT, qualifiés de « fake news » par un exécutif qui, pour eux, ment en permanence.
Et pire, qui commence à arrêter des confrères.
Le tout sur fond de ressources éditoriales en chute libre, de défiance croissante de la population, notamment des jeunes, et d’un déferlement d’infos bidons et d’opérations de désinformation, parfois alimentées de l’étranger.
« Il cherche à nous intimider, mais si on ne proteste pas, cela va devenir normal d’arrêter des journalistes », estime Cenk Uygur, journaliste fondateur de la TV internet The Young Turks. « Nous sommes face à un manque de respect croissant du 1er amendement de la constitution » (liberté d’expression).
Mais le problème c’est qu’« aujourd’hui tout le monde fait l’erreur de se reconcentrer sur Washington et oublie de nouveau les territoires et les communautés », estime Asma Khalid, qui a couvert la campagne pour la radio publique NPR. « Les journalistes feraient mieux de revenir interroger ceux qu’ils ont découvert il y a un an ».
« C’est toujours difficile de sentir la colère du pays depuis les bulles de New York ou de Washington. Trump en profite » ajoute Cenk Uygur, pour qui le nouveau président « a forcé la presse à regarder le côté déplaisant de l’Amérique ».
« Trump a exposé l’Amérique qui a toujours existé (…) mais nos rédactions ne reflètent pas la diversité de la population du pays. Les journalistes envoyés sur le terrain ne ressemblent pas à ceux qu’ils interrogent », déplore Nikole Hannah-Jones, journaliste au New York Times Magazine.
« N’oubliez pas, dit la jeune reporter de Vice qui a réalisé l’enquête choc sur les suprématistes blancs du Sud, que les vrais gens ne sont pas sur Twitter, là où les journalistes s’admirent ! ».
« Trump est en train d’emmener les gens dans sa direction. Or c’est à nous de restaurer la confiance et de voir comment mieux les écouter », estime Michelle Holmes, vice-présidente du groupe de presse Alabama Media.
Actuellement, la droite dure américaine, soutenue par Trump, s’en prend aux médias mais aussi aux professeurs et aux scientifiques. Et alimentée par les réseaux sociaux, l’opinion privilégie hélas souvent l’émotion sur les faits. Des faits parfois, remis en question, qu’elle ne veut pas connaître ou qu’elle ne différencie plus des commentaires ou des opinions.
« Nous sommes engagés dans une bataille contre l’ignorance », résume Peter Bale, éditeur du futur site WikiTribune, financé par Jimmy Wales. « Notre travail doit être aussi de renforcer considérablement l’esprit critique et le scepticisme de l’audience et de la sortir de sa bulle cognitive en distribuant le plus extensivement possible nos infos », Glenn Kessler, fact-checker en chef au Washington Post.
« Nous devons aussi éduquer aux médias les jeunes, premières cibles des manipulations », martèle le responsable du musée de l’Holocauste de Washington, Steven Luckert.
Face aux fake news, à l’info partiale, « la seule réponse est la transparence et la communication sur notre méthodologie », assure Angie Holan, éditrice de Politifact, spécialisé dans la vérification des infos politiques.
Mais les journalistes reconnaissent aussi manquer d’outils, de temps pour leur reportage, et aimeraient plus de soutien des grandes plateformes comme Google et Facebook.