Social TV : et si on s’était planté depuis le début ?

Par Benjamin Thereaux, Réalisateur de social live streaming et ancien consultant Social TV chez France Télévisions Éditions numériques

La TV sociale partait d’un constat irréfutable : la majorité des téléspectateurs regarde son poste de télévision avec un smartphone dans les mains. Que faire alors de ce 2nd écran qui distrait du 1er ? Comment monétiser cet usage ? Malgré de nombreuses initiatives des chaînes et de quelques producteurs, le concept de Social TV s’est bel et bien essoufflé.

Et si la bonne équation n’était pas de chercher à inclure le social dans les émissions en direct, mais bien de fabriquer de la télévision pour les médias sociaux ? Avec l’explosion des diffusions en direct via Facebook Live, Twitch ou encore Periscope, on peut légitimement se poser la question.

Alors amusons-nous à remettre les choses dans l’ordre : appelons TV Social ce qui était la Social TV, et voyons ce que l’on produit aujourd’hui sur les pure players du live streaming.

1Retour sur une fausse bonne idée

Dans un vrai esprit d’innovation, les chaînes ont expérimenté des dispositifs numériques et tenté de ne pas voir, dans ce comportement « multitask » des téléspectateurs connectés, une menace mais une opportunité. On a ainsi fabriqué des applis de second écran dédiées à être utilisé par le spectateur en même temps que la diffusion des programmes. Des équipes éditoriales se chargeant d’enrichir, tant bien que mal, les émissions avec du contenu encyclopédique ( « en savoir plus », « aller plus loin »…), des mécaniques d’engagements (votes, sondages, questions…), de jeu (quiz, niveaux, badges…) ou des fonctionnalités de découpe d’extraits vidéo, d’éditions de GIF…  Le Saint Graal publicitaire étant de constituer une audience suffisante sur le mobile pendant le show pour aussi synchroniser les pages de pub. Le 1er écran vous aguiche en 16/9e sur la nouvelle voiture de vos rêves, et en un clic sur le 2nd vous pouvez déjà commander votre test drive près de chez vous. La télé pour convaincre, le mobile pour transformer. Qui dit mieux ? On y a cru. Beaucoup. Et pourtant, trop rares sont les audiences 2nd écran qui ont décollé. Alors plus personne n’y a cru.

Sans prétendre détenir la raison de ces échecs, on peut évoquer le fait que trop peu de producteurs ont fabriqué leurs émissions de direct avec la sérieuse intention d’y inclure des feedbacks du second écran. La 1re application The Voice promettait aux télénautes de devenir le 5e coach et de voter pendant les éliminatoires. Sur des émissions enregistrées. Cherchez l’erreur ! L’app vivait de son côté et l’émission du sien sans jamais se croiser.

Par ailleurs, il est possible qu’à vouloir bien faire, les éditeurs aient trop pushé de contenus additionnels en parallèle du programme, alors qu’une bonne partie méritait d’être consommée après la diffusion, créant une expérience double écran trop lourde cognitivement. Par exemple, peut-on décemment demander à quelqu’un de lire une vidéo sonore sur sa tablette lorsqu’il a déjà sa TV allumée ? Mais une raison plus importante encore est peut-être que ces téléspectateurs munis d’un smartphone étaient déjà plus intéressés par leurs sms, leurs mails, leur Facebook, leur Instagram, leur Snapchat, que par le programme. Et puisqu’il leur sert à s’en évader, ils ne sont pas du tout intéressés pour reprendre le fil du programme en acceptant les « call to action à nous rejoindre sur telle url », à télécharger telle application ou à voir les photos des coulisses depuis telle page Facebook.

Pourtant, avant que les chaînes et producteurs tâchent de créer ex nihilo ces nouveaux usages couplés du smartphone avec leurs programmes, les téléspectateurs s’étaient déjà transformés en vrais télénautes en se retrouvant naturellement et avec passion sur Twitter. Les hashtags des émissions devenaient alors des forums éphémères en 140 caractères. Que dit ce comportement qui n’a été dicté par personne ? Que la conversation, que la joute verbale, que le bon mot qui amuse, qui éclaire ou qui fait grincer fait partie intégrante de l’expérience communautaire recherchée par une poignée non négligeable de téléspectateurs. Autrement dit, on s’est toujours plus amusé à regarder la télé à plusieurs que tout seul.

2L’arrivée des pures players du live streaming a tout changé

Abandonnons la petite lucarne, passons sur Internet. Connaissez-vous Twitch ? Cette plateforme rachetée en 2014 par Amazon – pour près d’un milliard de dollars – invite les joueurs du monde entier à streamer leur partie de jeu vidéo. Les twitchers réalisent leur diffusion en s’incrustant en webcam au-dessus des images du jeu, et on peut les entendre commenter. Cent millions d’utilisateurs mensuels y passent en moyenne 106 minutes par jour, les 3/4 d’entre eux ont entre 18 et 49 ans. Un module de chat se trouve à côté du player, la communauté ne se gêne pas pour l’utiliser et le twitcher entretient grâce à cela une vraie relation de proximité avec ses viewers. Il remercie chaque nouveau follower, et encore plus chaque donateur.

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Le média Accropolis a détourné le principe original de la plateforme Twitch et organise des live par-dessus des séances parlementaires. Comme si je regardais France 3 le mercredi après-midi mais avec un présentateur web auquel je m’identifierais, et mon fil Twitter constamment branché, le tout dans une expérience utilisateur unifiée. Une manière pour les chaînes de proposer une expérience broadcast différente, en touchant potentiellement des audiences plus  jeunes ou plus connectées.

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En 2014, nous avions fabriqué pour francetvsport un module de jeu qui vivait à côté du player de direct pendant tout Roland-Garros et le Tour de France. Nous nous relayions tout l’après-midi pour l’alimenter de pronostics, de quiz, de sondages et de bons tweets, l’utilisateur pouvant gagner des points, passer des niveaux et gagner des lots. Sur le principe d’Accropolis, cette gamification serait probablement à compléter aujourd’hui avec un présentateur dédié au jeu, en interaction totale avec les connectés et au commentaire sportif sur les images.

3Facebook Live, la social TV par excellence

Dans la galaxie des Facebook Live, SuperDeluxe est un ovni. Jouant la carte de l’humour souvent décalé, cette chaîne Facebook lancée par le groupe américain Turner Broadcasting est un défricheur des formats les plus interactifs qui soient. Les live, souvent appelés « viewer's choice » approchent souvent le million de vues. Les utilisateurs sont invités à voter pour les ingrédients que l’on va mettre dans cette soupe avant de la faire boire au stagiaire ou pour choisir avec quoi nous allons masser cette personne. Envoyez un selfie et notre caricaturiste vous dessine en live, citez-nous un thème et nos stand-uppers tâcheront de vous faire rire avec, dessinez avec notre artiste, quelles lettres allons-nous tatouer sur ce cobaye, etc.

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Après avoir travaillé essentiellement à l’affichage de tweets sur les émissions du groupe TF1 et Canal, une startup française nommée CliClic.tv se démarque en proposant à des chaînes et des annonceurs des Facebook Live originaux. Parfois, il n’y a d’ailleurs même pas de caméra, c’est une page web dynamique qui est jouée dans le live, reprenant les commentaires, réponses, votes des internautes. Un des meilleurs exemples en date est l’opération avec Primark, où les connectés étaient invités à trouver le prix exact de la collection de vêtements présentée afin de la gagner. Si le principe de la page web trouve ses limites, on pourrait imaginer que mieux produit et présenté sur un plateau, ce format pourrait réinventer le télé-achat.

Bref, on a essayé de faire rentrer le social dans la télé, et c’est l’inverse qui s’est passé. La Social TV doit être une expérience utilisateur unifiée où l’on trouve sur un même écran le programme en live, la possibilité d’interagir via un vote ou un commentaire, et où l’on ressent la présence des autres viewers. Ceci n’est possible qu’à travers un device connecté, pas un téléviseur passif. Et les plateformes sociales donnent aujourd’hui tous les outils pour fabriquer ce nouvel objet audiovisuel. À vous de jouer !