Fake news : les scientifiques s’en mêlent

Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de l'Innovation

La revue Science vient de publier La science des fake news, une étude menée aux Etats-Unis par un collectif de chercheurs pour comprendre l’ampleur réelle du phénomène et l’efficacité relative des mesures pour le combattre. Une étude qui se veut différente des innombrables papiers déjà publiés sur les fake news grâce à une approche scientifique du sujet.

Quelle définition pour les fake news ?

On a tout lu et tout entendu sur les fake news, et pourtant, personne ne s’accorde encore sur une définition officielle du terme. Ici, les chercheurs désignent par l’expression fake news des informations fabriquées de toutes pièces qui imitent les contenus des médias d’information dans la forme, mais sans respecter les normes traditionnelles du journalisme dans leur production.

Une définition qui a le mérite de faire le distinguo entre différents types de « troubles de l’information » (information disorder) :

  • La « malinformation » (misinformation), c’est-à-dire la diffusion d’informations fausses
  • La désinformation, c’est-à-dire la diffusion d’informations qui cherchent délibérément à induire le public en erreur
  • Et enfin la fake news, qui imite la vraie information et se fait passer pour vraie… sans l’être.

On vous l’accorde, les limites entre chaque notion restent floues, et pour cause : ce que l’on nomme communément « fake news » est le plus souvent un mélange plus ou moins hasardeux entre ces trois phénomènes. Ce qu’il faut retenir, c’est surtout que la fake news fait référence à l’imitation, à la contrefaçon, et non à une information fausse (l’anglais a un autre mot pour ça : « false »). La fake news, c’est donc bien une information qui se fait passer pour vraie, mais qui ne l’est pas.

Genèse de la fake news

L’émergence aux Etats-Unis d’une éthique officielle du journalisme s’est opérée, selon Science, sous l’impulsion de deux facteurs : la propagande autour de la Première guerre mondiale et la montée des activités de relations publiques des entreprises dans les années 1920. Ces deux éléments ont poussé les acteurs des médias à se réunir pour défendre un journalisme de qualité, garantissant la production d’informations neutres et vérifiées. Les lecteurs réservaient alors leur confiance à quelques titres de presse qui bénéficiaient d’un véritable monopole de la crédibilité.

Mais l’arrivée de l’internet a considérablement réduit le coût d’entrée de nouveaux acteurs dans le secteur de l’information-communication et a vu une flopée de nouveaux concurrents arriver sur le terrain des médias traditionnels… Des concurrents qui ne plaçaient pas forcément l’éthique journalistique au centre de leurs préoccupations. Résultat, la confiance dans les médias a atteint des scores historiquement bas en 2016, avec une nette fracture idéologique aux Etats-Unis, où 51% des Démocrates et 14% des Républicains affirmaient accorder une certaine confiance aux médias traditionnels comme source d’information.

Une fracture d’autant plus notable, souligne Science, que les Etats-Unis ont vécu ces dernières années une polarisation politique inédite sur leur territoire. Une polarisation géographique tout d’abord, avec un fossé grandissant entre les populations des Etats côtiers, majoritairement démocrates, et les Américains « de l’intérieur », plus conservateurs. Une polarisation renforcée, ensuite, par les réseaux sociaux, avec leur tendance bien connue à nous enfermer dans des communautés qui partagent nos opinions et font chambre d’écho, évitant de fait toute confrontation à l’altérité.

Quel impact sur les citoyens ?

La polarisation croissante des opinions et les bulles de filtre créées par les réseaux sociaux ont donc créé un environnement particulièrement favorable à la diffusion des fake news. Mais quel est leur impact réel sur les citoyens ? Difficile à dire, souligne l’étude, car s’il est possible de mesurer le nombre d’individus ayant été en contact avec une fake news sur les réseaux sociaux, il est en revanche bien plus compliqué d’évaluer le nombre d’utilisateurs qui l’ont réellement lue, sans parler du nombre d’utilisateurs ayant été réellement influencés dans leurs opinions.

Les recherches scientifiques relayées par l’étude se bornent donc pour l’instant à nous donner quelques ordres de grandeur – bien utiles pour comprendre l’ampleur du phénomène :

  • Facebook estime le nombre de bots sur sa plateforme à 60 millions
  • Twitter estime pour sa part qu’entre 9% et 15% des comptes actifs sur sa plateforme sont des bots
  • Dernière source d’inquiétude : selon une autre étude citée par Science, les fausses informations sur Twitter ont tendance à être beaucoup plus retweetées, et de façon beaucoup plus rapide, que les vraies informations, a fortiori quand elles portent sur la politique…

Facebook Bots

Des constats plutôt inquiétants donc, d’autant que les travaux des chercheurs montrent aussi que nous sommes affectés par de nombreux biais cognitifs qui entretiennent notre vulnérabilité aux fausses nouvelles. Au premier rang d’entre eux, le biais d’exposition sélective, qui nous pousse à accorder davantage de crédit aux informations conformes à nos croyances préexistantes. Le biais de confirmation, ensuite, nous fait considérer les informations qui vont dans notre sens comme plus persuasives que les informations « dissonantes ». Et enfin, le biais de désirabilité nous rend plus enclins à accepter comme vraies les informations dont on a envie qu’elles soient vraies.

Quelles solutions ?

Rien de révolutionnaire dans les pistes de solution explorées par Science, qui évoque les projets de régulation des plateformes (par elles-mêmes ou par les pouvoirs publics) et les incontournables initiatives de fact-checking. Mais en s’efforçant d’analyser les avantages et inconvénients de chaque méthode, l’étude apporte un éclairage nouveau qui ne peut qu’être utile dans la lutte contre les fake news.

RÉGULATION DES PLATEFORMES

Les plateformes pourraient s’autoréguler en repensant le fonctionnement des algorithmes qui trient les posts du fil d’actualité : l’idée serait d’arrêter de se focaliser sur l’engagement des utilisateurs pour intégrer un nouveau critère, celui de la fiabilité de l’info, et favoriser davantage les publications sourcées et vérifiées. L’étude propose également de renoncer à la personnalisation du fil d’actualité pour les publications politiques, dans l’idée d’éviter autant que possible la formation des chambres d’écho et de confronter les utilisateurs à un maximum de points de vue.

Les plateformes ont déjà entrepris de telles initiatives : Facebook a d’ores et déjà annoncé son intention de revoir son algorithme pour favoriser la « qualité » des publications dans sa curation de contenus, tandis que Twitter a annoncé avoir bloqué des comptes de fake news liés à la Russie. Mais cela n’est pas suffisant, selon le monde de la recherche, qui demande aux plateformes de collaborer avec des chercheurs indépendants pour évaluer l’ampleur du phénomène des fake news et l’efficacité des mesures d’endiguement. Car les plateformes ont une responsabilité éthique et sociale, souligne l’étude, à partager ces données qu’elles seules possèdent pour contribuer à l’avancée de la science.

Quant à la régulation par les pouvoirs publics, si elle peut être efficace, elle peut être aussi très dangereuse au regard de la liberté d’expression et de la liberté de la presse car la frontière est parfois mince entre régulation de l’information et censure. C’est une solution à envisager avec précaution, donc, pour Science – même si l’Union européenne et la France sont respectivement en train de plancher sur une législation anti fake news.

FACTCHECKING

Attention aussi, prévient l'étude, aux effets parfois contre-productifs du fact-checking : même si le but est avant tout de démystifier les fausses nouvelles, le « débunking » contribue malgré tout à la diffusion d’informations erronées qui laissent parfois une trace dans la mémoire. L’avis des scientifiques, sur ce point, est contradictoire : certains évoquent un autre biais cognitif, le biais de familiarité, qui pousserait les individus à se souvenir d’une information sans forcément se remémorer son contexte (ici : on se souvient de la fake news… mais pas des explications du débunking). D’autres affirment que si la fausse information est immédiatement suivie d’une rectification, le fact-checking reste efficace. Pas de consensus donc parmi la communauté scientifique, qui prévoit de poursuivre la recherche sur ce sujet…

Comprendre l’ampleur réelle des fake news, imaginer des mesures efficaces, adapter notre écosystème d’information aux nouveaux enjeux de notre siècle que sont la prolifération des bots, l’émergence des fermes à clics et la manipulation à grande échelle : tout reste à faire dans le combat contre les fake news. Et nous avons autant besoin de l’analyse des politologues que des travaux scientifiques comme cette étude pour endiguer le phénomène.