VPRO Medialab : intégrer la narration aux nouvelles technologies

Par Annelies Termeer, Directrice créative à VPRO Medialab. Cet article est tiré d’un billet originellement publié sur media-innovation.news. Il est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre WAN-IFRA et Méta-Media. © [2019] Tous droits réservés.

Le media lab d'innovation du radiodiffuseur néerlandais VPRO utilise des technologies novatrices pour offrir des expériences narratives captivantes, tout en sensibilisant son public à l'impact possible de ces technologies sur sa vie quotidienne.

Lorsque VPRO Medialab se lance dans l'étude d'une technologie émergente, le laboratoire l'examine sous une multitude d’angles. Par exemple, lorsqu'il a voulu étudier les enceintes intelligentes et leur potentiel pour le storytelling, le projet a donné lieu à une série de résultats :

  • Trois courts métrages qui visualisent des scénarios possibles liés aux appareils intelligents dans le style de Black Mirror, tournés par de jeunes réalisateurs.
  • Une exposition qui explore ce que signifie une vie avec des appareils intelligents omniprésents et comment se protéger de cette technologie.
  • Une expérience audio interactive qui montre comment une personne âgée aux premiers stades de la démence peut vivre de façon autonome grâce à des appareils intelligents.

Ces idées ont donné lieu à Home Smart Home, un projet multimédia qui a été nominé dans la catégorie des projets de médias numériques au Prix Europa de cette année. Home Smart Home réunissait deux objectifs : 

« D'une part, nous voulons explorer de manière créative les possibilités de storytelling qu'offrent les nouvelles technologies » explique Annelies Termeer, directrice créative de VPRO Medialab. « D'autre part, nous cherchons à sensibiliser le public aux aspects positifs et négatifs de ces technologies. Dans ce cas, le projet a permis à notre public de réfléchir à ce que ça veut dire de faire rentrer des technologies intelligentes dans sa maison. »

Les médias traditionnels sur les nouvelles plateformes

En tant que radiodiffuseur public, VPRO est au cœur d'un paysage médiatique en mutation rapide, avec de moins en moins de gens qui regardent la télévision ou écoutent la radio. Cette tendance sous-tend la mission du VPRO Medialab : alors que les médias traditionnels déclinent et que le public se tourne de plus en plus vers les nouvelles plateformes numériques, quel rôle doit jouer un diffuseur public sur ces plateformes ?

Les Pays-Bas comptent huit radiodiffuseurs publiques, dont le Nederlandse Publieke Omroep (NPO) est l'organe directeur. Chaque diffuseur a un profil quelque peu distinct, avec VPRO (Vrijzinnig Protestantse Radio Omroep) considéré comme étant le plus osé et créatif, se concentrant sur l'exploration des frontières et la prospective, explique Annelies Termeer. C'est donc l'endroit parfait pour un laboratoire d'innovation qui se penche sur l'avenir des médias.

Le laboratoire est situé au sein du département d'innovation et de médias numériques de VPRO, et son équipe centrale est composée de Annelies Termeer et d'un autre producteur. Cependant, ils font appel si besoin à des designers, des développeurs et des chefs de projet d'autres secteurs de l'organisation pour travailler sur les projets d'innovation.

Les liens entre le laboratoire et le reste de l'organisation ne sont pas très forts, ce qui, selon Annelies Termeer, est à la fois un avantage et un défi : « Nous voulons être utiles pour VPRO, mais en même temps, nous devons nous assurer d'avoir la capacité de réaliser des projets extravagants, car nous en apprenons beaucoup, même si ce n'est pas directement utile à l'organisation dans l'avenir proche. »

Une approche pratique aux nouvelles technologies

Lorsqu'elle réalise des projets d'innovation, Annelies Termeer dit que le laboratoire adopte une approche pratique en suivant la maxime « apprendre en faisant » et en créant un produit final qui peut être présenté au public. Selon le projet, le financement peut provenir en partie de NPO, en partie de VPRO et en partie de sources externes.

En choisissant les technologies sur lesquelles travailler, le laboratoire essaie de se concentrer sur les domaines à fort potentiel pour des approches novatrices de storytelling, tout en sensibilisant les gens aux complexités liées à cette technologie.

Prenons l'exemple de "Hotel Spieker", un projet autour du potentiel narratif des enceintes intelligentes. Présenté lors de la Semaine des médias néerlandais de cette année, ce jeu coopératif a permis aux joueurs d'enquêter sur un crime dans un hôtel futuriste. Pour ce faire, les joueurs ont écouté les enregistrements des enceintes intelligentes faits dans les différentes chambres de l'hôtel.

« Nous voulions donner aux gens la possibilité de jouer avec la technologie d'une nouvelle manière, mais aussi de raconter une histoire qui soulève des questions sur la confidentialité et le stockage des données » explique Annelies Termeer.

Dans le jeu "Hotel Spieker", les joueurs résolvent un crime en examinant l'audio capturé par des enceintes inteligentes. Crédit photo : VPRO Medialab

De nombreux projets font bon usage des capacités multimédias du radiodiffuseur. La série documentaire "Robo Sapiens" de VPRO a exploré la thématique de la vie avec l'intelligence artificielle, mettant en vedette un robot, Pepper, dans l'émission. Le même concept a été repris avec un point de vue différent en ligne : les utilisateurs ont participé à une version du test de Turing appelée "Bot or Not", où ils devaient deviner s'ils s'envoient des messages avec un robot ou un humain.

« Le rebondissement c'est qu'après, vous pouviez jouer le rôle du robot », dit Annelies Termeer. « Ce rôle fait que vous réfléchissiez vraiment à votre perception et à vos attentes de l'IA. » 

L'intelligence artificielle est susceptible d'inspirer d'autres projets, et Termeer dit que l'exploration de l'intersection entre l'intelligence artificielle et la créativité est particulièrement stimulante. « Si vous voyez une œuvre d'art, par exemple une peinture que vous aimez, et qu'on vous dit par la suite qu'elle a été créée par une IA, cela aurait-il un impact sur votre réaction ? Ce serait une question très intéressante à examiner. » 

Le medialab a élargi son exploration de la vie avec l'intelligence artificielle à un jeu en ligne qui met les joueurs dans le rôle de l'IA. Crédit photo : VPRO Medialab

Un écosystème d'innovation vaste

Comme mentionné ci-dessus, il y a huit radiodiffuseurs publics aux Pays-Bas. Tous sont basés dans la ville de Hilversum, souvent appelée "ville des médias", et chacun dispose de son propre laboratoire ou d'une autre unité dédié aux projets d'innovation. En outre, il existe de nombreux festivals de médias dans le pays, tels que IDFA, Cinekid et STRP, qui offrent à l'écosystème néerlandais d'innovation médiatique davantage de possibilités pour se réunir.

Toutefois, il est également important de se détacher de la scène médiatique et de profiter des efforts d'innovation qui ont lieu dans d'autres industries, explique Annelies Termeer.

« Il est crucial de ne pas se retrouver dans la même bulle que d'autres entreprises de médias. En fait, quand je cherche de l'inspiration, je regarde surtout ce qui se passe dans les domaines de la technologie, du design et de l'art, et je réfléchis à la façon dont nous pourrions appliquer ces tendances. » 

Cette attitude est mise en pratique dans la collaboration avec des personnes d'autres domaines et d'autres entreprises (y compris les start-ups), car VPRO Medialab se veut interdisciplinaire et ouvert dans ses collaborations.

« C'est vraiment au cas par cas. Nous essayons de trouver les bonnes personnes avec la bonne expertise, où qu'elles soient. »

« Un designer ou quelqu'un qui construit des installations interactives ne penserait pas forcément à venir chez VPRO pour suggérer de travailler ensemble » dit Annelies Termeer. « Nous voulons être le point de départ pour ce genre de collaboration, parce que nous pensons que nous pouvons apprendre les uns des autres. »

Répandre l'esprit d'innovation en interne

Fondé en 2015, le VPRO Medialab a mis du temps à prendre ses marques et à établir son rôle au sein de l'organisation. « Au départ, on s'attendait à ce que le medialab soit vraiment novateur, mais aussi à ce que ses projets atteignent un très large public. Au fil du temps, nous avons constaté que ces deux objectifs ne vont pas toujours ensemble » dit Annelies Termeer.

En plus de tester des nouvelles technologies, l'unité cherche à partager ses découvertes avec d'autres secteurs du VPRO, où les idées et les résultats peuvent être développés davantage.

Le laboratoire utilise les réseaux sociaux, l'intranet et les présentations internes mensuelles pour partager ses idées au sein de l'organisation. Il organise également des hackathons réguliers sur des sujets qui intéressent le personnel de VPRO et a utilisé Google Design Sprint pour quelques projets, explique Annelies Termeer. « Nous essayons d'être ouverts pour que les gens puissent venir et discuter des choses qui les intriguent. »

Crédit photo : VPRO Medialab

« Il y a des gens qui aiment l'innovation et qui veulent essayer de nouvelles choses. Mais il y a aussi ceux qui aiment écouter ce qu'on fait avec nos projets, mais qui finissent trop souvent par retourner à leur travail quotidien par manque de temps et de ressources » dit-elle.

« Un problème c'est que les autres départements doivent trouver des ressources supplémentaires s'ils veulent développer davantage nos projets. La plupart des gens sont déjà occupés avec leurs missions normales, donc c'est un gros obstacle. » 

Conseils pour les débutants

En ce qui concerne les tendances futures, Annelies Termeer affirme que la réalité augmentée émerge comme un domaine particulièrement prometteur : « Aujourd'hui, tous les téléphones mobiles ont cette capacité, mais je n'ai pas vraiment vu de cas d'utilisation intéressant dans les médias. La RA n'est utilisée que pour les jeux ou dans le contexte commercial. C'est une opportunité que je vois. »

Par conséquent, le laboratoire est en train de développer "Dustin", une histoire interactive pour smartphone qui utilise des éléments RA. « Vous pourriez voir la RA comme un nouvel espace public, mais qui est maintenant rempli de Pokémons et de publicité. Je pense qu'il y a aussi un rôle pour les radiodiffuseurs publics, qui pourraient créer plus de contenu RA informatif et de haute qualité. »

Enfin, après avoir travaillé dans le domaine de l'innovation médiatique depuis de nombreuses années, Annelies Termeer a-t-elle des conseils à donner à quelqu'un qui voudrait créer une unité d'innovation ?

« Il est très important de déterminer dès le départ l'objectif du medialab. Souvent, chacun a sa propre vision de ce à quoi ça sert. Si ça arrive, tu ne pourras pas plaire à tout le monde. » 

Elle souligne également la nécessité de structures qui assurent la pollinisation croisée des idées au sein de l'organisation. « Par exemple, s'il était obligatoire de passer une journée par mois avec nous dans le medialab, cela ferait partie du travail de chacun de s'engager avec le laboratoire. Sinon, quand on fait venir des gens d'autres secteurs, ça donne facilement l'impression qu'on "vole" des gens de leur travail pour faire quelque chose de plus. »

Enfin, il faudrait réfléchir à se spécialiser sur des sujets plutôt que de se concentrer sur ce que les autres font déjà. « Nous essayons de le faire avec les radiodiffuseurs néerlandais. L'idée est de définir un domaine de concentration pour chacun des laboratoires, d'apprendre les uns des autres et de s'assurer que nous ne marchons pas sur les pieds les uns des autres. »

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