2018, la (déjà) longue année de Mark Zuckerberg

Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur. Billet invité

« Cette année me paraît déjà longue » a admis Mark Zuckerberg lors de la keynote d’ouverture de la conférence F8 cette semaine. Et c’est vrai que l’année 2018 a déjà été très riche pour The Social Network  et ses partenaires réunis à San José cette semaine, entre changements multiples de l’algorithme du fil d’actualité, révélations sur l’accès « illicite » aux données personnelles de millions d’utilisateurs ou sur les campagnes de fake news orchestrées par de faux comptes russes. Dernier épisode en date, le départ du fondateur de WhatsApp à la suite de divergences stratégiques quelques heures avant le début de la conférence.

Des utilisateurs à rassurer

Le PDG de Facebook a donc dû consacrer une grande partie de son intervention à rappeler les mesures prises depuis plusieurs années pour sécuriser « sa » plateforme, multipliant dates et chiffres, slides de consultant à l’appui.

Comme l’année dernière il a tenté de faire preuve d’humour face à l’adversité ; cela l’a d’ailleurs desservi lors de l’annonce du nouveau service de rencontre « Facebook Dating », une partie de la salle ayant initialement cru à une blague… L’avenir de ce service est d’ailleurs loin d’être assuré tant la méfiance des utilisateurs envers la plateforme est grande.

Pour tenter de rassurer les utilisateurs Mark Zuckerberg a annoncé une nouvelle option permettant d’effacer facilement l’historique de navigation sur les sites et applications tierces conservé par Facebook ; on aurait aimé que la plateforme propose également d’honorer l’option « ne pas tracer » présente dans les navigateurs.  Le réseau social continue aussi à privilégier les « groupes » pour rapprocher ses utilisateurs, avec un onglet dédié dans l’application mobile et de nouvelles fonctions comme « Watch Party » pour regarder une vidéo en simultané avec d’autres membres d’un groupe.

Plateformes : des annonces plutôt pauvres pour éviter de mettre de l'huile sur le feu ?

Cela fait d’ailleurs plusieurs mois que Facebook pousse les éditeurs à créer des groupes pour organiser leur communauté, et compenser la perte de visibilité de leurs publications au gré des changements du fil d’actualité. Jusqu’au prochain changement d’algorithme…

De leur côté, les développeurs pourtant audience principale de la conférence, ont dû se contenter de quelques annonces mineures comme un kit de développement dédié aux solutions B2B. Mais ils vont surtout devoir se conformer aux nouvelles contraintes imposées par Facebook pour continuer à avoir accès aux données des utilisateurs, avec à la clé pour eux de nouvelles contraintes ergonomiques et techniques.

Les autres applications du groupe semblent pour l’instant moins exposées aux polémiques que Facebook. Instagram va bénéficier d’un nouveau design pour l’onglet « Explorer » axé sur les centres d’intérêt de l’utilisateur, va proposer les effets de réalité augmentée de la plateforme AR Caméra et supporter les appels vidéo de groupe. Les développeurs peuvent publier directement des « stories » sur le réseau social depuis leur application, par exemple pour partager la chanson actuellement écoutée par l’utilisateur.

Malgré le départ de son cofondateur WhatsApp poursuit sa croissance effrénée. L’application traite chaque jour plus de 65 milliards de messages et 2 milliards de minutes de communication vocale ou vidéo tandis que près de 450 millions d’utilisateurs mettent à jour leur « statut ». L’application va elle aussi proposer des appels vidéo de groupe et de nouveaux outils pour permettre aux grandes entreprises de communiquer avec leurs clients.

Enfin les 200.000 développeurs de la plateforme Messenger vont pouvoir intégrer des fonctions de réalité augmentée aux près de 300.000 bots disponibles, tandis que les utilisateurs vont bénéficier de fonctions de traduction automatiques et les éditeurs de page d’un assistant de création de bots.

Les principaux éditeurs de « bots » sur Messenger

Au final la relative pauvreté des annonces laisse à penser que certaines nouveautés ont été repoussées ou annulée suite aux récentes polémiques. Des rumeurs faisaient ainsi état du lancement possible d’un produit concurrent aux Amazon Echo et autre Google Home, un lancement sans doute peu adapté au contexte actuel autour de Facebook.

Une poursuite des investissements dans la VR et l'IA

Une large part de la conférence a été consacrée à deux sujets chers à Mark Zuckerberg : la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle. Dans le domaine de la VR l’Oculus Go a été lancé dans plusieurs pays dont la France au prix de 219€ à 269€. A la différence des autres produits du groupe, l’Oculus Go ne nécessite ni ordinateur ni smartphone pour fonctionner ; il intègre aussi un contrôleur qui lui confère 3 degrés de liberté (3DoF). Produit par le fabricant chinois Xiaomi il devrait permettre à la société d’étendre sa base installée au-delà des « gamers » ou des possesseurs de smartphone Samsung.

En plus du casque, Facebook a annoncé plusieurs applications mêlant social et réalité virtuelle, dont Oculus TV qui permet de regarder des contenus audiovisuels sur un téléviseur virtuel en VR, avec comme premiers partenaires Netflix, ESPN ou encore Hulu ; l’application permettra prochainement d’inviter des amis à rejoindre la séance virtuelle pour regarder un programme en même temps. Dans la même veine, Oculus Venues permet de regarder des événements tels que des matchs de la NBA ou des concerts en VR avec d’autres spectateurs, connus ou inconnus. Ou l’application Oculus Rooms qui va permettre d’organiser des parties de Monopoly en réalité virtuelle grâce à un partenariat avec Hasbro. Facebook Spaces, application destinée aux casques haut de gamme comme l’Oculus Rift, évolue également avec des avatars plus réalistes et la possibilité de visiter l’espace virtuel d’un ami en son absence.

D’autres casques VR sont en préparation chez Oculus ; le prototype « Santa Cruz », premier casque autonome haut de gamme offrant 6 degrés de liberté est en cours de test chez plusieurs partenaires. Un autre prototype nommé « Half-Moon » intègre pour sa part un écran qui se rapproche ou s’éloigne des yeux en fonction de la distance entre l’utilisateur et un objet virtuel. Facebook semble ainsi disposé à continuer ses investissements dans les technologies de réalité virtuelle malgré des retombées commerciales encore assez faibles.

Autre secteur où Facebook poursuit ses investissements : l’Intelligence Artificielle. A l’occasion de F8 Facebook a présenté Facebook.ai, son nouveau portail rassemblant tous les outils open-source produits par ses équipes dans le domaine de l’IA. A la différence d’Amazon, Google ou Microsoft, Facebook ne propose de services IA hébergés comme des services de reconnaissance de langage naturel ou d’analyse d’images dans le cloud. La société propose à l’inverse aux développeurs d’adapter et héberger les mêmes outils qu’elle utilise en interne. Facebook utilise ces outils IA à grande échelle par exemple pour détecter les publications qui cherchent à stimuler le « click-bait » dans le fil d’actualité, censurer les contenus terroristes, modérer les commentaires sur Instagram ou générer automatiquement les sous-titres des vidéos.

Cette édition 2018 de la conférence F8 aura été donc beaucoup moins flamboyante que les éditions précédentes : pas de nouvelle plateforme comme les bots Messenger (2016) ou AR Caméra (2017) ; pas de projets « moonshots » comme les implants neuronaux (2017). Peut être que la société organisera une deuxième conférence de lancement dans quelques mois pour annoncer les projets non annoncés, lorsque les polémiques actuelles se seront tassées ?