La blockchain sauvera-t-elle journalisme et médias d’information ?

En tout cas, elle peut sûrement aider. Il faut donc l’essayer, et vite, tant la situation est aujourd’hui inquiétante, a recommandé à Austin cette semaine un nombre croissant d’experts reconnus en médias numériques.

Ni panacée, ni solution miracle, cette technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et décentralisée, constitue toutefois « une piste très prometteuse » face à la double crise qui affaiblit journalisme et médias d’information : le manque de confiance comme de rentabilité, a assuré au Texas Vivian Schiller.

Pour l’ancienne patronne de la radio publique américaine NPR, qui lance en ce moment CIVIL, une ambitieuse initiative pour financer du journalisme de qualité associant un réseau de rédactions éthiques, adossé à une « constitution », et financé par une crypto-monnaie, il n’y pas de temps à perdre. Ses « jetons » seront mis sur le marché ce mardi 18 septembre. L’agence de presse AP est de la partie.

C’est aussi l’avis de la futuriste Amy Webb qui a mis la blockchain au centre de sa fameuse intervention clôturant chaque année la conférence du journalisme en ligne : cette techno « est enfin prête pour la collecte, la distribution et le paiement de l’info générale, et non plus seulement pour des états financiers. Des applications très concrètes sont en train de voir le jour qui peuvent vraiment aider les rédactions. »

Des atouts importants 

Les avantages de cette techno infalsifiable pour l’info sont assez évidents dans notre époque de fake news et de post vérité : les affirmations y sont traçables et vérifiables, le consensus infalsifiable obtenu est distribué, les bases de données sont sécurisées. Sans organe central de contrôle, son processus est totalement indépendant et les ressources informatiques partagées. La propriété intellectuelle des créateurs est garantie et protégée.

En gros, « c’est comme un tableur Google partagé que chacun peut consulter et actualiser, mais sans pouvoir l’éditer », a bien résumé le jeune Orlando Watson fondateur de la start-up Honeycomb qui propose, lui, d’utiliser les importantes capacités informatiques non utilisées des smart phones pour financer les applis mobiles des éditeurs et donc diversifier radicalement leurs revenus via une crypto-monnaie.

Attention, cette techno ne sera pas un arbitre de la vérité, mais permettra d'assurer que telle personne a bien dit ceci, à cet endroit, à ce moment précis.

Pour Amy Web, on peut ainsi imaginer l’apparition de carnets de notes de reporters certifiés prouvant que les citations et les faits rapportés n’ont pas été déformés, de nouvelles formes d’agences de presse d’infos en temps réel auxquelles auront accès tous les citoyens sans le bruit de Twitter, le court-circuitage des autorités là où le journalisme est menacé, voire même la résilience d’un journalisme indépendant des consolidations capitalistiques du secteur des médias.

La mise en commun d’identités anonymisées pourrait aussi être utilisée pour trouver des corrélations entre les communautés, servir la publicité et les sondages, ou juste servir de fichier, personnel, médical, familial, etc...à condition d’être interopérable.

A l’instar de CIVIL ou Honeycomb, des initiatives apparaissent, comme Tron, une plateforme décentralisée de partage de contenu de pair à pair, qui donne aux créateurs de contenus les droits sans les partager avec Facebook ou Google, comme le réseau Golem ou la firme Gridcoin qui partagent les capacités informatiques non utilisées, ou même le projet Po.et qui entend créer le plus grand registre d’actifs médias numériques vérifiables. Deux anciennes journalistes de NPR sont d'ailleurs en train d'expliquer l'aventure de la blockchain appliquée aux médias dans un podcast à succès, ZigZag.

Mais les inconvénients ne sont pas négligeables aussi : cette technologie est récente, elle reste mal vulgarisée et perçue comme complexe.

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Elle est souvent aussi éclaboussée du soufre entourant la forte volatilité du bitcoin. Mais c'est sans doute le lot de toute innovation à ses débuts !

Scénarios optimistes

Après avoir littéralement glacé l'assistance l'an dernier et mis en cause les dirigeants de médias avec ses scénarios catastrophes, la prof/futuriste Amy Web a choisi cette année de regarder les solutions et les voies d'espoir.

A 5 ans : 

Les rédactions auront passé quelques années à expérimenter Civil, HoneyComb et d'autres solutions radicales de modèles d'affaires. Mais côté média, l'affaire est entendue : “Paywalls are gone. Tokens are in.”

Des nouveau outils et méthodes liés au nouvelles certification des identités créeront des opportunités. De manière locale comme nationale. Ils assureront une nouvelle diversification de revenus pour les éditeurs et de la valeur pour le public.

Les médias d'infos utiliseront la blockchain pour plus de transparence. La confiance sera rétabli. Et nous serons mieux informés !

A 10 ans : 

L'informatique sera ambiante. Les smart phones un souvenir. Les reporters utiliseront les fenêtres, miroirs, plantes et autres objets de tous les jours pour distribuer leurs infos. Ils disposeront littéralement de super pouvoirs en voyant à travers les murs ! Des technos du MIT y travaillent déjà.

Les reporters seront à même d'enquêter sur les algorithmes. Ils pourrons nous alerter sur les photos et les vidéos truquées. Les images et les photos fiables seront spécialement dotées de filigranes. Les journalistes retourneront la désinformation contre elle-même. Il n’y aura plus de « fake » news. Il y a seulement des informations, spatialement traitées par les ordinateurs.

Les rédactions des grands journaux utiliseront des techniques de réalité altérée. Nous porterons quasi tous des lunettes intelligentes, qui nous permettront d'assister à plusieurs évènements à la fois, tout en regardant la TV, les résultats des élections, les discussions sur les réseaux sociaux, les fiches d'identité de nos interlocuteurs, leurs moyens de financement, etc... , assure Amy Webb qui croit beaucoup en Magic Leap. Les médias d’information seront à l’avant-garde de ce changement. Ils développeront des applications de réalité altérée pour le business, et l’intelligence professionnelle. Et pas seulement pour le côté cool du récit multimédia. La réalité altérée est devenue une nouvelle source de revenus.

E.S. avec Hervé Brusini, direction de l’Information.

Pour voir la keynote d'Amy Webb, c'est ici ! Son dossier de tendances tech émergentes, là !