La SVOD marche désormais sur les platebandes de la TNT

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Prospective et Media Lab

Cela n’étonnera personne, l’usage de la SVOD est progression en France. Selon le baromètre annuel de NPA Conseil et Harris Interactive*, cela concerne désormais chaque jour 2,3 millions de personnes en moyenne, avec un pic à 3,9 millions au cœur de l’été. En un an, c’est une croissance de 20% en moyenne (sur les 4 premières semaines de janvier). Alors que le public de la télévision est vieillissant, les plateformes de vidéo à la demande par abonnement attirent les millenials qui peuvent y consommer jusqu’à 3 heures de contenus par jour. Et ça commence à se ressentir sur les audiences : certains soirs, les consommateurs de SVOD sont aussi nombreux que le nombre de téléspectateurs devant France 2 !

La SVOD, 5e chaîne en prime time

La consommation de la SVOD commence à marcher sérieusement sur les platebandes de la télévision, notamment en soirée où 2/3 des SVodistes boudent la télévision pour se connecter à leur plateforme préférée, dont la grande majorité à l'heure du prime (43%).

 

Le 16 janvier dernier était la soirée du mois (21h-23h) qui a compté le moins de SVoDistes : 1,44 million selon le baromètre. Cela place néanmoins la SVOD (toutes plateformes confondues) à la 5e place du classement des chaînes, si l’on se permet cette comparaison. Le 7 janvier, soirée où la SVOD a le mieux performé, elle arrive en 4e position avec 2,22 millions d’utilisateurs, soit le même nombre de personnes qui ont regardé France 2.

« La durée d’écoute a baissé sur le stock ces trois dernières années, mais reste stable sur le flux, l’info, divertissement. La bataille se joue donc plutôt sur l’univers du payant » nuance Philippe Bailly de NPA Conseil.

2/3 des SVoDistes sont des millenials ; 2/3 des téléspectateurs sont des seniors

Les jeunes Français adoptent plus rapidement ces nouvelles plateformes : plus de 12% des 15-24 ans sont consommateurs pour 10,5% des 25-34, 5,3% des 35-49 ans et 1,6% des 50 ans et plus. Mais les 25-49 ans progressent rapidement (220.000 de plus en moyenne en un an).

Ainsi, quand on regarde les profils des SVODistes versus ceux de la télévision, on constate que les utilisateurs des plateformes en ligne sont à près de deux tiers des Millenials (28% des 15-24 ans et 35% des 25-34 ans). Pour la télévision, ce sont les seniors qui pèsent pour deux tiers.

À noter que le téléviseur est l’écran principal de la SVOD pour deux tiers des usages, quelle que soit la population observée.

« On a parfois l’idée que la SVOD est consommée par des ados, seuls dans leur chambre sur leur mobile ou tablette. En réalité, on est plutôt sur une consommation collective, comme on le faisait avec la télévision. Une bonne moitié des utilisateurs regarde des contenus de SVOD en famille » précise Philippe Bailly.

Près de 3 heures de visionnage par jour chez les 15-24 ans abonnés à une offre de SVOD

Les abonnés à un service de SVOD en ont une pratique plutôt intensive : la moitié des SVODistes utilisent leur service au moins 3 fois par semaine et pour 25% d’entre eux, la consommation est quotidienne ou presque.

La consommation de SVOD représente 10 minutes par jour sur l’ensemble des 15+ en France. Ce chiffre monte à 2h48 si on isole les SVoDistes et jusqu’à 2h58 pour les 15-24 ans.**

Les sessions (durée de consommation sur une journée) sont d’1 à 3 heures pour 80% des utilisateurs, et de 1 à 2 heures pour près de la moitié d’entre eux. Pour rappel, selon Médiamétrie, les Français ont regardé 3h46 par jour la télévision tous écrans confondus en 2018.

« La consommation de SVOD a commencé à prendre le pas sur la télévision chez les plus jeunes mais ces usages ne sont pas incompatibles entre eux. Les gros consommateurs de SVOD sont aussi de gros consommateurs de contenus TV » estime Patrick Van Bloeme d'Harris Interactive.

Les 4 raisons du succès de la SVOD

83% des utilisateurs de SVOD ont déclaré être attaché à ce service.

« Cela signifie que le service est devenu essentiel, que ses utilisateurs auraient du mal à s’en passer. Le marché ne peut que croître, car les adaptes en parlent autour d’eux ce qui amène de nouveaux utilisateurs » explique Patrick Van Bloeme d’Harris Interactive.

Le baromètre met en lumière 4 facteurs qui permettent de comprendre l’engouement pour ces plateformes vidéo.

  • La volumétrie des catalogues

Harris Interactive et NPA estime à plus de 8.000 les titres disponibles fin 2018, soit environ 1.000 titres de plus qu’en 2017.

Seuls 2.900 titres différents ont été visionnés (soit plus du tiers du catalogue). Plus du quart de la consommation se fait sur 50 programmes. Certains titres enregistrent un taux de concentration impressionnant, comme la série Sex Education (Netflix) qui a fédéré plus de 8% de la consommation des 15-24 ans la troisième semaine de janvier 2019.

  • L’effort de différenciation des catalogues via les contenus originaux et/ou les exclusivités

À ce jeu, Netflix, dont 25% du catalogue est composé de productions originales, remporte la palme. Le Top 5 des contenus ayant connu le plus de succès en SVOD sont tous des séries exclusives : 13 Reasons Why (34M de streams sur l’ensemble des épisodes), La Casa de Papel (31M), Orange is the New Black (19M), Riverdale (18M) et The Walkin Dead (13M).

Autre aspect de la stratégie, les plateformes de SVOD misent sur des thématiques peu présentes en télévision (comme le fantastique, la science-fiction ou l’horreur) qui surperforment par rapport à d’autres genres.

  • Des partis pris éditoriaux affirmés.

Que ce soit pour des productions originales ou leur choix de certains contenus distribués, Netflix et Amazon Prime savent prendre des risques. On peut citer le film Roma pour son esthétisme singulier, le documentaire 13 novembre, les drama coréens ou encore des séries indiennes qui explorent des thématiques plus engagées que les traditionnels Bollywood.

  • Des investissements marketing et publicitaires colossaux.

En 2018, Netflix et Amazon ont investi à eux seuls 100 millions d'euros pour la promotion de leurs services et contenus. Soit plus que TF1, France TV, M6 et ARTE réunis.

Le record de l’année est détenu par la série Jack Ryan pour laquelle Amazon Prime a dépensé 14,9M d’euros pour sa visibilité. Pour comparaison, le budget accordé à Un si grand soleil, la série quotidienne de France 2, aurait été de 2,4M d’euros.

Les enjeux pour 2019

Le marché de la SVOD est encore jeune et de nombreux défis l’attendent en 2019. À commencer par la transposition de la Directive SMA de Bruxelles qui impose au moins 30% de titres européens aux plateformes. Mais la question du décompte reste entière. Parle-t-on de titres uniques, de nombre d’épisodes ou de volume horaire ? Comme le montre le slide ci-dessous, l'effort ne serait pas tout à fait le même à fournir selon le critère adopté. Par ailleurs, si les titres britanniques sont pour le moment européens, qu’en sera-t-il après le Brexit ?

Deuxièmement, la multiplication des offres. De gros acteurs ont déjà annoncé le lancement de leur plateforme de SVOD en 2019 (Disney +, Warner, StarzPlay, Now TV, NBC Universal, Apple) avec un risque pour le consommateur de complication de l’expérience SVOD liée à la fragmentation de l’offre et l’appauvrissement des catalogues.

Dans ce contexte, la distribution devient un enjeu de plus en plus central et il sera intéressant de suivre les alliances qui vont se nouer dans les prochains mois.

Enfin, l’AVOD (Advertising Video On Demand) est un modèle qui prend de l’ampleur, comme financement alternatif ou complémentaire. De gros acteurs montrent l’exemple, comme HBO, Amazon (Freedive) ou encore Hulu qui a baissé son abonnement (de 8 à 6 dollars), mais insère désormais des publicités lorsque l’utilisateur met la vidéo en pause. Résultats : 1,5 milliard de dollars de revenus publicitaires (+45% en un an). Dans les pays nordiques, où la consommation de SVOD est déjà très répandue, l’AVOD représente près d’un quart du marché publicitaire vidéo (TV+web) selon MediaVision.

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* Baromètre réalisé sur 15.000 téléspectateurs recrutés par Harris Interactive avec 2.000 répondants par jour depuis le 1er janvier 2018. 10 plateformes sont prises en compte (Amazon Prime, Canal Play, Filmo TV, Guilli Max, Netflix, Film Struck, OCS, SFR Play, Tfou max, Video Futur)

** Durée de visionnage SVOD individuelle en moyenne journalière au cours de la 1ere semaine de janvier 2019.