#Tribeca 2019 : la technologie au service d’une narration toujours plus immersive

Par Annick Jakobowicz, Recherche narrative à la Direction de l’Innovation et de la Prospective de France Télévisions

Le festival du film de Tribeca fait partie des pionniers de l’exposition d’œuvres en VR. Pour cette édition 2019, qui ferme ses portes le 5 mai, plus d’une vingtaine d’expériences sont présentées dans les sections Virtual Arcade et Cinema 360 au cœur du Lower Manhattan. Cette sélection d’une très grande qualité montre une évolution importante dans les possibilités de narration et d’immersion qu’offre la VR, aidée par le réel sous forme de décor, et de comédiens présents avec les installations.  

Tribeca 2019 met en évidence l’importance des installations physiques autour de chaque expérience interactive, participant à une plus grande immersion encore de l’utilisateur. Au-delà de la mise en place d’un décor, créant un sas entre le monde réel et le monde virtuel, plusieurs installations intègrent même la présence d’un comédien, lien supplémentaire entre le monde réel  et l’univers et l’histoire qui sont présentés. C’est ce que proposent, entre autres, The Key, réalisé par Céline Tricard (aussi Chef op de 7 Lives) et Wolves in the walls: It’s all over, réalisé par Pete Billington. Voici quelques expériences marquantes de réalité étendue de cette édition 2019 du Tribeca Immersive.

La rencontre entre virtuel et réel  

Dans The Key, la mise en scène portée par une comédienne nous fait pénétrer progressivement dans l’univers de l’expérience. Nous découvrons, avant de mettre le casque, des tableaux représentant cet univers, et nous recevons quelques recommandations avant de plonger dans un voyage allégorique à la rencontre d’un monde de réfugiés d’une forte puissance poétique et empathique. L’expérience propose des interactions qui font avancer le récit et  se poursuit encore quelques minutes dans le même décor après avoir retiré le casque.

Ce type de dispositif accroit le potentiel de la VR à générer de l’empathie avec des personnages en animation comme dans Wolves in the walls de Pete Billington et Jessica Yaffa Shamash, dont on découvre ici les deux premiers chapitres de cette expérience en construction. Une comédienne nous accueille et nous fait découvrir le décor dans lequel nous allons évoluer pour nous amener ensuite à mettre le casque VR comme un accessoire naturel. Une fois le casque installé, nous rencontrons le personnage de Lucy, petite fille de 8 ans et redécouvrons, en animation cette fois,  le décor dans lequel nous étions entré. Dans cette expérience nous incarnons l’ami imaginaire de Lucy, persuadée que les murs de sa maison sont habités par une horde de loups. Nous pouvons  interagir avec elle et l’aider dans sa quête de preuves. On n’est pas loin d’oublier qu’il s’agit d’un personnage animé dans une expérience VR !


Traitor de Lucy Hammond, produit par le Pilot Theater, une compagnie de théâtre anglaise, est un "Storyscape", mélange d’Escape Game, de réalité virtuelle et de théâtre immersif. Là aussi vous êtes accueilli par un comédien qui vous explique votre mission : retrouver une jeune fille disparue. Vous allez devoir collaborer avec un autre joueur pour la remplir. Autre expérience testée, Gymnasia, réalisé par Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, nous plonge dans un univers de souvenirs fantastiques constitués d’images 3D et de marionnettes étranges. Certaines de ces marionnettes se sont même échappées de l’expérience et il est possible de les rencontrer au détour d’une allée dans la vie réelle !

Immersion dans les séries à succès

Doctor Who : The Runaway propose un voyage en animation à bord du célèbre Tardis, la cabine téléphonique/vaisseau du Doctor Who qui permet de voyager dans le temps. Prolongement de la célèbre série de la BBC, cette expérience est réalisée par le Français Mathias Chelebourg.

Egalement, Game of Thrones, The Dead must die, une expérience en réalité augmentée développée autour de l’univers de Game of Thrones par Magic Leap. Contrairement à ce que peut laisser penser la bande-annonce, on ne voit pas les images en entier. Le champ de vision prend la forme d’une meurtrière horizontale. Même si ces images sont d’une excellente qualité, il faut bouger la tête de haut en bas pour pouvoir découvrir l’intégralité du personnage qui vient se superposer au lieu dans lequel vous êtes. Expérience quelque peu déceptive !

Jan Kounen présente deux oeuvres en VR

Deux expériences réalisées par Jan Kounen, cinéaste français auteur notamment de Blue Berry, 99 Francs et Doberman sont présentées à Tribeca 2019, qui confirment l’intérêt croissant du cinéma pour les écritures immersives et interactives. 

D'abord, 7 Lives, première création en réalité virtuelle réalisée par Jan Kounen et écrite par Charles Ayats et Sabrina Calvo, qui mêle à la fois prises de vues réelles stéréoscopiques et images de synthèse. Les séquences d’interaction au cœur même du film proposent une expérience inédite et particulièrement immersive pouvant provoquer un impact émotionnel fort. Cette fiction de 20 minutes marque la rencontre du cinéma et du jeu vidéo. L’histoire se construit à partir du suicide d’une jeune fille dans le métro de Tokyo. L'accident ravive chez les témoins de la scène un traumatisme, des souvenirs douloureux. Pour sortir de son errance, l’âme de la jeune fille devra les aider à trouver la paix…

 

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Partir dans la forêt amazonienne pour un voyage chamanique sans avoir pris la moindre substance, c’est possible avec Ayahuasca ! Pour cette deuxième expérience, Jan Kounen a  reconstitué un voyage intérieur puissant qui propose aux spectateurs des visions inspirées par la consommation de la drogue éponyme. Simplement se laisser porter par la qualité des images, les paroles du chaman et la musique.

Immersion dans l'Histoire

Arrivé au fond de la salle dédiée à la VR, on pénètre dans l’univers des tranchés de la première Guerre Mondiale avec War Remains, réalisé par Brandon Oldenburg. Portée par la narration de Dan Carlin, journaliste et podcasteur populaire outre-Atlantique, l’expérience immerge l’utilisateur dans une reconstitution des combats et de la vie dans les tranchés de la Première Guerre mondiale. Un sac sur le dos et la technologie du HTC Vive permettent à l’utilisateur de déambuler dans l’espace comme s’il était vraiment dans une tranchée et de toucher le décor mis en place qui correspond à celui projeté dans le casque. Une immersion plus vraie que nature.


Quelques autres expériences à noter : 

Avec Drop in the Ocean, de Adam May, Chris Campkin et Chris Parks, direction le fond des océans debout sur une gigantesque méduse pour découvrir les formes de vie dans les profondeurs et  l’impact environnemental de la pollution par le plastique. Expérience à plusieurs, mais sans interaction.

Ello de Haodan Su. Une jolie animation chinoise en VR sur la solitude et l’amitié.

Common Ground, de Darren Emerson, explore l’histoire d’Aylesbury Estate, un complexe de logements sociaux situé dans le sud de Londres et construit dans les années 60. Une expérience documentaire mélangeant prises de vue avec drone en 360, interviews et reconstitutions en animation. Remarquable pour la manière dont ces différentes techniques se juxtaposent et s’intègrent dans la narration documentaire.

Plusieurs autres expériences sont proposées, mais impossible de les tester toutes. Il ressort, de celles expérimentées, l’importance essentielle du travail sonore pour contribuer à la qualité d’immersion. L’animation, plus simple à mettre en œuvre que l’image réelle, reste encore la technique la plus utilisée par beaucoup de créateurs. Et on peut constater une présence importante d’auteurs et experts français y compris sur des projets internationaux.

Pour conclure, la qualité des narrations proposées et le potentiel émotionnel puissant de la VR ne cesse de se confirmer.

 

Image d'illustration : Ello, présenté à Tribeca © Tribeca Film Festival