La Chine, les médias : une IA présente partout. De la création à la diffusion en passant par la modération.

Par Antoine Couret, Fondateur et CEO de GEO4CAST, Président du Hub France IA. Le Hub France IA regroupe plus de 300 membres pour développer l’IA en France et en Europe avec des coopérations industrielles entre grands groupes, start up et universités. Le Hub organise également des learning expedition (Chine, USA, …) pour découvrir les solutions les plus avancées en IA à travers le monde. Geo4cast (France, Chine) est une solution logicielle à base de données d’IA pour optimiser les villes.

Pour bien comprendre l’évolution des médias en Chine, il faut garder 2 grands chiffres en tête :

  • La montée de la classe moyenne chinoise, qui est passée de 100M à près de 350M aujourd’hui
  • Le nombre d’internautes chinois qui est désormais de l’ordre de 900M

Ces deux chiffres montrent la nécessité pour la Chine d’avoir une offre média qui répond à la rapide évolution de la société.

Dans le paysage médiatique, la Chine présente de même des chiffres à sa mesure :

  • Plus de 2000 journaux et 8000 magazines (contre environ 1500 journaux aux États-Unis)
  • Plus de 1000 chaînes de télévision nationales ou locales et plus de 2000 chaînes câblées
  • Diffusion TV auprès d’environ 300 millions de foyers (environ 150 millions aux USA) pour 1,1 milliard d’audience.

Il faut enfin y ajouter la montée en puissance des nouveaux moyens d’échanges comme WeChat (environ 900 millions d’utilisateurs), Weibo (400 millions), Baidu (2nd moteur de recherche mondial derrière Google).

À la lecture de ces chiffres, il apparaît évident que l’intelligence artificielle a le potentiel de s’immiscer dans les différents maillons de la chaîne de valeur.

On retiendra ici 3 grands domaines qui sont ceux qui ont connu les avancées les plus récentes : la présentation, la création et la diffusion.

La présentation d’un JT

Concernant la présentation, on peut bien sûr noter l’annonce par Xinhua (agence de presse étatique) et Sogou.com du présentateur media virtuel lors de la 5e conférence mondiale de l’Internet (WIC) en 2018.

Présentateur virtuel Xinhua

De nombreuses techniques d’IA sont utilisées pour cela : génération d’image (en général basée sur des GAN, comme la génération de photos de visage de personnes virtuelles), génération de mouvements, génération de parole, traduction automatique…

Mais également, capacité de réaction face à des sollicitations comme des reportages.

En revanche, si vous regardez même quelques secondes ce « présentateur », auriez-vous envie d’avoir un JT complet présenté par une IA ? Sans doute pas, ou du moins pas encore. Pourquoi ? Parce que la transcription des émotions, le non verbal est encore très loin de s’approcher de ce qu’un présentateur humain peut faire.

Et aujourd’hui, aucune technique d’intelligence artificielle ne permet encore de reproduire ces émotions, ces gestes inconscients, parce qu’ils ne sont pas même encore compris pour les êtres humains.

« Aucune technique d’intelligence artificielle ne permet encore de reproduire ces émotions, ces gestes inconscients, parce qu’ils ne sont pas même encore compris pour les êtres humains »

La diffusion et le partage d’informations

Le deuxième phénomène chinois en plein développement est l’émergence des réseaux sociaux pour le partage d’informations. En Chine, il existe aujourd’hui plusieurs équivalents pour chaque système de communication occidentale.

Le cas le plus emblématique en ce moment est le développement de Toutiao, avec son application Dou Yin (TikTok en Europe).

Toutiao compte aujourd’hui environ 400 millions d’utilisateurs dont 100 millions à l’étranger, 120 millions actifs chaque jour. L’entreprise est valorisée environ 30 millions de dollars. Elle se développe également à l’international par des acquisitions, comme, en France, celle de NewsRepublic, basée à Bordeaux.

L’intelligence artificielle est à la base de la création de Toutiao, en 2012, qui a été pensée pour générer un fil de contenu personnalisé permanent, fondé sur de la recommandation.

Pour cela, Toutiao travaille à la fois sur la mise à disposition de contenus, et leur diffusion via des profils personnalisés.

Côté contenu, elle analyse 200 000 articles et vidéos (environ 50/50 en termes de lecture) chaque jour, provenant notamment de 800 000 sources individuelles mais également de 4 000 sources média.

Côté profils, chaque utilisateur en aura un, qui va évoluer en fonction du contenu lu, regardé, passé… Sur ce sujet, il faut noter une différence entre les utilisateurs internationaux (plutôt adolescents) et les utilisateurs en Chine (plutôt 20-35 ans).

Toutiao peut en quelque sorte se définir comme le « Netflix » de l’information basée sur de la recommandation ultrapersonnalisée créant une expérience très immersive dans le contenu.

Pour cela, elle utilise également l’IA dans la création de contenu. C’est le 3e phénomène qui se développe en Chine en ce moment.

La (co) création de contenus

Du côté de Toutiao, l’entreprise met à disposition de ses utilisateurs des outils permettant de se mettre en scène avec des effets spéciaux en constante évolution.

Toute la palette de traitement est là :

  • changement de visage avec différents masques pendant la vidéo : détection du visage pour positionner le masque, détection des mouvements pour changer de masque en cours de vidéo
  • création d’avatar animé basé sur la reconnaissance des mouvements du corps avec les mêmes technologies que celles utilisées pour la voiture autonome (détection du risque qu’un piéton traverse…)

Cette création permet ensuite à Toutiao d’affiner les contenus médias proposés en fonction de la façon dont les gens se mettent en scène.

Critiquée pour la qualité des contenus publiés sur la plateforme, Toutiao a également mis en place des outils de médiation, gérés par une équipe de plus de 2000 médiateurs.

Dans le même esprit, on peut citer iQiyi. Créée par Baidu, cette entreprise a clairement été lancée pour être le « Netflix » chinois du contenu. iQiyi s’est introduit au Nasdaq en 2018 avec une valorisation de 10 milliards d’euros.

Comptant plus de 100 millions d’utilisateurs, son objectif va au-delà de la proposition de contenu personnalisé et recommandé en fonction du profil.

« L’utilisation de l’IA va au de va au-delà de la proposition de contenu personnalisé »

Les Chinois visionnent environ 2 milliards d’émissions de télévision ou de films par jour. Les technologies développées par iQiyi s’appliquent à de nombreux domaines de l’audiovisuel :

  • aide aux castings: à partir des films visionnés, iQiyi va détecter les performances des acteurs, leur temps de présence, la cohérence de leur jeux par rapport au film, leurs habitudes d’habillement, etc. iQiyi va pouvoir ainsi proposer aux directeurs de casting des acteurs en lien avec le synoptique du film, l’angle émotionnel…
  • aide à la sélection des programmes par les spectateurs: à partir des émissions regardées, si un spectateur apprécie un présentateur ou acteur dans un contexte donné, il peut alors rechercher d’autres vidéos ayant le même contexte.

En synthèse, le développement de l’IA dans les médias chinois est au cœur du développement de l’accès à l’information par les Chinois eux-mêmes. Elle permet ainsi de créer de nouvelles expériences notamment auprès des jeunes adultes, la classe d’âge qui s’installe aujourd’hui le plus dans le développement de la Chine, pour créer un accès aux médias complètement personnalisé et interactif.