Botbuster existe, nous l'avons rencontré

Par Pascal Doucet-Bon, France Télévisions, directeur délégué de l'Information

 "N'écrivez jamais "C'est un bot" sans avoir vraiment examiné l'activité d'un compte. Vos confrères se trompent 4 fois sur 5"

Il a des faux airs de Dan Aykroyd, (acteur principal de Ghostbusters ndlr) Andy Carvin (@acarvin) est directeur de recherche au dfr lab de Washington DC. Les bots, il les traquent et les étudie toutes la journée. Rappelez-vous, c'est lui qui a couvert le Printemps arabe depuis les Etats-Unis via Twitter.

Son propos, lors de l'ONA 2019, consistait à nous sortir de la paranoïa sans pour autant baisser notre vigilance. "Oui, les bots sont utilisés pour désinformer et pour harceler, mais l'être humain n'est pas à court d'imagination pour faire cette besogne lui-même. Ne voyez pas des bots partout. Ce n'est pas parce qu'un compte Twitter, par exemple, n'a que deux ou trois followers et ne suit presque personne qu'il s'agit d'un bot. Des harceleurs peuvent créer eux-même un compte pour vous attaquer, et demander à tout leurs amis de faire de même. Pas besoin de technologie pour cela".

OK, mais on fait comment ?

Carvin a créé une nomenclature. Une liste de critères dont aucun n'est suffisant à identifier un compte comme étant celui d'un bot.

1 Haut niveau d'activité

"Bien sûr, c'est un indice. A partir de 70 tweets et retweets par jour, le compte est suspect. Mais attention !" Andy Carvin nous montre un compte dont il a flouté la photo et l'identifiant. L'activité indique 120 tweets. Devinette : "Bot ou pas bot" ? Nous disons bot. "Non, c'est mon propre compte ! Mon métier m'amène parfois à une frénésie de tweets. C'est aussi le cas de nombreux journalistes ou activistes, par exemple."

2 Anonymat

Le chercheur nous expose des comptes anonymes. Pas de photos, des identifiants sous forme de longues séries de chiffres et de lettres."Bot ou pas bot ?" Certains le sont, d'autres pas. Certains sont passés maîtres dans l'art de se cacher tout en s'exprimant, pour le meilleur ou le pire.

3 Amplification (tweets monétisés)

Certains bots sont créés pour amplifier la monétisation d'un compte.

4 Pas de photo

Voir 2

5 photo volée ou reproduite un grand nombre de fois.

Tweetonomy ou Google photo permet de vérifier cela. C'est éventuellement suspect.

6 Opérations suspectes (au regard des règles de Twitter)

7 Le compte tweete dans plusieurs langues.

Les plurilingues existent. Et ils sont surreprésentés sur Twitter. Mais ça peut être un indice de bot

8 Un compte liée à des automates

Certains journalistes en utilisent

9 Un compte qui tweete nuit et jour.

Andy Carvin nous montre l'activité d'un compte qui ne s'arrête que 4h30 par nuit en moyenne. Certains bots sont effectivement programmés pour ralentir leur activité la nuit. En l'occurrence, le compte exposé est celui... de Donald Trump !

10 détournement de hashtag

Oui, l'usage de hashtags qui n'ont rien à voir avec le sujet du message est un indice. Mais de nombreux tweetos le font couramment pour tenter d'augmenter leur trafic.

Au final, il faut qu'un compte suspect coche au moins cinq de ces cases pour être considéré comme suspect et signalé à Twitter. Voilà pour le cas où vous avez ciblé un compte suspect.

Si vous chassez un réseau de bots sans tenir un "suspect", voilà ce qu'il faut chercher:

1 modèle de langage

Si une expression ou une tournure de phrase peu idiomatique apparaît puis revient très souvent dans un laps de temps court

2 des posts ou tweets identiques

3 opérations suspectes (au regard des règles de la plateforme, déjà cité plus haut)

4 dates et heures de création identiques

5 activités identiques

6 lieux de création

Si un des comptes très similaire est créé dans des lieux très éloignés des autres

"Si plus de trois critères sont remplis, alors vous tenez certainement un réseau de bots", affirme Andy Carvin.

 

Pour finir, voici l'histoire de Mariangela Pereira B17, une supportrice passionnée de Jaïr Bolsonaro. 

Un magazine brésilien a qualifié ce compte de robot. Voici ce qu'a répondu Mariangela :

"Pour le magazine Veja, je suis un robot. Pour prouver que ce compte est à moi, aujourd'hui le 6 avril, [j'apparais]. Nous sommes avec vous. Et je ne suis pas un robot. Je suis juste une Brésilienne comme 57 millions d'autres qui ont soutenu notre capitaine"

Veja a présenté ses excuses à Mariangela Pereira. A-t-elle souri en les lisant ? Nul ne peut le savoir. La dame pieuse, comme l'ont prouvé plusieurs chercheurs dont Andy Carvin, est un cyborg. Un bot capable de se défendre d'être un bot !

Et si, demain, entre bots et deepfakes, l'identité numérique ne pouvait plus être garantie pour personne ?