Les groupes médias tirent parti de leurs forces pour créer une offre de podcasts natifs

Par Adrien Joly, consultant indépendant, billet invité.

Face à l’explosion du podcast natif, de plus en plus de groupes médias tendent l’oreille pour se lancer dans l’aventure. Comment s'approprient-ils les codes du genre ? Quelles difficultés rencontrent-ils ?  Tour d'horizon à l'occasion de la Main conférence  organisée le 4 septembre au CNAM à Paris.

Près d’un quart des Français de quinze ans et plus écoutent un podcast au moins une fois par mois. Au-delà de la radio de rattrapage, ils sont de plus en plus à écouter un format né sur et pour Internet : le podcast natif. En pleine croissance et tiré par les moins de 35 ans, il séduit les médias traditionnels. Pour parvenir à développer cette offre originale, les rédactions doivent adapter leur organisation et maîtriser les codes du genre, tout en optimisant leur diffusion.

Adapter une émission aux codes du genre

On ne s’adresse pas de la même manière sur un format traditionnel que sur un podcast. Antoine Daccord, directeur des activités digitales du pôle radio RTL, en a essuyé les travers. Lorsqu’il a voulu adapter un documentaire Téva « les Françaises au lit » au format du podcast pour son offre « RTL originals », le résultat n’était pas celui espéré. « Prendre un documentaire, enlever les images, le remonter : on a essayé, ça ne marche pas du tout » assume-t-il. Il a fallu reprendre le même casting et organiser un enregistrement pour le podcast.  « Ça a bien marché, notre moyenne basse était de 50 000 écoutes par épisode jusqu’à 250 000 écoutes ».

Le podcast « Les françaises au lit » : RTL Originals. Source : rtl.fr

« Il ne faut pas négliger le temps consacré à la réalisation » ajoute Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien qui lançait en mai 2019 le podcast quotidien d’information “Code Source”. L’épisode “Yann Moix, de l’autre côté du roman“ a par exemple nécessité 1h30 d’entretien… pour finir en podcast de vingt minutes. Un travail de réalisation important, orchestré par une musique originale composée en studio et des archives sonores.

Tirer parti de l’expertise des rédactions

 Pour le podcast “Code Source” , tous les sujets (faits divers, société, sport, culture) ont un point commun : « ils mettent à profit l'expertise des 400 journalistes du journal » fait valoir Pierre Chausse. Pour exemple, leur podcast le plus écouté : « Comment les Balkany sont devenus les Balkany » a été enrichi par les anecdotes des journalistes du Parisien ayant suivi le conseil municipal de Levallois pendant vingt ans.

Mettre en scène les journalistes

Utiliser les codes du genre, c’est aussi s’adresser directement à l’internaute en osant le « je ». Alain Duhamel dans le podcast « l’oeil de la République » de RTL Originals ne raconte pas l’histoire de la Ve République en tant que politologue. Il se met en scène. Un exercice parfois difficile pour certains journalistes dont les codes journalistiques bannissent l’emploi de la première personne du singulier. Laurent Guimier insiste : « Il ne faut pas avoir peur d’employer le “je”. Il est d’ailleurs aussi vieux que la radio, utilisé depuis les années 50 par les animateurs pour aller au contact des auditeurs. » Avant d’ajouter : « avec le “je” on est dans le vrai. »

Fannie Rascle, cheffe de projet éditorial à Europe 1 Studio (Label de création sonore d’Europe 1), travaille actuellement sur un nouveau podcast avec les reporters de la rédaction de Paris-Match. L’un d’eux, parti enquêter en Libye sur la mort de Kadhafi, s’est livré dans un épisode qui lui était consacré. "Au bout d’une heure d’entretien, il s’est mis à pleurer. Il a pourtant déjà fait beaucoup de route, couvert les printemps arabes et la Syrie. Mais en se confiant sur son expérience personnelle, l’émotion a pris le dessus. Il a fallu ensuite transcrire l'émotion du journaliste sans le mettre mal à l’aise et en gardant toute la force de son témoignage."

S’appuyer sur un savoir-faire externe 

« Radio et monde audiovisuel sont habitués à faire appel à beaucoup d’externes » avoue Antoine Daccord. Lors du lancement de l’offre RTL Originals, il n’a pas hésité à contacter le studio de création de podcasts natifs Louie Média afin de former ses journalistes. Le Parisien a fait appel à la société Binge Audio . Désormais, quatre personnes travaillent sur la production des cinq podcasts hebdomadaires du quotidien : un rédacteur en chef, un réalisateur, un reporter et un attaché de production. Antoine Daccord va plus loin dans cette collaboration chez RTL Originals : « on va faire en sorte que chaque équipe édito aie un expert du digital. »

 

Crédits photo : binge.audio, louiemedia.com

Optimiser les vecteurs de notoriété du podcast natif, un enjeu majeur

Le succès d’un podcast natif dépend surtout de sa diffusion. « Vous pouvez faire le meilleur podcast au monde, si personne ne l’écoute, ça ne sert à rien » souligne Fannie Rascle. La recette est simple : utiliser tous les canaux de communication possibles. Pari relevé pour les médias traditionnels qui peuvent mettre à profit leurs relations presse, la visibilité de leurs émissions ainsi que leur présence sur les réseaux sociaux, à ne pas négliger à l’heure où 59% des auditeurs de podcasts natifs les ont connus par ce biais.

 

Les vecteurs de notoriété des podcasts natifs. Source : Médiamétrie – Global Audio – Mars 2019

La dernière étape consiste à adapter leur stratégie réseaux sociaux avec des contenus propres aux usages. C’est notamment le cas des teasers vidéo sous-titrés redirigeant vers les plateformes d’écoute. Concernant le choix de ces plateformes, il y en a beaucoup. Le Parisien, par exemple, diffuse « Code Source » sur iTunes, Deezer, Spotify, Majelan… et même sur Youtube.

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Partir à la conquête de nouveaux publics

L’offre de podcasts natifs a décollé ces dernières années. Les thématiques, variées, s’adressent à une audience très large mais aussi très affinitaire et qualifiée. Les auditeurs partent à la recherche du contenu susceptible de les intéresser. « Avec le podcast « Nouvelles Mères » co-réalisé avec Marie Drucker et Sidonnie Bonnec on parle de parentalité, de maternité pour s’adresser à des publics qui ne sont pas forcément ceux de RTL mais des communautés plus ciblées, plus expertes » explique Antoine Daccord.

Pour capter l’attention rare d’une audience sur-sollicitée par tous types de contenus au long de la journée, les groupes médias disposent d’un atout majeur : le podcast natif peut être écouté partout. Le Parisien l’a compris en mettant en ligne « Code Source » du lundi au vendredi à 18h. Les auditeurs peuvent « télécharger l’épisode du jour afin de l’écouter le soir sur le trajet, ou le lendemain matin » souligne Pierre Chausse. C’est là tout l’enjeu de la presse écrite : diversifier son offre éditoriale par le podcast natif et toucher de nouveaux lecteurs-auditeurs abonnés.

Les équipes d’Europe 1 Studio sont parties à la conquête des utilisateurs d’assistants vocaux, dont les premières requêtes vocales sont liées à la recherche d’information. Leur podcast natif  « le Brief » est un flash d’actualité diffusé six fois par jour en semaine avec un format magazine le week-end. « Nous sommes à un peu plus de 150 000 écoutes par mois. C’est un tout petit marché, mais sur lequel on voulait se placer le plus tôt possible » confie Fanny Rascle. L’objectif est de « faire en sorte que la marque Europe 1 soit présente tous les jours, à l’intérieur des assistants vocaux avec un format adapté à un public jeune, urbain et pressé » ajoute-t-elle. Le traitement de l’information est décalé, dynamique et utilise beaucoup d’effets sonores.

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Les groupes médias français ont su tirer avantage de l’expertise de leurs rédactions pour créer une offre de podcasts natifs. Ils sont allés pour la plupart chercher le savoir-faire nécessaire en externe pour adapter les codes du genre et soigner la production de leurs podcasts natifs. Tous n’ont pas encore internalisé ces compétences mais la machine est en route. Les rédactions doivent surtout veiller à optimiser la découvrabilité de ces formats en soignant leur stratégie de communication, particulièrement sur les réseaux sociaux. L’enjeu repose davantage sur la notoriété que la rentabilité dans l’attente d’un modèle publicitaire pérenne. Les journalistes ont l’air d’avoir compris : « ils se battent pour avoir leur épisode » confie Pierre Chausse. L’engouement semble avoir pris.

Crédit de Une : Austin Distel via Unsplash