Le podcast, nouveau média d’information ou de désinformation ?

Par Evarestos Pimplis, MediaLab de l'Information 

Un quart des adultes aux Etats-Unis s’informeraient grâce aux podcasts. Le potentiel de croissance de ce média est important. Les podcasts natifs font florès et leur nombre d’auditeurs réguliers ne cesse d’augmenter, y compris en France où la radio est traditionnellement dominante dans le marché de l’audio. Quelques questions demeurent toutefois. Quel modèle économique peut leur permettre de se structurer à long terme ? Quel encadrement juridique peut garantir la meilleure rémunération possible des créateurs ? Mais surtout, peuvent-ils devenir un des principaux médias d’information des citoyens ? Entre accusations de contribution à la désinformation et brouillage dangereux entre information et publicité, les podcasts ont encore de nombreux obstacles à surmonter sur leur chemin de légitimation.  

Un quart des Américains s’informe en écoutant des podcasts

Selon une étude du Pew Research Center menée en juillet 2021, environ un quart des adultes aux Etats-Unis (23%) déclarent s’informer au moins occasionnellement par le biais de podcasts. Cette industrie culturelle semble séduire de plus en plus de citoyens cherchant à s’informer, bien que 56% de la population des Etats-Unis déclare encore ne s’être jamais informé par ce média. Le potentiel de croissance du podcast reste très grand dans un pays où la radio est traditionnellement moins dominante qu’en France.

L’enquête du Pew Research Center révèle par ailleurs que les jeunes adultes sont plus susceptibles de s’informer par le média podcast. Ce mode de consommation de l’information concerne en effet près d’un adulte sur trois âgé de 18 à 29 ans contre seulement 12 % des adultes de 65 ans et plus. L’étude note également que les citoyens les plus éduqués et ayant les revenus plus élevés sont les plus susceptibles de s’informer via des podcasts. Ainsi, 28% des Américains ayant un diplôme d’études supérieures s’informent par ce média contre 17% pour les diplômés du secondaire.

Le podcast natif, un phénomène en pleine expansion en France

En France, certains podcasts natifs comme La Poudre, Transfert ou Les couilles sur la table ont popularisé cet espace médiatique nouveau, présentant un journalisme de l’intime qui cherche, par le récit de soi, à déconstruire les normes. En effet, ces podcasts ont émergé autour de thématiques et de clivages politiques peu représentés dans les médias traditionnels comme la théorie du genre ou le féminisme. Certains podcasts natifs peuvent aujourd’hui avoir un fort impact sur le débat public à l’image d’Ou peut-être une nuit de Charlotte Pudlowski, produit par Louie Media et diffusé à l’automne dernier. Ce podcast a été écouté plus d’un million de fois et a propulsé sur le devant de la scène médiatique la question de l’inceste.

La consommation de podcasts en France est incontestablement à la hausse ces dernières années. Les confinements successifs liés à la pandémie de Covid-19 n’ont fait que renforcer cette tendance. En témoigne l’entrée du terme dans le langage des Français. L’étude CSA – Havas Paris réalisée pour la 4ème édition du Paris Podcast Festival en 2021, révèle que 93% des gens connaissent le mot podcast mais que seulement 30% savent ce qu’est un podcast natif. En effet, là où le baromètre Mediametrie comptabilisait 12.3 millions d’auditeurs de podcast constitués à la fois de replay radio et de contenus natifs en 2020 en France, le dernier baromètre Acast compte 4,4 millions d’auditeurs de podcast uniquement natifs par mois sur la période allant de juillet à septembre 2021. L’écoute de podcasts natifs continue depuis deux ans sa hausse fulgurante passant de 13% d’auditeurs mensuels en France en 2019 à 23% en 2021.

Qui écoute des podcasts ?

La moyenne des Français n'écoute pas des podcasts de façon régulière. Chez les consommateurs fidèles de podcasts, ceux qui en écoutent au moins une fois par semaine, un profil type d’auditeur peut être dressé : jeune (35 ans en moyenne contre 42 dans la population française), vivant majoritairement dans une grande ville et appartenant de manière surreprésentée aux CSP+ (27% contre 16% pour la population française).

Pourquoi écoute-t-on un podcast ?

Bien que les contenus de divertissement, humoristiques et de développement personnel gagnent en importance, l’information est le principal centre d’intérêt d’écoute des podcasts. Selon l’étude CSA – Havas Paris 2021, 84% des auditeurs de podcasts natifs déclarent que ceux-ci les éclairent sur des sujets de société et 65% d’entre eux s’intéressent aux podcasts politiques. L’information était, selon la version 2020 de cette même étude, la thématique qui intéresse le plus les auditeurs à 87% devant l’humour et le divertissement, à 85%.

Nouvelle source d'information pour les jeunes 

Les podcasts sont une nouvelle source d’informations pour les jeunes pour comprendre les programmes politiques et même les aider à choisir pour qui ils ou elles voteront. A condition de suivre les codes de ce nouveau média : un format très apaisé qui laisse la place au débat et à l’analyse, un temps long, donnant la parole à des profils diversifiés

Quelle économie du podcast ?

Produire et distribuer des podcasts a un coût. En France, Radio France reste le plus important diffuseur de podcasts, tandis qu’aux Etats-Unis, l’espace n’est pas très bien occupé par la radio publique. Beaucoup de créateurs ont des difficultés à trouver des modèles économiques durables pour cette industrie culturelle.

Beaucoup de podcasts font le choix de s’appuyer sur des revenus publicitaires. La plupart d’entre eux utilisent le pre-roll, un petit temps en début d’émission consacré à un message publicitaire ou d’autopromotion. Ces temps publicitaires ne permettent toutefois pas généralement de se financer entièrement et posent des questions en termes d’éthique journalistique. Ces contenus se rapprochent en réalité davantage du brand-content, résultant d’une éditorialisation de la publicité. Ce brouillage entre publicité et information, qui peut prendre la forme d’un message promotionnel relayé par le journaliste lui-même, peut paraître problématique pour un média attaché à la division stricte entre information et publicité. Il est toutefois présenté par les créateurs et les annonceurs comme une innovation culturelle.

D’ailleurs, des marques et entreprises décident elles-mêmes de financer des podcasts sur des sujets divers dans lesquels est faite au passage la promotion de leurs produits. En effet, 51% des auditeurs de podcasts affirment écouter des podcasts proposés par des marques. A titre de comparaison ils sont 68% à écouter des podcasts créés par des studios ou des podcasteurs indépendants et 65% à écouter des podcasts créés par des médias. Il s’agit pour les entreprises d’améliorer leur image de marque en paraissant plus innovantes, plus proches de leurs consommateurs ou encore plus responsables. Les secteurs bancaire et de la Tech investissent ainsi beaucoup dans les podcasts.

Au-delà de la publicité et des questions éthiques que son utilisation pour financer les podcasts pose, il existe une multitude de modèles économiques expérimentés par les créateurs de podcasts. Certains s’appuient sur des financements participatifs, d’autres créent des produits dérivés en cas de succès, comme ce fut le cas pour le podcast les Couilles sur la table, décliné dans un livre tiré à 45 000 exemplaires, mais aussi la création de plateformes comme Majelan qui propose l’accès à des podcasts via un abonnement. Dès lors, la question se pose de savoir si les auditeurs sont prêts à payer pour accéder à leurs podcasts tandis que la radio est accessible gratuitement. Certains créateurs préfèrent confier leurs podcasts à des plateformes de streaming comme Deezer ou Spotify.

Un vide juridique handicapant

Le marché des podcasts demeure un marché fragile et ce notamment à cause du vide juridique du secteur. Malgré une sécurisation progressive des droits de diffusion des auteurs, la juste rémunération des podcasteurs reste entièrement à penser. Les principaux distributeurs de podcasts sont des applications d’écoute dédiées comme Apple Podcast, Podcast Addict ou Castbox et les plateformes de streaming musical comme Deezer ou Spotify qui proposent elles aussi depuis 2018 un catalogue de podcasts.

Face à ces plateformes de streaming peu enclines à faire valoir les droits d’auteurs des créateurs de podcasts, le syndicat des producteurs audio indépendants demande aux pouvoirs publics de réguler cette industrie culturelle, qui ne l’est pas du tout en France, afin de créer un écosystème plus vertueux. Droits préfinancés, droits payés à postériori ? Tout est encore à définir. Depuis novembre 2021, la quasi-totalité des productions issues des studios représentés au sein du PIA, le syndicat des producteurs audio indépendants, est accessible sur la plate-forme française de contenus audio Sybel, où les podcasts sont rétribués à proportion du nombre d’écoutes qu’ils auront suscitées ; écoutés gratuitement, ils se verront affecter la totalité des revenus publicitaires qu’ils auront engendrés.

Podcasts et désinformation

Depuis 2018, la plateforme de streaming Spotify permet à tout un chacun d'y diffuser ses podcasts. Opportunité d'un côté, cette ouverture à des contenus amateurs est aussi une porte ouverte à la désinformation. Officiellement, pour pouvoir diffuser un podcast, les règles d’utilisation de la plateforme doivent être respectées. Il est par exemple explicitement indiqué qu’il est interdit d’affirmer que « le sida, le Covid, le cancer ou d’autres maladies dangereuses sont des mensonges », de suggérer que « les vaccins ont été conçus pour tuer », ou encore de diffuser des « contenus haineux contre des personnes en raison de leur religion, ethnicité, expression de genre ou orientation sexuelle ». Toutefois, des podcast enfreignant ces règles peuvent être trouvés très facilement sur la plateforme. D'autant que le format du podcast pose la question du point de vue unique, de l'absence de contradiction et par conséquent de la facilité de persuasion des auditeurs.

Dans ce contexte, Spotify est accusé de laisser fleurir la désinformation sur sa plateforme sans chercher à y remédier. Le manque de modération efficace mais aussi la difficulté de signalement pour les utilisateurs qui doivent se rendre sur une page dédiée et remplir un questionnaire, pourraient être responsables d'un phénomène de désinformation massive. Pour afficher son inquiétude et appeler la plateforme à agir, le chanteur Neil Young a retiré l'ensemble de ses oeuvres de  Spotify. Dans son viseur notamment, un des podcasts les plus écoutés au monde, "The Joe Rogan Experience", exclusivité Spotify depuis 2020 pour un contrat de plus de 100 millions de dollars. Le podcast aux plus de 200 millions d’auditeurs mensuels, s’est vu accusé de propager de la désinformation sur la vaccination contre le Covid-19.

Face à ces accusations, Spotify a annoncé des dispositifs pour lutter contre la désinformation relative au Covid-19. La première mesure mise en place a été le renvoi, à partir de tous les podcasts parlant de Covid-19 sur la plateforme, à un ensemble de podcasts vérifiés, constituant un centre d’information. Spotify a également affirmé penser à de nouvelles manières de renvoyer les créateurs de podcast aux règles d'utilisation en leur signalant ce qui est acceptable, sans parler toutefois de sanctions. Spotify indique souhaiter avant tout préserver un (fragile) équilibre entre liberté d’expression et lutte contre la désinformation. Pour son PDG, les plateformes de streaming n'ont pas à exercer de responsabilité éditoriale sur les contenus hébergés. Les chansons ne sont pas censurées en fonction de leurs paroles, pourquoi en serait-il autrement pour les podcasts?

Derrière les arguments de Spotify, il y a bien sûr l'épineuse question des moyens de modération. Que ce soit par détection algorithmique ou humaine, la modération de millions de minutes de contenus audio est très complexe. Pour modérer avec précision les podcasts, il faudrait en retranscrire le contenu, et cela, les plateformes affirment ne pas en avoir les moyens aujourd'hui.

Est-il néanmoins acceptable que les plateformes de streaming diffusant des podcasts, deviennent l'angle mort de la lutte contre la désinformation ? Difficile de répondre par l'affirmative. Spotify le sait bien et c'est en ce sens qu'elle a pris l'initiative de retirer de la plateforme les podcasts de l’essayiste français d’extrême-droite Alain Soral et du compte ERFM (la radio en ligne d’Egalité et Réconciliation, groupe politique qu’il a cofondé), pour non-respect de sa politique de contenus.

Au moment où la guerre en Ukraine est aussi une guerre de l'information, avec des médias russes relayant la propagande gouvernementale et de la désinformation par différents canaux de diffusion, la lutte contre la désinformation sur les plateformes de streaming revient sur le devant de la scène. Les podcasts de la chaîne RT France, financée par le gouvernement russe, actuellement dans le viseur de l'Arcom car soupçonnée de relayer la propagande du Kremlin, sont disponibles sur des plateformes comme Deezer. Mais y ont-ils vraiment leur place alors que la guerre bat son plein ? Cette nouvelle guerre de désinformation pourra bien être un pivot dans le débat public pour la question de la modération des podcasts.

 

Illustration : Mohammad Metri sur Unsplash