Télévision, plateformes : qui rebat les cartes de la Présidentielle ?

A l’approche du 1er tour de l’élection présidentielle, les chaînes de télévision ne parviennent pas à attirer des parts d’audience aussi importantes qu’en 2017. Il faut dire que le manque de débat entre les candidats leur rend la tâche difficile. Malgré des innovations journalistiques et technologiques, le compte n’y est pas. Et si la campagne présidentielle se passait ailleurs que sur les médias traditionnels ? La grande innovation ne réside-t-elle pas dans l’usage croissant des plateformes numériques ? Vidéos TikTok ou YouTube, Live Twitch, jeux vidéo militants, podcasts… sur Internet les innovations ne manquent pas. A l’initiative, les candidats, les pure-players, mais aussi les médias traditionnels qui cherchent à s’adapter à cette nouvelle donne. 

Evarestos Pimplis et Louise Faudeux, MediaLab de l'Information 

Le recul du rôle de la télévision dans la campagne présidentielle ?

Traditionnellement, les médias audiovisuels linéaires et notamment les chaînes de télévision, forment l’arène du débat républicain en période d’élection présidentielle. La parole politique y est encadrée par des règles fixées et contrôlées par l’ARCOM. Ainsi, avant la période de campagne, s’applique un principe d’équité. Les chaînes allouent aux candidats et à leurs soutiens des temps de parole ou d’antenne en tenant compte de leur représentativité et de leur implication effective dans la campagne. Ensuite, en période de campagne électorale, le principe de stricte égalité suppose que les chaînes attribuent un temps de parole égal aux candidats. 

En 2017, les débats organisés avant le premier tour de l’élection présidentielle avaient rencontré un franc succès. Sur TF1, le débat entre les cinq principaux candidats avait attiré 9,8 millions de téléspectateurs. Cette année toutefois, les émissions politiques ont plus de mal à séduire une part d’audience importante. Ainsi, lors de son passage dans “Elysée 2022”, Marine Le Pen n’a attiré que 1,89 million de téléspectateurs contre plus de 3 millions en 2017 et l’émission “La France face à la guerre” sur TF1 n’en a attirés que 4,21, à peine la moitié de l’audience du débat de 2017. Il faut dire que ce sont avant tout les débats entre candidats qui plaisent, bien plus que les interviews. Or, cette année, il n’y aura pas eu de débats entre l’ensemble des candidats.

Les chaînes de télévision ont donc essayé d’adapter leurs programmes et d’innover pour stimuler l’intérêt des téléspectateurs. Certaines chaînes ont tenté de remettre le débat à l’ordre du jour en organisant des débats entre deux candidats uniquement comme celui entre Eric Zemmour et Valérie Pécresse ou ceux entre Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Les chaînes ont également proposé des innovations technologiques comme la présence de QR codes sur les écrans durant les émissions politiques renvoyant au site Internet de la chaîne où il est possible de consulter du fact-checking effectué en temps réel par une équipe de journalistes ou encore d'interagir avec les candidats en direct. Le compte n’y est toujours pas. Malgré ces innovations, les audiences restent en recul. Au point où dans le privé, la campagne semble peu intéressante commercialement. TF1 a en effet décidé d’écourter sa soirée électorale du 1er tour, diffusant dès 21h20 le film les Visiteurs. C8 a renoncé à organiser une soirée électorale avec Cyril Hanouna, comme prévu initialement.


Face à cet aveu d’échec, faut-il considérer que les émissions télévisées tombent en désuétude ou sont même vouées à disparaître ? Certains diront qu’il faut se tourner vers Internet, nouvelle arène de la campagne présidentielle. Les plateformes numériques proposent des contenus et des formats innovants qui attirent de plus en plus d’internautes.  

Les nouvelles stratégies numériques des candidats 

Et si l’avenir des campagnes électorales se jouait sur les plateformes numériques ? Leur usage constitue une importante innovation, déjà en marche depuis les précédents scrutins présidentiels. En 2022, les candidats à l'élection présidentielle tentent d’exploiter le mieux possible les ressources de ces plateformes. Celles-ci leur permettent entre autres d’échapper aux contraintes de limitation du temps de parole. Ils peuvent en effet s’y exprimer autant qu’ils le souhaitent.

Le premier usage des plateformes numériques par les candidats passe par la création de chaînes personnelles visant à attirer des communautés d’abonnés et de susciter l’intérêt des millions d’utilisateurs des plateformes. Celles-ci sont dès-lors utilisées comme outils de communication permettant aux candidats de faire entendre leur voix, de mobiliser des soutiens mais aussi de connaître leur électorat.

Selon la chercheuse Anaïs Theviot, ces nouvelles formes de communication et la création d’une identité numérique des candidats servent également une « rhétorique de l’innovation » permettant de rompre avec l’image du personnel politique âgé et trop sérieux. La candidate EELV, Eva Joly, utilisait déjà les réseaux sociaux en 2012 pour y partager des contenus humoristiques.

Ainsi, Facebook, Twitter et YouTube sont rapidement devenus des outils incontournables de la communication politique. En 2022, deux plateformes s’ajoutent à cet arsenal : TikTok et Twitch. Certains candidats ont de très nombreux abonnés sur les plateformes. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon, sûrement le candidat mettant le plus l’accent sur le numérique dans ses campagnes. Il compte 1,7 million d’abonnés sur TikTok, 2,4 millions sur Twitter et 730 000 sur YouTube. Le président de la République, Emmanuel Macron, a lui aussi un nombre impressionnant d’abonnés sur les plateformes : 8 millions sur Twitter ; 2,8 millions sur TikTok. Il a toutefois plus de mal à en tirer profit dans le cadre de la campagne, ses comptes faisant office de comptes officiels du chef de l’Etat et ne pouvant être utilisés que pour la communication du Président et non du candidat.

Nous pouvons voir différents usages concrets des plateformes. Ceux-ci varient selon la plateforme utilisée. TikTok, avec ses contenus courts (même s'il est désormais possible de poster des vidéos de jusqu'à 10 minutes), est généralement utilisé pour relayer des messages directs des candidats.

@mlp.officielIl vous reste 10 jours pour vous mobiliser et mobiliser autour de vous. Je compte sur vous ! ☺️♬ son original - Marine Le Pen

YouTube est davantage utilisé pour relayer des formats longs pré-enregistrés : clips de campagne, meetings, interventions dans les médias ou encore des formats plus décontractés de décryptage de l’actualité.

Twitch est en revanche utilisé pour introduire des formats plus innovants avec notamment des interviews participatives. La plateforme propose des formats longs car uniquement en direct. Il s’agit donc d’émissions du type « talk-shows », pouvant se rapprocher de certains formats TV. Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot sont les seuls candidats à avoir des comptes Twitch personnels.

L’audience principale recherchée par le biais de toutes ces initiatives est celle des jeunes adultes dont le taux d’abstention est souvent élevé. C’est pour cela que TikTok et Twitch deviennent des plateformes centrales dans les stratégies des candidats. A cette fin, les campagnes tentent de créer également d’autres formats et outils innovants. En 2017, les militants de Marine Le Pen avaient lancé un jeu vidéo inspiré de Pokémon, ceux de Jean-Luc Mélenchon le jeu vidéo Fiscal Kombat. Le candidat à lancé en 2022 un réseau social militant nommé Action Populaire

Consommation média, stratégie d’audience et visibilisation des enjeux : de nouveaux formats numériques pour informer

Face à une consommation média de plus en plus fragmentée, les acteurs traditionnels cherchent à diversifier leur offre en investissant les territoires numériques. La plateforme Twitch est entre autres devenue le terrain de prédilection de Samuel Étienne, qui, aux côtés d’Alix Bouilhaguet, propose avec le programme “20h22” une déclinaison digitale de l’émission éponyme d’Anne-Sophie Lapix sur France 2. Loin des résultats d’audience en linéaire, ces live où ont été pour l’instant reçus Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Valérie Pécresse, ont tout de même cumulés plus de 260 milles vues. 

L’INA, a pour sa part, lancé depuis la mi-mars sur son site INA.fr et ses réseaux sociaux, son émission politiqueADN”. Chaque jour, ce format long met en lumière un candidat à l’élection présidentielle en dessinant son ADN politique, à travers des images d’archives auxquelles ils réagissent, le tout guidé par la voix du journaliste Patrick Cohen. Le journal Libération se jette pour sa part dans le grand bain des podcasts politiques avec Lybélisée, un format audio où Jean-Mathieu Pernin échange avec des journalistes, lecteurs et auditeurs sur de grands sujets d’actualité sous le prisme des élections.

 

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Les “pure players” investissent, eux, les plateformes pour réconcilier la jeunesse avec la politique. Un des exemples phares est celui d’”HugoDécrypte”, référence de l’information diffusée en multiplateforme sur TikTok (1,9 million d’abonnés), Instagram (1,6 million d’abonnés), YouTube (plus de 2 millions sur ses deux chaînes) et Twitch (214 milles abonnés sur sa chaîne Mashup). Hugo Travers, de son nom, souhaite rendre accessible l’actualité à la génération des 18-24 ans en la “rendant compréhensible et en l’amenant correctement aussi bien sur le fond que sur la forme”, en s’adaptant aux codes des plateformes. Dans cette optique, Hugo a d’ailleurs lancé, dans le cadre de l’élection présidentielle, “L’interview face cachée" où il reçoit les 12 candidats dans un format où les codes des réseaux sociaux sont abondamment utilisés (écran numérique où apparaissent des emojis qui rythment l'interview, décryptage de "memes" avec les candidats, réaction à des tweets...). Dans la même veine, le YouTuber Gaspard G - aussi un des créateurs de l’application d’aide au vote “Elyze” qui a rencontré un franc succès - ainsi que le streamer Jean Massiet, ont lancé plusieurs nouveaux formats dans le cadre de la période électorale. 

Le numérique offre aussi l’opportunité à ces nouveaux médias de porter leur voix à travers de formats traitant d’enjeux de fond, souvent laissés pour compte sur les plateaux TV dans le cadre de la Présidentielle. C’est par exemple le cas du podcast “Président.iel”, un podcast original Spotify porté par Elise Goldfarb et Julia Layani, où ces dernières reçoivent les candidats pour traiter des sujets LGBTQIA+ et des droits des femmes. Blast, le site d’information indépendant de Denis Robert, a mis sur la table les enjeux de l’urgence climatique à travers “Le débat du siècle” sur Twitch, où 5 candidats ont été interrogés durant un format de près de 3 heures, sur leurs propositions écologiques.

À la différence des programmes télévisés, les formats numériques ne sont pas pris en compte par l’Arcom dans le décompte du temps de parole des candidats. Bien que la plupart de ces derniers reçoivent et évoquent l’ensemble des candidats à la présidentielle - du moins ceux ayant accepté - le temps de parole ne manque pas de se creuser sur le web. Plusieurs organes, comme Elections Tracker ou Le Monde ont alors tenté de développer des outils prenant en compte le temps de parole des candidats en ligne. D’après Le Monde et leur méthodologie de recensement semi-automatique sur YouTube et Twitch, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour seraient en tête du temps de parole sur le digital. 

Bien que la télévision demeure une clé de voûte de la campagne électorale, l’éclatement de la consommation de contenus invite les médias ainsi que les candidats à repenser leur stratégie éditoriale afin de parler à des publics toujours plus exigeants. La diversification des points de contact et des formats n’a donc rien d’anodin quand on sait que près de la moitié des 18-34 ans s’informent sur internet. Le web est donc un acteur à part entière de la campagne qui n’a plus à faire ses preuves. Désormais, au même titre que pour les médias télévisés, se pose la question de la visibilité des candidats sur les médias numériques et sur les plateformes en terme de décompte de temps de parole dans un univers où militantisme et algorithmes pèsent dans la balance, et où la démocratie est mise à mal par le monopole des plateformes.