Informer et agir pour le climat, de nouveaux formats journalistiques

Trop complexe, long-termiste ou alarmiste, le changement climatique ne se présente pas comme le meilleur ami du journalisme. Sa couverture médiatique, jugée insuffisante et peu efficace, ne semble pas toucher suffisamment ou de manière efficace le public. Pourtant, dans une société de plus en plus sensible aux questions environnementales et victime de leurs conséquences désastreuses, ne pas aborder le sujet paraît inenvisageable. Comment alors couvrir l’urgence climatique et l’adapter au différents canaux de diffusion ? Tout simplement en adoptant la méthode journalistique suivante : enquêter, poser les bonnes questions, adopter la bonne temporalité, et trouver le meilleur format pour informer. 

Isya Okoué Métogo et Louise Faudeux, MediaLab de l’Information 

Des citoyens préoccupés, qui recherchent un journalisme porteur de solutions 

Le changement climatique est un enjeu majeur pour les citoyens aujourd’hui : cela serait un défi capital pour 94% des Français, voire prioritaire pour 47% d’entre eux. Face aux causes et conséquences du changement climatique, les médias endossent une responsabilité particulière, l'information autour du sujet entraînant plus qu’une simple prise de conscience. Pour 81% des Français, voir les sujets environnementaux et climatiques de plus en plus médiatisés participerait à un intérêt accru, et même à un changement de comportement. 

Il y a des progrès dans le traitement du changement climatique dans le paysage médiatique français : d’après l’étude MédiasClimat de Reporters d’Espoir, la couverture de cette thématique a été multipliée par 3 en dix ans dans les journaux télévisés du soir de TF1 et France 2. Toutefois, on ne peut pas pour autant dire que cette couverture soit suffisante : que ce soit à la télévision, à la radio, ou dans la presse écrite, la part des sujets qui évoquent le climat est en moyenne de moins de 1%

Plus qu’une question de quantité, c'est aussi une question de qualité du traitement de l’information. D’après le Baromètre ViaVoice sur les responsabilités journalistiques dans les crises climatiques et sanitaires, 53% des personnes interrogées considèrent que les journalistes et les médias n’offrent pas assez de place aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Plus encore, c’est le type de traitement actuel qui semble poser problème. Jugé comme anxiogène (35%), catastrophiste (33%) et moralisant (25%), il serait urgent de trouver un autre ton

En effet, les citoyens semblent aspirer, malgré l’urgence climatique, à un journalisme moins alarmiste. Ils souhaiteraient que le traitement médiatique de la thématique se repose davantage sur un traitement qui se veut constructif (51%), vérifié (42%), pédagogique (35%) et rigoureux (34%). 

Pour faire face à ces exigences citoyennes, les médias doivent alors repenser leur angle éditorial ainsi que le type de contenus proposés pour répondre aux attentes d’éducation, d’intérêt et d’action de lutte contre le changement climatiques de leurs audiences. 

De nouvelles narrations pour répondre au besoin des citoyens

De nombreux chercheurs et journalistes se penchent sur le traitement des questions environnementales par les médias, indispensable pour tenir informée la population sur les enjeux mais aussi pour l'inciter à changer de comportement. Or, parler de réchauffement climatique de manière pertinente n’est pas toujours évident. Développer de nouvelles narrations apparaît alors indispensable. 

Le ton et le vocabulaire, pierre angulaire de la réception du message

Un des premiers éléments est le ton utilisé par les journalistes. Des études notamment conduites par la chercheuse et professeure de journalisme Renita Coleman ont montré que le choix des mots peut entraîner un changement important dans la manière dont l’audience va interagir avec la couverture médiatique du changement climatique. Il faudrait changer de discours et de vocabulaire, en axant la narration autour des impacts personnels et locaux du dérèglement climatique, sans forcément nommer ce dernier. Particulièrement efficace sur les sceptiques aux discours scientifiques, cette nouvelle narration pourrait changer jusqu’au niveau d’action prise ensuite par l’audience pour lutter contre le réchauffement climatique.

L’étude menée par Renita Coleman montre des résultats concluants lorsque les articles remplacent “changement climatique” ou “réchauffement de la planète” par “météo” et lorsque les causes sont très peu mentionnées pour laisser place aux solutions à envisager. Si les chercheurs précisent bien que ce n’est pas à appliquer sur tous les articles, ils avancent néanmoins comment un cadrage adaptatif du changement climatique conduit à des réponses positives des audiences. Par exemple, “Le réchauffement climatique d'origine humaine pousse les eaux océaniques plus haut, selon les experts” serait à remplacer par “Experts : les villes du comté d'Orange doivent accélérer les stratégies d'adaptation à l'empiètement des océans”. Selon les contributeurs à l’étude du Pr Coleman, «la suppression de toute référence aux causes du changement climatique et l'accent mis sur la capacité d'adaptation ont augmenté la mesure dans laquelle les gens se considéraient comme efficaces, répondant plus positivement aux idées de travailler ensemble pour nous protéger tous et arrêter les dommages, et que les plans d'adaptation peuvent travailler.”

“Oui mais …” ou l’importance des solutions

Dans une présentation sur la crise climatique et sa compréhension limitée par le public, le directeur du Centre pour la Communication sur le réchauffement climatique de l’Université Georges Mason Edward Maibach aborde la nécessité de parler des solutions lorsque l’on parle de changement climatique. Il met en avant cinq points essentiels à aborder dans le traitement du sujet : 1. c’est vrai; 2. c’est nous; 3. les experts sont d’accord; 4. c’est mauvais; 5. il y a de l’espoir. Or selon lui, les organes de presse ne se tournent que rarement de manière satisfaisante vers les solutions. Pourtant, même s’il est important d’apprendre l'origine du problème, il est aussi essentiel de donner de l’espoir et des clés d’amélioration lorsqu’une situation si catastrophique est abordée. 

Une étude publiée l’année dernière dans la revue Global Environmental Change montre le peu d’espace dédié aux solutions dans la couverture médiatique du changement climatique. Selon cette étude, seulement 2% serait dédié à l’énergie propre, 1% au désinvestissement des entreprises de combustibles fossiles et 1% à l'efficacité énergétique. Des thèmes pourtant fondamentaux pour rendre l’économie neutre en carbone. 


Pour les 50 ans de l'Earth Day, The Guardian s'est associé à d'autres rédactions autour du monde pour couvrir le sujet sous l'angle de l'espoir

Une actualité, deux échelles : le problème de la temporalité

Le réchauffement climatique et les journalistes ont le même ennemi : le temps. Malheureusement pour les deux, ils ne sont pas du tout sur les mêmes échelles. Le temps du journaliste est basé sur une actualité constante, rebondissante et nouvelle, qui ne correspond pas au ton à employer pour parler du réchauffement climatique, inscrit pour sa part dans un temps long. Si différentes raisons mènent au déficit d’attention accordé aux questions environnementales, l’une d’entre elles est bien la temporalité. Quand on parle de crise climatique, on parle d’un changement lent et progressif, avec des comparaisons sur des siècles; bien loin des nombreuses péripéties et rebondissements de l’actualité journalistique. Comme le met en avant cet article de Bill McKibben, “ l’inexorable est difficile à saisir pour les journalistes”. Pour parvenir à traiter le sujet en nourrissant le besoin de répétition et de réitération constante du réchauffement climatique sans nuire au travail journalistique, il est nécessaire de rechercher de nouveaux angles et de nouveaux temps narratifs - même si les tragédies climatiques répétées et de plus en plus fréquentes règlent déjà de plus en plus la question. 

La science fiction au service des scénarios climatiques

Un dernier axe intéressant lorsque l’on parle du récit climatique repose l'apport potentiel de la littérature - de quoi inspirer les pratiques journalistiques. La science-fiction, souvent prédictrice, embrasse depuis des décennies les questions climatiques. Les thèmes de l’environnement et de l’écologie sont omniprésents et ont même mené à la création d’un genre dédié, la climate fiction ou cli-fi. Ce genre met en scène les conséquences du dérèglement climatique, comme la relation entre l’humanité et son environnement. Selon un article de Fabien Trécourt publié dans les Carnets de Science du CNRS, la climate fiction permet de comprendre les enjeux actuels et peut avoir un lien sur notre capacité à appréhender la crise climatique. Le Comité Science-Fiction (CSF), une initiative portée par l’institut de la transition environnementale Sorbonne Université de l’Alliance Sorbonne Université, propose de réfléchir aux questions actuelles par le prisme de la littérature de science-fiction avec des thèmes comme le retour de la biodiversité en ville, l’avenir de l’alimentation ou les communications interespèces. Selon Anne-Caroline Prévot, responsable du CSF, ces formats plus imagés et créatifs permettraient d’élaborer “de nouveaux récits transformateurs” pour penser différemment “notre relation avec les autres et la nature”. 

De nouveaux formats pour éduquer et agir 

Ces ambitions en termes de narration se traduisent aussi par l’utilisation de nouveaux formats, rendus entre autres possibles grâce aux supports numériques. À travers des représentations parfois visuelles, parfois auditives, ou les deux à la fois, ces nouveaux formats permettent alors de vulgariser, d’engager, de caractériser et parfois de dénoncer les causes et conséquences en lien avec le changement climatique. 

La problématique environnementale étant un sujet complexe, il est facile de se sentir rapidement perdu voire détaché de ces enjeux. Pour lutter contre cet écueil, les médias imaginent des formats accessibles afin de vulgariser certains concepts et transmettre l’information de façon plus pédagogique. Pour y parvenir, certains utilisent des formats simples, comme ce questions/réponses du New York Times sur les sciences du climat. La vidéo et le motion design permettent aussi de créer des formats dynamiques, comme celui du Monde ci-dessous. 

On le sait, une image vaut mille mots. Les représentations visuelles sont donc aussi particulièrement valorisées pour illustrer des concepts complexes, plus difficiles à vulgariser via le texte. C’est par exemple le cas de Grist qui synthétise le concept de “point de non retour” dans un reportage mêlant photos et graphiques. Ici, The Guardian illustre le concept de “densité énergétique” plus facilement compréhensible grâce aux illustrations et leurs couleurs. 

Faire en sorte que les lecteurs interagissent avec le format est aussi un ressort particulièrement utilisé pour faire preuve de pédagogie. Pour cela, le Washington Post propose un quiz sur les solutions face au changement climatique. À travers une expérience encore plus complète, le Financial Times a développé le Climate Game, un véritable jeu où il faut limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C en réduisant les émissions de dioxyde de carbone liées à l'énergie à zéro d'ici à 2050.

Certains phénomènes, invisibles à l'œil nu, sont aussi difficilement caractérisables pour les citoyens. Les formats visuels sont donc une opportunité supplémentaire pour pouvoir traduire des impacts à venir, ou d’autres déjà bien présents… C’est le cas de Franceinfo qui a publié un long format sur la montée des eaux en illustrant via une simulation immersive l’impact du débordement. 

Pour couvrir la thématique des inégalités à la pollution de l’air, le New York Times a développé un reportage comparant les niveaux d’exposition à la pollution de deux enfants vivant tous deux à New Delhi. Le tout en nous exposant parallèlement leur quotidien grâce à l’utilisation du split screen

Stimuler l’ouïe est aussi un moyen de donner à entendre le changement climatique, comme avec cette expédition du Guardian qui mêle image et extraits sonores, nous permettant d'entendre les bruits des glaciers qui fondent.

Finalement, le rôle des médias est aussi de confronter les décideurs en exposant leur responsabilité ou leur manque d’actions face aux défis climatiques. Grâce à de nouveaux formats, les médias peuvent alors plus facilement inciter les décideurs à rendre des comptes. C’est par exemple le cas de Bloomberg Green qui multiplie les enquêtes, comme celle-ci sur les industriels chinois. La newsletter française Climax dénonce elle, les formes de greenwashing en tout genre. Chez Grist, on déconstruit visuellement les mesures anti-environnementales de Trump. 

D’autres formats innovants sont à retrouver sur le blog de Maxime Loisel, Hypernews 

Le changement climatique est une thématique comme peu d’autres, avec son lot de paradoxes : elle fait face à des citoyens critiques, en constante demande de plus d’information pour mieux comprendre et mieux agir, tout en écartant une approche frontale des enjeux, cause d’éco-anxiété. Pour traiter plus et mieux la thématique climatique, les rédactions doivent alors s’appuyer sur de nouvelles méthodes narratives afin d’empêcher toute forme d’évitement de la part des audiences. Les formats, plus engageants et pédagogiques, permettent aussi de diversifier les contenus et de s’assurer une plus grande couverture, à une époque où il demeure complexe de concurrencer l’information sensationnelle et court-termiste. Ce journalisme de solution permet alors d’outiller aux mieux les publics en représentant et projetant les conséquences du réchauffement climatique, les guidant donc vers le “mieux comprendre” et le “mieux agir”.