Et si l’insuffisance des médias à traiter le réchauffement climatique était un problème en amont, bien avant la diffusion ? Le secteur lui-même critique sa capacité à créer de l’information de qualité, accessible et qui touche l’audience sur les questions écologiques. De nombreuses difficultés viennent du rapport même des journalistes avec cette thématique. Sa complexité scientifique et le manque de ressources des médias n’aident pas le sujet anxiogène à être correctement traité dans les rédactions. Pourtant, c’est bien la responsabilité de la profession d’informer comme il se doit sur la menace la plus importante à laquelle l’humanité ait été confrontée.
Isya Okoué Métogo et Louise Faudeux, MediaLab de l’Information
Traiter le changement climatique : entre vouloir et pouvoir
Les citoyens ne sont pas les seuls à penser que la couverture médiatique du changement climatique est insuffisante. Les principaux accusés, médias et journalistes, rejoignent le constat d’un problème dans le traitement des informations relatives au climat. Le Digital News Report du Reuters montre ainsi qu’un tiers des éditeurs juge que le traitement médiatique du changement climatique est insuffisant.
Ou est alors le problème, si la volonté est là et le constat le même des deux côtés ? Sous le désir collectif de mieux faire se cachent plusieurs éléments. La complexité scientifique du thème, son caractère anxiogène et le contexte global alarmiste, entre inflation et guerres, en font un sujet compliqué à traiter dans l’espace médiatique. La circulation d’information, de plus en plus rapide, rend la couverture de notre époque difficile. Le traitement du réchauffement climatique, qui s’inscrit dans un temps long, devient un réel challenge pour les médias. Et les résultats sont parfois mitigés : l’urgence et l’ampleur du phénomène sont difficiles à retranscrire. Des obstacles majeurs ont été identifiés par le rapport du Reuters, et touchent autant le public, qui est rebuté par les perspectives déprimantes du sujet, que les journalistes. Ces derniers font face à un manque de ressources notamment financières et humaines pour engager des journalistes spécialisés. On peut aussi ajouter le manque de formation des journalistes sur le sujet, traité à part malgré sa transversalité dans tous les aspects de la société. Le sujet, très complexe d’un point de vue scientifique, est alors méconnu des médias, qui se retrouvent démunis pour le traiter.
Informer ou militer ?
Traiter du changement climatique réanime le vieux débat du rôle des journalistes et de leur implication dans les sujets abordés. Longtemps perçue comme une thématique engagée, le climat s’inscrit dans un écosystème médiatique diversifié avec différentes approches sur la question. Des médias spécialisés sur la thématique climatique comme Vert ou Climax, aux médias généralistes, les opinions sont assumées de manière plus ou moins marquée. Pour les médias à prétention impartiale comme ceux du service public, le sujet environnemental devient facilement sujet à controverse. L’action climatique étant devenue un sujet de clivage politique, il est donc d’autant plus complexe de traiter de ses causes, conséquences et pistes de solution.
Pour Maxime Loisel, chef de projet innovation éditoriale à Franceinfo, la mission journalistique ne s’arrête pas à la simple énumération des faits sans analyse et mise en contexte. La valeur ajoutée du journalisme, d’autant plus dans un contexte d’abondance de l’information, est de tenter de mettre en perspective et de vulgariser des faits afin d’éclairer les citoyens. Traiter du changement climatique ne pourra donc jamais être consensuel et convaincre tout le monde mais se doit d’assumer une certaine forme d’engagement en synthétisant ce qui est scientifiquement admis. Une position aussi défendue par Aude Massiot, journaliste pour Libération :
Un sujet unique, des audiences multiples
Synthétiser, vulgariser, éclairer sur le sujet : comment faire lorsque l’on est face à une audience diversifiée, plus ou moins sensible au sujet ? C’est un des défis supplémentaires des médias dans le traitement du réchauffement climatique. Selon Maxime Loisel, traiter du réchauffement climatique force les rédactions à challenger leurs idées et à se mettre dans la peau de gens qui ne pensent pas comme des journalistes. Pour lui, il est important de développer des formats accessibles et pédagogiques sans avoir l’air de donner des leçons. Il apparaît en effet nécessaire de trouver un équilibre entre la responsabilité et l’impact individuel et collectif. Chacun son poids, et son impact. Julien Lecomte, sur son blog Philomedia, insiste sur l’inégalité de la responsabilité de chaque acteur de la société dans le réchauffement climatique. Certains polluent bien plus que les autres et les médias devraient, selon lui, souligner ces disparités. Ce rééquilibrage est une première étape pour amener les plus sceptiques à s’intéresser au réchauffement climatique.
Le rééquilibrage se fait aussi en termes d’échelle : pour adapter le sujet aux préoccupations des gens et le couvrir de manière complète, il est important d’articuler l’aspect global et l’aspect local du phénomène. Toutes les strates intermédiaires, du local à l’international, doivent être traitées pour éveiller l’attention. L’objectif est de montrer qu’un même phénomène peut avoir des effets différents selon les zones géographiques, mais qu’elles vont toutes être impactées, directement ou indirectement. Couvrir le réchauffement climatique de plusieurs façons permet aussi de couvrir les solutions. La stratégie, pour Maxime Loisel, est de parler des solutions politiques et individuelles, appuyées par les propositions scientifiques.
L’expertise climatique doit s’imposer dans les salles de presse
Afin de proposer un journalisme de solution, mais aussi dresser un portrait juste des causes et conséquences du changement climatique, les rédactions doivent faire appel à des experts pour les aider à traiter du sujet. D’autant plus que 48% des Français attendent des médias et des journalistes une expertise de chercheurs et spécialistes pour traiter de la question climatique. Dans le rapport de prédictions 2022 du Reuters, Vincent Giret, directeur de l’information à Radio France, déplore la formation des journalistes sur le sujet. Ce dernier estime qu’il y a une "faiblesse fondamentale de la culture et de la formation scientifiques de nos salles de rédaction et que notre façon de sélectionner et d'embaucher les jeunes journalistes est trop axée sur les formations classiques et littéraires". Il faudrait donc renforcer les relations entre les salles de presse et les institutions académiques pour aider à construire une meilleure compréhension et de meilleures techniques d’enseignement du changement climatique.
Pour certaines investigations ou formats, il est nécessaire de travailler directement avec des experts du climat et de l’environnement. Pour Jane Barrett, rédactrice en chef de Reuters Global News, les journalistes ou reporters généralistes traitent les enjeux comme un sujet d’actualité générique “sans vraiment comprendre la science et la manière dont elle s'inscrit dans un contexte plus large”. Il est donc recommandé aux rédactions de faire appel à des entités externes tel que des chercheurs, des laboratoires ou des associations en les impliquant à différents niveaux pour vérifier la manière dont les faits s'inscrivent dans une logique globale. C’est par exemple le cas de France Info, qui dans le contexte de l’élection présidentielle, s’est associé avec The Shift Project, une association spécialisée dans l’atténuation de la dépendance aux énergies fossiles, pour développer un format sur les mesures écologiques des candidats. Le format et son interface sont pensés par France Info, qui s’appuie sur les données et la méthodologie d’une association d’experts.
Pour d'autres, l’expertise climatique doit directement intégrer les salles de presse. Natalia Viana Rodrigues, directrice de l'Agência Pública au Brésil, dit qu’il faut “cesser d'hésiter à dire qu'il s'agit du plus grand défi des dix prochaines années et commencer à couvrir le changement climatique dans tous les domaines, de l'économie à la politique et à la société". Ainsi, des experts, rédacteurs en chef ou journalistes, pourraient agir à titre de consultant interne afin de veiller à la véracité du contenu pour aiguiller l’ensemble de la rédaction, mais aussi au volume d’information en lien avec le changement climatique traité par le média.
La meilleure manière d’améliorer la quantité et la qualité de la couverture médiatique du réchauffement climatique se trouve au cœur des rédactions : il s’agit de mieux préparer et accompagner les médias dans le traitement de l’information. En plus de ressources économiques et humaines, un travail collaboratif entre scientifiques, journalistes, associations et chercheurs dans le traitement du sujet semble être une des solutions à envisager. L'importance et le caractère transverse du changement climatique gagneraient à se refléter dans la manière même dont on pense le journalisme aujourd’hui.