Information : Le paradoxe de confiance entre plateformes et médias, et comment le résoudre

Du Nord au Sud de la planète et depuis plusieurs décennies, l’information par les médias traditionnels est mise à l’épreuve des plateformes, leur accessibilité, leur contenu prolifique et leurs utilisateurs toujours plus nombreux. Le rapport des citoyens avec l’information en général s’est transformé et s’est dégradé : la confiance du public dans les médias d’information ne cesse de diminuer inexorablement alors que l’accès à l’information n’a jamais été aussi facile. Le Reuters Institute s’est interrogé sur le rôle des médias sociaux, des moteurs de recherche et des applications dans l’érosion de la relation entre les médias d’information et leur public. 

Par Isya Okoué Métogo, MediaLab de l'Information

Leur dernière étude, analyse l’écart de confiance entre l’information sur les plateformes digitales et l’information en général. Elle interroge près de 2 000 répondants, au Brésil, en Inde, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis sur leur rapport à l’information sur Facebook, Google, WhatsApp et YouTube. Or, alors que la façon dont les gens perçoivent l’information varie selon les pays, les plateformes, le type d’information ou même le public, un paradoxe persiste partout : un sentiment positif envers les plateformes mais une défiance de l’information présentées sur celles-ci, et à l’inverse un sentiment assez négatif envers les médias d’information mais une plus grande confiance dans leurs informations. 

Question de perception : confiance dans l’information des médias traditionnels versus plateformes 

Le public accorde systématiquement plus de confiance dans les médias d’information que dans les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les applications de messagerie. C’est en Inde que le niveau de confiance global est le plus élevé, tandis que le Brésil semble de nature plus sceptique, notamment ces dernières années avec l’influence des bolsonaristes sur les médias nationaux. Le Digital News Report 2022 avait déjà souligné la baisse de confiance envers l’information de la population du géant latinoaméricain, et là encore ⅓ des répondants indiquent ne pas faire confiance à l’information dans les médias de leurs pays. 

A l’unanimité, Google est la plateforme en laquelle le public a le plus confiance , et dépasse à chaque fois les 50%. Pourtant, même si cette confiance est importante, on remarque un écart constant entre la confiance accordée aux informations sur les plateformes et la confiance accordée à l’information en général : les plateformes sont perdantes au détriment des médias d’information. C’est particulièrement le cas pour Tiktok, parce que le réseau social est vu comme une source inépuisable de divertissement avec peu de modération.

 

La confiance portée en une plateforme dépend naturellement de la façon dont on utilise la plateforme. Ainsi, les niveaux de confiance les plus bas envers les plateformes versus les médias traditionnels  sont observés chez les personnes qui ne les utilisent pas du tout: leur jugement est alors plus fondé sur l’idée qu’ils ont de l’information sur les plateformes que sur une réelle expérience. La confiance envers WhatsApp par les répondants états-uniens illustre cette problématique : seulement 13% des non-utilisateurs de l’application ont un avis positif sur la plateforme, alors que ⅕ des États-Uniens ont utilisés la plateforme dans une fenêtre de 30 jours. 

La même logique se retrouve pour l’information en général : les répondants apportant une niveau de confiance plus bas à l’information en général  sont ceux qui la consomment le moins. Sans surprise, les niveaux de confiance les plus hauts se retrouvent chez un public jeune, ayant réalisé des études supérieures et s'intéressant aux questions politiques. Ce public qui accorde plus de confiance en l’information en général est aussi celui qui a le plus accès à l’information. 

Pourquoi les personnes interrogées ont-elles un sentiment positif envers les plateformes si elles n’ont pas confiance en l’information qu’elles y trouvent ? Tout simplement parce que l’information n’est pas la raison principale pour laquelle ces personnes utilisent les plateformes. Les usages principaux restent la connexion à d’autres personnes et le divertissement, et pour ces usages l’expérience proposée est positive. On retrouve la logique d’accorder un sentiment positif à ce que l’on utilise le plus : les réseaux sociaux. 

Selon les résultats de l’étude du Reuters Centre, les critiques contre les journalistes proviennent principalement des discours entendus sur les réseaux sociaux, des politiciens, mais aussi des conversations quotidiennes. Les critiques contre les journalistes touchent majoritairement à l’influence qu’ils peuvent avoir sur l’opinion publique : on leur reproche de manipuler leurs auditeurs ou leurs lecteurs au service d’un agenda politique, ou pour rechercher l’attention. C’est particulièrement le cas en Inde, où 53% des répondants pensent que les journalistes ne sont qu’à la recherche du profit. Pourtant, sur les réseaux sociaux, les journalistes sont à la merci des marqueurs d’influence des plateformes, dans un contexte hostile où ils ont peu de maîtrise sur leur environnement.

L’impact des réseaux sociaux sur l’image que l’on a des médias d’information montre un déséquilibre des forces entre ces médias et les plateformes. Alors que les réseaux sociaux élargissent la portée de l’information pour les rédactions, ils obligent aussi les médias d’information à céder le contrôle de la distribution et de la visibilité de leur contenu à des sociétés extérieures, notamment pour atteindre des segments du public qui ne se dirigent plus directement vers eux. L’écart de confiance mis en avant dans le rapport du Reuters reflète un lien direct entre la perception du public sur l’utilité des plateformes, le type d’information accessible et  la façon dont sont pensés les médias d’information. Le défi majeur de ces derniers est alors de (ré)tablir et de maintenir la confiance du public, avec la manière dont leur journalisme est perçu mais surtout avec la part d’audience qu’il atteint.

Le goût de l’information : rétablir et maintenir l’exposition et la confiance du public 

Face à des réseaux sociaux dont l’information n’est pas la priorité et qui s’éloignent d’un contenu informationnel au profit du divertissement, les médias doivent trouver un moyen de regagner la confiance et l’attention de leur public. Le tournant de Facebook vers le divertissement par la promotion du contenu UGC (User Generated Content) et par la suppression de Facebook News traduit ce glissement des plateformes. Le défi de l’érosion de la confiance est surtout dû au fait de rester visible et pertinent dans ces espaces numériques dans un contexte d'hostilité croissante envers l’information. Des enjeux qui questionnent la profession journalistique, le caractère et la qualité du contenu. 

Pour regagner la confiance du public, il apparaît nécessaire de cultiver la familiarité du public avec les marques médias. Pour Frédéric Petronio, du groupe Nord Littoral, il est important de réduire la fracture entre les médias et les citoyens : les journalistes doivent sortir des rédactions, aller au contact des publics et créer de véritables relations humaines. Une des pistes de réflexion est de développer le journaliste-individu, comme c’est le cas de Rémy Buisine pour le média Brut. En incarnant le média et en étant vu exercer sa profession, il est plus fréquent d’être accueilli avec bienveillance sur le terrain (même si le contraire peut aussi être le cas). Cette approche permet aussi d’avoir une démarche active et de développer un journalisme d’impact et de solution. 

Courir un peu moins après l’actualité et embrasser la créativité et la diversité de formats et de contenus qu'apportent les réseaux sociaux semble un bon moyen pour rétablir la confiance et l’attention du public. Avec un retour à des formats plus longs comme les reportages ou les investigations, on peut se différencier dans la masse d’information en ligne et proposer au public une réflexion et un éclairage sur des sujets qui les touchent. C’est notamment le cas du numéro de Complément d’Enquête de France 2 sur les influenceurs. L’émission a été le replay le plus visionné de l’histoire de la plateforme france.tv, en dépassant les chiffres du linéaire et en touchant un public beaucoup plus jeune que d’habitude. Un contenu qui fonctionne disponible en ligne permet aussi de générer des interactions sur les réseaux sociaux et de mettre en avant l’information créée par les médias dans la culture du public : memes, tweets, vidéos et références cultes font autant vivre un contenu et un média qu’encourager à la consommation de ce dernier. 

Pour regagner la confiance de son lectorat, le New York Times a proposé de montrer les coulisses de ses enquêtes difficiles. Une initiative qui permet de lutter contre l’image négative du journalisme. Lorsque les journalistes sont perçus comme servant des intérêts politiques ou motivés par l’influence, la déontologie journalistique de base est sentie comme absente ou rarement respectée. Montrer l’envers du décor comme le fait le New York Times met en avant les mécaniques en œuvre lors d’une enquête. 

Mais cela souligne aussi les actions défensives que doivent mettre en place les médias. Là encore, plusieurs études montrent que c’est surtout le contenu numérique qui est critiqué par le public. En 2021, le Conseil de déontologie journalistique a été particulièrement mobilisé dans le cadre de la pandémie de la Covid-19. Près de la moitié des plaintes (49%) visaient du contenu en ligne, notamment diffusé sur les plateformes. Quand il s’agit du contenu en ligne, les médias traditionnels ne sont plus les seuls critiqués : pure players, médias spécialisés et médias émergents sont aussi visés. 

Interroger les pratiques journalistiques ne peut pas se faire uniquement au sein des rédactions. Là encore, le public doit être impliqué dans le débat et doit être éclairé. Le journal Le Monde par exemple, avait mis en place un rendez-vous mensuel en live pour répondre aux questions de ses lecteurs sur l’organisation du journal, sa gouvernance ou encore sa ligne éditoriale. De nombreux journaux développent aussi des espaces de blogs alimentés d’articles de leur communauté. D’autres se permettent d’autocritiquer la profession, comme le faisait Libération dans un article qui invite 25 professionnels de l’information à s’interroger sur leur pratique du métier. 

La transformation numérique de l’information est semée d’embûches : d’un côté, les rédactions ont besoin des plateformes pour augmenter la portée de leurs contenus ; de l’autre côté, le fait d’exposer l’information dans ces environnements non maîtrisés est vecteur de critique et d’une baisse générale de la confiance en l’information. Embrasser pleinement les possibilités de formats sur les réseaux sociaux tout en renforçant la créativité de contenus sur les plateformes propriétaires des médias, expliquer le métier de journaliste en montrant les coulisses, incarner l'information, semblent autant de solutions qui pourraiten aider à résoudre le paradoxe de confiance des publics entre plateformes et médias traditionnels, et de rendre accessible une information de confiance au plus grand nombre. 

* étude réalisée dans le cadre du projet Trust in News dans 4 pays (Brésil Inde Royaume-Unis et Etats-Unis), en collaboration avec l’Ipsos à base d’entretiens sur un échantillon de 2 000 personnes.