Baromètre de confiance Edelman : 2024, l’année du « péril de l’innovation » ?

Alors que près de la moitié de la population mondiale s’apprête à élire de nouveaux dirigeants en 2024, le Baromètre de confiance Edelman 2024 révèle un paradoxe. L'innovation rapide, qui promet une nouvelle ère de prospérité, pourrait en réalité exacerber les problèmes de confiance.

Par Aude Nevo, du MediaLab de l'Information de France Télévisions.

A commencer par l’intelligence artificielle : 100 millions de personnes ont créé un compte ChatGPT dans les deux premiers mois qui ont suivi son lancement ; mais les grèves très médiatisées des scénaristes et acteurs à Hollywood n’ont fait qu’accentuer la peur de remplacement par l'IA. Avec 32 000 répondants venant de 28 pays différents, cette étude met en lumière les forces contradictoires entre innovation, confiance, et politique, avec un regard particulièrement axé sur l’intelligence artificielle, les énergies vertes, les OGM, et la médecine génomique. Devenue facteur de polarisation, l’innovation inquiète. Comment rétablir la confiance ?


Page 2 du rapport.

Le rejet de l’innovation, quel profil type ?

Les personnes interrogées, dans une proportion de près de deux pour un, estiment que l'innovation est mal gérée. Selon le rapport : « cela est vrai pour tous les groupes d'âge, tous les niveaux de revenus et tous les sexes, et dans les pays développés comme dans les pays en développement. Les innovations sont également devenues politisées, en particulier dans les démocraties occidentales où les personnes de droite sont beaucoup plus susceptibles de les rejeter que celles de gauche ». Les différences les plus importantes entre les personnes de droite et de gauche se trouvent aux États-Unis (41 points), en Australie (23 points), en Allemagne (20 points) et au Canada (18 points).

Toutefois en ce qui concerne l'intelligence artificielle, le rejet est similaire entre la droite et la gauche, avec une différence de seulement deux points en France (58 % à gauche contre 56 % à droite). L'Argentine est le seul pays parmi les 21 étudiés où la droite est significativement moins méfiante que la gauche à l’égard de l'IA, avec une différence de 17 points.


Page 55 du rapport. "La peur de l'innovation devient politique", "Pourcentage à rejeter chaque innovation".

Les pays du G7 ne font pas confiance à l’innovation

Le Royaume-Uni (39) figure parmi les pays les moins confiants selon l'indice de confiance envers les ONG, entreprises, gouvernements et médias. Aucun des autres pays du G7 ne l'est : Canada (53) ; Italie (50) ; France (47) ; États-Unis (46) ; Allemagne (45) ; Japon (39). La Chine est quant à elle le pays avec le niveau de confiance le plus élevé (79), suivie de l’Inde (76), et des Emirats arabes unis (74).


Page 6 du rapport.

Déclin du discours d’autorité

Les scientifiques sont considérés comme aussi fiables que les pairs - c’est-à-dire « les personnes comme moi » - avec un indice de confiance de 74. Là où la désinformation sur les réseaux sociaux ne cesse de s'aggraver et les discours complotistes se multiplient, ces chiffres alarment. Selon le scientifique David Chavalarias lors de l’édition 2023 de Médias en Seine, la pandémie « a créé un terrain très favorable à la remise en cause du système ». L’Idée que les journalistes et les dirigeants nous trompent est quant à elle plus forte. Ils figurent en bas du classement avec respectivement 47 et 45 points.


Page 10 du rapport.

Selon les critères de sûreté, compréhension du public, bénéfice, et accessibilité, les entreprises sont considérées comme les acteurs les plus fiables pour intégrer les innovations dans la société, (59 pts). Là encore les médias arrivent en queue de peloton (48pts).

La confiance dans les secteurs industriels ne garantit pas la confiance dans les innovations

Le rapport révèle des écarts considérables entre la confiance dans les entreprises qui composent les secteurs industriels et les innovations industrielles, notamment un écart de 26 points entre la confiance dans les entreprises du secteur technologique (76 %) et la confiance dans l'IA (50 %).


Page 13 du rapport.

La science, soumise à des pressions politiques selon les personnes interrogées

« Nombreux sont ceux qui pensent que la science est en train de perdre son indépendance : au profit du gouvernement, des bailleurs de fonds et du processus politique » souligne l’étude. Aux États-Unis, deux tiers des personnes interrogées pensent que la science est devenue politisée (67 %) et en Chine, trois quarts des personnes interrogées disent que le gouvernement et les organisations qui financent la recherche ont trop d'influence sur les scientifiques (75 %). « Lorsque les gens estiment que l'innovation est mal gérée, ils sont plus enclins à dire que le système est biaisé en faveur des riches que ceux qui estiment que l'innovation est bien gérée » (82 % contre 53 %).


Page 17 du rapport.

« Dans le contexte de la plus grande année électorale mondiale de l'histoire, avec plus de 50 élections prévues […] Les inquiétudes concernant l'impact de l'innovation et de ceux qui la conduisent ont conduit à une plus grande méfiance à l'égard des systèmes économiques et politiques » a déclaré Kirsty Graham, présidente de Global Practices and Sectors chez Edelman.

L’IA notamment, constitue un enjeu majeur de désinformation à l’heure des élections, avec une inquiétude liée à la manipulation des images et de l’opinion publique. Il s’agit d’un constat déjà souligné fin 2023 par le New York Times à propos des élections en Argentine : « L'intelligence artificielle a manipulé les propos de certains candidats, les faisant prononcer des paroles qu'ils n'avaient jamais dites et les intégrant dans des films et des mèmes populaires ». A l’ère des deepfakes, distinguer le réel devient toujours plus ardu. Ce mois de janvier, un faux appel téléphonique de Joe Biden généré grâce à l’intelligence artificielle a demandé aux démocrates du New Hampshire de ne pas voter à la primaire.                                      

Quelles actions pour restaurer la confiance ?

L’étude propose 4 axes pour restaurer la confiance en matière d’innovation :

  • Il est nécessaire d’accorder autant d’importance à la mise en place de l’innovation qu’à son invention. Expliquer la science, les conséquences des innovations, et faire preuve de pédagogie sont les mots d’ordre, qu’il s’agisse des vaccins, de l’IA, ou de l’énergie verte.
  • Les entreprises doivent s’associer au changement : C’est aux entreprises que l’on fait le plus confiance pour introduire l'innovation dans la société. Les PDG doivent préserver les emplois et prendre position sur les nouvelles questions éthiques. En effet au cours de la dernière décennie, le baromètre de confiance a enregistré une augmentation de 15 points (de 45 % à 60 %) du nombre de personnes déclarant que si les entreprises s'associaient aux pouvoirs publics, elles leur feraient davantage confiance pour ce qui est des changements induits par la technologie. Environ huit employés sur dix estiment qu'il est important que leur PDG s'exprime publiquement sur les compétences professionnelles de demain (82 %), l'utilisation éthique de la technologie (79 %) et l'impact de l'automatisation sur l'emploi (78 %).
  • Les scientifiques doivent favoriser le dialogue pour garder leur crédit. A l’affirmation « les scientifiques ne savent pas comment communiquer avec quelqu’un comme moi », 45% des répondants ont répondu oui.
  • Les dirigeants et scientifiques doivent être à l’écoute des questions et des préoccupations des individus car ils sont plus enclins à accepter l’innovation s’ils ont l’impression d’avoir le contrôle sur leur futur.


Page 30 du rapport. "Dans toutes les institutions, l'écoute est l'une des trois principales actions de renforcement de la confiance".

Conclusion

« L'innovation s'accélère et devrait être un facteur de croissance, mais elle sera freinée si les entreprises n'accordent pas autant d'attention à l'acceptation qu'à la recherche et au développement », a déclaré Richard Edelman, PDG d'Edelman. « Le fossé entre les classes sociales, l'énorme déséquilibre de confiance entre les entreprises et les gouvernements et l'infodémie ont été les moteurs du déclin de la confiance et de la montée de la polarisation. La peur de l'innovation est devenue la quatrième bûche sur le feu du populisme ».

Aux dirigeants, scientifiques, entreprises, et médias, d’établir le dialogue pour ne pas attiser les flammes donc.