Liens vagabonds : Génération connectée, génération en quête de déconnexion

Ils sont nés avec Internet dans la poche, et pourtant… 47 % des jeunes de 16 à 21 ans déclarent qu’ils préféreraient “être jeune dans un monde sans Internet”. Une aspiration choc, qui soulève une question essentielle : que signifie “être jeune sans Internet” pour une génération qui n’a jamais vécu déconnectée ? S’agit-il de vivre une adolescence sans réseaux sociaux ? De ne pas avoir accès à Internet pendant l’enfance ? Ou simplement de pouvoir devenir adulte avec une présence modérée et maîtrisée du numérique ?
L’étude publiée par la British Standards Institution (BSI), ne pointe pas tant la technologie en elle-même que l’usage qui en découle : des algorithmes pensés pour capter l’attention, des réseaux sociaux qui standardisent les comportements et fragilisent l’estime de soi, à un âge déjà traversé par le doute et la construction de soi. « Que près de la moitié des jeunes préfèrent grandir sans Internet doit être un signal d’alarme pour nous tous », insiste Daisy Greenwell, cofondatrice du mouvement Smart Phone Free Childhood. Ce qui frappe est que ce rejet croissant du numérique ne vient pas d’adultes nostalgiques, mais bien des jeunes eux-mêmes, conscients d’avoir été plongés dès l’enfance dans une économie de l’attention qui les piège. 68 % déclarent se sentir moins bien après un moment passé en ligne. Et 27 % souhaiteraient que les réseaux sociaux n’existent pas !
Des ados en résistance
Aux États-Unis, des initiatives émergent pour reprendre le contrôle : des clubs sans téléphone, comme le Luddite Club, rassemblent d’anciens « screenagers » lycéens décidés à vivre sans “mini-ordinateurs” en permanence dans la poche. « On détestait nos smartphones, et tout ce qui va avec : l’utilisation incessante des réseaux sociaux, le défilement sans fin, les snaps, les selfies… Aucun de nous ne voulait être un “ado à écran”, mais il était difficile de s’en détacher », explique la fondatrice du club. En renonçant à son smartphone, elle fait un constat saisissant : « Peu importe le sujet, mes pensées sont devenues plus claires, plus détaillées. Sans les interruptions constantes, j’ai retrouvé de l’espace pour penser, créer, lire… Je me concentrais mieux, et mes idées reprenaient forme. »
Dans le sillage de ce mouvement, on assiste au retour des téléphones à clapet, les fameux “dumb phones”, devenus symboles d’une vie volontairement simplifiée. Ce choix radical, baptisé “appstinence”, séduit une partie de la Gen Z, en quête de clarté mentale et de liberté attentionnelle. Mais cette prise de conscience ne peut reposer uniquement sur les épaules des adolescents. Comme le rappelle la chercheuse Anne Cordier : « Nous exigeons des enfants une maîtrise à laquelle nous ne parvenons pas nous-mêmes. »
Des solutions à portée de main
Selon l’étude, les jeunes demandent plus de limites, de règles claires, de protection. 50 % d’entre eux plébiscitent un couvre-feu numérique. Emmanuel Macron a récemment annoncé « une interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans au niveau européen », une mesure saluée comme une avancée majeure par Marie-Caroline Missir, directrice générale de Réseau Canopé : « C’est l’une des recommandations clés de la commission sur les écrans et les jeunes. » Mais les responsabilités ne s’arrêtent pas aux gouvernements.
Les géants du numérique doivent aussi rendre des comptes. Comme le souligne Business Insider : « Dans le monde des applis, l’addiction n’est pas un effet secondaire, c’est l’objectif. » Face aux critiques croissantes, TikTok tente d’amortir le choc en proposant… une séance de méditation quotidienne à 22h. Une initiative jugée largement cosmétique, alors que 42 % des jeunes avouent mentir à leurs parents sur leurs activités en ligne, et 27 % déclarent avoir déjà prétendu être quelqu’un d’autre.
Ce mouvement n’est pas un refus du progrès, mais une quête de reconnexion au réel. Comme le rappelle François Saltiel dans Sans contact, citant le philosophe sud-coréen Byung-Chul Han, la communication numérique, si efficace et confortable soit-elle, nous éloigne peu à peu du réel : « Du fait de l’efficacité et du confort de la communication numérique, nous évitons toujours davantage le contact direct avec des personnes réelles, voire le contact avec le réel lui-même. Le numérique a de plus en plus tendance à faire disparaître le vis-à-vis réel. ». Les jeunes (et moins jeunes) ne rejettent pas Internet mais appellent à retrouver une liberté d’attention, une vie où l’on peut exister sans être capté en permanence. Le vrai courage est là : résister à une norme, refuser le confort d’un monde numérique permanent. Pour ceux qui tiennent bon, “le plus dur est d’exister dans un monde de dépendants. C’est comme arrêter l’alcool en vivant dans un bar 24/7. On dirait Zombieland”.
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Warner Bros Discovery sort le grand jeu pour diffuser Roland-Garros (Les Echos)
- Prisma Media va négocier un plan de sauvegarde de l’emploi, 54 postes pourraient être supprimés (Le Figaro)
- Pédocriminalité sur Telegram : 55 hommes interpellés en France (Le Monde)
- Ouest-France mise sur la télévision pour diversifier ses sources de revenus (WAN-IFRA)
- Un nouveau fonds de dotation pour lutter contre la désinformation (Les Echos)
3 CHIFFRES
- L’Union européenne accorde 5,5 millions d’euros à Radio Free Europe après le gel des financements décidé par Trump, rapporte Reuters.
- Le plus grand centre de données d’OpenAI obtient un financement de 11,6 milliards de dollars, selon Wall Street Journal.
- Telegram engrange 540 millions de dollars de profit malgré les ennuis judiciaires de son fondateur, rapporte Financial Times.
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Rentabilité trimestrielle des activités directes aux consommateurs ou des services de streaming de chaque entreprise

Source : Wall Street Journal
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- R.F.K. Jr., Anthony Fauci et la révolte contre les experts (The New Yorker)
- Que font les gens toujours sur X ? (The Atlantic)
- Le vieil homme et l’iPhone (The New York Times)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- OpenAI s’associe à Jony Ive (le designer de l’iPhone) dans le cadre d’un accord à 6,5 milliards de dollars pour fonder « une famille » d’appareils dotés d’IA (NYT)

- Des usines à arnaques dopées à l’IA forcent des travailleurs exploités à escroquer des victimes dans le monde entier (Rest of World)
- Microsoft bloque les e-mails contenant le mot « Palestine » après des protestations d’employés (The Verge)
DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- Au moins deux journaux ont relayé des absurdités produites par l’IA (The Atlantic)
- PBS censure à son tour un film sur la liberté d’expression (The Atlantic)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- OpenAI remporte son procès contre un animateur radio après des accusations inventées par ChatGPT (Reuters)
- Les victimes de deepfakes explicites pourront désormais engager des poursuites contre leurs auteurs (CNN)
- La FTC enquête sur un groupe de surveillance des médias après ses appels au boycott de X, selon un document (The Guardian)
- La rédaction de Politico engage un bras de fer juridique avec sa direction au sujet de l’IA (Wired)
JOURNALISME
- Comment une liste de lecture d’été générée par une IA s’est retrouvée publiée dans de grands journaux (NPR)
Yep- the bogus summer reading list from the Chicago Sun Times is real. Here I am with it from a few minutes ago. (Support your local library!!)
— Tina Books (@tbretc.bsky.social) 20 mai 2025 à 17:01
[image or embed]
- Des éditeurs de presse qualifient le mode IA de Google de “vol” (The Verge)
- Le feuilleton autour du rachat du Telegraph s’achève avec la vente du journal britannique à un fonds d’investissement (The New York Times)
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Hollywood a enfin compris comment adapter les jeux vidéo. Dommage. (The New York Times Magazine)

Capture d’écran The New York Times Magazine
ENVIRONNEMENT
- L’IA est sur le point de révolutionner les prévisions météo : un nouvel outil suscite de grands espoirs (Washington Post)
- Le plan de Jeff Bezos pour identifier des solutions climatiques grâce à l’IA (Axios)
- L’IA dévore l’électricité des data centers — et la tendance ne fait que s’aggraver (Wired)
- L’IA pourrait nous maintenir dépendants du gaz naturel pour des décennies à venir (MIT)
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- L’application TED lance une fonctionnalité de vidéos courtes, en prévision d’une possible interdiction de TikTok (TechCrunch)
- Les utilisateurs de TikTok peuvent désormais enregistrer des morceaux directement sur SoundCloud (The Verge)
- Bluesky va commencer à vérifier les utilisateurs “notables” (TechCrunch)
STREAMING, OTT, SVOD
- Moins de séries originales sur les plateformes depuis la fin de l’âge d’or de la télévision (Advanced Television)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- La vidéo transforme les podcasts en un produit premium pour les annonceurs (Digiday)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Microsoft va proposer les modèles xAI d’Elon Musk à ses clients cloud (Financial Times)
- L’IA va-t-elle renforcer le secteur des relations publiques ou inonder le monde de spams (Wall Street Journal)
- Google lance un nouvel outil pour détecter les contenus générés par l’IA (The Verge)
- Le nouvel outil vidéo de Google basé sur l’IA inonde Internet de clips plus vrais que nature (Axios)
I did more tests with Google's #Veo3. Imagine if AI characters became aware they were living in a simulation! pic.twitter.com/nhbrNQMtqv
— Hashem Al-Ghaili (@HashemGhaili) May 21, 2025
- Anthropic lance Claude 4, son modèle d’IA le plus puissant à ce jour (CNBC)
- Amazon lance des résumés audio courts générés par l’IA pour certains produits (TechCrunch)
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Meta va commencer à supprimer les publicités expirées de son archive des publicités politiques (Axios)
Par Kati Bremme, Océane Ansah et Alexandra Klinnik