IA dans les rédactions : Attention ! Digital is The New Print !

🤖 Les représentants de la presse américaine, venus à Copenhague cette semaine, l’ont tous répété : en matière d’IA dans les rédactions, les Scandinaves ont plusieurs années d’avance*.

De la puissance des changements aux peurs d’être à nouveau désintermédiés, des contenus liquides aux agents IA, en passant par l’hyper-personnalisation, voici ce que j’ai retenu de ce troisième Sommet Nordique de l’IA dans les Médias :

💣 « Digital/Online is The New Print!” Que changer dans les rédactions pour profiter au mieux de l’IA ? Tout !

L’IA va tout écraser sur son passage et remodeler les médias, estime le journal norvégien VG du groupe Schibsted. Après le numérique, et « alors qu’on n’a même pas encore résolu nos problèmes avec les réseaux sociaux, tout est à refaire !». « L’IA transforme tout ce que nous faisons et comment notre audience réagit » estime la télé publique suédoise SVT. « Par sa nature et sa vitesse, c’est une révolution à 360°», estime un responsable finlandais.

Pour la BBC, ce changement d’infrastructure constitue probablement la plus grande opportunité de se transformer, alors même que la première disruption numérique n’a pas été suffisamment prise au sérieux.

Les bouleversements dans l’organisation du travail ne devront pas être faits palier par palier, mais de manière radicale. Selon la BBC, il faudra aller plus vite et être plus courageux qu’avant. Et surtout tenter de résoudre les problèmes de l’avenir, pas ceux du passé.

En d’autres termes, ne surtout pas ajouter de l’IA à ce que nous faisons déjà, mais l’intégrer partout au cœur des process, et en faire l’outil de la métamorphose, estime VG. Et aller vite, sinon en quelques années c’est la faillite, prédit Gard Steiro, son redchef-pdg.

« Ceux qui tardent à s’adapter se retrouveront à se battre pour des miettes d’attention dans un écosystème transformé », résume l’expert canadien Florent Daudens de Hugging Face.

« Pour les journalistes, la fenêtre d’opportunité pour reprendre un peu de contrôle est étroite. C’est maintenant le bon moment, mais pour répondre aux besoins du public pour une information de confiance, il faudra repartir de zéro et une réinvention complète des formats avec les technologies d’aujourd’hui », estime Nikita Roy qui produit le podcast « Newsroom Robots ».

C’est maintenant le bon moment, mais pour répondre aux besoins du public pour une information de confiance, il faudra repartir de zéro et une réinvention complète des formats avec les technologies d’aujourd’hui.

Nikita Roy, Newsroom Robots

Une opportunité aussi pour réengager les gens dans l’actualité et toucher plus de monde, car l’IA, devenue matière première, est très bientôt à la portée de tous : des Big Tech comme des start-ups, mais aussi … du public.

Ezra Eeman

📰  Arrivée des agents IA : mort de l’article, de la pub digitale, des sites web et peut être d’Internet.

La multi-modalité de contenus d’infos devenus fluides, liquides, ultra-personnalisés, et traités par IA est telle que l’article risque de disparaître, tout comme la pub numérique associée, pour être remplacé par des agents qui vont faire le travail.

L’information quitte donc en ce moment l’article pour se transformer en de multiples formats, souvent combinés, qui sont en train de gagner la bataille de l’attention.

Ezra Eeman

Ces agents IA très autonomes, nouveaux formats déjà en activité, proposent au public un mix de raisonnements et d’actions en fonction d’un contexte et d’un objectif, explique l’expert britannique David Caswell. Agissant en notre nom, ils sont en mesure de chercher et de découvrir les infos pour les proposer eux-mêmes à un public avide d’expériences fluides. Et ils font de moins en moins d’erreurs.

Exemples d’agent IA :

  • Réponse à la question du matin : quelles sont les 5 grandes infos de la nuit ?
  • Sur cette info, donnez-moi la position des progressistes et des conservateurs
  • Etc…

Les gens vont arrêter de naviguer sur Internet, qui risque bien de disparaître, tout comme les sites web, avertit Florent Daudens. Ces agents, qui vont se parler entre eux, sont bien meilleurs et beaucoup plus rapides que les journalistes pour traiter, synthétiser l’info et accomplir des tâches.

A terme, ces agents pourraient bien devenir l’audience des médias, les journalistes devenir des éditeurs de contenus pour agents d’IA ou des redchefs d’agents.

 ✍️ A-t-on alors encore besoin des journalistes** ?

Il y a un an, tout le monde le martelait : il faudra toujours un humain (lire : un journaliste) dans la boucle des process éditoriaux d’IA. On entend désormais : « ils sont tellement ennuyeux, lents (…), ils ralentissent tout ».

Pourra-t-on s’en passer quand l’IA sera meilleure que les journalistes, fera moins d’erreurs qu’eux, sera plus claire, moins partiale, favorisera davantage l’esprit critique et permettra une personnalisation très fine avec empathie, interroge un éditeur allemand ? D’autant que les faits ne sont pas protégés par le droit d’auteur.

Si on insiste à vouloir coûte que coûte garder des humains dans la boucle, on risque de rater le train. Au pire, ne garder que des experts, estime Fabian Heckenberger de la Süddeutsche Zeitung.

« Il faut automatiser le journalisme de masse et renforcer le journalisme artisanal »… « Mais écrire ne sera bientôt plus une compétence clé du journalisme ».

Erja Tläjärvi, Helsingir Sanomat

« Il faut automatiser le journalisme de masse et renforcer le journalisme artisanal », estime Sanomat. « Mais écrire ne sera bientôt plus une compétence clé du journalisme ».

Mais attention, avertissent les éditeurs, curiosité, jugement éditorial et rapports humains, seront difficiles à remplacer. De même que l’enquête ou le goût et le talent pour raconter des histoires. Quid aussi de l’intuition des journalistes ? (le soi-disant « gut feeling »), s’interroge le norvégien Stavanger Aftenblat

Des pistes se dessinent : se concentrer sur ce que l’IA fait mal (contacts personnels, complexité internationale, reportage de terrain, authenticité humaine,…) ; écouter vraiment le public ; utiliser ses infos vérifiées comme données de base de systèmes d’IA.

👨‍💼 Les redchefs doivent vite se mettre à l’IA et les journalistes arrêter le « copy & paste » !

Autant ces dernières années, les rédacteurs-en-chef n’avaient pas besoin de se salir les mains en data-journalisme, autant cette fois, ils seront vite dépassés tant les changements sont rapides et profonds dans l’organisation du travail, les attentes du public et les potentialités de cette techno.

Nous entrons dans un nouveau système de l’information. « Personne ne peut y échapper (…) Si vous ne pensez pas à l’IA dans votre propre travail, puis dans le flux de travail, les systèmes et les processus de votre équipe, vous resterez à la traîne », assure Erja Tläjärvi, la redchef du journal finlandais Helsingir Sanomat.

De nouveaux formats devront être rapidement proposés pour ne pas laisser la main aux Big Tech qui réinventent la manière dont l’info est produite et consommée, et qui proposent de nouveaux compagnons pour le public. Avec nos contenus, mais pas forcément en ligne avec nos valeurs.

Sous leur action, l’expérience de consommation d’information est en train de radicalement changer. L’IA transforme déjà l’info en une conversation : nous ne faisons pas que lire, écouter ou regarder de l’info, nous pouvons lui parler et elle nous répond ! Et l’IA adaptera vite cette conversation à notre niveau de compréhension.

Les journalistes vont devoir élever leur niveau de jeu, remonter dans la chaîne de valeur. En évidemment abandonner le « copy & paste ». « Nous ne sommes plus pertinents. La prochaine génération de journalistes et d’utilisateurs vont se moquer de nous si nous ne changeons pas radicalement », estime le redchef de VG.

👩‍💼 Ecoutez les experts !

Or nous nous posons souvent les mauvaises questions, estime Nikita Roy :

Mais les Big tech se posent les bonnes :

🤔 Questions de fond :  

Comment donc repenser les fondamentaux du journalisme ? Sommes-nous en train de résoudre de vieux problèmes ?

Quels sont les besoins que nous essayons de satisfaire ? Quelle est la valeur et la fonction des journalistes dans la société ? Qu’attend vraiment d’eux le public ? De l’info ou des réponses ? Quels sont les problèmes qu’il souhaite que nous résolvions ? Pourquoi penser que nos audiences sont correctement informées aujourd’hui ? Protégeons-nous un journalisme de qualité ou des emplois ?

Que feriez-vous si vous disposiez gratuitement de 20.000 journalistes supplémentaires qui produiraient de l’audio et de la vidéo, et que tous vos concurrents faisaient pareil ? interroge un expert britannique.

Comment préparer nos rédactions à cette révolution tout en gardant nos valeurs ? Comment nous réorganiser ? Qui amener autour de la table ? Qui embaucher ?

🛠️ Quels nouveaux outils et usages ?

Ne pas se focaliser sur les tout derniers outils ; ils seront tous vite disponibles d’une manière ou d’une autre sur l’étagère. Mais chercher à résoudre les problèmes du public.

Exemples :

  • Proposer au lecteur ce qui est important depuis sa dernière visite (VG)
  • Transformer des articles en vidéos (VG)
  • Créer son propre LLM (Politiken, Danemark)
  • Outil d’aide aux journalistes pour chercher dans les documents institutionnels locaux (Stavanger Aftenblad, Norvège)
  • Détecteur de deep fakes (BBC)
  • Faire apparaître ses propres contenus quand l’utilisateur navigue sur d’autres sites (The Atlantic)
  • Sur chaque article, un bot répond à des questions contextuelles (Bonnier, Suède)
  • Proposer son propre moteur de réponses (Bild, Fortune, Washington Post, Wired, …)
  • Un bot de réponse sur l’info grâce au vaste bassin de données de l’UER (SVT, Suède)

Mais les Big Tech vont plus vite :

  • Latest news de Grok
  • Google Daily Listen : un podcast personnalisé quotidien de 5 mn
  • Application Bespoke de Google
  • Copilot qui peut créer un podcast sur n’importe quel contenu
  • Confluence AI
  • Chat GPT Deep Search et GPT Operator. 
  • Spotify Daylist
  • Particle.news, Regenai.ai, Grammarly, ElevenLabs, Manus AI,  …
  •  …

 💹 Au lieu de surveiller l’audience, intégrez-la !

Et personnalisez ! Donnez davantage au public de ce qu’il aime, plaide la BBC.

Impliquez tout le monde dans votre média. Favorisez les discussions dans vos organisations, travaillez sur des scénarios, soyez ouverts à l’incertitude et partagez !

💪 Ensemble plus forts pour protéger les affaires et la démocratie ? Pas sûr !

Les médias danois, qui avaient donné mandat à leur Association professionnelle de négocier collectivement pour eux avec les Big Tech, se sont fait envoyer promener. Le gouvernement avait même nommé un médiateur, rejeté par Open IA, qui assure ne pas entraîner ses machines au Danemark. Une action en justice se prépare.

👯 Faut-il alors s’associer aux Big Tech ?

Le groupe norvégien Schibsted espère apprendre de son deal non exclusif de deux ans avec OpenAI et avoir son mot à dire sur la manière dont ses contenus sont exposés sur ChatGPT.

L’agence américaine AP refuse pour l’instant de se prononcer sur ses accords de licence avec OpenAI et Gemini pour l’info en temps réel. En tous cas, ajoute-t-elle, ce ne sont pas des partenariats.

The Economist passera un accord seulement s’il sait comment ses contenus seront présentés.

La télé publique suédoise SVT produit déjà plus de la moitié de son animation par IA et n’estime pas utile de le dire à son audience.

Ezra Eeman

🎯 En résumé, avec l’IA, il faudra aller encore plus vite et plus au fond que lors de la précédente disruption.

ES

*Peu de diversité d’origine dans la salle, et très rare mention d’outils non-américains, comme le chinois Deepseek.
**« A-t-on encore besoin des journalistes ?» (PUF – 2011)

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