Liens vagabonds : Parler internet

En observant les mots ajoutés aux dictionnaires ou aux vocabulaires officiels au fil des années, une étiquette pourrait leur être apposée : Made in social media. Mélange de private jokes, de réappropriations et de références éclatées, ce langage viral s’impose peu à peu dans le quotidien – révélateur des façons dont les réseaux sociaux transforment la langue… et se laissent, à leur tour, transformer par elle.
Sur les réseaux sociaux, une croyance circule : on peut deviner le temps que quelqu’un passe en ligne à sa manière de parler. Impossible de résister à l’envie de glisser une ref dans une conversation. Certains appellent cela talking in brain rot, en référence au mot de l’année 2024 selon Oxford. Il s’agit d’un langage composé de mots fréquemment utilisés dans les sections de commentaires, ou de phrases entières construites à partir de références issues des réseaux sociaux. Ce qui commence comme une blague finit souvent par s’installer dans le langage courant.Par exemple, le terme delulu, raccourci ironique de delusional, est utilisé sur TikTok et Twitter pour désigner quelqu’un qui vit dans l’illusion. Ce néologisme, largement diffusé, est désormais couramment employé en anglais comme en français. Il illustre parfaitement la trajectoire d’un terme passé d’un usage confidentiel à une popularité massive, portée par les réseaux sociaux et capable de transcender les frontières des langues historiques. Un article du New York Times précise que les publications contenant le mot « delulu » ont été vues plus de 5 milliards de fois sur TikTok.
@heidsbecker Oooooo shes on another date? So many flops!
♬ original sound – Heidi Becker
@elysha.offspam 😂🤣
♬ Monkeyshine NO PERC-JP – Lt FitzGibbons Men
Des ouvrages comme Because Internet: Understanding the New Rules of Language de la linguiste Gretchen McCulloch, ou encore des publications académiques plus récentes, explorent ce glissement. Le dernier en date, Algospeak: How Social Media Is Transforming the Future of Language, signé par le linguiste diplômé de Harvard Adam Aleksic — plus connu sous le nom d’Etymology Nerd — aborde ce phénomène. Il s’est constitué une audience de près de trois millions de personnes en décortiquant la manière dont les réseaux sociaux transforment la langue.
Il relève que la majorité des “nouveaux mots” ne sont pas véritablement nouveaux, mais issus de communautés spécifiques, puis popularisés par internet. Aux États-Unis, une grande partie du social media slang provient de l’AAVE (African American Vernacular English). Or, en les popularisant, les réseaux sociaux déconnectent ces mots de leur origine. Ce qui appartenait à une communauté devient Made in internet ou Made in social media, et circule librement, hors contexte, à travers le monde.
Ce processus s’accompagne souvent d’un glissement sémantique : les mots changent de sens au fil de leurs réappropriations. Ce qui, dans un contexte d’origine, portait une charge identitaire ou culturelle forte devient un terme générique, vidé (ou rechargé) de nouveaux usages, parfois à des années-lumière de son sens initial.
Dans un épisode de podcast intitulé How Gen Z and TikTok are changing the way we speak, produit par la BBC, Neil Edgeller (BBC Learning English) parle de global homogenisation of slang. Des jeunes à l’autre bout du monde utilisent des expressions venues de cultures qu’ils n’auraient jamais croisées sans les réseaux sociaux. Une langue sans frontière, sans attribution, ni ancrage.
Comme l’écrivait Victor Hugo dans la Préface de Cromwell, « les langues sont comme la mer : elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre ». À l’ère des réseaux sociaux, ce mouvement est plus rapide, plus global, mais peut-être aussi plus oublieux de ses rivages d’origine.
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Les images pédocriminelles générées par IA circulent de plus en plus, et posent des difficultés inédites aux enquêteurs (Le Monde)
- Challenges mise sur l’IA pour valoriser sa licence du New York Times (La Lettre)
- Le couple présidentiel porte plainte pour diffamation contre l’influenceuse américaine Candace Owens (BBC)
- Deux filiales médias d’Infopro Digital sommées par la justice d’arrêter d’utiliser l’intelligence artificielle (Le Monde)
- CMI France et Prisma Media entrent en négociation exclusive pour la cession d’Ici Paris et France Dimanche (Stratégies)
- Gaza : le cri d’alarme de l’AFP sur le sort de plusieurs de ses collaborateurs (La Croix)
3 CHIFFRES
- 1 million de dollars : C’est le montant que le podcasteur Joe Budden affirme gagner par mois grâce à ses 70 000 abonnés sur Patreon, d’après le New York Times.
- Les utilisateurs ayant vu un résumé IA ont cliqué sur un lien de résultat de recherche traditionnel dans 8 % des visites, contre 15 % lorsque le résumé était absent, selon une étude de Pew Research.
- OpenAI a déclaré à Axios que les utilisateurs de ChatGPT dans le monde entier soumettent plus de 2,5 milliards de requêtes chaque jour.
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Les utilisateurs de Google sont moins enclins à cliquer sur un lien lorsqu’ils consultent des pages de recherche contenant des résumés générés par l’IA

Source : Pew Research Center
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- Combien les podcasteurs gagnent-ils vraiment ? Une star lève le voile (New York Times)
- Le gars de TikTok du Washington Post peut-il réussir sans le Post ? (New York Times)
LATEST BREAKER: The Washington Post’s “Third Newsroom” was one of CEO Will Lewis’ big initiatives when he first landed at the paper, but since launching it has been plagued with low morale, confusion over its purpose, and frequent staff departures — https://t.co/JuUTFa0qI7
— Lachlan Cartwright (@LachCartwright) July 11, 2025
- Reddit est l’une des dernières îles florissantes du vieux web. Peut-il survivre à l’intelligence artificielle ? (New York Post)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- La division du Washington Post en charge de la prospection de nouveaux publics ne sera plus sous la responsabilité de la rédaction mais d’une direction commerciale (Axios)
- Des milliers d’emplois à la BBC menacés alors que l’entreprise envisage une vaste externalisation (The Guardian)
- L’IA pourrait enfin guérir notre addiction à Internet (The Atlantic)
DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- Les théoriciens du complot ne se rendent pas compte qu’ils sont à la marge (ars technica)
- La BBC, l’AFP et d’autres médias alertent sur le risque de famine pour les journalistes à Gaza (The Guardian)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- Le régulateur appelle à une législation pour faciliter l’accès aux actualités centrées sur le Royaume-Uni sur les plateformes de partage de vidéos en ligne (The Guardian)
JOURNALISME
- Les résumés générés par l’IA entraînent une chute « dévastatrice » d’audience, alertent les médias en ligne (The Guardian)
- Le journalisme a besoin du financement public pour survivre (Columbia Journalism Review)
- Le Los Angeles Times annonce que le journal va être introduit en bourse d’ici à l’année prochain (Variety)
- Jeff Bezos réfléchirait à racheter la chaîne d’info CNBC (New York Post)
- Les diffuseurs de service public ont besoin d’un financement ‘stable’ pour l’information et d’une mise en avant sur YouTube, selon Ofcom. (PressGazette)
- La situation semble empirer pour le Washington Post (New York)

Source : Chartr
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Wired et The Verge misent sur la personnalisation (Nieman Lab) ; Les médias généralistes doivent-ils ressembler aux réseaux sociaux ?
- Les Américains sont obsédés par les courtes séries vidéo chinoises (Wired)
ENVIRONNEMENT
- Loi Duplomb : derrière l’explosion de la pétition, ces influenceurs qui ont allumé la mèche (Politico)

Capture d’écran Compte Instagram Bon Pote
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- Meta met à jour ses fonctionnalités de sécurité pour les adolescents. Plus de 600 000 comptes liés à des comportements prédateurs (CNBC)
- Instagram teste les ad breaks (The Verge)
- YouTube Shorts ajoute un outil d’IA de conversion d’image en vidéo, ainsi que de nouveaux effets basés sur l’IA (TechCrunch)
- Apple poursuit le leaker Jon Prosser pour vol de secrets liés à iOS (TechCrunch)
- Meta dévoile un bracelet pour contrôler les ordinateurs avec des gestes de la main (New York Times)
STREAMING, OTT, SVOD
- Netflix est à court de mondes à conquérir (Wall Street Journal)
- Netflix utilise des effets générés par l’IA pour la première fois afin de réduire les coûts (BBC)
- Les entrées totales pour les films d’animation sont revenues à leur niveau d’avant la pandémie, atteignant plus de 880 millions en 2024 (obs)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- Qui regarde tous ces podcasts ? (The New York Times)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Derrière le plan pour l’IA de Trump, l’ambition d’une contre-révolution réactionnaire (Télérama)
- Les « hallucinations » qui hantent l’IA : pourquoi les chatbots peinent à dire la vérité (Financial Times)
- Il avait des délires dangereux. ChatGPT a admis les avoir empirés (Wall Street Journal)
- The Atlantic et The Economist font partie des premiers partenaires pour les « feature notebooks» de Google (PressGazette)
- Comment un studio vidéo a adopté l’IA et conquis Internet (New York Times)
- Hollywood est en train d’être transformé par l’IA générative. Qu’est-ce que cela signifie pour les scénaristes ? (Los Angeles Times)
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Netflix insère 12 % de publicités en plus dans ses contenus originaux que dans ses titres sous licence (Ampere)

Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Océane Ansah