Liens vagabonds : Créateurs de contenu, YouTube fait campagne pour un statut officiel

YouTube, TikTok, Instagram… Les créateurs sont partout, mais leur statut reste flou. Malgré leur poids culturel et économique, ils peinent encore à être pris au sérieux, notamment par les institutions. Le magazine Time vient pourtant de marquer un tournant symbolique avec sa première liste TIME100 Creators. En célébrant des talents venus de 15 pays – dont la star Kai Cenat –, Time ne met pas seulement en lumière des personnalités : il consacre une profession.
Les créateurs ne sont plus des amateurs. « Ils changent ce que nous regardons, comment nous passons notre temps, ce que nous achetons et même comment nous votons« , résume le média. Une prise de position qui diffère de la distance habituelle des médias traditionnels. Car, au-delà des vues et des likes, l’économie des créateurs croît à un rythme vertigineux. Leurs revenus augmentent cinq fois plus vite que ceux des médias classiques. Rappelons qu’en parallèle, la diffusion des journaux imprimés par habitant a atteint son sommet il y a plus de 70 ans, aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les « déserts informationnels » s’étendent et les menaces s’accumulent : Donald Trump propose des coupes budgétaires fédérales pour les télévisions et radio locales (PBS et NPR).

Capture d’écran Time
YouTube, conscient de cette transformation, appelle à une reconnaissance officielle du métier. Une consultation menée au Royaume-Uni auprès de 10 000 créateurs montre l’ampleur du décalage : plus de la moitié ne se sentent ni entendus, ni soutenus, malgré leur impact – plus de deux milliards de livres injectées dans l’économie et 45 000 emplois soutenus. Des outsiders qui peuvent parfois gagner des revenus à sept ou huit chiffres. Plus de la moitié (56%) ont déclaré ne pas se sentir entendus dans l’élaboration des politiques gouvernementales qui affectent leur travail, tandis que près de la moitié (43%) estiment que leur valeur n’est pas reconnue par l’industrie créative au sens large. La réalité quotidienne de nombreux créateurs est pleine d’incohérences. Certains gagnent très bien mais rencontrent des difficultés à obtenir un prêt bancaire ou un simple crédit immobilier. D’autres, à l’instar d’un créateur anonyme, dénoncent un manque flagrant de soutien administratif et juridique : « Il y a une vraie différence de traitement entre une société de production traditionnelle et un créateur indépendant. »
Sophia Smith Galer, journaliste et créatrice à succès, estime que ce qui manque aux créateurs, ce n’est pas une école, mais une véritable infrastructure entrepreneuriale. Elle appelle à des conseils concrets, adaptés aux réalités du métier. Lire dans le rapport que le ministère du Commerce et de l’Industrie pourrait aider les créateurs via le futur Business Growth Service « fait totalement sens », dit-elle. Les créateurs ont par exemple besoin d’aide pour remplir les formulaires fiscaux américains. “Chaque créateur YouTube qui gagne de l’argent sur la plateforme au Royaume-Uni doit remplir une formulaire de l’IRS, par exemple le formulaire W-8BEN. Une aide même pour des choses simples comme la structure d’entreprise, car les structures américaines ne correspondent pas à celles anglaises”, témoigne un créateur à plus d’un million d’abonnés.

Capture d’écran Creator Consultation
Plus largement, le rapport met en lumière une opportunité culturelle encore sous-exploitée. Beaucoup estiment que le Royaume-Uni ne tire pas parti de son vivier de talents. Non par manque de compétence, mais à cause d’une mentalité frileuse face à l’entrepreneuriat créatif. « Nous manquons de ce ‘mojo’ entrepreneurial qu’ont les Américains« , résume le consultant Jack Goodson. « Et c’est peut-être là notre principal blocage. » Pour YouTube, il est temps d’agir. Alison Lomax, directrice de la plateforme pour le Royaume-Uni et l’Irlande, plaide pour des mesures concrètes : un meilleur accès à la formation, au financement, une représentation accrue dans les instances officielles, et pourquoi pas, la nomination d’un ministre des créateurs. L’idée serait également de garantir une présence systématique des créateurs dans les conseils consultatifs des industries créatives, aux côtés des autres secteurs culturels majeurs du pays. Des discussions sont en cours avec le gouvernement britannique. YouTube a même lancé un incubateur de contenu pour soutenir les talents émergents. Reste à savoir si cette dynamique suffira à transformer une énergie créative en un véritable statut reconnu.
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Thierry Ardisson, ou les lunettes noires du vieux monde misogyne (Libération)
- Cinq pays européens, dont la France, vont tester une application pour vérifier l’âge des utilisateurs sur Internet (Le Monde)
- Pornhub et Youporn quittent à nouveau la France (L’Informé)
- Mistral, le champion tricolore de l’IA, n’échappe pas à la désinformation (Les Echos)
3 CHIFFRES
- 19,88 %, c’est la part des requêtes de recherche Google ayant déclenché un aperçu par l’IA en mai — la première (légère) baisse dans l’histoire de cette fonctionnalité, selon Digiday.
- Substack lève 100 millions de dollars, mise sur les abonnements mais s’ouvre progressivement à la publicité, rapporte le New York Times.
- Le bénéfice net de Netflix bondit à 3,1 milliards de dollars (+45%), selon le New York Times.
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Le streaming devient la première forme de consommation TV aux USA

Source : Nielsen
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- IA générative et élections : pourquoi il faut davantage s’inquiéter des humains que des systèmes d’IA (Reuters Institute)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- Open AI version Palantir, le service de conseil en IA d’OpenAI, générant plus de 10 millions de dollars : le déploiement devient la priorité (Forbes)
- Un groupe généré par l’IA a atteint 1 million d’écoutes sur Spotify. Désormais, des professionnels de l’industrie musicale estiment que les auditeurs devraient être avertis (The Guardian)

- Lassée de ChatGPT, l’Amérique latine développe ses propres outils (Rest of World)
- Est-ce grave d’avoir désespérément besoin de l’approbation de mon chatbot ? (Wall Street Journal)
- Perplexity voit en l’Inde un raccourci dans sa course face à OpenAI (TechCrunch)
- Google Discover ajoute des résumés générés par l’IA, menaçant les éditeurs d’une nouvelle baisse de trafic (TechCrunch)
- La qualité des articles scientifiques remise en question alors que les universitaires sont « submergés » par les millions de publications (The Guardian)
- Les ados se ruent sur les robots compagnons malgré les risques (Axios)

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- Un documentaire sur Gaza diffusé par la BBC a enfreint les règles d’exactitude, selon une revue interne (Reuters)
- Meta s’excuse après qu’une traduction automatique a déclaré un ministre indien “mort” (BBC)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- Bruxelles suspend son enquête sur X, le réseau d’Elon Musk, en pleine négociation commerciale avec les États-Unis (Financial Times)
- Une taxe sur l’IA et les cryptomonnaies pourrait financer l’action climatique, selon un ancien envoyé des accords de Paris (The Guardian)
- WeTransfer assure que les contenus des utilisateurs ne seront pas utilisés pour entraîner l’IA après la polémique (The Guardian)
- Les AI Overviews de Google visés par une plainte antitrust de la part d’éditeurs indépendants (Reuters)
JOURNALISME
- Un tabloïd britannique est la première marque d’actualité aux États-Unis sur TikTok (Chaotic Era)
- NotebookLM intègre des sélections de The Economist, The Atlantic et d’autres médias (TechCrunch)
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Apple lance un nouveau jeu de mots avec des emojis pour rivaliser avec Wordle et le New York Times (The Verge)
ENVIRONNEMENT
- Pourquoi la chaleur est-elle si difficile à traiter médiatiquement ? (Columbia Journalism Review)
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- La fusion chaotique de TikTok en Indonésie pourrait annoncer ce qui attend les États-Unis (Rest of World)
- TikTok met les auteurs-compositeurs en lumière (The Verge)
- Le fiasco du PDG d’Astronomer à un concert de Coldplay illustre la dystopie de surveillance des réseaux sociaux (404 Media)
I'm sorry but someone had to do it pic.twitter.com/kBxIb94Cl8
— Robert Sterling (@RobertMSterling) July 17, 2025
STREAMING, OTT, SVOD
- La guerre du streaming se résume à deux acteurs : YouTube contre Netflix (New York Times)
- Peacock, la plateforme de streaming de Comcast, augmentera ses tarifs la semaine prochaine et lancera une nouvelle formule simplifiée (Reuters)
- Netflix utilise des effets générés par IA pour la première fois afin de réduire les coûts (BBC)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- Pour que les auteurs-compositeurs puissent vivre de leur métier, Spotify doit agir (The Hollywood Reporter)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Un nouveau centre de recherche dédié à l’exploration de la manière dont l’IA peut aider les humains à « parler » avec leurs animaux (The Guardian)
- L’IA égorge l’industrie du journalisme (Futurism)
- Le nouvel outil d’IA d’Adobe transforme de simples bruits en effets sonores réalistes (The Verge)
- Le département de la Défense va commencer à utiliser Grok, le modèle d’IA controversé d’Elon Musk (Washington Post)
- Le nouvel agent ChatGPT d’OpenAI peut contrôler un ordinateur entier et accomplir des tâches à votre place (The Verge)
- Le système de vérification d’âge de Roblox utilise l’IA pour analyser les selfies vidéo des adolescents (Wired)
- OpenAI, Google DeepMind et Anthropic tirent la sonnette d’alarme : « Nous pourrions perdre la capacité de comprendre l’IA » (VentureBeat) / Chain of Thought Monitorability: A New and Fragile Opportunity for AI Safety
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Netflix affirme qu’il va “à peu près doubler” ses revenus publicitaires cette année grâce à des ventes anticipées quasi bouclées (AdWeek)
Par Kati Bremme, Océane Ansah et Alexandra Klinnik