Liens vagabonds : La fin de Wikipédia ? Grokipedia et la désinformation du savoir
 
                    De l’idéal collaboratif au chaos algorithmique, les encyclopédies deviennent-elles des machines idéologiques ? Après Wikipédia et sa démocratisation du savoir, Grokipedia, piloté par Elon Musk, plonge la connaissance dans des bulles de vérités où l’algorithme dicte ce que nous devons croire.
Avec déjà près de 900 000 articles, ce nouveau projet vise à “purifier” la connaissance pour contrer un Wikipédia jugé “biaisé à gauche”. Après avoir pris le contrôle de X et supprimé toute modération, mettant en avant des contenus extrêmes tout en lançant une IA sans garde-fou, l’annonce de Grokipédia poursuit l’ascension de ce milliardaire qui façonne le réel à son image.
Ainsi, si Wikipédia a relégué les encyclopédies papier, ce nouveau concurrent dopé à l’IA pourrait-il à son tour supplanter cette icône du savoir ?
Une encyclopédie sous pression
Dans les années 2000, Wikipédia proposait d’ouvrir l’information en permettant à n’importe qui de contribuer sur n’importe quel sujet. L’ère de l’IA vient bousculer ce modèle : en un an, le trafic direct du site a chuté de 8 %. Une perte d’audience attribuée par Wikimedia, l’association qui gère Wikipédia, à “l’impact de l’IA et des réseaux sociaux sur la manière dont les gens s’informent”. Entre 2019 et 2024, le nombre d’éditeurs actifs a d’ailleurs lui aussi baissé de 35 %.
Un modèle de contribution humaine de plus en plus exploité par les chatbots : en avril dernier, cette même fondation dénonçait la saturation de ses infrastructures par les visites sur ses pages de bots et de robots d’indexation pour l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle.
La portée de l’encyclopédie libre comme source d’information fait d’elle de facto une cible pour ceux qui souhaitent manipuler cette indexation de la connaissance : Next et Libération, en début d’année, informaient Wikipédia de plus de 1 500 faux sites imitant parfois des médias. Ainsi, nombreux sont les acteurs qui tentent de tirer parti de l’encyclopédie libre.
Grokipedia : la copie sans le collectif
La richesse du site réside dans la vérification humaine des contenus et des sources. Les nombreuses attaques d’Elon Musk et du camp républicain aux États-Unis, qui dénoncent des biais idéologiques, mettent peut-être justement en lumière un système de contrôle certes imparfait, mais toujours fonctionnel. La fiabilité de cet agrégateur de liens doit être prise avec précaution, mais il reste un espace gratuit, ouvert à tous, où chacun peut participer.
À contrario, Grokipedia et ses contenus rédigés par l’IA restent encore vagues sur ses processus de contrôle, et ses réponses censées “dire la vérité” ne transpirent pas pour le moment la neutralité. Ironiquement, cette nouvelle encyclopédie visant à boycotter la précédente, clone pour le moment les pages Wikipédia pour enrichir sa base de données.
@loopsider Pour Elon Musk, Wikipédia serait "trop politisée" et "contrôlée par des activistes d’extrême gauche". En réponse, le milliardaire a créé sa propre encyclopédie : Grokipédia. On est donc allés voir ce qu’on y trouve… #sinformersurtiktok #wikipedia #grokipedia ♬ son original – Loopsider 
Bye-Bye Creative Commons
Et c’est là l’un des principaux problèmes : en puisant dans les ressources ouvertes pour créer des systèmes fermés, on détourne l’un des piliers fondateurs du Web collaboratif, les licences Creative Commons. Celles-ci sont pensées pour favoriser la libre circulation de l’information tout en garantissant l’attribution des contenus à leurs auteurs. Les IA génératives, en absorbant puis en synthétisant d’immenses volumes de textes, font disparaître cette transparence et cette traçabilité de l’information.
Anna Tumadóttir, directrice générale de Creative Commons, s’inquiète de ce manque de réciprocité et de son impact sur le partage des connaissances : « Quand nous partageons, tout le monde y gagne. Et si nous ne trouvons pas un moyen de rétablir l’équilibre dans l’écosystème de l’information, il disparaîtra. »
Si les chatbots utilisent massivement Wikipédia pour générer leurs réponses, la force du site tient à la contribution humaine, bénévole et ouverte. Remplacer cette intelligence collective par des modèles automatisés, comme le fait Grokipedia, ne pose pas seulement la question de la manipulation idéologique, mais surtout celle du futur même du Web participatif.
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Budget 2026 : des taxes sur les multinationales et les géants du numérique américains votées à l’Assemblée, au grand dam du gouvernement (Le Monde)
- «Bernard Arnault se bollorise à fond» : à «Challenges», une cession à LVMH sur fond de tensions autour de l’indépendance du titre (Libération)
- Rachida Dati, ministre de la Culture et magicienne des chiffres pour défendre coûte que coûte son budget (Télérama)
- Le groupe média Le Crayon devient rentable (l’Informé)
- «J’ai besoin de vous» : Emmanuel Macron appelle à la «résistance» face aux menaces des réseaux sociaux sur la démocratie (Le Figaro)
3 CHIFFRES
- Selon le rapport du projet SIMODS, près d’une publication sur cinq (20%) sur TikTok portant sur un sujet d’intérêt public s’avère fausse ou trompeuse
- 6 millions de Français utilisent quotidiennement une IA conversationnelle, selon Médiamétrie
- Une nouvelle étude d’Adobe, menée auprès de plus de 16 000 créateurs, a révélé que 86 % d’entre eux utilisent désormais activement l’intelligence artificielle générative créative
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Les créateurs ont moins d’impact dans les pays européens
Source : Reuters Institute
NOS MEILLEURES LECTURES / LONG READS
- Que peut apprendre Hollywood des nouveaux médias ? (New York Times)
- Donald Trump est le premier président IA “slop” (Wired)

- L’Assassin de l’Entretien (CJR)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- De moins en moins de personnes en Suisse utilisent les médias journalistiques pour s’informer (RTS)
DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- RT célèbre son anniversaire en tant que “porte-voix de la propagande” du Kremlin (NewsGuard)
- La Finlande forme ses élèves à repérer la désinformation dès la maternelle, et ça fonctionne ! (Data for Good)
- Ouragan Melissa en Jamaïque: des vidéos artificielles détournent l’attention des alertes de sécurité (rfi)
- TikTok et X en première ligne de la désinformation en Europe selon un rapport (The Media Leader)
- Google promeut du contenu faux auprès de millions de personnes au Royaume-Uni sur Discover (Press Gazette)
- Beaucoup d’Américains disent qu’ils tombent souvent sur des informations inexactes – et qu’ils ont du mal à savoir ce qui est vrai (Pew Research Center)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- En commission, les députés valident une taxe sur la pub pour l’alcool (CB News)
JOURNALISME
- Depuis le départ de Dave Jorgenson, l’audience de The Washington Post sur YouTube s’est littéralement effondrée (Matt Karolian)
- Une nouvelle bourse vise à redonner tout son sens au mot « news » dans « créateur de news » (Nieman Lab)
- Les créateurs de contenu informatifs attirent davantage l’attention dans les pays où les médias traditionnels peinent (Nieman Lab)
- Les éditoriaux du Washington Post omettent une divulgation essentielle : les liens financiers de Bezos (npr)
- Un journal britannique présente ses excuses pour une fausse interview de De Blasio critiquant Mamda (The Guardian)
"Imagine this… a seemingly serious reporter has a long dialogue and prints it without checking at all if it's the real person."
— Erin Burnett OutFront (@OutFrontCNN) October 30, 2025
Former New York Mayor Bill de Blasio talks to @ErinBurnett about the moment one of the UK'S oldest and most respected papers was duped by a de Blasio… pic.twitter.com/aNEytx8Ody
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Des armées payées de ‘Clippers’ propulsent des stars d’Internet comme MrBeast (Bloomberg)
- Avec Zelda sur vinyle, Nintendo se lance dans le secteur de la musique (The Washington Post)
ENVIRONNEMENT
- Base spatiale d’Elon Musk : un écosystème ravagé et des autochtones privés de leurs terres (Reporterre)
RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- TikTok oriente les jeunes vers des contenus dépressifs et suicidaires (Amnesty International)
- L’avenir de TikTok aux États-Unis reste incertain (CNN)
Am told that TikTok & the potential finalization of ByteDance’s deal with the U.S. were not discussed during the Trump-Xi meeting.
— Vaughn Hillyard (@VaughnHillyard) October 30, 2025
POTUS had initially said he would seek Xi’s authorization for the deal negotiated by the Chinese-backed company & the Trump Admin to move forward. https://t.co/9YvhPNwXJY
- Threads atteint 150 millions d’utilisateurs quotidiens et intensifie ses publicités (engadget)
- Les Shorts rapportent désormais plus d’argent à YouTube que les vidéos longues (tubefilter)
STREAMING, OTT, SVOD
- YouTube TV signe un accord avec Bloomberg Media pour des chaînes d’information en continu et de programmes originaux 24 heures sur 24 (Variety)
- Pourquoi les prix des services de streaming continuent-ils d’augmenter ? (Los Angeles Times)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- Radio Free Asia suspend ses activités éditoriales en raison de coupes budgétaires et de la fermeture du gouvernement (Axios)
- Les candidats à la présidentielle se mettent aux podcasts. Y a-t-il quelqu’un pour les écouter ? (The Washington Post)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Microsoft, Meta et Google doublent la mise dans l’IA (Les Echos)
- YouTube propose des départs volontaires alors que l’entreprise se réorganise autour de l’intelligence artificielle (CNBC)
- Le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, défend les dépenses en IA : « Nous voyons les retours » (CNBC)
- Universal Music règle son différend avec la société d’IA Udio (Wall Street Journal)
- Au « Davos du désert », l’Arabie saoudite érige l’intelligence artificielle en nouvel axe de développement (Le Monde)
- Des centaines de milliers de vidéos provenant de médias tels que The New York Times et Vox ont été utilisées pour entraîner des modèles d’IA (NiemanLab)
- Meta relève ses investissements en intelligence artificielle à plus de 70 milliards de dollars en 2025 (New York Times)
Qui réalise ces copies IA de mon travail ?
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Disney finalise l’acquisition de Fubo, créant un concurrent renforcé à YouTube TV (Deadline)
- Une série Netflix est-elle allée trop loin dans la publicité lors de sa deuxième saison ? (New York Times)
- Les dons à des journalistes via les plateformes comme Patreon ne peut pas être l’avenir du journalisme (TPM)
Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et  Loïc De Boisvilliers 
 
			 
			