Liens vagabonds : Interdire pour protéger, le pari australien sur les adolescents et les écrans

« Nos amis en Australie sont pionniers dans la restriction des réseaux sociaux », souligne la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le pays est le premier à interdire l’accès aux plateformes aux moins de 16 ans afin de les protéger des effets potentiels de ces outils. Une mesure qui concerne plus de deux millions de mineurs. Pour certains observateurs, cette décision servira de test grandeur nature. « Cela va être un magnifique laboratoire de l’inefficacité de la mesure. Je suis très content qu’ils le fassent… On aura un exemple concret », estime François Saltiel, qui ne croit pas aux méthodes coercitives. Le Danemark pourrait suivre rapidement : son gouvernement souhaite interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. La Malaisie, l’Indonésie et la Norvège envisagent également des restrictions similaires.

L’interdiction vise dix plateformes majeures, de TikTok à Instagram en passant par YouTube, une première mondiale par son ampleur. Dès l’annonce, les recherches Google autour des moyens de contourner la mesure ont bondi de 700 %, signe qu’elle touche directement les usages quotidiens des adolescents. YouTube concentre particulièrement les inquiétudes. La plateforme n’est plus seulement un lieu de divertissement : elle est devenue un canal d’information central pour les jeunes. En France, par exemple, Hugo Décrypte, très présent sur YouTube, est désormais le « JT des jeunes » et leur première source d’information. Aux États-Unis, il s’agit de la plateforme que les adolescents consultent le plus quotidiennement. Environ trois quarts des adolescents disent l’utiliser chaque jour, selon une étude récente du Pew Research Center. Autrement dit, restreindre l’accès aux réseaux sociaux, c’est aussi toucher au principal lieu où une génération s’informe.

Mais entre interdiction et réalité, l’écart est déjà visible. La vérification de l’âge reste un défi technique : les jeunes détourner les systèmes grâce à des photos générées par IA, de faux documents ou même des images de golden retriever. « Mon fils de 13 ans a réussi la vérification faciale en cachant ses dents et en grimaçant. L’application a estimé son âge à plus de 30 ans. Dans la vraie vie, on lui en donnerait 10 », témoigne un parent. L’Australie reconnaît que le dispositif ne sera « ni parfait, ni immédiat », mais assure que les failles ne resteront pas ouvertes longtemps. En parallèle, de nouvelles applications non concernées par l’interdiction, comme Lemon8 ou Yope, grimpent déjà dans les classements, montrant que les usages se déplacent plutôt qu’ils ne disparaissent. Pourtant, l’interdiction s’appuie aussi sur un constat largement documenté. « De nombreuses études montrent que la santé mentale des jeunes est meilleure lorsqu’ils passent moins de temps en ligne, et les jeunes passent une quantité folle de temps en ligne », souligne Nicholas Thompson de The Atlantic. Aux États-Unis, environ un adolescent sur cinq déclare être « presque constamment » sur TikTok ou YouTube. 

De nombreux parents voient dans cette mesure une respiration : « Pour nous, c’est une bouée de sauvetage. Notre fille est désespérément accro à son téléphone, et moins de temps sur les réseaux, et plus de connexions significatives, ne peut qu’être une bonne chose. » Mais pour que ces « connexions significatives » aient un sens, les jeunes ont besoin d’espaces réels pour gambader. En toute liberté. C’est d’ailleurs ce qu’ils désirent avant tout. Or, beaucoup ne peuvent plus se déplacer seuls : moins de la moitié des 8-9 ans traversent une allée de supermarché sans adulte, et plus d’un quart ne peuvent même pas jouer dans leur propre jardin sans surveillance, selon une étude de Harris Poll, entreprise spécialisée dans la collecte et l’analyse de données d’opinion publique, qui a interrogé plus de 500 enfants âgés de 8 à 12 ans aux États-Unis. Privés d’autonomie physique, les enfants se tournent vers le seul endroit où ils peuvent encore bouger librement : leur téléphone. « Les normes sociales, les communautés, les infrastructures et les institutions qui favorisaient autrefois le jeu libre se sont érodées, constate The Atlantic. Les enfants élevés avec des écrans aspirent à la vraie liberté. C’est comme s’ils avaient le mal du pays pour un monde qu’ils n’ont jamais connu. »

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • L’administration Trump veut que les touristes exemptés de visas, dont les Français, fournissent l’historique de leurs réseaux sociaux (Register Federal)
  • CMI France : le groupe de Daniel Kretinsky lance un plan social massif (La Lettre)
  • « Le Parisien » censure une interview du patron du Parquet national financier (Mediapart)
  • « Robinets à rediffusions » et audiences faibles… Quel bilan pour T18 et NOVO19, les deux nouvelles de la TNT ? (Le Parisien)
  • Espions, policiers ou militaires d’élite français trahis par les données publicitaires de leurs téléphones (Le Monde)
  • Dix ans après sa création, le pari réussi du média Brief.me et ses 12k abonnés (Le Figaro)
  • Une pub d’Intermarché, créée par un studio d’animation, cartonne sur les réseaux au moment où celles de multinationales, faites avec IA, sont critiquées (Le Monde)
  • En France comme en Europe, les audiovisuels publics subissent des pressions politiques et économiques (Le Monde)
  • Le média d’investigation climatique Bon Pote publie une charte qui refuse l’IA générative (Bon Pote)

3 CHIFFRES

  • La confiance accordée aux scientifiques comme source d’informations sur le climat reste forte et a légèrement progressé depuis 2022, passant de 68 % à 71 %, selon le Reuters Institute.
  • 15 comptes TikTok diffusant des vidéos sexualisées générées par l’IA mettant en scène des filles mineures totalisent 300 000 abonnés, rapporte CNN.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

La majorité des adolescents consultent YouTube et TikTok chaque jour, et environ un sur cinq affirme le faire presque en permanence

NOS MEILLEURES LECTURES / LONG READS

  • La fin de la preuve visuelle (Synth)
  • Comment la prose générée par l’IA diverge de l’écriture humaine, et pourquoi cela compte (Reuters Institute)
  • Création augmentée 2026 : neuf tendances qui façonneront la prochaine ère visuelle (Detroit Paris)
  • La guerre contre la désinformation est une bataille perdue (The Verge)
  • Les marques recherchent désespérément des “storytellers” (WSJ)

DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

  • « La vérification des faits, c’est du journalisme » : l’interdiction de visas américains pour les fact-checkeurs provoque un tollé (npr)
  • Les journalistes de Politico ripostent face aux outils d’IA ayant publié des ‘erreurs flagrantes’ (Press Gazette)
  • En Inde, des campagnes d’IA peu coûteuses mais puissantes ciblent les électeurs (Rest of World)
  • Des vidéos d’enfants générés par l’IA à connotation sexuelle accumulent des millions de likes sur TikTok, selon une étude (CNN)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Donald Trump veut empêcher les États de réguler l’IA grâce à un nouveau décret présidentiel (NYT)
  • Les États-Unis prévoient de commencer à vérifier les réseaux sociaux de tous les touristes (Skynews)
  • Les firmes qui structurent massivement l’attention devraient être plus responsables et juridiquement exposées pour les dégâts causés (New York Times)
  • La Maison-Blanche publie des directives pour les agences fédérales contre l’IA « woke » (Axios)
  • New York adopte des lois historiques sur l’IA : transparence sur les acteurs synthétiques et protection posthume du nom et de l’image (Deadline)

JOURNALISME 

  • AI MediaLab Denmark : deux ans pour expérimenter et former les journalistes danois (cifs)
  • Oprah a changé ce que les médias pouvaient être — et la manière dont des millions de personnes vivent leur vie (Poynter)
  • Pourquoi les podcasts vidéo se sont multipliés au-delà du « man cave » (The New Yorker)
  • The New Yorker à 100 ans : le documentaire Netflix explore les coulisses d’un magazine révolutionnaire (The Guardian

 STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • Google Traduction vous permet désormais d’entendre les traductions en temps réel dans vos écouteurs (Techcrunch)
  • ​Spotify ajoute des clips musicaux à sa plateforme (Spotify)

ENVIRONNEMENT

  • L’intérêt pour les informations sur le climat diminue en France, en Allemagne, au Japon, au Royaume‑Uni et aux États‑Unis (Reuters Institute)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Comment Letterboxd est devenu un refuge de critiques pour les allergiques aux algorithmes (The Guardian)
  • Instagram génère des descriptions pour indexer vos posts sur Google, grâce à l’IA. Les textes sont parfois erronés (404)
  • Neal Mohan est le PDG de l’année 2025 selon TIME (Time)
  • Des réseaux sociaux aux sites pornographiques, les vérifications d’âge se généralisent sur Internet (The Economist)

STREAMING, OTT, SVOD

  • Le prochain Rupert Murdoch ? Dans les coulisses de l’offre de 108 milliards de dollars de David Ellison pour Warner Bros. Discovery (Forbes)
  • La chute de la télévision payante ralentit (Axios)
  • La bataille pour Warner Bros est un prélude à la véritable guerre du streaming (The Economist)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • The Washington Post lance des podcasts personnalisés par IA pour séduire un public plus jeune  (Digiday)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • Tout le monde peut maintenant utiliser Photoshop via ChatGPT (Adobe)
  • McDonald’s retire sa publicité de Noël générée par l’IA après une avalanche de moqueries (Futurism)
  • OpenAI veut dissiper les craintes d’un retard dans la course à l’IA avec le lancement de GPT-5.2  (Fortune)
  • Google a lancé son agent de recherche en IA le plus avancé à ce jour — le même jour où OpenAI a publié GPT-5.2 (Techcrunch)
  •  Le ‘mode adulte’ de ChatGPT devrait être lancé au premier trimestre 2026 (The Verge)

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MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

La publicité a connu une croissance de 8,9 % en 2025 – mais trois entreprises ont raflé la majeure partie des gains (Warc)

Par Kati Bremme et Alexandra Klinnik

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