Face à la précarité, de plus en plus de journalistes ont aussi des activités dans la communication

Par Caroline Alonso-Alvarez et Corentin Murat, étudiants de l'université de Lorraine à Metz. Billet invité originellement publié sur Obsweb

Plus de la moitié des journalistes interrogés auraient des activités extérieures au journalisme, le plus souvent tournées vers l’édition ou la communication. C'est ce que révèle les entretiens et analyses (lire ici et ) de Cégolène Frisque, maître de conférences en sociologie à l’Université de Nantes et chercheuse au laboratoire Arènes.
Face à un secteur des médias instable, de plus en plus de journalistes évoluent vers des profils hybrides dans l’espoir de trouver un certain équilibre économique. 

A l'occasion des 8e Entretiens du webjournalisme, les journalistes Fred MarvauxOlivier Villepreux et Daniel Andreyev ont débattu de ce phénomène avec la chercheuse Cégolène Frisque.

Communication et journalisme, éternels frères ennemis

« La distinction entre communication et journalisme me semble être un garde-fou important. Et l’emprise croissante de la communication est aujourd’hui un vrai problème. »

C’est le constat que dresse Cégolène Frisque, auquel les professionnels présents ont largement été confrontés. Fred Marvaux et Daniel Andreyev abordent leur travail de la même manière selon qu’il concerne la presse ou la communication et cherchent à appliquer en permanence une certaine déontologie journalistique. Fred Marvaux ajoute : « Que je bosse pour un média ou une institution, mes méthodes de travail ne changent pas. Je sais seulement que mes photos ne seront pas utilisées de la même manière. »

Olivier Villepreux quant à lui, met un point d’honneur à distinguer journalisme et communication : « Pour moi, le journalisme induit une liberté totale ce qui est vraiment l’inverse de la communication. Dans ses publications, le journaliste doit être au centre et ne pas se laisser dominer par son sujet. »

La plupart des intervenants s’accordent à dire qu’ils se sont souvent tournés vers la communication par nécessité économique. Écrire dans des revues professionnelles a notamment permis à Olivier Villepreux de subvenir à ses besoins au quotidien. Les revenus générés par les activités de communication sont, en effet bien souvent supérieurs à ceux du journalisme. Une différence non négligeable qui séduit de nombreux professionnels.

Le cumul des statuts pour faire face aux contraintes économiques

La multiplication des statuts et des activités des journalistes aujourd’hui en France est la conséquence directe d’une réalité économique compliquée. Daniel Andreyev parle de son expérience personnelle pour illustrer ce phénomène : « En vingt ans de journalisme, j’ai vu beaucoup de maisons de presse disparaître. J’ai l’impression qu’il faut tuer quelqu’un maintenant pour avoir un CDI à Paris ! »

Cela amène de plus en plus de journalistes à diversifier leurs activités. Olivier Villepreux, qui a commencé à La Dépêche du Midi, a ensuite été en poste à L’Équipe puis à Libération, qu’il a quitté lors d’un changement d’actionnaire. Désormais indépendant, il réalise des documentaires, écrit des livres, dirige la revue musicale Delta T et a confondé la maison d’édition Anamosa. « Mes revenus en provenance de la presse sont ridicules. Aujourd’hui, j’écris très rarement pour des médias », confie-t-il.

L’expérience d’Olivier Villepreux met en lumière les recherches de Cégolène Frisque. En effet, elle explique qu’au départ les journalistes se tournent vers diverses autres activités pour toucher un complément de revenus. Mais un déséquilibre se crée sur le long terme en raison de la précarité économique qui découle du journalisme aujourd’hui face à d’autres domaines professionnels. Les cas les plus extrêmes amenant même les journalistes à basculer dans une totale reconversion.

Olivier Villepreux voit son expérience professionnelle déterminer « une espèce de statut hybride très difficile à gérer ». Une des difficultés rencontrées concerne les démarches administratives. Les intervenants de la table ronde s’accordent à dire qu’il est très délicat de faire comprendre à une banque ou à Pôle Emploi la diversité de provenance et l’irrégularité de leurs revenus. Un certain type de rémunération qui parfois n’est pas simplifié par les employeurs. Entre droits d’auteur, micro-entreprenariat, factures ou encore piges en salaire — ce qui devrait être le seul mode de paiement des journalistes —, les entreprises de presse n’adoptent pas toutes la même stratégie.

Daniel Andreyev n’hésite pas à critiquer certains médias qu’il accuse de tirer parti de cette situation. Pour lui, il ne faut pas transiger avec le salariat, cause pour laquelle tous les journalistes devraient se battre. « Il y a toute une génération de jeunes qui galère, j’ai des amis, des connaissances, qui sont dans ces situations délicates et qui du coup abandonnent. » Une nouvelle génération qui doit, en plus du reste, assimiler un nouveau mode de fonctionnement des médias suite à l’émergence d’internet.

« Clash des générations » : le web fait toujours débat

La précarité du statut des journalistes n’est pas nouvelle. Nombreux sont ceux qui ont dû faire face à cette réalité au sein même des médias traditionnels. Néanmoins, l’émergence des médias en ligne et du secteur du web plus globalement, ont largement participé au bouleversement des statuts et des pratiques professionnelles. Oliver Villepreux et Fred Marvaux ont été témoins de la transformation des rédactions, mais aussi des pratiques engendrées par l’arrivée du numérique. Comme beaucoup de leurs confrères, ils pointent les impacts négatifs que ces changements ont pu avoir sur leur environnement professionnel.

Olivier Villepreux, journaliste pendant plus de douze ans à Libération, a assisté à la transition numérique au sein du célèbre quotidien. Il raconte, un brin nostalgique : « Participer à la création d’un journal, c’est particulier. C’est tout un processus, une adrénaline à cause des heures de bouclage. C’est se retrouver à minuit avec deux collègues lorsqu’une info tombe et qu’on doit boucler le journal à une heure. Alors qu’aujourd’hui, on ne fabrique plus un journal, on alimente un flux. De fait, ce n’est pas le même travail. » Il souligne qu’à Libération, un grand nombre de jeunes journalistes ont été embauchés, mais que ceux-ci ne produisent pas la même qualité de contenus que les anciennes générations : « Ils débarquent, ils savent tout faire, mais moins bien ! » Et d’ajouter que derrière leurs travaux, « la mécanique intellectuelle n’est pas la même. »

Le photojournaliste Fred Marvaux semble partager le même avis. Selon lui, aucun doute, le numérique a « tué la photo. » En effet, les rédactions comprenant un ou plusieurs photojournaliste(s) se font de plus en plus rares. La photographie a perdu de sa valeur et est davantage envisagée comme une des compétences nécessaires au journaliste et non plus comme un métier en soi.

« Internet, c’est génial ! »

Si Olivier Villepreux et Fred Marvaux dépeignent une image du web peu reluisante, semblant décréditer les travaux qui peuvent y être produits, de nombreux participants au sein du public sont en désaccord. Parmi eux, Jean-Marie Charon, sociologue des médias et ingénieur d’études au CNRS, a pris la parole pour défendre une réalité du web qu’il connaît bien, puisqu’il s’agit de l’un de ses terrains d’étude privilégiés. « Je suis désolé mais je suis un peu saisi par ce que j’entends. Ce que vous dites sur le rôle du web et son évolution dans la presse régionale, ça me parait assez faux. Le web aujourd’hui, ce n’est plus seulement le desk de flux ! Ça, c’était il y a dix ans, quand on a commencé les Entretiens du webjournalisme ici, à Metz. » Il ajoute que le web ne peut être réduit à une forme de sous-journalisme sans intérêt. Selon le sociologue, sur le web, on trouve tout aussi bien de l’enquête, que du reportage et des formats originaux.

Le journaliste Daniel Andreyev, qui est, précisons-le, également le plus jeune des intervenants de cette table ronde, s’oppose aussi à ce discours quelque peu pessimiste. « Internet, c’est génial ! J’adore l’immédiateté permise par ce média et les possibilités de réseautage entre professionnels. » Il reconnaît qu’au début, nombreux sont les jeunes aspirants journalistes qui se sont retrouvés à « bâtonner de la dépêche AFP » et ont ainsi été cantonnés à des tâches peu valorisantes. On a donc assisté d’après lui, à un « clash des générations » au travers duquel les jeunes subissent une grande pression. Mais il soutient qu’il y a un basculement positif de ce côté là. « Heureusement, cela commence à s’estomper, car les vieux qui ne voulaient pas s’y mettre [au web] dégagent enfin! »

Daniel Andreyev, par Catherine Créhange

 « Le web me donne aussi aujourd’hui la possibilité de faire payer les gens pour mon contenu », ajoute-t-il. Daniel Andreyev, écrit et produit des podcasts à l’aide d’un financement participatif en ligne. Une formule d’abonnement est ainsi proposée aux internautes sur la base d’un prix libre. Il insiste : « Sur le web et les formats numériques, il y a une nouvelle vague qui se met aussi en place en ce moment, qu’on peut résumer sous le slogan “Pay is the new cool”. C’est une manière presque engagée de suivre la presse, car les journaux ferment et le public est donc de plus en plus prêt à payer pour accéder à un contenu de qualité, même en ligne. »

À travers cette nouvelle floraison de médias sur le web, Cégolène Frisque concède qu’«il y a eu le pire comme le meilleur. » Évidemment, elle cite en exemple le site internet Médiapart qui illustre bien le fabuleux potentiel d’internet pour les médias d’information. Toutefois, bien d’autres ont contribué au brouillage entre la communication et le journalisme. Mais la chercheuse nuance : « Cela existait déjà en presse traditionnelle, comme le magazine Elle qui choisit certains articles en fonction de la pub disposée sur la page d’à côté. »

 

Crédit photo de Une : Nathan Dumlao via Unsplash